À Taïwan, la "Terreur blanche" continue de diviser la société

  • l’année dernière
Alors que les Taiwanais sont appelés aux urnes pour la présidentielle du 13 janvier prochain, nous vous proposons de revenir sur une page sombre du passé de l’île. Il y a près de 80 ans, le 28 février 1947, des dizaines de milliers de Taïwanais, qui s’étaient soulevés contre le gouvernement, ont été assassinés. Dès lors, la "Terreur Blanche" a commencé. Pendant quarante ans, les Taïwanais ont été victimes de privations de leurs libertés, d’emprisonnement injustifiés ou encore d’exécutions. En 1987, avec la levée de la loi martiale, Taïwan a entamé sa marche vers la démocratie, et trente ans plus tard, une Commission de justice transitionnelle a été créée, afin d’œuvrer à la réconciliation de la société. Notre correspondante Lucie Barbazanges revient sur ce passé qui ne cesse de hanter les Taïwanais.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’île de Taïwan, occupée depuis cinquante ans par le Japon, est confiée à la Chine, alors gouvernée par le Parti nationaliste chinois, le Kuomintang, de Tchang Kaï-Chek. Mais les troupes chinoises qui débarquent font face, en 1947, à des émeutes de la population locale, dont les conditions de vie se dégradent. La répression tourne au massacre. Commence alors la "Terreur Blanche", qui dure quarante ans.La main de fer se crispe encore à partir de 1949, lorsque le Kuomintang est chassé de Chine par les communistes et que Tchang Kaï-Chek se replie à Taïwan, où il établit la République de Chine, dont il devient président à vie. Il déclare la loi martiale. Sous cette dictature, les droits politiques des Taïwanais sont supprimés et plusieurs ... Lire la suite sur notre site web.
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Transcript
00:00 [Générique]
00:14 C'est une île au destin malmenée, toujours à la merci de ses voisins puissants
00:19 et qui a longtemps cherché sa voie vers la démocratie, l'île de Taïwan.
00:24 Sans remonter jusqu'à l'époque coloniale,
00:26 le destin de Taïwan s'est joué au sortir de la seconde guerre mondiale.
00:30 Occupée depuis 50 ans par le Japon, l'île est confiée à la Chine,
00:34 gouvernée alors par le parti nationaliste chinois, le Kuomintang de Chiang Kai-shek.
00:39 Mais les troupes chinoises qui débarquent font face en 1947
00:43 à des émeutes de la population locale dont les conditions de vie se dégradent.
00:47 La répression tourne au massacre, commence alors la Terreur Blanche qui va durer 40 ans.
00:53 Une main de fer qui va se crisper encore à partir de 1949
00:58 lorsque le Kuomintang est chassé de Chine par les communistes
01:01 et que Chiang Kai-shek se replie à Taïwan où il établit la République de Chine
01:06 dont il devient président à vie.
01:08 Sous cette dictature, les droits politiques des Taïwanais sont supprimés
01:12 et plusieurs milliers d'entre eux accusés d'être des opposants politiques
01:15 sont exécutés, des dizaines de milliers emprisonnés.
01:19 Il faudra attendre 1987 pour que la loi martiale soit levée
01:23 et que Taïwan entame sa marche vers la démocratie.
01:26 Et la question de la Terreur Blanche se pose bientôt.
01:29 Comment juger ses responsables ? Comment réhabiliter ses victimes ?
01:33 Mais ce devoir de mémoire se heurte à bien des obstacles.
01:36 Le Kuomintang est aujourd'hui encore un des principaux partis politiques sur l'île.
01:41 Beaucoup d'archives ont disparu, notamment avec la dissolution de la police secrète.
01:46 Et la dictature reste un tabou dans beaucoup de familles taïwanaises.
01:50 Billet retour sur la Terreur Blanche à Taïwan, c'est un reportage de Lucie Barbazange.
01:55 C'est un îlot aux reliefs acérés, au climat hostile.
02:07 L'île verte.
02:10 Au pied de ces montagnes, la mal nommée Villa de l'Oasis.
02:16 Une prison construite pendant la Terreur Blanche.
02:20 Parfois, au milieu de la nuit, ils emmenaient des gens et ils les tabassaient.
02:30 C'était inhumain.
02:34 Dans ces geôles, des milliers de prisonniers politiques ont été incarcérés par la dictature de Chiang Kai-shek.
02:42 Huang Ruilin, 81 ans, était l'un d'eux.
02:50 Avec son fils Shen, il retourne sur les traces de son passé.
02:55 La première fois qu'il pose les pieds sur cette rive, c'était en 1972.
03:03 Un souvenir encore douloureux.
03:06 C'était vraiment très triste.
03:10 Au lieu de nous transporter ici dignement, ils nous ont attachés, menottés.
03:17 À ce moment-là, nous nous demandions s'ils allaient nous jeter à la mer.
03:23 Motif de son incarcération, subversion contre le gouvernement.
03:31 Il est accusé d'être lié à des communistes, ce qu'il a toujours démenti.
03:37 Enfermé dans cette cellule, il dort à même le sol, dans des conditions insalubres.
03:44 Ici, on devait prendre notre douche, laver nos habits et même faire nos besoins.
03:50 Neuf ans de jeunesse perdu en prison, dont trois dans celle-ci.
03:55 Avec les autres détenus, Rong doit suivre des cours de patriotisme.
04:01 Interdiction de lire, aucune communication avec l'extérieur.
04:06 Ils n'ont droit de tenir un stylo que pour écrire des aveux, souvent obtenus sous la torture.
04:13 Ils essayaient de nous arracher les ongles avec des aiguilles.
04:19 Et ils ne nous laissaient pas dormir.
04:24 Ils nous frappaient jusqu'à ce qu'ils obtiennent une confession forcée.
04:30 Aujourd'hui encore, il grince des dents très fort la nuit.
04:40 Ça fait beaucoup de bruit. On sent qu'il est encore sous pression.
04:45 Imaginer que des choses pareilles sont arrivées à quelqu'un qu'on connaît, à ses proches, aux gens qu'on aime, ça me rend très triste.
04:52 Même 50 ans plus tard, revenir sur cette île reste une épreuve.
05:04 Sur ce mémorial, 9000 noms gravés, le sien et ceux de ses amis disparus.
05:17 Ça me fait mal au cœur pour lui.
05:23 Il y a des moments où je me sens aussi en colère de savoir ce que ce gouvernement lui a fait.
05:31 Ceux qui m'ont condamné sont probablement déjà morts.
05:35 Donc pardonner ou pas, ce n'est pas la question. C'est à l'histoire d'en juger.
05:42 En 40 ans de terreur blanche, combien de victimes comme Rongruilin ?
05:50 Selon les estimations, des dizaines de milliers de personnes auraient été emprisonnées ou exécutées.
05:57 Les investigations sont toujours en cours.
06:02 Aux archives nationales à Taipei reposent de précieux documents qui aident à faire lumière sur l'histoire.
06:12 Notre équipe a obtenu un accès exceptionnel à l'entrepôt.
06:16 L'accès à cette salle est limité à des personnes spécifiques.
06:20 Elle est surveillée 24 heures sur 24.
06:23 Les données sont transmises en temps réel à la salle de contrôle centrale où un agent de sécurité est constamment à son poste.
06:33 D'importantes précautions pour des documents irremplaçables.
06:39 Comme cet ordre d'exécution par balle de prisonniers rédigé au crayon rouge par Chiang Kai-shek.
06:46 Des preuves qui permettent de retracer l'histoire des victimes.
06:51 Ceci est un dossier du bureau de la police du ministère de l'Intérieur.
06:58 Il s'agit d'un cas de 1950.
07:01 C'était à propos du directeur d'une école secondaire qui a été reconnu coupable de trahison et condamné à la peine de mort.
07:11 Dès son arrivée au pouvoir en 2016, la présidente Tsai Ing-wen a promis d'accélérer la justice transitionnelle.
07:20 Un processus pour réconcilier la société avec son passé autoritaire.
07:25 Des milliers d'archives politiques ont ainsi été déclassifiées, restaurées, analysées.
07:32 Résultat, en six ans plusieurs milliers de victimes injustement condamnées ont été réhabilitées.
07:39 7600 dossiers clôturés.
07:43 Même si on leur donne d'importantes compensations financières, ça ne suffit pas au vu du traumatisme des victimes.
07:53 Ce dont elles ont le plus besoin, c'est de la vérité.
07:59 Si on délaisse la mémoire de cette période de l'histoire, alors le spectre de l'autoritarisme et de la dictature reviendra.
08:08 La justice transitionnelle, c'est promettre qu'ils ne reviendront jamais au pouvoir.
08:16 La justice transitionnelle, c'est aussi le soutien psychologique aux victimes et à leurs descendants.
08:24 Après son voyage à l'île verte avec son père, c'est la deuxième séance de Shenron.
08:31 Peng Zhengyu est spécialisé dans le traitement des victimes de la terreur blanche.
08:37 Qu'est-ce qui t'a poussé à te lancer dans ces recherches sur ton père ?
08:43 Si je ne fais pas l'effort de le comprendre, qui le fera ? Je le fais parce que nous sommes liés au sein de la même famille.
08:51 Selon une étude menée par cette chercheuse, 10 à 25% d'enfants de victimes souffriraient de séquelles psychologiques.
09:01 Vous êtes né en 1984, soit trois ans avant la levée de la loi martiale.
09:07 A cette époque, avez-vous remarqué que votre père était encore sous surveillance à la maison ?
09:13 Oui, je m'en souviens. J'ai ce souvenir d'une ou deux fois de gens qui viennent en uniforme jaune.
09:20 Je devais à peine être à l'école primaire.
09:24 C'était pour dire à votre père, l'État garde un œil sur vous, pour lui donner un sentiment constant de crainte.
09:32 Ce climat de surveillance et de peur a duré bien après la loi martiale.
09:38 La terreur blanche est longtemps restée taboue, et l'est toujours dans certaines familles.
09:44 Il y a encore beaucoup de travail à faire pour expliquer aux familles que la justice traditionnelle n'est pas de rejuger.
09:53 Ce que leurs parents ou des anciens prisonniers politiques ont fait à l'époque.
09:58 Non, cette fois-ci, il faut juger l'État. C'est à l'État de présenter leur excuse auprès des victimes.
10:07 La terreur blanche est aujourd'hui la bataille mémorielle qui divise la société taïwanaise.
10:15 La reconnaissance des victimes progresse, mais la question de la responsabilité reste en suspens.
10:22 Comment pardonner quand aucun commanditaire n'a été formellement désigné ou jugé ?
10:28 Qui était responsable ? Les militaires ? Le parti unique du Womintong ? Ou le dictateur lui-même ?
10:36 40 ans de culte de la personnalité de Chiang Kai-shek laissent des traces, comme ce mémorial, érigé à sa gloire en plein Taipei, la capitale.
10:48 Des victimes et leurs proches manifestent régulièrement ici.
10:57 Ils réclament la démolition de ce monument, le plus visité par les touristes étrangers à Taipei.
11:04 Cet activiste est bien connu de la police taïwanaise.
11:10 On vient juste voir cette statue ridicule, c'est bon ?
11:14 À cette reprise, il a jeté de l'encre rouge et des oeufs sur ce bronze du dictateur.
11:21 L'entrée du mémorial lui est même interdite, mais ce jour-là, en présence de notre caméra, il veut faire passer son message.
11:29 C'était un grand tueur. Aujourd'hui, Taïwan est connu comme un pays libre des droits humains.
11:37 Une démocratie, un état de droit, et on tolère encore une telle statue ? Il est comme Staline, Hitler, Mao Zedong.
11:49 Arrêté plusieurs fois et condamné à 150 euros d'amende, il refuse de payer ou de se taire.
11:59 Dans ce parc, des centaines de sculptures de Chiang Kai-shek sont entreposées depuis les années 2000.
12:06 Leur nombre augmente en 2017, quand une loi impose le retrait de tous les symboles de l'autoritarisme.
12:13 Pourtant, il reste encore 930 statues, noms de rues et peintures du leader nationaliste dans le pays.
12:23 Pour Chi-li Chen, Taïwan doit tourner la page de son passé autoritaire.
12:30 Pendant la Terreur Blanche, on ne sait même pas combien de Taïwanais sont morts.
12:36 Alors comment des gens peuvent-ils considérer que Chiang Kai-shek a contribué en bien à l'histoire de Taïwan ?
12:43 Les Taïwanais ont eu plusieurs présidents. Ils ont tous fait de bonnes et de mauvaises choses.
12:49 Alors pour tous ces présidents, il faudrait créer des mémoriaux pour eux et se prosterner devant ?
12:56 Chiang Kai-shek, dictateur ou héros. Le chef du parti nationaliste a établi la République de Chine à Taïwan en 1949.
13:08 Son parti, le Kuomintang, est toujours l'un des principaux mouvements politiques de l'archipel.
13:15 Ici, les adhérents admirent l'ancien leader et comprennent ses décisions.
13:22 La plupart des gens appréhendaient une infiltration communiste.
13:28 C'est pourquoi la loi martiale donnait au gouvernement des pouvoirs supplémentaires pour garantir la sécurité nationale.
13:41 La terreur blanche, un passage de l'histoire à relativiser pour ce dirigeant du Kuomintang.
13:48 Quand j'ai grandi, la loi martiale causait quelques désagréments.
13:55 Par exemple, nous ne pouvions pas aller en soirée disco après minuit.
14:02 C'était ça une terreur ? Peut-être, peut-être pas.
14:08 La soi-disant terreur blanche était une courte période dans la longue histoire du Kuomintang.
14:16 Et le Kuomintang s'est excusé.
14:20 Alors que le récit de ces 40 années divise toujours, l'enseignement de la terreur blanche est crucial pour le gouvernement taïwanais.
14:29 Face à Pékin qui menace d'envahir l'archipel, Taipei veut sensibiliser la société à son passé autoritaire.
14:38 Dans ce lycée, la terreur blanche est enseignée par un prisonnier politique.
14:44 Lu You a passé 15 ans en prison alors qu'il était à peine plus âgé que ses aides.
14:51 Pour vous, cette période de l'histoire est peut-être vide.
14:58 Mais en tant que Taïwanais, vous devez la connaître.
15:02 Parce que c'est notre histoire.
15:05 Nous avons le droit de savoir, donc nous devons savoir.
15:12 À seulement 16 ans, ces lycéennes veulent préserver leur liberté.
15:18 Nous devons être reconnaissantes d'avoir les droits et la liberté qu'on a aujourd'hui.
15:24 C'est grâce à leur combat.
15:27 Ils se sont sacrifiés et on en bénéficie maintenant.
15:31 Les jeunes ne font pas attention à la politique, mais je pense que ce n'est pas une bonne chose.
15:39 Je pense que tout le monde doit faire attention à la politique pour que la démocratie ne soit pas dominée par un seul parti.
15:46 Ou qu'elle ne devienne pas un système autoritaire.
15:50 37 ans après la fin de la loi martiale, Taïwan a prouvé sa résilience.
15:57 Après un siècle d'oppression, l'archipel a réussi une fulgurante démocratisation.
16:04 Et se place désormais dixième au classement mondial des démocraties.
16:10 Et voilà pour ce reportage à Taïwan.
16:16 Un reportage que vous pourrez retrouver bien sûr sur France24.com.
16:20 Je vous dis à très vite pour un nouveau numéro de Biérotour.
16:23 (Générique)

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