La tension est montée de plusieurs crans au Moyen-Orient suite à la frappe attribuée à Israël qui a causé la mort du n°2 du Hamas à Beyrouth, pour tout comprendre de ces enjeux nous recevons Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient.
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00:00 – Bonjour Georges Malbruno, ça commence bien, merci d'être là avec nous.
00:04 On a parlé de cette frappe à l'instant avec Samuel
00:06 qui a donc éliminé le numéro 2 du Hamas en exil.
00:09 Est-ce que ça, même si ça n'a pas été revendiqué par Israël,
00:12 c'est un premier succès pour l'État hébreu ?
00:15 – Alors je dirais que c'est une victoire par défaut,
00:18 c'est une victoire parce que Saleh al-Harouri,
00:21 comme vous l'avez dit, est le numéro 2 du Hamas,
00:23 c'est quelqu'un qui avait un rôle opérationnel
00:26 sur les activités du Hamas en Cisjordanie,
00:28 c'était aussi un peu l'agent de liaison entre le Hamas et l'Iran,
00:31 il était basé à Beyrouth, il avait la connexion avec le responsable du Hezbollah,
00:35 Shehrazade Nasrallah, donc c'est une perte importante.
00:39 Israël signifie à tous ses ennemis qu'ils ont commencé d'éliminer,
00:44 comme il l'avait juré ces dirigeants du Hamas.
00:49 Ensuite, victoire par défaut parce que ça n'aura pas d'impact sur la guerre à Gaza,
00:56 il ne menait pas la guerre lui-même à Gaza,
00:59 et donc ça n'aura pas un impact énorme.
01:04 Israël, on a le sentiment, est un petit peu gêné aujourd'hui
01:09 dans sa bataille militaire à Gaza, le Hamas résiste plutôt bien.
01:16 Hier, un porte-parole américain a annoncé pour la première fois
01:19 que le Hamas, je le cite, "conservait des capacités importantes",
01:22 que le Hamas ne serait pas annihilé.
01:25 – Ça reste une menace importante du coup, c'est pas que ça veut dire en soi.
01:28 – Ça reste une menace importante parce que ses capacités militaires
01:31 n'ont pas été anéanties, et victoire par défaut parce que,
01:37 compte tenu de ce que je viens de vous dire sur l'aspect militaire à Gaza
01:42 et les difficultés que rencontre Israël pour avancer,
01:45 il peut y avoir une tentation de la part de Benyamin Netanyahou,
01:48 le Premier ministre israélien, d'élargir cette guerre,
01:51 on en parlera peut-être, il a tué Saleh al-Arouri,
01:54 probablement, il y a eu la semaine dernière aussi l'assassinat
01:57 d'un haut responsable iranien en Syrie, il y a eu cette nuit encore,
02:01 au sud du Liban, un responsable du Hezbollah qui a été assassiné,
02:06 donc la situation effectivement est extrêmement tendue.
02:09 – Oui, il y a une situation tendue, il y a une crainte très importante
02:12 d'extension du conflit, est-ce que par exemple, le Liban,
02:16 après cette frappe, pourrait entrer en guerre contre Israël, officiellement ?
02:20 – Alors, le Liban, non, le Hezbollah, oui, qui comme vous le savez,
02:24 est le mouvement chiite le plus puissant,
02:26 qui dispose d'armements extrêmement sophistiqués, jusqu'à maintenant,
02:31 le Hezbollah, son patron, Cheikh Hassan Nasrallah,
02:36 avait dit, a répété, solidarité avec le Hamas,
02:39 donc on va répondre aux attaques israéliennes,
02:43 mais on ne veut pas d'une guerre élargie, on ne veut pas d'une guerre élargie.
02:48 Hier, il a réaffirmé cela, tout en assortissant sa déclaration
02:54 d'une menace claire en disant, si Israël veut la guerre,
02:56 on y répondra de manière, je le cite, "sans limite, il n'y aura plus de plafond".
03:00 – Sans limite, sans règle, ça veut dire…
03:02 – Sans règle, sans règle, ça veut dire…
03:03 – C'est la portée ouverte à tout.
03:05 – Ça veut dire que là, on rentrerait dans une guerre totale,
03:07 ce que le Hezbollah et l'Iran ne veulent pas jusqu'à aujourd'hui,
03:11 parce qu'ils ne le veulent pas pour une raison assez simple,
03:14 c'est que, moi je l'ai constaté, je suis allé au Liban il y a 15 jours,
03:16 j'ai vu les responsables du Hezbollah,
03:18 ils n'ont pas été avertis de l'attaque du Hamas,
03:21 vous savez que ces groupes, le Hamas, le Hezbollah, des milices chiites en Irak,
03:26 les rebelles yéménites aussi qui attaquent des navires commerciaux sur la Mer Rouge,
03:29 font partie de ce qu'on appelle un axe de la résistance,
03:32 établi par l'Iran contre Israël et les États-Unis, et donc mené par l'Iran,
03:37 et eux considèrent que s'il devait y avoir une guerre contre Israël,
03:41 c'est à l'Iran et au Hezbollah d'en prendre la décision.
03:44 Eux n'ont pas été informés, donc ils étaient plutôt mécontents justement,
03:48 parce qu'ils ont eu le sentiment que le Hamas leur a volé la vedette
03:52 d'un point de vue opérationnel, parce que l'attaque, l'invasion terrestre d'Israël
03:57 était quelque chose que le Hezbollah pouvait préparer.
04:00 – Mais ça veut dire qu'ils n'ont pas intérêt plus que ça à l'escalade, le Hezbollah en fait ?
04:03 – Non, non. – Là pour l'instant,
04:04 ils préfèrent maîtriser la situation, il y a quand même une situation tendue
04:07 au sud du Liban, à la frontière justement, mais ils s'en tiennent à ça ?
04:11 – Ils s'en tiennent à ça parce que, comme vous le savez, en 2006,
04:13 il y a eu une guerre importante entre Israël et le Hezbollah,
04:16 dont le Hezbollah est plutôt sorti, je dirais, vainqueur,
04:20 enfin il n'y a pas eu de vrai vainqueur côté israélien,
04:22 et depuis le Hezbollah a acquis une puissance de dissuasion très importante
04:27 qui ne veut pas dilapider aujourd'hui en se lançant dans une guerre,
04:30 même en signe de solidarité avec le Hamas.
04:33 Il faut aussi rappeler que le Hamas est un mouvement sunnite,
04:35 lié aux frères musulmans, le Hezbollah est un mouvement chiite,
04:38 leurs agendas peuvent différer, diverger, en Syrie ils ont fait la guerre,
04:42 donc il y a un ennemi commun, comme l'a répété hier Hassan Nasrallah,
04:45 mais ils ne font pas toujours d'accord.
04:47 – J'aimerais vous faire réagir à ce qui s'est passé hier justement,
04:50 mais en Iran cette fois, il y a eu une double explosion
04:53 qui a été qualifiée d'attentat, qui a provoqué la mort d'au moins 95 personnes,
04:56 et ça ne s'est pas passé n'importe quand, c'était au moment de la commémoration
04:59 du décès du commandant des gardiens de la révolution iranienne, Ghassam Soleimani,
05:04 ça se passe au lendemain d'une frappe, on le disait au Liban,
05:10 est-ce qu'il y a une concordance des agendas malencontreuses ?
05:13 Comment vous analysez ça ?
05:14 – En tout cas il y a un calendrier qui est suspect, les Iraniens ont accusé Israël,
05:19 le mode opératoire de cette action fait plutôt penser à une attaque
05:24 perpétrée par les ennemis de l'Iran, qui sont non pas forcément Israël
05:28 ou l'Arabie Saoudite qui n'est plus un ennemi, mais plutôt Daesh,
05:32 vous savez que Daesh est l'ennemi de l'Iran,
05:34 et Israël en général, et l'a fait à de nombreuses reprises,
05:39 cible de manière très précise… – Comme au Liban finalement.
05:42 – Comme au Liban, là il y a eu quand même 90 morts,
05:45 donc ça ajoute effectivement à la tension, mais je ne crois pas encore une fois
05:50 que ni l'Iran ni le Hezbollah aient envie de se lancer dans une guerre régionale,
05:54 tout simplement parce que ça n'est pas dans leurs intérêts.
05:56 – Sur cette frappe qui a eu lieu au Liban, donc mardi,
05:59 est-ce que vous pensez que ça, c'est une nouvelle stratégie de l'État hébreu,
06:03 est-ce que du coup ça peut permettre de relâcher la pression sur la bande de Gaza
06:06 et notamment sur les civils qui s'y trouvent ?
06:09 – Alors, ce n'est pas une nouvelle stratégie, Israël depuis 50 ans,
06:12 depuis l'attentat de Munich… – Non mais dans le conflit
06:14 qui a commencé le 7 octobre. – Alors dans le conflit,
06:16 c'est une nouvelle étape, c'est la première fois qu'effectivement Israël
06:19 va éliminer, comme il l'avait promis, les responsables du Hamas,
06:23 qui sont connus, j'en ai rencontré Addoa, il m'a dit "Ralen Meshal,
06:27 tu sais que je suis sur la liste", etc.
06:29 Bon, comme je vous le disais, c'est une victoire,
06:32 mais ça ne va pas changer radicalement la face de la guerre.
06:39 Comme je vous le disais, Israël peine dans la bande de Gaza,
06:42 il y a eu des pressions américaines, Israël a commencé de retirer
06:45 un certain nombre de ses militaires, il y a eu une espèce de confusion
06:50 dans les objectifs de guerre israéliens, un certain nombre de ministres,
06:54 extrémistes du gouvernement israélien disent "il faut recoloniser la bande de Gaza",
06:58 Benyamin Netanyahou dit "on ne va pas réoccuper la bande de Gaza,
07:02 mais on va contrôler son extrémité sud avec l'Égypte",
07:06 donc on voit que les négociations sur les otages aussi
07:10 sont dans l'impasse au jour d'aujourd'hui, elles reprendront,
07:13 donc on est dans une espèce de phase d'entre-deux,
07:15 et il y a effectivement cette incertitude, cette crainte que,
07:19 pour soulager un petit peu, faire diversion, Israël puisse s'attaquer au Liban,
07:25 à des cadres du Hamas ou ailleurs.
07:27 – Très rapidement sur un voyage qui va commencer ce soir,
07:30 celui du secrétaire d'État américain Anthony Blinken,
07:33 dans le contexte actuel, qu'est-ce que ça peut apporter
07:36 ou qu'est-ce que ça peut changer ce voyage-là ?
07:38 Il va se rendre en Israël notamment ?
07:39 – Il va se rendre en Israël et il va convaincre une nouvelle fois les Israéliens
07:43 d'éviter les victimes civiles qui sont très très nombreuses,
07:47 parce qu'effectivement la question qu'on se pose,
07:50 c'est jusqu'à quand l'administration américaine soutiendra Israël
07:53 dans son opération qui est une opération de destruction de la bande de Gaza,
07:57 plus de la moitié des habitations ont été détruites,
08:00 et donc il va y avoir des pressions qui vont être mises.
08:02 Pour l'instant Israël soutient, pour l'instant les États-Unis soutiennent,
08:08 n'ont pas sifflé la fin de la partie, il faut aussi envisager l'après la bande de Gaza,
08:13 pour l'instant c'est un trou noir, c'est l'incertitude,
08:16 donc tout ça va être examiné par Anthony Blinken devant les Israéliens.
08:19 – Merci, merci beaucoup Georges Malbrunot d'avoir accepté de répondre à nos questions
08:22 et de nous avoir éclairé sur la situation au Proche-Orient.