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La tribune de soutien à Gérard Depardieu, célèbre acteur français accusé de viols et autres faits de violences sexistes et sexuelles, suscite l'indignation des associations féministes. Pour en parler, Me Violaine de Filippis-Abate, avocate et porte-parole d'Osez le féminisme.
Regardez L'invité de RTL du 27 décembre 2023 avec Jérôme Florin.

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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 RTL 7h43. Comme il l'a confié hier à RTL, Gérard Depardieu a trouvé belle la tribune du Figaro,
00:15 signée par une cinquantaine d'artistes prenant sa défense.
00:18 Des signataires que l'acteur, visé par deux plaintes pour viol et agression sexuelle, juge courageux.
00:23 Nous sommes donc avec vous, Violaine de Philippi, écrivaine, avocate et porte-parole d'Osez le féminisme.
00:28 Vous avez peut-être relu depuis hier cette tribune dénonçant, je le rappelle, le lynchage,
00:33 le torrent de haine s'abattant sur Depardieu.
00:36 Est-ce que vous comprenez Charlotte Rampling, Nathalie Baye, Nadine Treintignant, Emmanuel Sénier,
00:42 qui ont signé ce texte ? Ce sont des femmes quand même qui ont de la personnalité, du caractère, qui sont fortes.
00:48 Oui, tout à fait. Je voudrais m'adresser à elles en tant que femmes, bien sûr,
00:52 mais aussi en tant qu'avocate engagée pour les droits des femmes.
00:55 Parce qu'en réalité, je crois que si elles ont signé ça, c'est qu'elles ignorent la réalité de ce que je vois sur le terrain.
01:01 Elles le connaissent.
01:02 Je ne crois pas parce que malheureusement, c'est presque un sentiment légitime d'avoir confiance en la justice
01:08 quand on ne sait pas ce qui s'y passe vraiment.
01:10 Qu'elle rappelle la présomption d'innocence, je suis avocate, je comprends.
01:14 Maintenant, moi, ça fait dix ans que je suis avocate, dix ans que quand je prends ma robe,
01:17 j'ai l'impression de lutter contre le système plutôt que de finalement d'être portée par lui.
01:22 Quand je dis aux victimes "vous pouvez déposer plainte", je ne leur dis jamais "vous devez déposer plainte".
01:27 Et pourquoi ? Parce que les enquêtes, entendez-moi bien, ne sont pas correctement faites.
01:31 Il n'y a pas assez d'actes d'investigation.
01:33 Donc quand un homme, il y a un non-lieu ou alors il y a un classement sans suite,
01:37 ça ne veut pas dire que la victime mentait.
01:39 Ça veut dire que la justice a échoué à trouver les preuves.
01:42 Pardonnez-moi, ça veut dire que ces actrices, selon vous, sont ignorantes de la réalité, pas insincères ?
01:48 Oui, voilà, elles ne sont pas ignorantes de façon générale, bien sûr.
01:53 Ce sont des femmes cultivées, intéressantes et fortes.
01:56 En revanche, oui, elles sont ignorantes de ce qui se passe derrière les portes d'un commissariat ou d'une gendarmerie.
02:01 Elles sont ignorantes de ce qui se passe dans le cadre d'une procédure judiciaire.
02:04 Rien n'est mieux qu'un cas pratique, vous voyez.
02:07 Oui, mais elles connaissent Gérard Depardieu. Carole Bouquet, par exemple, est bien connue quand même.
02:10 Tout à fait, mais il y a plein d'hommes qu'on connaît, qui paraissent très bien.
02:13 Je veux dire, est-ce qu'elles savent ce que c'est d'être violée par un homme à qui on fait conscience
02:17 et à qui toute la société fait conscience ?
02:19 C'est le cas de 9 femmes sur 10 qui connaissent leur agresseur.
02:22 Et parfois, c'est classé, alors même qu'il y a des éléments au dossier.
02:25 Et là, je vous avais pris un extrait d'un dossier qui a été classé.
02:30 "Chartée de confrontation avec une policière".
02:33 La policière me dit "ne vous inquiétez pas, ça ne sera pas classé sans suite".
02:36 Et pourquoi ? Parce qu'au dossier, il y avait cet élément-là.
02:38 Je vous lis ce que la juge aux affaires familiales avait noté dans sa décision,
02:42 parce que par ailleurs, il y avait une procédure devant la juge aux affaires familiales.
02:45 "Monsieur Y. ne conteste pas que certains agissements aient pu être interprétés
02:49 comme un contrôle démesuré de sa compagne et qu'elle ait pu se sentir contrainte, y compris sexuellement".
02:54 D'accord ? Même il y avait des textos où l'homme reconnaissait ses faits.
02:57 Le parquet m'a classé le dossier pour insuffisante preuve.
03:01 - Alors, violente de Philippi, pour l'instant, Gérard Depardieu dit qu'il est innocent.
03:04 - Oui, mais tout le monde dit qu'il est innocent. Vous avez déjà vu un homme dire "oui, envoyez-moi en prison".
03:08 - Il y a des gens qui reconnaissent certains faits.
03:10 - Oui, très bien, merveilleux. Je suis d'accord avec vous, mais j'ai aussi un contre-exemple.
03:14 - Non mais rapidement, ces artistes signataires se sont déshonorés selon vous ?
03:17 Parce qu'on revient à cette tribune.
03:19 - Moi, je pense que ces femmes, finalement, ont fait ça dans un mouvement pour se rassurer elles-mêmes
03:24 et pour se rassurer aussi vis-à-vis de leur soutien qu'elles apportent à leurs amis.
03:28 Comment est-ce qu'on aurait réagi, nous, si on n'avait pas, en tout cas moi en tant que personne,
03:32 si je ne savais pas ce qui se passait justement, comme je le disais dans mes dossiers,
03:35 peut-être que dans un premier élan, je soutiendrais un ami qui serait visé par une accusation de viol.
03:40 Donc, je les comprends. Mais par contre, là, ce que je leur reproche profondément,
03:44 c'est de ne pas s'être renseignée, de ne pas avoir lu les rapports.
03:46 Parce que ce que je vous dis, c'est aussi repris dans un rapport de 2019 de l'Inspection Générale de la Justice.
03:50 - Donc, c'est un monde déconnecté ?
03:52 - Bah, déconnecté, pas déconnecté.
03:54 - C'est quoi ? C'est l'ancien monde ?
03:55 - Bah, j'ose espérer quand même que l'égalité concerne toutes les générations
03:59 et que ce n'est pas parce qu'on a plus de 50 ans qu'on est un vieux con.
04:02 - Violaine de Philippy, sur le fond, cette phrase,
04:05 "Quoi qu'il arrive, personne ne pourra jamais effacer la trace indélébile de son œuvre,
04:09 dont notre époque est à tout jamais marquée.
04:11 Le reste, tout le reste, concerne la justice, que la justice, exclusivement."
04:17 Est-ce que ça, selon vous, c'est contestable ?
04:19 - C'est faux. Le privé est politique.
04:21 Les actes qu'on a dans nos vies privées ont un impact collectif, finalement.
04:26 La somme de nos comportements, ça fait la société.
04:29 Donc, cette phrase est évidemment fausse.
04:31 - Elle dit que c'est la justice qui va trancher.
04:33 - Mais la justice ne tranche jamais. Dans plus de 90%, je veux dire,
04:36 80% c'est la state de classement, pour les viols déclarés c'est 1% de condamnation.
04:41 Moi, j'aimerais bien qu'on ait confiance dans notre système judiciaire,
04:43 mais je vous le dis, il est malade ce système.
04:45 Donc, elle croit qu'il fonctionne, qu'elle lise les rapports
04:48 avant de s'exprimer publiquement sur des choses qu'elle ne maîtrise pas, clairement.
04:51 Ça ne veut pas dire que ce ne sont pas des femmes intelligentes par ailleurs,
04:53 je les respecte pour ce qu'elles savent faire,
04:55 mais en l'occurrence, la justice, elle ne sait pas de quoi elle parle.
04:58 - Ce texte, il rappelle un principe de base, la justice, pas le lynchage.
05:02 Vous l'entendez ça ou pas ?
05:04 - Le lynchage, qu'est-ce qu'on met derrière ?
05:06 C'est-à-dire qu'on ne peut pas reprocher à des femmes de s'exprimer publiquement dans la presse,
05:10 d'ailleurs c'est très courageux de la part de Charlotte Arnoux,
05:12 quand finalement, justement, le système judiciaire...
05:15 - Qui se dit victime de Gérard Depardieu.
05:16 - Voilà, tout à fait, pardon.
05:17 Quand le système judiciaire ne l'a pas écouté,
05:20 c'est-à-dire qu'en 2018, quand elle dépose sa première plainte,
05:23 la plainte est classée, et ensuite elle conteste ce classement,
05:26 et puis Mediapart, en parallèle, va dénicher ces femmes
05:29 qui vont avoir le courage de témoigner.
05:32 Je me pose la question, pourquoi quand Charlotte Arnoux a déposé plainte la première fois,
05:35 c'est pas l'État, et c'est pas le parquet qui nous a trouvé ces femmes ?
05:38 Est-ce que du coup, on peut dénoncer le tribunal médiatique,
05:40 alors que c'est lui qui est en train de faire le travail de l'État ?
05:42 On marche sur la tête.
05:43 - L'avocate que vous êtes ne fait pas confiance à la justice.
05:46 - Ah pas du tout, vraiment pas.
05:48 D'ailleurs, c'est pas nouveau comme posture, je veux dire, j'ai rien inventé.
05:50 Malheureusement, Gisèle Halimi disait la même chose, elle le constatait.
05:53 Ça fait des décennies qu'on se bat contre le système judiciaire quand on est féministe.
05:57 Et même quand on est une femme, en fait, tout court, pas besoin d'être féministe.
06:00 - Est-ce que vous êtes surprise par le soutien d'Emmanuel Macron à Gérard Depardieu ?
06:04 - Je veux dire, ça vraiment, je ne m'attendais pas à ce type de déclaration.
06:07 Il a fait énormément de choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord,
06:11 d'autres avec lesquelles je suis d'accord, mais ça, je suis profondément en désaccord.
06:15 C'est n'importe quoi.
06:16 Quand on est président de la République, mais comment on peut dire que Gérard Depardieu
06:20 rend fier à la France ?
06:21 On a vu les propos dans Complément d'Enquête, ils ont été authentifiés par huissier.
06:25 Authentifiés par huissier ?
06:27 Vraiment, je ne sais pas si c'est une tentative de diversion par rapport à la loi immigration
06:31 ou si c'est ce qu'il pense profondément.
06:33 Je ne sais pas laquelle des deux hypothèses est la pire.
06:36 Mais comment on peut être fiers de ces propos-là ?
06:38 Ce n'est pas juste des blagues.
06:39 Depuis 2018, c'est une infraction pénale sur le territoire français.
06:42 Le délit d'outrage sexiste et sexuel.
06:44 - Alors, c'est une vidéo de 2017 qu'on voit.
06:47 - Oui, bien sûr, et puis c'était en Corée, donc il n'y a pas la loi française qui s'applique.
06:50 Mais bon, il sait bien que ce n'est pas juste des blagues,
06:52 c'est qu'il a une loi qui empêche de tenir ses propos sur notre territoire.
06:56 - Concrètement, aujourd'hui, qu'est-ce que vous attendez ?
06:58 Ou est-ce que vous attendez quelque chose de Gérard Depardieu ?
07:00 - Alors absolument rien.
07:02 D'ailleurs, évidemment, je ne vous souhaite pas un bon anniversaire.
07:04 Non, on n'attend rien.
07:06 Mais qu'attendre d'un homme qui n'est même pas capable de reconnaître ses faits,
07:10 qui en plus...
07:11 - Qui parle peublé, peut-être qu'il prenne la parole publiquement ?
07:14 - Non, je pense que là, le mieux à faire, c'est qu'il se taise.
07:16 Enfin, je veux dire, pour dire quoi ?
07:18 Il n'aura jamais un mot pour les victimes.
07:20 Je me demande même si dans son esprit, il a vraiment en tête ce que c'est qu'un viol ou une agression.
07:24 Parce que finalement, il y a une idée aussi de ce qu'est une vraie agression, entre guillemets,
07:29 ou l'idée selon laquelle ça arriverait au coin d'une rue, par un inconnu.
07:33 Donc si ça se trouve, il n'est même pas lui-même conscient,
07:35 ce qui est très grave de ce qu'il a infligé à ces femmes,
07:37 parce que oui, ce dont elles font état, en tout cas, les faits qu'elles relatent,
07:42 si ça s'avère vrai, moi je les crois bien sûr,
07:45 eh bien ce sont des infractions.
07:46 Ce n'est pas juste une main aux fesses, des agressions sexuelles,
07:50 ou comme j'ai pu lire dans certains dossiers, une intrusion sexuelle.
07:53 Est-ce que la parole des femmes est abîmée avec cette affaire aujourd'hui ?
07:56 Bien sûr. Je pense que c'est déjà extrêmement difficile de parler quand on est victime d'un viol.
08:00 On se bat tous les jours pour survivre.
08:02 Moi-même, j'étais victime.
08:04 Voilà, le trouble de stress post-traumatique, les ascenseurs émotionnels, la mémoire traumatique,
08:09 qui peut se débloquer à n'importe quel moment quand vous avez oublié des épisodes, c'est terrible.
08:13 Et si vous voulez croire ensuite en la vie, en l'amour, c'est extrêmement difficile de se reconstruire.
08:18 Et quand on entend ces propos publics, je veux dire, c'est une gifle dans la tête de toutes les femmes
08:24 qui ont été victimes et dont la plupart ne verront jamais leur agresseur condamné en l'état du système judiciaire.
08:29 Je vais vous faire écouter quand même Jean-Marie Rouart, signataire de cette tribune.
08:33 Voilà ce qu'il nous disait, c'était hier matin sur RTL.
08:37 Attention à bien distinguer l'homme de l'artiste, l'éternel débat. Écoutez.
08:40 Que ce soit pour les écrivains, pour les artistes, on doit toujours séparer leurs œuvres de leur vie.
08:49 Comment vous réagissez ?
08:51 Je comprends plus trop en fait, parce que cette phrase est typiquement l'inverse de ce qu'ils ont écrit dans leur tribune.
08:56 Je ne sais pas si vous avez noté, mais dans leur tribune, c'est marqué "en attaquant Gérard Depardieu, vous vous attaquez à l'art, en tout cas à son œuvre".
09:03 Donc il réassocie les deux. La tribune de ses soutiens réassocie l'homme de l'artiste.
09:09 On ne sait plus si pour ceux qui défendent les agresseurs, en tout cas accusés de l'être,
09:14 est-ce qu'il faut dissocier ou pas dissocier l'homme de l'artiste ? Ils se prennent un peu les pieds dans le tapis je trouve.
09:19 Concrètement, est-ce que vous pourrez encore regarder un film avec Gérard Depardieu ?
09:22 Personnellement, moi non bien sûr, parce que c'est un choix.
09:25 Mais là je trouve que c'est intéressant de rappeler qu'évidemment il n'y a pas de fondement légal pour censurer ces films,
09:30 et que c'est important, on n'est pas dans une dictature.
09:33 Et que finalement, le rôle de la presse notamment, c'est de rappeler que chacune et chacun fait ses choix.
09:38 À qui on a envie de donner de l'argent quand on achète un DVD, si tant est qu'on achète encore des DVD maintenant.
09:43 Mais vous avez compris l'idée.
09:45 Merci beaucoup Violaine Deffily, avocate et porte-parole d'Osez le féminisme.
09:49 Je signale la sortie de votre livre, vous y faisiez référence, classé sans suite,
09:54 chez Payot, livre qui parle justement du traitement par la justice des violences faites aux femmes.
09:59 Merci beaucoup, bonne journée.
10:00 et à la prochaine.
10:01 Au revoir.
10:01 [SILENCE]

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