La loi immigration a été rejetée à l'Assemblée nationale. Darmanin s'est pris une taule. Mais il ne faut pas crier victoire. Car, comme le rappelle notre chroniqueur Cyprien Caddeo, même si la loi venait à être enterrée, le récit xénophobe entourant le texte, lui, s'est bien imposé dans les médias.
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00:00 Mais Darmanin là, c'est Highlander le gars.
00:02 Genre, il est accusé de viol, il reste ministre.
00:04 Ensuite, il mythonne sur le stade de France, et il reste ministre.
00:07 Ensuite, il se fait avoir sur les soulevements de la terre par le Conseil d'Etat,
00:10 et il reste ministre.
00:11 Et là, il se fait retoquer sa loi immigration à l'Assemblée Nationale,
00:14 et il reste ministre.
00:15 Non mais, enfin, ça va se demander ce qu'il faut pour qu'un ministre démissionne maintenant.
00:18 Bon, générique.
00:28 Cette semaine, on est hyper content parce que Gérald Darmanin s'est pris une sacrée tôle.
00:32 Oui, vous avez peut-être un peu suivi l'histoire.
00:34 Le 11 décembre dernier, son projet de loi immigration, son bébé, son jetpack vers l'Elysée,
00:39 s'est craché sur une motion de rejet historique à l'Assemblée Nationale.
00:43 Voici le résultat du scrutin.
00:45 Votants 548, exprimés 535, majorité 268 pour 270, contre 265.
00:53 Alors oui, ok, Darmanin a perdu, ça fait super plaisir,
00:56 mais nous on est là pour casser un peu l'ambiance.
00:58 Déjà parce que c'est pas fini.
00:59 Le texte doit passer en commission mixte paritaire,
01:01 où faudra négocier avec les sénateurs de droite qui vont durcir la loi.
01:05 Surtout, cela reste, quoi qu'il advienne, et même s'il n'aboutissait pas,
01:08 un des textes les plus xénophobes de la Ve République.
01:10 Et là-dessus, faut qu'on s'arrête deux minutes.
01:12 Pas sur le texte lui-même.
01:13 Pour ça, je vous renvoie à l'Humanité.fr,
01:15 où on a fait plein de décryptage de la loi.
01:17 Abonnez-vous d'ailleurs.
01:18 Non, là, on s'intéresse à son esprit,
01:19 ce qu'il raconte du cadrage médiatico-politique qui s'est imposé sur l'immigration.
01:23 Qu'est-ce que ça nous dit sur notre rapport à l'étranger, à l'immigré ?
01:27 Au-delà des postures, l'essentiel est bien là,
01:30 réussir à relever les défis posés pour notre pays,
01:33 comme pour tous les pays européens,
01:35 par une meilleure maîtrise des flux migratoires,
01:38 par l'absolue nécessité de mieux protéger nos compatriotes des délinquants étrangers.
01:42 Cet extrait, c'était le 14 novembre,
01:44 et à la tribune, c'est Olivier Bitz, sénateur du groupe Renaissance.
01:48 En l'espace de quelques secondes, il pose les termes du débat,
01:51 tel que souhaité par Gérald Darmanin.
01:53 1) L'immigration est d'abord un problème,
01:55 avec l'idée que c'est un truc non maîtrisé, hors de contrôle,
01:58 qui nous dépasse, nous submerge.
01:59 2) Il y aurait un lien entre immigration et délinquance.
02:02 L'immigré tel qu'il est présenté dans la loi Immigration est suspect par principe.
02:06 Et ce cadrage, ce récit, est repris tel quel dans beaucoup de médias.
02:10 « Soyons clairs, la loi Darmanin renforce les mesures d'expulsion,
02:14 notamment ceux des étrangers délinquants,
02:16 souvent multi-récidivistes et toujours dangereux. »
02:19 Bon ok, là c'est news, vous me direz, c'est triché, ils n'ont pas attendu Darmanin.
02:23 Ok, mais le service public alors ?
02:25 « Si, Corbia, qu'un étranger qui a commis des crimes ou des délits
02:29 qui reste en France, qu'on ne peut pas expulser
02:31 parce qu'il est arrivé avant l'âge de 13 ans,
02:33 vous dites, c'est pas grave, on le laisse sur le territoire français ? »
02:36 Vous voyez comment Léa Salamé, sur France Inter, cadre sa question,
02:39 épouse la rhétorique du délinquant étranger, comme une figure totémique.
02:42 Et comme ça, on ré-éteintrait la diversité des situations.
02:45 On parle pas des immigrés qui travaillent, qui produisent, qui payent des impôts,
02:48 on parle pas non plus des étudiants étrangers,
02:50 qui représentent un quart des étrangers qui arrivent en France chaque année
02:53 et donc participent aux rayonnements scientifiques de notre pays.
02:55 Non, on parle des étrangers qui font peur, qui posent problème.
02:58 « Regardez, ils sont là ! Ils sont dans les campagnes, dans les villes !
03:03 Ils sont sur les réseaux sociaux ! »
03:06 On parle d'étrangers qui nous font dégringoler les classements internationaux
03:09 sur l'excellence scolaire en plus.
03:11 C'est en tout cas ce que suggère le Figaro dans cet article.
03:13 Voilà, c'est à cause apparemment de l'immigration,
03:15 pas du fait des classes surchargées, des salaires gelés
03:18 et que plus personne ne peut faire prof dans ces conditions.
03:20 Bon, ça, ça nous a rappelé un truc.
03:22 « Un million d'enfants étrangers dans nos écoles,
03:25 provoquant d'ailleurs en grande partie le phénomène de l'illettrisme de nos enfants.
03:30 Et puis, ces milliers et milliers d'étrangers qui viennent dans nos hôpitaux
03:34 se faire soigner par le biais de ce qu'on appelle maintenant,
03:38 tant le phénomène est généralisé, le tourisme sanitaire. »
03:41 Ce que vous venez d'écouter, c'est une allocution de campagne de Jean-Marie Le Pen en 1988.
03:47 Et il y a déjà tout.
03:48 L'étranger qui tire le niveau vers le bas, qui profite des hôpitaux.
03:51 L'étranger est le bouc émissaire des turpitudes de son époque.
03:54 Quand le chômage était au cœur des préoccupations, on nous disait
03:56 « ils nous piquent notre travail ».
03:57 Et le FN faisait campagne avec le slogan
03:59 « un million d'immigrés = un million de chômeurs français ».
04:02 Désormais, les préoccupations sont autres.
04:04 Elles portent à une époque marquée notamment par le terrorisme sur l'insécurité.
04:07 L'étranger assisté fait néant devient l'étranger criminel.
04:10 Voire assassin.
04:11 Il faut rappeler que la loi immigration intervient après 15 jours de débat sur l'affaire de Crépole.
04:15 Que l'extrême droite et une partie de la droite
04:17 ont essayé de nous repeindre en répétition de la guerre civile.
04:19 « Désormais, du Trocadéro au Crépole, il n'y a plus un seul territoire français
04:23 qui est épargné par l'insécurité. »
04:25 Les préoccupations de l'époque portent aussi sur la crise de l'hôpital, par exemple.
04:28 Comment faire le lien avec l'immigration ?
04:30 Et ben si, je sais, l'aide médicale d'État.
04:33 Comme ça, on fait des économies.
04:34 Et en plus, on dira qu'ils viennent profiter des aides sociales.
04:36 Coup double.
04:37 « Revoilà donc le refrain du méchant migrant profiterant abondamment de l'AME
04:43 pour divers soins non urgents et opérations de confort.
04:47 D'après vous, il se rendrait même dans notre pays uniquement pour cela.
04:51 On imagine aisément une personne mettre sa vie en danger en prenant un radeau de fortune
04:56 pour traverser la Méditerranée juste pour une carie. »
04:59 Si la Macronie a réintégré le dispositif au texte,
05:02 c'est bien la droite traditionnelle et pas l'extrême droite
05:04 qui a voté au Sénat la suppression de l'AME.
05:06 Et en même temps, c'est cohérent.
05:07 Si pour eux, les étrangers sont des délinquants en puissance,
05:09 ils ont pas envie de les soigner.
05:10 Ce débat montre à quel point le cadrage xénophobe,
05:13 le cadrage de l'extrême droite,
05:14 est devenu le régime normalisé de notre débat public.
05:17 J'allais dire, peu importe le résultat du vote à l'Assemblée ou la CMP.
05:21 En fait, c'est pas vrai,
05:22 parce que son adoption aura des conséquences terribles pour les concernés.
05:25 Mais quoi qu'il arrive, l'extrême droite aura marqué des points,
05:27 parce que c'est son récit qui s'est imposé.
05:30 Alors désormais, à la gauche d'imposer le sien,
05:32 de montrer le caractère humain de cette question,
05:34 de râper les notions de fraternité, de solidarité,
05:36 c'est pas gagné.
05:38 Eh ben, on est pas sortis du sable !
05:43 Voilà, c'est la fin de cet épisode.
05:44 Merci de l'avoir suivi.
05:45 Pour 2023, nous on s'arrête là,
05:47 mais on revient à l'année prochaine.
05:48 Entre les européennes, les JO, les dingueries des uns et des autres,
05:51 on aura de quoi faire.
05:52 En attendant, n'hésitez pas à partager les chroniques,
05:54 les commenter, vous abonner à la chaîne,
05:56 prendre soin de vous, être vos proches.
05:58 Joyeuses fêtes, belle fin d'année.
05:59 Allez, salut !
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