Les contradictions ont "explosé en plein jour" dans le camp présidentiel, juge Bruno Cautrès
Après le vote de la loi immigration, Bruno Cautrès, politologue, chercheur CNRS au Cevipof, estime que le camp macroniste vit sa "première vraie crise". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-mercredi-20-decembre-2023-7601654
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00:00 6h22, bonjour Bruno Cotteres ! Vous êtes politologue, chercheur CNRS au Cevipof, le centre d'études de la vie politique française.
00:07 Et on a besoin de vos lumières ce matin pour analyser le moment politique que nous vivons, pour ne pas dire la crise politique.
00:13 Le Parlement a donc fini par adopter tard hier soir le projet de loi immigration après l'accord de la commission mixte paritaire.
00:19 A l'Assemblée, 349 voix pour et 186 contre.
00:23 Un texte soutenu par la droite et l'extrême droite mais qui met le feu aux poudres dans la majorité présidentielle.
00:28 Et justement, en cette majorité, juste trois faits.
00:31 Il y a un député de la majorité sur quatre qui n'a pas voté le texte.
00:34 Il y a plusieurs ministres qui envisagent de démissionner.
00:37 Et il y a les jeunes avec Macron qui avaient appelé à ne pas soutenir le texte.
00:40 Est-ce qu'on assiste à l'implosion de la Macronie ?
00:43 En tout cas, c'est la première vraie crise à l'intérieur de ce mouvement politique.
00:47 Ça c'est absolument certain. Il n'y a eu absolument aucun équivalent jusqu'à présent.
00:51 C'était un mouvement politique renaissance.
00:53 Et l'ensemble de la Macronie, extrêmement unis, part au fond soutenir le chef de l'État.
00:58 Voilà. Et donc on a la première grosse crise.
01:01 C'est la fin du "en même temps". Il n'y a plus la jambe gauche, c'est ça ?
01:04 Peut-être pas. Il ne faut pas aller trop vite en besogne.
01:07 Mais c'est vrai, par exemple, en 2018, avec plusieurs de mes collègues, on avait conduit une grande enquête
01:11 sur les adhérents de La République en marche.
01:13 Et on disait ce qui unit ce mouvement, c'est ce qui divise les autres.
01:16 Le leadership et l'Europe.
01:17 Mais par contre, on soulignait qu'il y avait des tensions potentielles
01:21 autour du clivage gauche-droite.
01:23 Qu'à l'intérieur même de la Macronie, la gauche-la droite, ça continuait d'exister.
01:28 Et notamment, on voyait de gros éléments de différenciation sur les questions régaliennes.
01:32 Sur la question de l'ordre de l'immigration, c'était déjà là, dès le début du mouvement.
01:37 Mais là, ces contradictions ont explosé en plein jour, depuis quelques...
01:41 Donc ce que vous nous dites, c'est qu'Emmanuel Macron a peut-être fait une erreur
01:44 en pensant qu'on pouvait dépasser les clivages politiques traditionnels ?
01:47 Oui, sans aucun doute. Ces clivages politiques existent en particulier sur ces questions.
01:52 Sur ces questions régaliennes, sur les questions de l'immigration, sur le contrôle des frontières.
01:56 Il y a toujours beaucoup d'éléments de différenciation dans notre vie politique
02:00 entre les sensibilités de gauche et de droite.
02:03 Les sensibilités qui veulent qu'on contrôle davantage.
02:06 Les sensibilités qui sont intéressées par la question de l'identité nationale.
02:10 Et puis, notre vision, qui est une vision beaucoup plus inspirée de la gauche,
02:13 qui est sur une société de l'ouverture, de la tolérance.
02:16 Et on va dire que ce sont effectivement des éléments
02:19 qui se sont rappelés aux bons souvenirs de la Macronie.
02:22 Bruno Cotteres, comment vous analysez le passage de cette loi, l'adoption de cette loi ?
02:26 Est-ce que c'est une victoire pour la droite, pour les républicains,
02:28 ou une victoire pour le Rassemblement National ?
02:30 Alors, il est difficile de départager entre les deux qui est le plus vainqueur que l'autre.
02:34 Ce sont les deux vainqueurs, incontestablement.
02:36 Le Rassemblement National peut, à juste titre, me semble-t-il,
02:40 dire qu'il est vainqueur sur le front de l'idéologie, sur le front des idées.
02:43 Effectivement, les idées du Rassemblement National,
02:46 en particulier une forme de préférence nationale pour accéder...
02:49 Le durcissement des droits du sol, le conditionnement des prestations sociales...
02:52 Voilà, ça va quand même dans le sens de ce que le Rassemblement National avait toujours défendu.
02:56 Le Rassemblement National a, d'une certaine manière,
02:58 imposé aux autres formations politiques le terrain de la bataille.
03:02 Les républicains, c'est aussi des vainqueurs,
03:05 parce que les républicains partaient d'une situation calamiteuse.
03:08 Une élection présidentielle de 2022 complètement ratée.
03:11 Des élections législatives où ils avaient sauvé les meubles,
03:13 mais où ils avaient quand même beaucoup perdu.
03:15 Et là, ils ont montré qu'ils existaient,
03:17 qu'ils se réappropriaient des thèmes fondamentaux pour eux,
03:20 et aussi qu'on devait compter avec eux.
03:22 Donc, ils ont cranté quelque chose.
03:24 Eux, dont tout le monde disait qu'ils étaient une formation politique à l'agonie,
03:28 quasi en voie de disparition.
03:29 Il faudra voir comment ils passeront l'obstacle des élections européennes,
03:33 parce que si aux élections européennes, ils étaient en dessous de la barre des 5%,
03:37 alors là, effectivement, ça repartirait dans le sens
03:39 que les républicains sont dans une situation extrêmement périlleuse.
03:42 - Juste pour revenir sur le fond, est-ce que c'est effectivement
03:44 le texte le plus répressif depuis 40 ans, comme le disent les ONG ?
03:47 - C'est vrai que c'est un texte qui a considérablement durci
03:50 la politique publique de l'immigration en France,
03:54 et c'est effectivement un vrai tournant.
03:55 - Et pour la gauche, comment elle s'en sort dans cette crise ?
03:58 Est-ce que c'est l'occasion pour elle de se rassembler ?
04:00 Est-ce que sa voix porte aujourd'hui ?
04:01 - Pour le moment, c'est vrai qu'on a vu une gauche qui se rassemblait.
04:04 On n'a pas vu d'éléments de dissonance à gauche,
04:07 avec une gauche qui était elle-même dans une situation
04:10 de grande difficulté, beaucoup de tensions internes à la NUPES,
04:14 mais là, effectivement, elle s'est ressoudée.
04:16 La droite a donné l'occasion à la gauche de se ressouder.
04:21 Néanmoins, il restera à la gauche à développer ses propres propositions
04:26 sur les questions d'immigration, qui sont quand même des sujets
04:29 de préoccupation dans l'opinion.
04:31 Il va falloir que la gauche explique ce qu'elle aurait fait.
04:33 - Finalement, si je comprends bien, tout le monde y a gagné,
04:36 sauf Emmanuel Macron.
04:37 - Emmanuel Macron, pour le moment, en difficulté,
04:40 parce qu'au fond, ça ne rend pas plus lisible la grande question
04:44 que tout le monde se pose.
04:45 Où va la direction ?
04:46 Quelle est la grande direction du deuxième mandat d'Emmanuel Macron ?
04:49 Où veut-il aller ?
04:50 Est-ce que c'est plutôt de renouer avec l'origine du macronisme,
04:53 l'économie ? Est-ce que c'est de s'affirmer sur les questions régaliennes ?
04:57 Est-ce que c'est de réparer ce qui ne va pas en France ?
04:59 On n'a toujours pas la réponse à cette grande question.
05:02 - Il a fait plein de mécontents dans la société civile avec le vote.
05:05 Les présidents de plusieurs grandes universités,
05:07 de plusieurs dizaines de grandes universités, ont dénoncé un texte indigne.
05:11 Les dirigeants des trois grandes écoles de commerce, l'ESSEC, ESCP et HEC, pareil.
05:15 Le MEDEF aussi est dans les rangs des opposants.
05:17 Finalement, c'est quoi ?
05:18 C'est tout le vivier de la Start-Up Nation qui lui tourne le dos ?
05:20 - C'est vrai que voir des présidents d'universités,
05:24 le MEDEF lui-même, manifester son mécontentement,
05:27 c'est vrai qu'Emmanuel Macron, c'est son cœur de métier.
05:29 A l'origine, l'éducation, l'entreprise, l'éducation, l'économie.
05:34 - Elle lui coûte cher cette loi ?
05:35 - Elle lui coûte très cher.
05:36 On dit parfois qu'il faut être prêt à payer un prix très lourd pour un accord.
05:40 Mais encore faut-il que ce qu'on a y gagné soit aussi très lourd.
05:43 Pour le moment, c'est vrai qu'on voit Emmanuel Macron qui gagne un peu.
05:46 Il s'est affirmé sur les questions régaliennes.
05:48 Mais on l'a dit tout à l'heure, on n'a toujours pas la réponse à la grande question.
05:52 Où veut-il aller ?
05:53 Et quelles traces veut-il laisser au bout de dix ans de macronisme en quelques années ?
05:57 - Dernière question, Bruno Cotteres.
05:58 Elisabeth Borne dans tout ça ?
06:00 - Elisabeth Borne, pour le moment, d'une certaine manière,
06:03 elle peut dire qu'elle est arrivée à faire vivre la mission qu'Emmanuel Macron lui avait assignée.
06:08 Faire vivre des majorités de projets.
06:10 Tantôt avec la droite, c'est fait.
06:12 Il va lui rester à nous prouver que ça peut être fait avec la gauche.
06:15 Mais ça va devenir très compliqué de faire venir la gauche sur des projets de loi du gouvernement.
06:19 - Justement, Elisabeth Borne, je le redis, est l'invité du grand entretien de France Inter tout à l'heure à 8h20.
06:24 Merci beaucoup pour vos explications Bruno Cotteres, chercheur CNRS au Cévi-Pof et invité du 5-7 ce matin.