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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:08 Place à la rencontre.
00:11 Aujourd'hui, nos deux invités sont respectivement réalisateurs et scénaristes.
00:15 Et demain, sur les écrans, vous pourrez découvrir le deuxième film qu'ils ont fait ensemble.
00:20 Après les misérables, immenses succès critiques et publics sortis en 2019, qui suivaient Guada,
00:25 Chris et Stéphane à la BAC de Montfermeil, voici "Bâtiment 5" qui suit Abby,
00:31 jeune femme qui se mobilise contre le réaménagement urbain de son quartier.
00:35 Deuxième film, donc deuxième volet d'une trilogie sur les territoires abandonnés de la République
00:39 et qui se concentre sur la question au commun, cruciale du logement.
00:43 Bonjour Lachli. Bonjour.
00:44 Bonjour Giordano et Gédar Lini. Enchanté.
00:47 Bienvenue à tous les deux dans les midis de culture.
00:49 À quel moment vous êtes-vous dit ou avez-vous réalisé que vous étiez en train de réaliser justement une trilogie ?
00:57 Lachli ?
00:58 Ça s'est fait pendant l'écriture des "Misérables".
01:01 Quand on a commencé à écrire les "Misérables", l'histoire que j'avais envie de raconter,
01:06 on s'est rendu compte avec Giordano qu'en un film, ce n'était pas assez.
01:10 On s'est dit pourquoi pas penser une trilogie et faire trois volets.
01:15 Donc on a eu ce premier volet qui était les "Misérables" qui parlait surtout de violence policière.
01:19 Ensuite "Bâtiment 5" qui parle du mal logement.
01:22 Et c'est le dernier volet qui...
01:24 Qui parlera de quoi ?
01:25 Qui parlera... Pour l'instant le sujet est encore...
01:27 Enfin on n'en parle pas trop mais on sera plus dans les années 90
01:30 parce que l'idée de cette trilogie c'était de témoigner de ce que j'ai pu vivre sur ces 30 dernières années
01:36 dans mon quartier à Montfermeil.
01:39 Et surtout témoigner de ce que les habitants des quartiers vivent.
01:41 Parce qu'en parlant de Montfermeil, je me rends compte que je parle aussi de tous les quartiers de France
01:45 parce que c'est exactement les mêmes problématiques.
01:48 Donc voilà, c'était une façon de témoigner, de raconter ce qu'on vit de l'intérieur
01:53 parce que malheureusement on a tendance à parler de nos quartiers à travers les médias.
01:58 Enfin on entend parler des quartiers à travers les médias, à travers les politiques
02:01 et on se rend compte qu'il y a un fossé énorme entre ce qu'ils racontent et la réalité du terrain.
02:04 Et moi pour avoir archivé ce territoire pendant quasiment 30 ans
02:08 je me suis dit que c'était important de témoigner, de raconter nos histoires.
02:12 - Donc c'est un peu à cause de vous, Jordan Ojeda-Lenny, qu'il y a cette trilogie.
02:16 C'est-à-dire que quand Latchvi vous raconte tout ce qu'il a vécu, tout ce qu'il a à dire
02:20 c'est vous qui poussez, qui vous dites "attends, on va se concentrer d'abord sur un premier thème
02:24 et ensuite peut-être d'autres films".
02:26 - Non, en fait il avait déjà cette idée d'avoir des films qui ont des personnalités assez différentes.
02:33 C'est-à-dire qu'on va retrouver l'ADN de... C'est Latch dans tous ses films,
02:37 c'est Latch dans tous ses personnages, on sent qu'il s'est habité de cet univers-là.
02:43 Mais il savait que c'était trop un film qu'il faut aborder par un prisme un peu différent.
02:50 Déjà si on fait une distinction entre "Les Misérables" et "Bâtiment 5"
02:54 "Les Misérables" c'est un film de rue, c'est un film de policier.
02:57 C'était un film bonhomme, c'était volontairement un film sur la testostérone,
03:01 sur ces types qui sont incapables de discuter.
03:06 Ce sont des gens qui sont assez arrogants, très agressifs.
03:09 L'histoire se passait au pied de l'immeuble.
03:11 Et ici, on entre dans l'immeuble.
03:14 "Bâtiment 5" c'est un film plus intime, c'est un film de fait plus féminin.
03:19 Parce qu'on va rencontrer les familles, les mamans, Abby qui est un personnage important.
03:23 Donc c'est des films qui sont conçus différemment.
03:26 Et le troisième a encore une autre approche.
03:29 - Alors moi j'ai présenté ça comme une trilogie sur les territoires abandonnés ou oubliés aussi,
03:34 on dit de la réplique, mais vous l'avez dit, là Julie, en fait la question du logement,
03:37 on va y revenir, mais c'est une question cruciale pour tous les Français, toutes les Françaises.
03:41 La question des violences policières, en fait, on pourrait dire aussi qu'elle arrive en dehors de ces territoires-là,
03:46 même si effectivement, c'est plus dans ces territoires-là qu'on les documente,
03:50 ou du moins que l'information passe.
03:53 Est-ce que vous voulez renoncer quand même à l'idée d'une idée de trilogie sur ces territoires-là,
03:58 et l'appeler autrement ?
03:59 C'est-à-dire vraiment une trilogie des dernières problématiques des Français,
04:04 ou comment on pourrait la formuler ?
04:05 - C'est vrai que moi en écrivant, je raconte surtout mon histoire,
04:09 je parle surtout de mon village, qui est mon quartier, la cité dans laquelle j'ai grandi,
04:14 mais je me rends compte finalement, je parle de toute la France.
04:17 Quand on fait les misérables, on parle de violences policières,
04:20 au début on a l'impression que les violences policières concernent surtout les habitants de ces quartiers,
04:24 on a pu s'en rendre compte avec la crise des Gilets jaunes,
04:27 que les violences policières existaient vraiment, et que tous les Français étaient touchés,
04:32 donc c'était pas juste un sujet qui concernait les habitants des quartiers,
04:35 et là avec le logement c'est pareil, moi c'est une histoire qui est avant tout personnelle à la base,
04:39 où je raconte que voilà, quand mes parents sont arrivés dans les années 80,
04:42 ils ont tous acheté, parce que la cité des Bosquets c'est une copropriété privée,
04:46 et c'est pas une cité HLM, donc nous on a tous été propriétaires dans le quartier,
04:49 donc voilà, au bout de 20 ans, quand nos parents ont fini de payer les crédits
04:55 avec des taux d'intérêt qui étaient énormes, je crois à l'époque c'était 15%,
04:58 ils payaient, moi j'ai le souvenir, ils payaient 6 000 francs de charges trimestrielles,
05:02 alors que les bâtiments étaient dans un état catastrophique.
05:07 Donc on a toujours eu cette impression de se faire arnaquer quelque part,
05:10 et au bout de 20 ans, on nous dit que voilà, ces appartements ne valent plus rien,
05:14 qu'on va être expropriés pour 15 000 euros, donc ça a été un drame pour les habitants,
05:18 ça a été un drame de se dire qu'on a payé toute notre vie,
05:21 et à la fin on se fait arnaquer, qu'on perd notre bien,
05:25 donc c'est vraiment une situation qui est juste folle,
05:28 et en traitant le sujet, on se rend compte que c'est pas juste domicilier,
05:30 dans toutes les cités de France on a l'impression que c'est les mêmes problématiques,
05:33 et pas que les cités.
05:35 - C'est un sujet universel, lui à la vista.
05:37 - C'est un sujet universel, là on présente le film à travers toute la France,
05:41 et à chaque fois on rencontre des associations qui militent contre le mal-logement,
05:44 et on se rend compte que c'est pas que les cités qui sont concernées,
05:48 il y a aussi les zones rurales, donc c'est un sujet qui concerne plus de 6 000 ans de mal-logés,
05:52 donc c'est un sujet important et c'est un sujet qui reste quand même national.
05:57 - Moi j'habite au Grand Bosquet, donc forcément je suis au courant du projet de rénovation,
06:01 mais je viens de découvrir qu'ils l'avaient complètement changé,
06:03 il y a de nouveaux logements qui sont prévus, ils n'ont plus la capacité d'accueillir de femmes nombreuses.
06:07 - J'ai pas le dossier en tête, mais ce que je peux vous dire,
06:10 c'est que la ville fait vraiment de son mieux pour rénover ce quartier.
06:12 - Bah non justement.
06:14 - Là il y a des quartiers où t'as jamais mis les pieds,
06:17 mais tu sais ce que ça veut dire que d'être maire d'une ville comme celle-là.
06:20 - À quoi ça sert de reconstruire des immeubles et de changer tout un quartier,
06:23 c'est pour se retrouver avec exactement les mêmes problèmes.
06:25 - On parle de quoi exactement ? De problèmes sanitaires ?
06:27 Problèmes scolaires ? D'insécurité ? Droit des femmes ? On parle de quoi exactement ?
06:31 - On parle de problèmes de personnes qui causent des problèmes.
06:33 On a la plus grosse concentration des tranchétos de départements,
06:37 et à ça tu rajoutes le record de délinquance, tu vois pas comment ça se presse dehors ou quoi ?
06:40 - Mais c'est une occasion qu'on a, ça fait des années que la mairie avait expulsé ces gens.
06:45 - Je vois pas virer des gens le jour de Noël.
06:47 - Est-ce que c'est à ça qu'elle vous sert vous la police ?
06:49 - C'est mignon mais ça sert à rien.
06:55 - C'est très bien, quoi qu'on fasse on passera toujours pour la racaille qui vandalise.
06:59 - On peut pas être que en colère. On peut pas.
07:03 - Ça y en a marre de voir toujours les mêmes.
07:05 - Nous gouverner c'est à nous d'agir.
07:07 - Et toi comment tu te définirais ?
07:12 - Moi c'est une française d'aujourd'hui.
07:14 - "Bâtiment 5", la bande-annonce demain sur les écrans au cinéma, réalisé par vous,
07:19 La Djili et co-écrit avec vous, Giordano Gederlini, vous êtes nos deux invités.
07:23 Merci beaucoup. On l'a entendu dans cette bande-annonce.
07:29 La question c'est la question du réaménagement d'un quartier de la ville imaginaire de Montvillier.
07:36 Mais j'aimerais revenir sur le début du film, le tout début du film, je ne spoil rien du coup.
07:41 Ça commence par trois morts. La mort de la grand-mère Dabi, la mort du maire de Montvillier
07:47 et puis celle du bâtiment qu'on détruit. Pourquoi avoir ouvert sur trois morts ce film ?
07:54 La Djili ? Ou Giordano Gederlini ? Vous ne me renvoyez pas la balle, vous l'avez écrit ensemble.
08:00 - Pourquoi avoir ouvert le film ? Déjà en écrivant le film avec Giordano,
08:06 on s'est dit qu'il nous fallait une scène d'ouverture très forte.
08:09 On s'est dit comment écrire une scène qui décrit à peu près toutes les problématiques
08:14 qu'on peut avoir en habitant dans cette tour.
08:17 D'où cette première scène d'ouverture avec le cercueil.
08:20 Malheureusement c'est une séquence qu'on a vécue.
08:23 - Vous pouvez la raconter parce qu'elle est complètement folle.
08:26 - C'est la mère de Dabi, le personnage principal, la grand-mère de Dabi qui décède dans son appartement.
08:32 Il y a le deuil et finalement il y a une descente de cercueil
08:35 parce que l'ascenseur ne fonctionne pas depuis des années.
08:38 Donc on descend ce cercueil du quatrième étage.
08:41 C'est quasiment un plan séquence.
08:44 On prend le temps d'être avec ses habitants, de les accompagner durant toute la descente
08:50 et on comprend toutes les problématiques qu'il peut y avoir dans ce bâtiment.
08:56 - C'est ce qui est assez bouleversant. C'est à la fois cette solidarité qui est très forte.
09:01 Tu parles de village très souvent et quand on y va on a vraiment l'impression d'être dans un village.
09:06 C'est un village qui est un peu différent du village avec son église au centre.
09:10 Mais en tout cas il y a cette solidarité. Tout le monde se connaît.
09:13 L'idée de cette scène d'ouverture c'est de raconter que non seulement on vit mal
09:18 mais on meurt mal dans ces logements où les ascenseurs sont en panne continuellement.
09:24 Où on ne peut pas venir avec une asselle.
09:27 - Où il y a des poussettes dans les cages-escaliers, des vélos.
09:30 - C'est ça, c'est vivant mais c'est difficile de cohabiter, de vivre.
09:36 Et en même temps tout le monde se connaît.
09:38 Et quand il y a un drame, plus tard dans le film il y a un autre drame,
09:41 il y a une solidarité qui est, moi je trouve vraiment émouvante.
09:46 C'est une vraie solidarité. Il y a les familles.
09:51 C'est pour ça que je faisais la différence avec "Les Misérables".
09:56 C'est un film plus familial, en tout cas dans cette entrée,
09:59 dans des gens qui se comprennent, qui ont les mêmes problèmes
10:02 et qui essayent au mieux de se filer un coup de main.
10:06 - Alors d'ailleurs dans cette scène inaugurale, la mère d'Abi,
10:10 qui vient de perdre sa propre mère, dit "c'est affreux de vivre et de mourir dans un endroit pareil".
10:17 Et c'est tout le paradoxe de ce bâtiment 5, c'est que c'est affreux
10:21 et en même temps c'est toute leur vie et Abi elle-même ne veut pas y renoncer à ce bâtiment.
10:27 Vous avez travaillé sur ce paradoxe, c'est ça Lajli ?
10:29 - Non mais bien sûr, pour nous c'est important.
10:31 C'est vrai que souvent on dit que c'est ghetto, qu'ils sont mal entretenus, qu'ils sont dans un sale état,
10:34 mais nous ça reste notre habitation.
10:36 On a toujours vécu là, la plupart sont nés ici,
10:39 ils se sont mariés ici, ils ont toute leur vie, tous leurs souvenirs.
10:43 Ce que je disais c'est que malheureusement quand on a une tour qui s'effondre,
10:46 c'est tous les souvenirs qui s'effondrent avec.
10:48 Donc voilà, ça reste notre village, on est attaché à ce lieu
10:51 et le drame aujourd'hui c'est que les habitants sont obligés de partir.
10:55 Ils sont obligés de partir et ils n'ont pas envie.
10:57 Moi j'ai encore plein de mamans qui ont tous leurs souvenirs là, qui ont toutes leurs copines.
11:01 - Mais elles ne vont pas partir de ces bâtiments ou elles ne veulent pas quitter cette ville-là ?
11:06 - C'est cette ville-là. Après c'est aussi notre rôle en tant que scénariste
11:09 de dire qu'on va essayer d'être le plus neutre possible.
11:11 Par exemple le personnage du maire, c'est le personnage où on a eu le plus de mal à écrire.
11:16 On se rend compte qu'il y a énormément de travail de recherche,
11:19 on a écouté énormément d'interviews, on s'est dit qu'on allait récupérer des phrases
11:23 qui ont été dites sur certains politiques, mais quand on les réécrit dans le scénario,
11:27 ça ne colle pas parce qu'on a l'impression qu'on est tout de suite dans la caricature.
11:30 Donc il y avait un vrai taf de recherche et d'équilibre à trouver pour chaque personnage.
11:35 - Il est difficile et on nous le reproche de toute façon.
11:39 Il y a quelque chose, j'ai eu une discussion avec un monsieur qui avait vu le film
11:42 et il nous dit "Pourquoi le maire est blanc ?"
11:45 - Voilà parce qu'il y a le maire !
11:48 - Je lui ai demandé "En France, est-ce que vous pourriez me citer un maire noir
11:53 ou un maire d'origine maghrébine à part Rachid Adati ?"
11:57 Et il m'a regardé...
12:00 C'est qu'à un moment donné on a l'impression que les gens ont peur de ce qui est raconté
12:07 parce que ça ne colle pas avec leur vision stéréotypée, politique.
12:12 - On dirait que pour cette cité, il y a un maire noir.
12:15 Et d'ailleurs, c'est le début du film qui est comme ça, il faut le dire.
12:18 Le maire adjoint, Roger, qui connaît le terrain, qui connaît tout le monde
12:22 et qui est plein d'ambiguïté, qui fait quand même des magouilles, des arrangements avec les élus,
12:27 est noir et connaît très bien le quartier.
12:29 Mais on lui dit, lors de la mort du maire d'une crise cardiaque,
12:32 "Tu ne deviendras pas le maire, le maire ça va être un pédiatre
12:35 issu des quartiers riches, issu d'un quartier résidentiel,
12:38 qui a les mains propres justement parce qu'il y a aussi des affaires de marché
12:42 qui vont peut-être tomber sur la tête du maire adjoint.
12:45 Et effectivement, la couleur de peau rentre complètement en compte.
12:48 C'est-à-dire que l'élu, la députée, interprétée par Jeanne Balibar,
12:51 dit "Tu présenteras mieux aussi, au fond c'est ça, tu présenteras mieux parce que tu es blanc".
12:55 - Ça décrit un peu l'état de la politique, la politique des quartiers, la politique de la ville.
13:00 On se rend compte que c'est beaucoup d'arrangements, beaucoup de magouilles
13:03 avec ce plan de rénovation urbain.
13:05 Par exemple sur la ville de Clichy-Montfermé, je pense qu'il y a eu plus d'un milliard d'euros
13:08 qui ont été dépensés.
13:09 Donc à partir de là, avec toute la spéculation immobilière,
13:12 toutes les sociétés qui essaient de se positionner pour avoir des marchés,
13:15 on sait tous que c'est pas clair, qu'il y a plein d'arrangements.
13:18 Et voilà, c'est ce que le film raconte.
13:20 Roger qui devait succéder au maire décédé, malheureusement il ne peut pas
13:24 parce qu'il a un procès en cours, il risque de tomber à un moment.
13:28 Donc ça décrit aussi la réalité de la politique.
13:31 - Et puis il est noir.
13:32 - Et surtout il est noir.
13:33 Comme je disais, en France on peut les compter.
13:35 Enfin je peux les compter sur une main.
13:37 J'en ai vu très rarement des maires noirs.
13:39 Donc il y a tout ce truc qui fait que les choses n'évoluent pas.
13:41 Et en même temps, nous, le personnage de Habib,
13:44 qui incarne quand même l'espoir,
13:47 et qui va finir par se battre, qui va militer,
13:50 qui va monter son parti politique,
13:52 et finir par prendre peut-être le pouvoir.
13:55 Le message il est là, c'est à un moment donné,
13:57 oui la violence ne mène à rien.
13:59 Nous on a vécu la violence des révoltes de 2005, en 2018.
14:02 Là encore dernièrement avec la mort du jeune Nahel.
14:05 Donc on se rend compte que ça ne fait pas avancer les choses.
14:09 Donc comment on fait en sorte de trouver d'autres solutions
14:12 pour essayer d'avancer ?
14:13 Et moi je pense qu'aujourd'hui, la solution peut être politique.
14:16 Il faut une vraie volonté en tout cas politique pour changer les choses.
14:19 - Sur les révoltes urbaines, sur les émeutes aujourd'hui,
14:23 beaucoup disent "mais ils sont idiots ces jeunes,
14:25 pourquoi ils brûlent les voitures de leurs parents,
14:27 pourquoi ils brûlent l'école ?"
14:29 Mais en fait ce sont des quartiers qui ont été construits comme ça.
14:31 Ils sont très faciles à cerner par les CRS, par les forces de l'ordre.
14:34 Et en plus traditionnellement, les jeunes d'un quartier
14:36 ne vont pas aller saccager le quartier des voisins
14:40 parce qu'il y a toujours un côté territorial.
14:42 Et donc ils sont dans un chaudron duquel ils ne peuvent pas sortir.
14:45 Et cet isolement c'est quand même quelque chose d'assez singulier
14:48 dans les banlieues françaises.
14:50 Ça a été conçu comme ça.
14:52 Ce sont des territoires qui sont faciles à...
14:55 - Allez-y ! - Non c'est joli !
14:57 Non non non !
14:58 Qui sont faciles justement à bloquer, à cerner.
15:01 Et c'est pour ça que ça ne se répand pas aussi facilement.
15:04 Et que les Gilets jaunes c'était une nouveauté.
15:07 En plein centre de Paris, sur les Champs-Elysées,
15:12 il y avait eu ce type d'affrontement.
15:14 Et on voit bien que ce n'était pas des jeunes des quartiers.
15:16 Les jeunes des quartiers sont bloqués, coincés.
15:18 - C'est difficile. Moi je me souviens même, gamin,
15:21 à chaque fois que les policiers intervenaient,
15:23 ils nous disaient clairement "oui, vous pouvez faire des conneries,
15:25 tant que vous ne sortez pas de la cité,
15:27 vous n'allez pas dans les zones pavillonnaires, vous n'aurez pas de problème.
15:29 Mais à partir du moment où vous sortez de la cité,
15:31 là ça pose un vrai problème.
15:33 Donc on a toujours été nous, cloisonnés,
15:35 et se dire "on reste dans notre cité, on ne sort pas".
15:37 - L'urbanisme sert à ça, et on connaît les grands travaux
15:40 à Paris d'Haussmann justement.
15:42 - Oui mais il y a eu un impensé peut-être,
15:44 parce qu'on parlait de la rénovation, et dans les années 2000,
15:46 quand on repense à ces quartiers, quand l'Enrue,
15:48 l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine,
15:50 prend en charge ces rénovations, elle se dit aussi
15:52 "on va faire autrement, on va transformer visuellement les quartiers".
15:54 Alors, est-ce qu'il n'y a pas eu un impensé,
15:56 qui a été très clair,
15:58 qui a été de ne pas penser à la population qui était là,
16:00 et à ne pas leur demander leur aide,
16:02 puisque vous l'avez dit, elle vous le fait repousser.
16:04 - Ou alors ça a été très pensé justement.
16:06 - Le vrai problème, il est là, déjà ça a été très pensé,
16:08 on se rend compte que quand on prend toute l'architecture,
16:10 tout est fait en sorte pour que la police puisse circuler plus facilement.
16:12 On a l'impression qu'il y a une stratégie qui est mise en place dans toutes les cités.
16:14 Pour avoir visité plein de villes où il y a le plan de rénovation urbain,
16:16 j'ai l'impression à chaque fois,
16:18 je suis dans le même quartier, c'est la même architecture,
16:20 c'est les mêmes rues, donc on se dit,
16:22 il y a quand même cette volonté de faciliter...
16:24 - Oui, mais les grandes barres, c'était la même chose,
16:26 ça se ressemblait partout,
16:28 il y avait une idée de... - C'est un modèle français.
16:30 - Oui, oui, ça reste un modèle français,
16:32 mais là on a l'impression que
16:34 ça a été pensé autrement.
16:36 Et le vrai problème surtout, c'est que la population n'a pas été concertée.
16:38 Aujourd'hui, on a
16:40 tous ces architectes,
16:42 tous ces penseurs qui sont là, qui ont pris plein de décisions,
16:44 sauf qu'à aucun moment, ils sont venus voir les habitants
16:46 pour demander leur avis.
16:48 Je pense que c'est un des problèmes,
16:50 parce que nous on vit dans ces quartiers, on connaît ces quartiers,
16:52 à un moment donné, la moindre des choses,
16:54 c'est quand même se concerter avec les habitants
16:56 pour avoir leur point de vue aussi.
16:58 - Jordan Ogerderly. - Oui, un détail,
17:00 c'est que certains
17:02 balancent des chiffres, comme ça,
17:04 "depuis 10 ans, on a dépensé des milliards, des milliards".
17:06 Mais quand il faut refaire des villes entières,
17:08 où il faut tracer des autoroutes,
17:10 où il faut refaire un métro,
17:12 ça coûte horriblement cher,
17:14 ça c'est une expérience pour refaire.
17:16 Et ça, il y a un discours qui est terrifiant,
17:18 qui dit "regardez,
17:20 puisque maintenant, ce sont des sauvages,
17:22 c'est officiel, ils ne savent pas vivre correctement,
17:24 c'est eux qui ont habillé leurs villes".
17:26 - Vous faites référence au concept d'en sauvagement ?
17:28 - Qu'on entend constamment,
17:30 c'est-à-dire qu'il faut déshumaniser.
17:32 Et la preuve est là, dans les bâtiments, regardez,
17:34 ils ne savent pas vivre correctement,
17:36 et on dépense des milliards pour eux.
17:38 Non, mais s'il faut refaire,
17:40 repenser des territoires entiers,
17:42 évidemment que ça coûte une fortune
17:44 de refaire une autoroute,
17:46 de désenclaver,
17:48 parce qu'on corrige les erreurs des années 60.
17:50 - Mais donc, il faut le faire avec concertation,
17:52 et sans que ça implique une forme de gentrification.
17:54 Vous avez dit tout à l'heure,
17:56 l'adjli, j'essaye d'avoir un point de vue,
17:58 on essaye d'avoir le point de vue le plus neutre possible.
18:00 Mais c'est impossible !
18:02 Et c'est même pas souhaitable, sur ce genre de sujet.
18:04 On a envie d'engagement.
18:06 En revanche, on peut souligner que
18:08 la multiplicité des personnages,
18:10 parce qu'on a parlé d'Abi,
18:12 mais il y a aussi d'autres personnages,
18:14 il y a Blas, son meilleur ami,
18:16 la famille syrienne qui est accueillie,
18:18 le maire, le maire adjoint, on les a évoqués.
18:20 Tout ça constitue une constellation de points de vue
18:22 très différents, qui évite le côté
18:24 peut-être trop manichéen.
18:26 Mais vous n'êtes pas neutre.
18:28 - Non, bien sûr, on n'est pas neutre.
18:30 Dans l'idée de justesse,
18:32 c'est d'être juste dans le propos, dans ce qu'on raconte,
18:34 de décrire cette réalité, sans forcément
18:36 prendre parti.
18:38 C'est vrai qu'on aurait pu
18:40 écrire le personnage du maire
18:42 différemment, on aurait pu être dans la caricature,
18:44 on aurait pu un peu en exagérer,
18:46 mais dans l'idée de justesse, c'est d'écrire
18:48 une réalité, et la réalité
18:50 la plus juste. - Est-ce que vous aimez
18:52 vos personnages, même,
18:54 j'ajoute même, ce rôle du maire
18:56 qui est incroyablement interprété par Alexis
18:58 Valenti. - Oui, je pense que je les aime tous,
19:00 ils ont tous un peu une part d'humanité,
19:02 même le personnage du maire, qui est quand même
19:04 un personnage pas très sympathique,
19:06 on se rend compte qu'il a toujours
19:08 une part d'humanité, on le découvre dans sa famille,
19:10 avec ses enfants, donc voilà,
19:12 avec tous nos personnages, on essaie de leur apporter
19:14 un côté humain.
19:16 - Une fois que Lodge a fait le casting,
19:18 c'est vrai qu'on reprend
19:20 en général les dialogues
19:22 des uns et des autres, pour que ça soit plus en bouche,
19:24 pour que ça soit plus vivant.
19:26 C'est sûr qu'avec le cinéma de Lodge,
19:28 on parle d'abord des thèmes,
19:30 mais c'est d'abord un très grand cinéaste,
19:32 moi j'ai le bonheur de travailler
19:34 avec lui, et quand je vois le travail qu'il fait
19:36 avec des comédiens, avec Antadio,
19:38 Steve Ciancio,
19:40 qui joue ce... - Roger,
19:42 ce maire adjoint terrible ! - Il est truculent,
19:44 il est incroyable ! - Et Antadio qui joue donc
19:46 Amy. - Exactement.
19:48 - Et Aristote, qui fait le personnage.
19:50 Il y a ce travail de mise en scène,
19:52 qui est déjà très exigeant
19:54 sur le scénario, pour qu'il y ait un rythme,
19:56 pour qu'il y ait un travail sur des ellipses,
19:58 sur une façon de raconter l'histoire.
20:00 Il faut oublier que c'est du cinéma,
20:02 et nous on accepte toutes les critiques,
20:04 parce que, à un moment donné, ce sont des parties
20:06 prises. Il y a
20:08 un choix de cinéma,
20:10 qui est celui de Lodge, moi je me mets à son service,
20:12 et
20:14 ça donne des films, vraiment, que je trouve
20:16 puissants, qui ont une énergie,
20:18 un rythme qu'on voit pas ailleurs
20:20 dans le cinéma français, qui par moment
20:22 est très feignant. - Le cinéma français ?
20:24 - Oui, je trouve par moment
20:26 très feignant dans sa mise en scène,
20:28 dans des choix de sujet,
20:30 où tu dis "Ok, on est dans l'air du temps".
20:32 Et Lodge, évidemment,
20:34 il enfonce
20:36 les portes avec un coup d'épaule,
20:38 mais c'est cette énergie qui
20:40 manque, je crois, chez d'autres
20:42 cinéastes. - On va revenir, justement, sur la mise
20:44 en scène. Oui, c'était une belle
20:46 déclaration, alors là, pour le coup,
20:48 on va revenir sur la mise en scène, parce que, justement,
20:50 tout le propos dont on a parlé, effectivement, c'est pas un film
20:52 à thèse, non plus, ça suscite, évidemment,
20:54 le débat, mais il y a une importance de la mise en scène.
20:56 Mais j'aimerais vous faire écouter
20:58 un extrait d'une série
21:00 où on retrouve exactement la même situation
21:02 de départ que votre film.
21:04 - I don't know, man, I mean, I'm kind of sad.
21:07 Them towers be home to me.
21:09 - Ils auraient dû faire sauter
21:11 ces putains de tours il y a des années, si tu veux que je te dise.
21:13 - Merde, elles avaient pas que du mauvais, ces tours.
21:15 J'ai vu ce passer de ces trucs dans ces
21:17 immeubles qui m'ont fait toujours marrer quand j'y repense,
21:19 tu vois ? - D'ici quelques instants,
21:21 les tours de Franklin Terrace,
21:23 ils sont derrière moi. Ces tours
21:25 où s'étaient malheureusement enracinés les problèmes
21:27 les plus criants de cette ville
21:29 auront disparu. - Tu sais de quoi il parle ?
21:31 Tu verras, y a du béton. Tu verras, y a du béton, là.
21:33 - T'en piche pas, je parle de gens,
21:35 de souvenirs et tout.
21:37 - Ça, c'est autre chose. Ils vont raser
21:39 ces bâtiments pour en construire d'autres.
21:41 Mais les habitants, ils s'en foutent
21:43 des habitants. - D'ici très
21:45 peu de temps, vous verrez
21:47 des logements à prix modéré
21:49 bâtis ici, à leur place.
21:51 - Ouais !
21:53 - Y a plus un vivier au 221, j'étais tout le temps fourré
21:55 là-bas. - À qui tu le dis ?
21:57 - Le seul problème, c'est que t'as plus de taf.
21:59 - Pourquoi tu dis ça ? - Réfléchis, t'avais des gens
22:01 de toute la ville, de tout le comté.
22:03 Tant qu'ils voulaient de la cam', n'importe laquelle,
22:05 où est-ce qu'ils allaient ?
22:07 Il a fallu que ces connards du centre-ville
22:09 en costard, viennent nous saccager notre meilleur
22:11 territoire. - Comptez avec moi !
22:13 3...
22:15 2... 1...
22:17 - Jusqu'à 13h30, les midis
22:27 de culture, Nicolas Herbeau,
22:29 Géraldine Mosnassavoy.
22:31 - The Wire, saison 3,
22:33 c'est le premier épisode qui date de
22:35 2004, c'est la série fameuse
22:37 créée par David Simon et co-écrite avec
22:39 Ed Burns, et on entend ce premier épisode
22:41 s'ouvre sur la destruction
22:43 des tours qui poseraient
22:45 des problèmes à Baltimore, qui est le début aussi
22:47 de votre film, à vous deux,
22:49 Lajli et Giordano Gederlini.
22:51 Je veux justement évoquer
22:53 la mise en scène.
22:55 Vous avez utilisé beaucoup
22:57 les vues aériennes,
22:59 les drones. Avant de venir à ça,
23:01 parce que ça, c'est quand même des plans
23:03 assez magnifiques, on a parlé
23:05 de la scène d'ouverture, avec le
23:07 déplacement du cercueil
23:09 dans les escaliers.
23:11 Le film "Les Misérables" se finit
23:13 dans une cage d'escalier, ça commence là,
23:15 dans une cage d'escalier, pour deux moments différents.
23:17 C'est la fin dans "Les Misérables", on ne sait pas
23:19 ce que ça va donner. Là, le début,
23:21 ça commence, mais c'est le début
23:23 avec une mort. Qu'est-ce que vous avez avec les escaliers ?
23:25 - Qu'est-ce qu'on a avec les escaliers ?
23:27 Bonne question !
23:29 La force de monter, de descendre,
23:31 de traîner. J'ai un rapport particulier
23:33 avec les escaliers. Après, je pense que
23:35 j'ai beaucoup traîné dans
23:37 la cage d'escalier, je pense. Je dois avoir
23:39 un truc spécial avec ça. Mais c'est vrai qu'avec "Les Misérables",
23:41 on finit dans
23:43 cette fameuse cage d'escalier, avec le personnage
23:45 d'Issa, qui est sur le point
23:47 de jeter le cocktail, et l'ouverture du
23:49 bâtiment 5, on est encore dans cette cage d'escalier.
23:51 On ouvre le film avec.
23:53 Pour moi, c'est important,
23:55 parce que c'est des lieux que j'ai
23:57 beaucoup fréquentés, nous, en
23:59 habitant dans ces tours, la cage d'escalier,
24:01 c'est un endroit où tu es obligé de passer
24:03 par là, c'est un endroit où tu traînes,
24:05 c'est un endroit où tu vas chez les potes,
24:07 chez les amis, tu passes
24:09 d'étage en étage. Il y a de la vie
24:11 dans ces cages d'escalier. Donc, pour moi,
24:13 c'était important de
24:15 tourner dans cette cage.
24:17 Dans le troisième aussi, je pense qu'on aura une scène
24:19 dans une cage d'escalier.
24:21 - On va en parler à la fin, au début.
24:23 - L'ancien maire, on le cite souvent,
24:25 Claude Delin, qui était l'ancien maire de Clichy-Sous-Bois,
24:27 disait que ces bâtiments, ces tours, sont des
24:29 favelas verticales.
24:31 Les cages d'escalier sont les ruelles.
24:33 C'est-à-dire que c'est animé.
24:35 On va trouver
24:37 pas que des vendeurs de drogue,
24:39 on peut acheter des choses du commerce.
24:41 - C'est vrai qu'on est souvent dans le cliché "cages d'escalier",
24:43 "les dealers", alors que non, c'est un
24:45 lieu de vie avant tout. Moi, comme je dis,
24:47 j'ai traîné longtemps dans les cages d'escalier, parce que tu descends de chez
24:49 toi, il n'y a pas vraiment de bar,
24:51 il n'y a pas un restaurant où on peut aller se poser.
24:53 Tu vas chercher ta petite canette, tu te poses en bas,
24:55 t'es tranquille, t'es en bas de la maison,
24:57 même plus jeune, les parents, ils savent que t'es là.
24:59 - Ils peuvent surveiller facilement.
25:01 - Ils peuvent surveiller rapidement. Donc c'est un lieu de vie avant tout.
25:03 - C'est une ruelle. - C'est une ruelle, c'est un café,
25:05 c'est un bar, c'est un mélange de tout ça.
25:07 - Et justement, dans ce
25:09 film-là, "Bâtiment 5",
25:11 dans la mise en scène, à l'inverse
25:13 des "Misérables", qui étaient très explosifs,
25:15 c'est-à-dire que sur 1h45,
25:17 c'est pratiquement qu'une journée,
25:19 donc c'est très intense dans "Les Misérables",
25:21 là ça s'étend, on a parlé d'habits,
25:23 il y a plusieurs personnages, mais c'est plus une tranche de vie.
25:25 On va croiser différents
25:27 personnages, on va rentrer dans les immeubles,
25:29 on va être à l'intérieur des appartements, on va décorer
25:31 un sapin de Noël. Vous avez travaillé
25:33 sur ce rythme-là, sur cette mise en œuvre,
25:35 beaucoup plus apaisée ? - Bien sûr, c'était
25:37 un vrai paré de se dire qu'on allait
25:39 déjà faire un film différent des "Misérables".
25:41 "Misérables", c'était un film coup de poing, caméra
25:43 à l'épaule, il y avait une énergie qui était dingue.
25:45 Et là on s'est dit, on va poser les choses,
25:47 même au vu du sujet, qui est le sujet
25:49 du mal-logement, donc c'est un sujet où on se dit,
25:51 à mettre en scène, c'est jamais évident,
25:53 comment on arrive à donner du rythme à tout ça ?
25:55 Donc ouais, il y a un gros travail
25:57 de prépa, notamment avec mon chef-op
25:59 Julien Poupard, avec qui on a
26:01 énormément travaillé, des recherches,
26:03 enfin je veux dire, on s'est vraiment
26:05 pris la tête sur la mise en scène, et surtout qu'on a eu plus
26:07 de moyens aussi par rapport à "Misérables". "Misérables", on l'a
26:09 fait vraiment avec deux bouts de ficelle,
26:11 et là on a quand même eu les moyens de le faire,
26:13 donc en moyenne on tournait avec trois
26:15 caméras, on a eu des drones, on a eu une grue,
26:17 donc on a eu le temps d'installer
26:19 les choses,
26:21 et de mettre le paquet sur la mise en scène.
26:23 - Alors pourquoi Jordan Oger-Berlini ?
26:25 - Dans le scénario, c'est vrai qu'il y a beaucoup d'ellipses,
26:27 parce que c'est un film
26:29 qui n'a pas la même respiration
26:31 que "Les Misérables",
26:33 et au montage, le travail avec
26:35 Flora Golpenier,
26:37 aussi,
26:39 c'est encore amusé avec
26:41 l'adjustement, donc là j'ai essayé de créer encore plus d'ellipses,
26:43 de trouver une écriture qui est propre
26:45 au film. C'est là où je dis que c'est pas
26:47 feignant. - C'est pour ça que je voulais vous dire,
26:49 pourquoi c'est pas feignant ? - Il y a des expérimentations,
26:51 on essaye des choses,
26:53 et... - Mais quand on a plus de moyens,
26:55 est-ce que finalement on se sent pas plus
26:57 contraint aussi ? C'est-à-dire, on a des comptes
26:59 à rendre, on a des budgets à tenir...
27:01 - Non, je ne dirais pas ça, parce que j'ai envie de dire qu'on a eu un budget
27:03 normal en fait. "Misérables",
27:05 on n'a pas eu d'argent, vraiment, on l'a fait,
27:07 ça a été à l'énergie, tous les habitants se sont
27:09 impliqués, tout le monde a joué le jeu, c'était
27:11 vraiment... Et là, vu qu'on a un peu plus
27:13 d'argent, déjà, moi ça me tenait à coeur de re-bosser
27:15 avec les mêmes équipes qu'il y a "Misérables", donc les équipes
27:17 techniques, les habitants, enfin 80%...
27:19 - D'avoir une vraie continuité aussi. - Bien sûr, 80%
27:21 des acteurs dans le film sont des habitants
27:23 du quartier, donc ça, ça me
27:25 tenait vraiment à coeur. Et oui,
27:27 on a eu juste un budget normal, on a payé
27:29 les gens normalement, j'ai pu avoir
27:31 voilà, au lieu d'une caméra, j'en ai
27:33 trois, ça permet d'avoir différents
27:35 plans, de rythmer
27:37 les choses, et même avec la monteuse, on a eu un
27:39 deuxième travail d'écriture aussi
27:41 en montage, donc voilà, tout ça, ça se construit
27:43 et on a pu le faire dans
27:45 des conditions qui étaient plutôt cool.
27:47 - Peut-être grâce aussi à deux producteurs
27:49 extraordinaires qui sont les productions
27:51 "Srab", donc Toufiq Ayadi et Christophe
27:53 Barral, moi quand je travaille sur des
27:55 scénarios, allez, un mois avant le
27:57 tournage, on me donne le scénario, il me dit
27:59 "Est-ce que tu peux enlever 15 pages ?
28:01 Est-ce qu'on peut couper ? Parce que
28:03 on a moins d'argent que prévu". Ici, c'est pas parce qu'il y a eu
28:05 plus d'argent, c'est qu'on sent qu'il y a des
28:07 séquences intéressantes, des choses qu'on va aller chercher
28:09 et c'est assez rare que des producteurs
28:11 me disent "Mais t'as pas une idée pour une autre
28:13 séquence avec Latch, essayez d'inventer
28:15 une autre séquence sur tel thème
28:17 parce que les comédiens sont super, parce que le
28:19 décor est là, et parce qu'on peut aller plus loin".
28:21 J'ai pas d'autres expériences
28:23 en tout cas en production française. - En même temps, c'est sûr que le scénario
28:25 il évolue tout le temps jusqu'au tournage
28:27 et même pendant le tournage, des fois, je rappelle
28:29 à Giordano "écoute cette scène, on peut pas la réécrire"
28:31 - Il y a une phrase qui marche pas, oui tout à fait. - Il y a une phrase qui marche moins.
28:33 Pendant les répètes avec les comédiens, pareil,
28:35 moi je prends plein de "non", je me dis "voilà, cette phrase là,
28:37 est-ce qu'on peut pas rajouter plutôt ça ?"
28:39 - Ça se recrée tout le temps. - On se laisse cette liberté
28:41 de se dire que le scénario évolue
28:43 jusqu'à... même pendant le tournage.
28:45 - Sur l'usage des drones,
28:47 la semaine dernière, on a reçu
28:49 le cinéaste Wim Wenders
28:51 qui trouve que les drones, le problème
28:53 des drones, c'est que c'est le point de vue de personne.
28:55 Personne ne peut avoir une vue
28:57 dans un drone. Moi personnellement, je suis pas d'accord avec ça,
28:59 je pense que justement, ça permet d'avoir un point de vue
29:01 qu'on n'aurait jamais. - Bien sûr, bien sûr.
29:03 - Bah voilà, là, Gilles. - Bah nous, ce point de vue, on l'a utilisé
29:05 pendant "Les Misérables", c'était le point de vue de Beuze,
29:07 l'œil de Beuze. - Voilà, et puis c'est l'intrigue même, hein.
29:09 - Et c'est l'intrigue même, et moi, pour avoir filmé
29:11 ce territoire pendant plus de 15 ans,
29:13 j'ai toujours eu ma caméra, j'ai toujours
29:15 surveillé ce qui se passait, donc
29:17 oui, le drone reste un personnage... - Mais c'est quoi, c'est un truc de surveillant ?
29:19 - Non mais des visions qu'on n'a jamais, c'est quoi ?
29:21 - Moi, j'ai fait du cop-watching
29:23 pendant 10 ans, quand les policiers
29:25 intervenaient dans le quartier, je filmais, je sortais ma caméra,
29:27 parce que je me rendais compte, à chaque fois
29:29 que je sortais ma caméra, j'avais l'impression de sortir
29:31 une âme, ça calmait tout le monde, en fait.
29:33 Ça calmait et les policiers et les habitants,
29:35 ça me permettait d'archiver, ça me permettait
29:37 aussi de témoigner quand ça se passait mal,
29:39 jusqu'au jour où j'avais filmé cette bavure
29:41 policière, une vraie bavure policière.
29:43 J'ai décidé de publier la vidéo, et suite à ça,
29:45 il y a eu une enquête de l'IGS, et c'était la première fois
29:47 en France où des policiers étaient condamnés
29:49 suite à la diffusion d'une vidéo. Donc je me rendais
29:51 compte de la force de ma caméra,
29:53 et bien sûr, ça nous a beaucoup aidés.
29:55 À chaque fois qu'il se passait un truc, mon téléphone sonnait,
29:57 "Viens, il y a un problème, sors ta caméra !"
29:59 C'était une façon aussi de nous protéger.
30:01 Et puis voilà, et dans
30:03 les films, cette caméra
30:05 est toujours présente, avec Buzz, le personnage
30:07 de Buzz, qui filme ce quartier avec ce plan de drone,
30:09 avec l'ouverture du bâtiment 5, où on a toujours
30:11 ce plan de drone. - Et puis le moment de l'évacuation
30:13 qui est assez folle
30:15 de ce bâtiment 5,
30:17 et où on voit, le drone
30:19 permet justement de mesurer
30:21 l'ampleur, en fait, d'une... - Bien sûr, et en même temps, ça permet
30:23 d'avoir une cartographie de la ville, de comprendre
30:25 où est-ce qu'est situé ce quartier,
30:27 au milieu de nulle part, entre la forêt
30:29 et le centre-ville, mais on comprend que
30:31 le quartier est vraiment isolé, et ça permet de
30:33 vraiment comprendre
30:35 les lieux. - C'est vrai que le drone est
30:37 surutilisé aujourd'hui, et surtout dans des séries,
30:39 parce que ça permet d'avoir
30:41 beaucoup d'images un peu spectaculaires. - Très rapidement.
30:43 - Oui, des tournages. - Un peu de la facilité
30:45 par moments. - Tout le monde tourne les voitures de la même façon,
30:47 on suit une voiture au milieu de la forêt,
30:49 des choses comme ça sont tellement utilisées
30:51 que ça devient
30:53 un peu chiant.
30:55 - Mais quand on parle d'urbanisme, de logements, de quartiers...
30:57 - Je trouve ça intéressant, parce que
30:59 à la grande époque, il fallait un hélicoptère
31:03 pour faire ces plans-là. - Il y avait des plans à millions
31:05 de dollars, on appelait ça, c'était pas donné à tout le monde.
31:07 - C'était le plan d'ouverture de Shining,
31:09 on suit cette voiture...
31:11 - C'était un symbole de
31:13 renommée du film, presque,
31:15 d'argent mis dans le film. - Mais en tout cas,
31:17 d'un point de vue de mise en scène,
31:19 c'est assez fort, parce que ça crée
31:21 un regard qui est plutôt omniscient,
31:23 et c'est un regard inquiétant, justement parce qu'on ne sait pas
31:25 qui c'est. Et la scène d'ouverture
31:27 de Shining, c'est un film fantastique,
31:29 un film d'horreur, on accompagne cette voiture
31:31 et on se dit "mais où...
31:33 pourquoi on va se perdre
31:35 dans cette montagne ?" C'est assez puissant,
31:37 et le...
31:39 l'un des plans importants du film,
31:41 je ne vais pas dire lequel, c'est un travail
31:43 comme ça qui nous renvoie, je crois,
31:45 à quelque chose qui écrase
31:47 les humains. Ça les rend encore plus
31:49 petits, et c'est ça qui est assez
31:51 bon, en tout cas, dans...
31:53 la façon dont l'adj travaille le drone,
31:55 c'est pas un gadget, comme on voit
31:57 beaucoup aujourd'hui. - Merci
31:59 beaucoup à vous deux, Lajli et
32:01 Giordano Gederlini. Demain,
32:03 sur les écrans, on pourra voir, et
32:05 allez-y, votre film "Bâtiment 5".
32:07 - Pour terminer, il va falloir vous mettre d'accord, on a choisi
32:09 deux chansons, soit une chanson sur
32:11 les misérables, soit une chanson sur les bâtiments,
32:13 laquelle souhaitez-vous écouter ?
32:15 Vous pouvez vous concerter, Lajli, allez-y.
32:17 - Allez, "Bâtiment". - C'est parti.
32:19 * Extrait de "Bâtiment 5" *
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32:55 * Extrait de "Bâtiment 5" *
32:57 * Extrait de "Bâtiment 5" *
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33:41 * Extrait de "Bâtiment 5" *
33:43 * Extrait de "Bâtiment 5" *
33:45 Annie Cordy, "Quand le bâtiment va", une chanson que vous n'entendrez pas dans "Bâtiment 5" de Lajli et Giordano Gédert-Ligny.
33:52 Un grand merci à vous deux et un grand merci à l'équipe des midis de culture qui sont préparés tous les jours par Aïssa Touhendoï,
33:58 Anaïs Sisbert, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delacelle.
34:03 Réalisation Nicolas Berger, prise de son Alex Dang.
34:06 Pour écouter cette émission, rien de plus simple.
34:09 Rendez-vous sur le site de France Culture, la page de l'émission et sur l'application Radio France.
34:14 Merci Nicolas, à demain.
34:15 À demain Géraldine.
34:17 * Extrait de "Bâtiment 5" *