Depuis qu’à la fin des années 70, la question de l’immigration a surgi dans le débat public, elle n’a cessé de prendre de l’importance et de s’envenimer. Difficile d’y voir clair entre les fantasmes des uns et les aveuglements des autres.
En compagnie de Michèle Tribalat, démographe (ex-INED), et de Jean-Christophe Dumont, économiste (OCDE), ELEMENTAIRE se propose de préciser les termes du débat : les chiffres de l’immigration, la réalité de l’intégration, la possibilité de solutions.
Année de Production : 2023
En compagnie de Michèle Tribalat, démographe (ex-INED), et de Jean-Christophe Dumont, économiste (OCDE), ELEMENTAIRE se propose de préciser les termes du débat : les chiffres de l’immigration, la réalité de l’intégration, la possibilité de solutions.
Année de Production : 2023
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00:14 – Bonsoir et bienvenue dans "Élémentaires", l'émission de Public Sénat
00:17 qui cherche à donner de la perspective ou de la profondeur
00:20 aux événements de l'actualité.
00:21 En 1973, l'organisation d'extrême droite en France
00:25 se rende renouveau organiser un meeting au Palais de la Mutualité à Paris
00:28 dont le thème était "Halte à l'immigration sauvage".
00:30 Ça a d'ailleurs tourné à l'émote.
00:33 On peut à peu près dater de cette époque l'irruption du thème de l'immigration
00:36 dans le débat politique français.
00:37 Il n'allait ensuite cesser au cours des 50 années qui ont suivi
00:42 de s'amplifier et même de s'exaspérer.
00:45 50 années au cours de lesquelles nous avons voté 30 lois sur l'immigration.
00:49 La 31ème est en cours d'examen aujourd'hui au Parlement.
00:52 Nous avons voulu essayer d'y voir un peu clair dans ce débat.
00:56 En deçà ou au-delà des fantasmes des uns et des aveuglements des autres.
01:02 Nous avons intitulé cette émission "Immigration, vraies questions et faux débats".
01:07 Et pour nous aider à y voir clair, deux experts,
01:10 l'une est démographe et l'autre est économiste.
01:13 La démographe c'est Michèle Tribala, bonsoir.
01:16 Vous avez fait toute votre carrière professionnelle à l'Inet
01:18 qui est l'institut de la démographie en France.
01:21 Vous êtes aujourd'hui retraitée.
01:22 Vous avez écrit de nombreux ouvrages dont le dernier
01:24 "Immigration, idéologie et soucis de la vérité"
01:29 illustre votre propos depuis que vous écrivez,
01:31 c'est-à-dire la recherche qui vous a valu d'ailleurs des ennuis
01:34 et par moments avec l'extrême gauche et par moments avec la droite,
01:39 la recherche des faits les plus proches possibles de la vérité,
01:43 s'agissant d'une question difficile sur le plan statistique, on va y revenir.
01:48 L'économiste c'est Jean-Christophe Dumont, bonsoir.
01:50 Vous dirigez le département des migrations internationales à l'OCDE
01:56 qui est une référence en la matière et le dernier rapport de l'OCDE
01:59 sur l'immigration date d'octobre dernier.
02:03 On va essayer ensemble d'éclairer ce sujet autour de trois thèmes.
02:09 D'abord les chiffres, essayer de voir avec vous de la manière la plus simple possible
02:12 quelle est la réalité statistique de l'immigration en France.
02:15 Ensuite on va essayer de regarder la question de l'intégration,
02:19 les ratés et les réussites de l'intégration.
02:21 Et puis on finira en essayant de vous voir des perspectives,
02:25 quelles sont les politiques possibles,
02:26 quelles sont celles qui marchent et qui ne marchent pas.
02:28 Mais commençons par les chiffres.
02:30 On va commencer avec vous Michel Tribala si vous le voulez bien.
02:33 Première question, il y a combien d'immigrés en France ?
02:37 Aujourd'hui.
02:38 Aujourd'hui on ne sait pas mais en 2022 on sait.
02:41 Donc en 2022 c'est 7 millions d'immigrés
02:44 et c'est à peu près 10,3% de la population.
02:47 D'accord.
02:48 En France entière.
02:50 Je dis France entière parce que de temps en temps c'est France métro,
02:54 on n'a pas de série qui sont...
02:57 7 millions d'immigrés et combien, ça ce sont les immigrés légaux,
03:01 est-ce qu'on a une idée de ce que sont du volume des immigrés illégaux ?
03:06 Ce ne sont pas les immigrés légaux,
03:07 ce sont les immigrés recensés dans les enquêtes annuelles de recensement
03:12 qui comprennent évidemment des immigrés qui sont en situation illégale.
03:16 D'accord.
03:17 Moi je n'ai pas d'estimation sur le nombre d'illégaux en France.
03:22 Il y a des estimations,
03:24 donc je sais que vous n'aimez pas le doigt mouillé,
03:26 c'est d'ailleurs ce qui vous rend appréciable,
03:29 mais il y a des estimations, on dit, même si elles sont approximatives,
03:34 qu'on prend le nombre de gens qui bénéficient de l'aide médicale, l'AME,
03:40 c'est à peu près 300 000 personnes.
03:41 Moi j'aimerais savoir comment c'est fait
03:43 parce que vous pouvez avoir des gens qui sont inscrits
03:48 et qui sont comptés plusieurs fois, je ne sais pas.
03:51 Je ne sais pas comment c'est fait, donc moi je ne me sers pas de ces chiffres-là.
03:54 Jean-Christophe, vous avez des lumières sur le nombre des illégaux ?
03:58 Alors peut-être déjà pour rebondir sur votre première question
04:01 sur le nombre d'immigrés en France,
04:04 Mme Tribala se réfère à la définition de l'INSEE,
04:07 qui sont des gens qui sont des étrangers à l'étranger.
04:09 C'est la définition française.
04:11 Absolument, oui.
04:12 Mais effectivement, en comparaison internationale,
04:14 on ne peut pas utiliser malheureusement cette définition
04:16 parce que les autres pays ne comptabilisent pas les immigrés de la même manière.
04:21 Ils comptent l'ensemble des personnes qui sont nées à l'étranger,
04:24 ce qui dans le cas de la France nous ramènerait à un chiffre
04:26 plus proche de 13 %, 12,8 % en 2022.
04:30 Et donc peut-être que pour la comparaison en tout cas avec les autres pays,
04:35 c'est ce chiffre qu'il faut y retenir.
04:37 Mais cela dit, sur votre question des gens en situation irrégulière,
04:41 c'est 370 000 bénéficiaires de l'aide médicale d'État en 2020, même 2022.
04:51 En fait, c'est très difficile d'extrapoler ce chiffre.
04:54 Tout le monde ne va pas effectivement bénéficier de cette AME
04:58 en dépit du fait d'être en situation irrégulière.
05:02 Ce qui est sûr par contre, c'est que si on regarde l'évolution
05:04 entre 2004 et les derniers chiffres,
05:08 en 2004, on était environ à 150 000
05:10 et maintenant on est à plus de 370 000,
05:13 donc il y a bien une augmentation de l'immigration.
05:14 - Donc deux définitions des immigrés,
05:17 une définition française, une définition de comparaison internationale
05:21 et par ailleurs une incertitude sur les illégaux.
05:23 - Oui, je voudrais ajouter quelque chose, c'est-à-dire que
05:26 la France compte d'une certaine manière,
05:28 c'est-à-dire les immigrés sont les personnes qui sont venues en France
05:31 en tant qu'étrangers et beaucoup de pays européens comptent différemment.
05:38 Tout le monde ne compte pas comme l'OCDE,
05:39 mais les organismes internationaux, l'Eurostat, l'OCDE,
05:43 les Nations unies sont obligés d'avoir une définition qui puisse...
05:46 - Normaliser.
05:47 - Normaliser la chose et qu'on puisse comparer,
05:49 donc c'est pour ça que ce n'est pas la même.
05:51 - Combien y a-t-il de descendants d'immigrés à la première et...
05:56 enfin la deuxième plutôt, et la troisième génération en France ?
05:59 - Alors non, ce que vous appelez les descendants de deuxième génération,
06:01 je les appelle de première génération.
06:03 - Si vous voulez.
06:03 - C'est les premières générations nées en France,
06:05 parce que si vous voulez, après,
06:07 on prend l'habitude d'appeler tout le monde immigré,
06:10 et ces gens-là ne sont pas immigrés puisqu'ils sont nés en France.
06:12 - D'accord, donc première génération.
06:13 - Première génération née en France, on a en 2022 7,3 millions.
06:18 - D'accord, donc à peu près le même nombre...
06:20 - Pardon, 7,6 millions, vous voyez, j'ai bien fait d'amener...
06:22 - À peu près le même nombre, la même proportion que...
06:24 - C'est un peu plus, c'est un peu plus.
06:26 - Un peu plus.
06:26 - C'est un peu plus.
06:27 - Et de deuxième génération ?
06:30 - Moi j'ai fait une estimation il y a longtemps aussi,
06:32 en 2011, sur cette deuxième génération née en France,
06:36 pour les moins de 60 ans, et au total j'étais autour de 30% en 2011.
06:42 Là on est, je crois que c'est 32, un truc comme ça, 32%.
06:46 - 30% ça intégrait les immigrés, la première génération,
06:49 et la deuxième génération, ou seulement la deuxième génération ?
06:52 - Non, les immigrés, la première génération née en France,
06:57 les enfants, les petits-enfants, mais pour les moins de 60 ans.
07:01 - D'accord, ça recoupe d'ailleurs, je lisais les chiffres de l'INSEE,
07:04 du dernier rapport de l'INSEE, ça recoupe à peu près ça.
07:06 Dernière question sur ces chiffres,
07:08 et puis après on va regarder les comparaisons internationales
07:10 avec les réserves que vous avez évoquées.
07:12 La dynamique, si on prend, disons, depuis les années 70 ?
07:17 - Alors moi, vous m'avez parlé d'une quarantaine d'années,
07:19 donc je vous ai pris 82, voyez, 82-2022.
07:22 - Très bien.
07:23 - Donc, mais alors, ce qu'il faut savoir,
07:26 c'est 82 c'est France métropolitaine, et 2022 c'est France entière,
07:30 donc il y a un tout petit décalage.
07:32 Mais en tout cas, quand vous regardez, donc en 1982,
07:35 on avait 4 millions d'immigrés, et c'était 7,4% de la population.
07:42 - Juste une question là-dessus,
07:44 parce que c'est un thème qui intervient dans le débat,
07:46 et puis on va passer aux comparaisons internationales,
07:48 c'est un thème qui intervient souvent dans le débat,
07:50 le grand remplacement, donc vous avez contesté même l'idée,
07:54 la submersion, est-ce que ces expressions vous paraissent convenir
08:00 à la dynamique d'évolution de l'immigration en France ?
08:03 - Non, je n'ai pas tant condamné l'expression,
08:07 parce que l'expression, elle est en fait mal interprétée.
08:12 L'idée de grand remplacement exprime la crainte, en fait,
08:18 de perdre la majorité dans ce pays,
08:21 mais c'est une crainte qui n'est pas forcément immédiate.
08:25 Donc, tous les éléments factuels que vous pouvez apporter,
08:28 si je dis à des gens qui craignent que c'est 10%,
08:33 je veux dire, bon, ça n'a aucun effet, si vous voulez.
08:37 C'est une crainte qui est liée à ce qu'ils vivent localement,
08:41 à ce qu'ils observent.
08:42 - Oui, j'entends bien, mais quand on regarde,
08:44 d'ailleurs, ça me permet d'interroger Jean-Christophe Dumont,
08:48 mais si on regarde la dynamique, la situation de l'immigration,
08:52 par exemple, en France, si je la compare à d'autres pays voisins,
08:56 et notamment à celui qui est le plus proche de nous,
08:58 l'Allemagne, comment vous compareriez ces deux situations,
09:03 à la fois statiquement, aujourd'hui,
09:05 la photographie de l'immigration, et de manière dynamique ?
09:08 - Les faits tendent à montrer que si la France a été un grand pays d'immigration,
09:15 effectivement, c'est environ un quart de la population
09:17 qui a au moins un de ses deux parents qui est immigré.
09:21 Effectivement, quand on vient en grand-parents,
09:24 un de ses quatre grands-parents immigrés,
09:25 je ne sais pas où est-ce qu'il faut arrêter, tirer le trait,
09:30 c'est plutôt beaucoup en comparaison européenne,
09:36 en tout cas, c'est plutôt dans le haut de la distribution.
09:39 Quand on regarde, en revanche, le nombre de personnes qui sont nées à l'étranger,
09:45 donc on l'a dit, c'est un peu plus de 10% pour les immigrés au sens de l'INSEE,
09:48 c'est près de 13% pour les gens qui sont nés à l'étranger en France,
09:53 c'est largement moins que dans l'ensemble des autres pays européens
09:57 auxquels on aime bien se comparer.
09:59 C'est 16,8% en Allemagne, c'est plus de 18% en Belgique,
10:04 c'est 20% en Irlande, c'est 20% en Suède.
10:07 Donc si on regarde cette population née à l'étranger en France,
10:13 en réalité, on a une proportion qui est moindre que dans les autres pays.
10:16 Donc c'est vrai en effectif global, c'est aussi vrai en flux.
10:19 Quand on regarde le nombre de personnes qui, chaque année, viennent s'installer en France,
10:24 on est entre, pour les derniers chiffres, entre 0,4 et 0,5% de la population.
10:29 C'est environ la moitié de la moyenne des pays de l'OCDE.
10:33 On a des pays qui sont à plus de 1% de leur population abondée par l'immigration chaque année.
10:40 Donc la France a été un grand pays d'immigration, c'est un grand pays,
10:43 mais en comparaison internationale, l'immigration pèse moins que chez ses voisins.
10:50 Moi je ne suis pas tout à fait d'accord.
10:51 La France est encore, si on compare à l'histoire,
10:55 c'est encore un grand pays d'immigration par rapport à ce qu'elle a connu.
10:58 Quand on regarde l'évolution sur des périodes comme 1954-1975 et 1999-2022,
11:07 ce sont des périodes à peu près équivalentes.
11:09 La proportion d'immigrés a cru, en moyenne annuelle, de la même façon, au même taux.
11:14 C'est-à-dire que si on a trouvé qu'il y avait une forte immigration
11:17 à la sortie de la guerre dans ces années-là,
11:20 il y a une forte immigration, elle est moins forte que dans certains pays,
11:23 mais pour l'Allemagne, la comparaison intéressante, c'est surtout d'où ils viennent.
11:27 – Alors j'allais venir à ça.
11:29 Quand on regarde la composition de l'immigration,
11:32 si on fait une comparaison entre la France et l'Allemagne,
11:35 ce qu'on lit, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est faux,
11:38 M. Dumont, c'est qu'on a une double caractéristique par rapport à l'Allemagne.
11:44 La première, c'est que la part des immigrés…
11:48 disons qu'il y a une forte concentration géographique,
11:50 des origines géographiques sur l'Afrique,
11:52 en tout cas dans les périodes récentes de l'immigration vers la France.
11:56 Et deuxièmement, il y a un niveau de qualification inférieur.
11:59 Est-ce que c'est vrai ou est-ce que c'est faux ?
12:01 – Alors c'est faux, notamment sur le deuxième point.
12:04 Et sur le premier, c'est en partie vrai.
12:07 Ce qui est vrai, c'est que l'immigration en France,
12:10 elle reste dominée dans les flux et dans les effectifs par les pays du Maghreb.
12:15 C'est incontestable.
12:17 Il y a sur la période récente, et ça correspond en fait à des petits effectifs,
12:22 une augmentation de l'immigration en provenance d'Afrique subsaharienne,
12:26 notamment des pays francophones d'Afrique subsaharienne.
12:28 Mais il y a aussi une diversification avec une immigration européenne
12:32 qui pour le coup est beaucoup plus faible qu'en Allemagne.
12:34 L'Allemagne a reçu beaucoup d'immigrés européens ces dernières décennies.
12:40 Mais elle reçoit aussi beaucoup plus de Syriens, par exemple,
12:44 suite évidemment à la crise de 2015-2016.
12:47 Elle reçoit beaucoup plus d'Ukrainiens,
12:49 c'est environ 70 000 Ukrainiens qui sont en France,
12:51 c'est 1,2 million en Allemagne.
12:53 Elle reçoit aussi beaucoup plus de ressortissants
12:58 des anciens pays de l'Union soviétique,
13:01 notamment des Aussiedlers,
13:03 des gens d'origine allemande,
13:05 c'est plus de 2 millions de personnes qui sont venues à ce moment-là.
13:09 Et puis évidemment, il y a la grande migration turque et yougoslave
13:12 vers l'Allemagne qui pèse beaucoup.
13:14 Donc elle a aussi une forte concentration vers certains pays d'origine
13:18 qui ne sont pas les mêmes que ceux de la France.
13:20 Mais cette concentration est un phénomène qu'on retrouve
13:23 dans beaucoup de pays avec cette petite nuance.
13:25 Je voudrais préciser quelque chose.
13:27 Quand on compare la population d'origine étrangère en Allemagne et en France,
13:32 donc les immigrés et les descendants,
13:36 il y en a beaucoup plus en Allemagne qu'en France.
13:39 Mais je veux dire, il y a plus d'extra-européens en France
13:44 qu'en Allemagne en nombre absolu et en proportion.
13:48 C'est ce que vous disiez.
13:49 Oui, c'est absolument vrai.
13:50 Ça me permet de... Pardon, on est obligés d'aller vite,
13:53 mais ça permet de situer le débat.
13:55 Vous aviez posé, excusez-moi, une question aussi sur le niveau
13:57 d'instruction des immigrés en France en comparaison avec l'Allemagne.
14:00 C'est à ça que je résistais un petit peu par rapport à votre question.
14:05 En France, il y a cette idée que l'immigration est principalement peu qualifiée.
14:10 C'est une vision un petit peu déformée du phénomène migratoire.
14:14 En réalité, c'est 35 % des immigrés qui sont diplômés du supérieur en France.
14:17 Et si on regarde ceux qui sont arrivés depuis moins de cinq ans,
14:19 on est à 41 % de diplômés du supérieur,
14:22 ce qui se compare exactement à la proportion de diplômés du supérieur
14:25 dans la population française.
14:26 On est à 40 %, donc à peu près au même niveau.
14:29 En revanche, ce qui caractérise la France,
14:31 c'est une forte proportion de gens qui ont un très faible niveau d'éducation.
14:34 À côté de ces gens qui sont diplômés du supérieur,
14:37 il y a environ quatre fois plus que dans la population française
14:39 de gens qui ont plus un niveau d'éducation primaire.
14:42 En Allemagne, il y a beaucoup moins d'immigrés qui sont diplômés du supérieur.
14:45 On est autour de 29 %, donc la France, de ce point de vue-là,
14:48 se compare favorablement à l'Allemagne.
14:49 Mais moins en Allemagne qui sont très faiblement diplômés.
14:53 Également une proportion importante qui est autour de 16 %,
14:58 donc c'est 17 % en France, 16 % en Allemagne.
15:00 D'accord, c'est la même chose.
15:01 Une précision pour la comparaison France-Allemagne, si vous voulez.
15:05 Nous, on a une très forte participation africaine
15:09 chez les personnes d'origine extra-européenne,
15:14 et eux, c'est l'Asie.
15:15 On est dans des proportions voisines,
15:17 mais nous, c'est l'Afrique, et eux, c'est l'Asie.
15:18 J'aurais bien aimé qu'on dise un mot de l'intégration,
15:21 des profils d'intégration, mais on ne va pas avoir le temps
15:23 de regarder, mais peut-être juste un mot là-dessus
15:25 avant qu'on parle des politiques.
15:27 Quand on regarde les évolutions à une ou deux générations,
15:31 quand on prend des critères socio-culturels,
15:35 le taux de chômage, le taux de diplôme, le taux de fécondité,
15:38 le taux de nuptialité, les mariages uniques…
15:40 – Ah non, pas taux de fécondité, s'il vous plaît.
15:41 – D'accord, ok. L'indice de fécondité ?
15:44 – Oui, absolument.
15:45 – D'accord, bon, alors oublions la fécondité.
15:46 Est-ce que les critères, la batterie de critères socio-culturels
15:52 montre un processus d'intégration efficace,
15:55 si on compare à nos voisins, moins efficace que par le passé,
15:58 plus efficace ? Qu'est-ce qu'on peut dire de ça,
16:00 de manière un peu statistique ?
16:02 – Alors, les comparaisons en termes d'intégration
16:04 sont toujours un petit peu difficiles,
16:05 parce que si vous comparez la Suède, qui accueille principalement
16:08 des réfugiés, avec le Canada, qui a une immigration très sélective,
16:11 évidemment, vous allez obtenir des résultats
16:12 qui sont plus favorables au Canada qu'en Suède.
16:15 Donc, la composition de l'immigration,
16:17 elle explique une partie de ces résultats.
16:19 Mais si on s'en tient, évidemment, au taux d'emploi
16:20 ou au taux de chômage, comme vous le disiez,
16:22 en France, c'est environ 62% des immigrés qui sont en emploi,
16:27 c'est environ 8 points de pourcentage de moins que pour les natifs,
16:31 c'est un écart qui est relativement stable,
16:36 et qui est en réalité, en niveau,
16:39 donc on a un taux d'emploi plus faible qu'en Allemagne,
16:42 on est presque à 70% de taux d'emploi,
16:44 mais où l'écart avec les natifs est aussi plus important,
16:46 parce qu'il est à 9 points.
16:48 En France, il y a pendant longtemps,
16:50 et je pense que là-dessus, avec Mme Tribala,
16:52 je pense qu'on pourrait se rejoindre,
16:54 il y a eu un déficit en termes de politique d'intégration.
16:58 Aujourd'hui, il y a des efforts qui sont soutenus,
17:01 notamment en termes d'apprentissage de la langue
17:05 et en termes d'accueil au travers du contrat d'insertion républicaine,
17:09 mais pendant des décennies, cet effort a été tout à fait dilué
17:13 dans la politique de la ville,
17:15 et en partie, les difficultés qu'on observe aujourd'hui,
17:18 elles ont trait à ce manque d'investissement sur le long terme,
17:22 à des effets de concentration géographique
17:25 dans des quartiers défavorisés,
17:27 et sans doute à un effet trop faible de l'école
17:31 comme ascenseur social dans la société française.
17:34 Pour ce qui est des concentrations, on en trouve partout.
17:36 L'Allemagne a les siennes, la Suède a les siennes,
17:40 nous avons les nôtres, et je ne pense pas que...
17:42 Enfin, sur l'apprentissage de la langue,
17:44 il faut savoir qu'on a été absolument très négligents,
17:47 puisque on a essayé de copier les Pays-Bas
17:49 qui assistaient pour avoir des cours et un résultat,
17:57 et nous, on a forcé à assister à des cours de français,
18:01 mais ce qui comptait, c'était d'y être et pas les résultats.
18:04 – Je ne sais pas si on a fait une photographie de la situation,
18:06 mais en tout cas, on a des éléments.
18:08 Mais quand on se projette dans l'avenir,
18:12 vous m'avez très justement signalé
18:14 les déclarations de la Commission européenne récemment,
18:16 et l'analyse qui est faite par beaucoup,
18:19 du fait que d'un côté, le vieillissement de la population du vieux continent,
18:24 mais de la France en particulier...
18:26 – Pas seulement de la France, je ne sais pas.
18:27 – Non, bien sûr, et de l'autre, les besoins de main-d'œuvre
18:31 du marché du travail, d'équilibrage des comptes sociaux,
18:34 portent plutôt à penser que ces phénomènes migratoires,
18:37 non seulement ne vont pas se réduire, mais vont plutôt s'amplifier.
18:40 – C'est-à-dire, c'est très clair, la Commission européenne
18:43 ne compte que sur l'immigration pour éviter, je vais dire,
18:47 un déclin accéléré de la population européenne,
18:51 puisqu'elle reçoit les projections d'Eurostat les dernières de 2023,
18:55 qui sont absolument catastrophiques en termes d'anticipation.
19:00 De toute façon, déjà, le solde naturel de l'Union européenne est négatif.
19:05 On a 1,25 million de décès en plus que de naissances
19:10 dans l'année de départ de la projection, qui est 2022.
19:13 Donc, et ça ne s'arrange pas après.
19:15 Donc, si vous voulez, sur une longue durée,
19:23 l'Union européenne reçoit des projections dans lesquelles,
19:27 je vais dire, la population native décroît à grande vitesse.
19:30 – Et donc, dans ce cadre, qui a l'air assez consensuel,
19:36 est-ce que, peut-être pas d'ailleurs, mais est-ce qu'une politique
19:40 de contrôle de l'immigration a un sens quelconque ?
19:44 Ou bien, est-ce que l'idée qu'agitent certains
19:49 d'une politique d'immigration sélective, diversifiant les origines culturelles,
19:56 augmentant le niveau de qualification, est un vœu pieux ou est jouable ?
19:59 Là, j'essaie de projeter un peu de manière un peu globale
20:02 sur les cadres théoriques des politiques possibles.
20:05 – Il y a beaucoup de questions dans votre question,
20:07 donc on va essayer de… – Parce que notre temps est court.
20:09 – Absolument, la question démographique, il y a un fait que la natalité est en baisse
20:16 et notamment dans les pays d'Europe du Sud, dans les pays d'Europe de l'Est,
20:18 le phénomène est très accentué et donc mécaniquement…
20:22 – Pas partout en Europe de l'Est, en Roumanie et Tchétchy,
20:25 ils sont au niveau de la France.
20:27 – Mécaniquement, l'immigration en proportion joue un rôle de plus en plus important
20:32 parce qu'effectivement, elle s'accroît dans un contexte de baisse de la natalité,
20:37 de sorte qu'effectivement, aujourd'hui, la croissance de la population européenne
20:40 et entièrement, enfin en tout cas de la population active européenne
20:42 est entièrement due à l'immigration.
20:45 Mais ce n'est pas le résultat d'une politique migratoire,
20:47 c'est le résultat plutôt de… – Des flux.
20:50 – Pas seulement des flux, d'une baisse de la natalité en réalité,
20:52 c'est plutôt dans l'autre sens, de l'autre côté de l'équation qu'il faut regarder.
20:56 Alors, je me porte un peu en faux concernant cette idée
21:01 que l'Union européenne ne verrait, disons, que grâce à l'immigration
21:09 pour résoudre tous les défis qui sont portés à l'Union européenne,
21:13 que ce soit en termes de transition verte,
21:15 que ce soit en termes de digitalisation de l'économie
21:18 ou simplement de compétitivité de l'économie européenne.
21:21 La migration fait partie des instruments qui sont disponibles
21:25 mais ce n'est ni le principal, ni le seul.
21:29 Et donc par rapport aux politiques d'immigration,
21:33 je pense qu'il faut éviter de généraliser et de présenter la migration
21:38 d'abord comme un tout, elle se compose de différentes catégories,
21:43 à commencer par la migration intra-européenne qui fait partie simplement,
21:46 et en France c'est près de 90 000 personnes
21:48 qui chaque année viennent s'installer d'autres pays européens,
21:51 ça compte pour environ un cinquième de l'immigration en France.
21:55 – Mais ce n'est pas celle-là qui crée du débat politique.
21:58 – Alors néanmoins c'est celle qui vient abonder le marché du travail
22:02 et contribuer à la part de l'immigration
22:04 dans l'augmentation de la population active.
22:07 Deuxièmement, il y a évidemment l'immigration familiale,
22:12 l'immigration familiale qui pèse à peu près autant
22:14 que l'immigration intra-européenne en France,
22:17 mais qui est principalement composée maintenant
22:20 du rapprochement de conjoints de français ou d'européens,
22:24 et donc ce n'est pas forcément des étrangers qui font venir leur famille,
22:28 et donc cette immigration de droit n'est évidemment pas sujette à quotas
22:34 ou à sélection ou critères d'éducation.
22:38 Donc en fait la part de l'immigration qu'on va qualifier de discrétionnaire,
22:43 sur laquelle on peut vraiment agir, c'est l'immigration de travail.
22:47 Cette immigration de travail, elle a été, c'est vrai,
22:49 en très forte augmentation ces dernières années en France,
22:52 elle a triplé en 10 ans, donc elle est passée de 16 000 à 52 000 en 2012,
23:00 elle est principalement qualifiée, et pour la moitié en fait,
23:03 elle est le fait d'étudiants qui ont fait leurs études en France
23:07 et qui changent de statut à l'issue de leurs études,
23:09 elle est très qualifiée et elle explique ces 41% d'immigrés diplômés du supérieur
23:14 dans les moins de 5 ans que je mentionnais précédemment.
23:16 Vous partagez ce point de vue ?
23:18 Non, pas vraiment, je veux dire, c'est un point de vue qui repose sur les besoins.
23:26 C'est-à-dire, une élite décide qu'on a besoin d'immigration
23:30 pour combler les pénuries de main-d'oeuvre,
23:34 et donc c'est une espèce de dictate qui doit s'appliquer,
23:38 d'ailleurs c'est la commission en la matière
23:42 pour récupérer la partie économique de la migration,
23:46 mais moi la question que je me pose c'est,
23:48 est-ce que la politique migratoire est un objet politique encore ?
23:53 Vous voulez dire quoi ?
23:54 Est-ce que ça peut faire l'objet d'une décision souveraine du peuple ?
23:57 Absolument, démocratique.
23:59 Je constate que ça n'est pas le cas,
24:02 en tout cas dans les élites, je dirais, journalistiques,
24:09 chercheurs et politiques, et notamment,
24:11 puisque on a en fait naturalisé l'immigration,
24:15 c'est-à-dire on nous dit, François Héran par exemple,
24:19 professeur au Collège de France,
24:20 nous dit que c'est comme les naissances,
24:22 c'est comme le vieillissement,
24:25 et donc on ne dit plus rien, c'est comme ça.
24:28 Et M. Darmanin, dans une conférence au centre de réflexion
24:33 à la sécurité intérieure le 19 septembre,
24:35 nous disait exactement, je le cite,
24:37 "l'immigration n'est pas une question d'opinion publique,
24:40 c'est comme être contre le soleil."
24:44 Vous voyez, on ne peut pas naturaliser plus la chose.
24:47 Donc voilà un minifre qui nous prépare une loi
24:50 sur l'immigration en disant qu'il doit tout changer,
24:52 et qui par ailleurs dit, on n'y peut rien,
24:55 les gars, c'est comme le soleil, c'est quand même problématique.
24:59 Merci, donc on a bien vu à la fin de notre discussion
25:02 qu'il y a deux façons d'aborder la chose,
25:04 l'une qui consiste à dire, bon, il y a des contraintes
25:08 démographiques ou économiques, et c'est ça qu'on est en train de gérer.
25:11 – De droit. – De droit.
25:13 Et vous qui dites, mais c'est après tout une question souveraine,
25:16 et on pourrait aller contre ces choses qu'on nous présente
25:20 comme naturelles ou incontournables.
25:22 – Non, aller contre, moi je ne dis pas qu'il faut aller contre,
25:23 je dis une politique dictatoire qui ne peut jamais freiner l'immigration
25:28 n'en est pas une, c'est tout.
25:30 – Je vous remercie tous les deux de vos lumières,
25:32 je sais bien que les faits n'entrent pas dans le monde des croyances,
25:34 comme disait Marcel Proust, mais j'espère que ce soir
25:37 nous sommes parvenus à établir quelques-uns des faits
25:40 qui permettront et que nous n'aurons pas fait perdre notre temps
25:43 à ceux qui ont eu la gentillesse de nous écouter,
25:46 que nous les aurons enrichis et nourris.
25:48 En tout cas, merci à eux de nous avoir suivis,
25:52 merci à vous deux de nous avoir éclairés
25:54 ou d'avoir posé les termes du débat.
25:57 Cette émission peut être revue sur le site publicsenat.fr
26:04 pour ceux qui ne l'auraient pas vue ce soir
26:06 ou ceux qui auront envie de la revoir.
26:07 Merci à vous deux et bonsoir.
26:09 – Merci à vous.
26:10 – Merci.
26:11 [Musique]