La directrice générale d'Oxfam France Cécile Duflot présente les conclusions du rapport de l'Oxfam consacré au logement. Les 25% les plus modestes consacrent deux fois plus de leurs revenus aux dépenses de logement que les 25% les plus aisés. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-05-decembre-2023-7009368
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00:00 7h48, Sonia Deviller, votre invitée ce matin est Directrice Générale d'Oxfam France
00:05 et ancienne Ministre du Logement.
00:07 La crise du logement au quotidien, Nicolas, ça signifie quoi ? Ne pas pouvoir louer
00:11 une maison ou un appartement dans sa propre ville à moins d'être un touriste.
00:15 Ne pas pouvoir acheter à moins d'être un héritier.
00:19 Ne rien pouvoir s'offrir parce que chaque mois l'argent est accaparé par le loyer
00:22 ou par le remboursement d'un prêt immobilier.
00:25 Bonjour, Cécile Duflo !
00:26 Bonjour !
00:27 Oxfam, ONG dédiée à la lutte contre la pauvreté, a publié hier un rapport intitulé
00:31 « Logement, inégalité à tous les étages » qui fait couler beaucoup d'encre.
00:36 En quoi la crise du logement est-elle une bombe sociale ?
00:39 C'est une bombe sociale parce que le logement c'est un besoin fondamental.
00:43 En fait, aucun être humain ne peut vivre sans un abri.
00:46 Donc quand on financiarise ou quand, comme ça se passe en France, on a multiplié par
00:50 quatre le prix de l'immobilier au regard des revenus, ça ne marche plus.
00:55 C'est-à-dire que c'est exactement ce que vous avez décrit.
00:57 Si vous rajoutez par-dessus un peu d'Airbnb dans tout un tas de zones où des gens qui
01:03 pouvaient louer un logement n'ont plus simplement de logement à louer parce qu'il n'y en
01:06 a plus pour habiter, vous êtes dans une situation extrêmement difficile, tendue.
01:12 Et si on s'est mis à travailler sur cette question du logement, c'est parce que comme
01:15 on travaille sur les inégalités, on s'est rendu compte que le logement c'est devenu
01:19 le carburant de toutes les inégalités.
01:21 Les plus pauvres sont exclus du logement.
01:23 Les mères seules avec des enfants se retrouvent dans des situations extrêmement périlleuses.
01:27 En fait, c'est vraiment un...
01:28 Ça engendre de la colère.
01:30 Évidemment que ça engendre de la colère et ça engendre de la tension très très
01:34 forte.
01:35 D'ailleurs, les spécialistes qui ont travaillé sur les gilets jaunes sont pour certains arrivés
01:40 à la conclusion que c'était plus une crise du prix du logement que du prix de l'essence.
01:45 Parce que si des gens dépensent beaucoup en carburant, c'est parce qu'ils ont été
01:48 obligés d'habiter très loin de leur lieu de travail par exemple.
01:51 Par ailleurs, vous le précisez dans votre rapport, les 10% des Français les plus riches
01:57 en patrimoine concentreraient 44% de tout le patrimoine immobilier français.
02:02 Et 3,5% des ménages détiennent à eux seuls 50% des biens mis en location.
02:08 Est-ce que nous vivons dans une société de rentiers ?
02:10 Oui, on vit dans une société où les inégalités se renforcent au profit du patrimoine.
02:15 C'est vrai que souvent quand on parle d'inégalités en France, on parle des revenus.
02:17 Et on a un système qui est encore assez redistributif.
02:20 Même si l'INSEE a montré qu'on était en régression et que l'intensité de la
02:24 pauvreté s'accroît.
02:25 En revanche sur le patrimoine, sur ce que les gens possèdent, là les choses se sont
02:29 envolées au profit de certains qui concentrent une grande partie du patrimoine immobilier.
02:34 Mais comme je le disais tout à l'heure, c'est pas comme posséder plus de montres
02:37 ou posséder 44% des montres que possèdent les Français.
02:41 Les logements c'est un besoin fondamental.
02:44 Donc il nous semble aussi que la puissance publique les élues...
02:46 Donc c'est confisqué à soi ?
02:47 Bien sûr ! Parce que ça veut dire que vous excluez des gens de la possibilité de se
02:49 loger dignement.
02:50 Alors vous l'avez dit tout à l'heure Cécile Duflo, les prix de l'immobilier se sont
02:53 envolés entre 2001 et 2020, envolés de 125%.
02:58 C'est-à-dire qu'ils ont augmenté 4 fois plus vite que le revenu des Français.
03:01 Vous prenez une période de 20 ans.
03:03 Ça englobe la période où la gauche était aux responsabilités.
03:06 Ça englobe la période où vous étiez ministre du logement.
03:09 Oui bien sûr.
03:10 Et si vous vous souvenez du débat d'il y a 10 ans, c'est il y a pile 10 ans, la loi
03:14 Allure, sur l'encadrement des loyers.
03:16 Beaucoup disaient que ce n'était pas normal, qu'il y a eu énormément d'opposition et
03:19 un foin considérable fait contre l'encadrement des loyers.
03:23 Mais non seulement je ne regrette pas, mais ce que je regrette c'est que ça a été suspendu,
03:27 c'est que ça a été... qu'on a traîné des pieds pour la mettre en œuvre.
03:30 Maintenant il y a des maires de droite, y compris des gens qui disent avec simplicité,
03:33 je les en remercie, qu'ils étaient opposés à la loi Allure et à l'encadrement des
03:36 loyers à l'époque, qui demandent l'application de l'encadrement des loyers pour leur commune.
03:40 Et là ce qui est en train de se passer, et c'est aussi le sens de notre rapport, c'est
03:44 qu'avec Airbnb, le développement des locations de courte durée, on assiste à une autre
03:48 bombe sociale.
03:49 C'est-à-dire que vous avez des logements, ils existent, ils sont vides.
03:51 Ils sont vides pendant les trois quarts de l'année.
03:53 Et ça c'est... il y a beaucoup d'élus qui s'en indignent et il faut que la loi bouge
03:57 pour qu'ils puissent agir.
03:58 La loi elle arrive demain, elle va être examinée demain à l'Assemblée Nationale.
04:01 Une loi transpartisane qui s'attaque d'abord à la niche fiscale d'Airbnb.
04:06 Est-ce que vous pouvez expliquer ce que c'est la niche fiscale d'Airbnb ?
04:08 Alors, l'histoire d'Airbnb c'est une histoire dingue.
04:09 Parce que c'est l'histoire d'abord de deux potes qui voient leur loyer énormément augmenté,
04:15 c'est ça l'histoire, et qui se mettent à louer une chambre chez eux pour réussir
04:18 à payer leur loyer.
04:19 Mais aujourd'hui, les deux potes en colloque qui ont créé Airbnb, ils pourraient plus
04:22 loger.
04:23 Et qu'est-ce que ça devient ? Ça devient une machine à cash.
04:25 Une machine à cash considérable et la France, c'est le principal marché d'Airbnb en Europe.
04:30 C'est même le deuxième marché au monde.
04:32 Si on rajoute là-dessus le fait qu'effectivement ils disposent d'une niche fiscale, c'est-à-dire
04:36 qu'on paye moins d'impôts quand on loue un logement en Airbnb qu'un logement classique,
04:41 qu'en plus vous avez un travail de lobbying très intense puisque l'assistant parlementaire
04:46 de celui qui est rapporteur du budget sur le logement, donc qui donne son avis sur la
04:49 fiscalité du logement, il a été responsable des relations publiques de Airbnb, il y a
04:54 un truc qui marche pas.
04:55 Et il y a un truc qui marche tellement pas que...
04:57 Là, vous pointez un assistant parlementaire, ça suffit ?
05:00 Je parle de la manière dont la loi se fait ou ne se fait pas.
05:03 Parce qu'aujourd'hui, le maire d'Annecy, François Astorg, il a dit "écoutez, chez
05:06 moi c'est plus possible, on a multiplié par 5 je crois Airbnb en 4 ans, donc je veux
05:11 limiter le quota".
05:12 Je veux dire, en fait, il ne peut pas y avoir plus de temps de logement en Airbnb.
05:16 Et bien, il a perdu.
05:18 Sa réglementation a été suspendue par le tribunal administratif.
05:22 Donc il ne faut pas seulement travailler sur la fiscalité, ça, ça semble une évidence,
05:25 mais aussi donner aux élus la possibilité de dire "bah chez nous, en fait, le Airbnb
05:29 c'est juste pour les résidences principales.
05:30 Vous avez le droit de louer votre appart le week-end quand vous partez chez votre grand-mère.
05:34 Mais vous n'avez pas le droit de dire "ce logement-là, je l'enlève complètement du
05:37 marché, je le louerai 3 mois par an et puis le reste du temps il sera vide".
05:41 Donc Oxfam, vous voudrez aller plus loin que la loi qui sera examinée demain à l'Assemblée
05:44 Nationale ?
05:45 On pense que c'est vraiment nécessaire, que c'est possible et nécessaire, mais il
05:48 faut que ce soit une disposition législative.
05:49 Et d'ailleurs, pour parler aux spécialistes, c'est aussi pour ça que nous demandons que
05:54 le droit au logement prenne une part dans la constitution égale à celle du droit de
05:58 propriété.
05:59 Parce que pour pouvoir avoir des lois qui permettent bien de réguler un bien de première
06:04 nécessité, il faut que la constitution dise "le droit au logement est équivalent au
06:08 droit de propriété".
06:09 C'est long et difficile de modifier la constitution.
06:10 C'est long et difficile, mais c'est l'honneur de la politique de dire "qu'est-ce qu'on
06:14 fait ? Comment on agit ? Est-ce qu'on considère que la crise du logement et le fait que des
06:19 gens qui travaillent vont réussir à soit pas pouvoir se loger, soit plus pouvoir partir
06:25 en vacances, se priver de tout pour pouvoir payer leur loyer ?".
06:27 Je considère que la politique c'est justement de réguler.
06:29 Hier annonce, trois nouvelles règles pour assouplir un peu l'obtention d'un prêt
06:34 immobilier, le Haut Conseil de Stabilité Financière a statué.
06:38 On envisage la possibilité d'étaler un prêt jusqu'à 27 ans, c'est l'une des
06:43 trois règles.
06:44 Vous pensez que ça va dans le bon sens ? Vous pensez que ça va assez loin ?
06:45 Le problème c'est qu'en 20 ans, on est passé de 15 ans en moyenne à plus de 20
06:50 ans en moyenne pour acheter un logement.
06:52 Et en même temps, on concentre la propriété chez quelques-uns.
06:55 Donc, est-ce que c'est normal ? Non.
06:56 Là, le sujet c'est comment on fait baisser le prix du logement pour tout le monde.
07:00 C'est une nécessité, parce qu'on arrive à une situation de blocage.
07:04 Et la France est dans une situation très particulière.
07:06 Cette crise du logement est particulièrement sensible en France.
07:09 Si vous rajoutez à ça le fait qu'il y a une financiarisation de certains secteurs,
07:13 je pense en particulier aux logements étudiants ou aux EHPAD, ça on a très bien compris.
07:18 Alors la financiarisation, c'est un terme un peu technique, un peu barbare.
07:21 En quoi cette financiarisation ? En gros, vous dénoncez le fait que l'État, que la
07:26 puissance publique se désengage du marché du logement, qu'elle est remplacée par
07:29 des grands groupes privés, eux-mêmes soumis à des logiques boursières.
07:32 Et on en arrive à faire du logement un produit financier.
07:36 En quoi ça impacte directement la vie des gens, la vie des Français au quotidien ?
07:39 On l'a très bien compris avec les EHPAD.
07:41 Si les gens qui possèdent les EHPAD doivent distribuer des dividendes, c'est-à-dire
07:44 distribuer de l'argent à leurs actionnaires, ils vont essayer de faire des économies
07:48 sur leurs dépenses.
07:49 Et donc, c'est ce qu'on a vu avec les économies sur le personnel, sur la nourriture,
07:53 et c'est le scandale des EHPAD.
07:54 C'est la même chose qu'on est en train de voir avec les crèches.
07:57 Mais il se passe la même chose dans le logement étudiant.
07:59 On dit aux gens « c'est un investissement, ça va vous rapporter 4, 5, 6, 7% ». Donc
08:05 en fait, il faut faire payer les gens plus cher.
08:07 Et pourquoi les gens sont prêts à payer plus cher ? Parce qu'ils ont besoin d'un
08:10 toit sur la tête.
08:11 Vous avez des clients contraints, un marché captif, parce qu'on a besoin de se loger.
08:14 Donc, est-ce qu'on décide, et c'est vraiment une décision profonde de valeur, est-ce qu'on
08:19 considère que le logement et ce besoin fondamental, on peut en faire énormément d'argent
08:24 et distribuer beaucoup d'argent à quelques-uns ? Ou est-ce qu'on considère que c'est
08:27 un bien de première nécessité et donc on doit le réguler ? Nous, on pense que c'est
08:31 très important de le réguler.
08:33 Et vous pointez enfin pour terminer les niches fiscales que vous dites non seulement inefficaces,
08:39 les niches fiscales qui sont là pour inciter à la construction et à la création de
08:43 nouveaux logements, mais en plus qui ont coûté monstrueusement cher à l'État.
08:47 Oui, et donc là c'est très intéressant.
08:49 C'est de l'argent de l'État.
08:50 C'est-à-dire des niches fiscales, c'est des impôts que l'État ne reçoit pas.
08:52 Donc qu'est-ce qu'on fait avec cet argent ? Est-ce qu'on permet ou on soutient la
08:57 construction de logements privés ? Ou est-ce qu'on construit par exemple du logement
09:01 social ? On donne cet argent aux bailleurs sociaux pour construire du logement social.
09:04 On voit très bien que c'est plus efficace aujourd'hui, plus rentable financièrement
09:09 que l'État dise je donne cet argent au secteur HLM pour construire des logements
09:13 avec des loyers qui pendant 40 ans seront des loyers compatibles avec des niveaux de
09:18 revenus normaux.
09:19 Merci Cécile Duflo.
09:20 de l'eau.