Hélène Lam-Trong, réalisatrice de « Daech, les enfants fantômes » accessible sur la plate-forme France TV replay, a reçu récemment le prix Albert Londres. Sur Franceinfo, elle a livré le fruit de son enquête.
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00:00 Cyril Destracq, l'invité Média de France Info ce matin, a remporté le prix Albert-Londres,
00:04 le plus prestigieux pour un journaliste.
00:06 Oui, bonjour Hélène Lamtrong.
00:08 Bonjour.
00:09 Vous avez obtenu effectivement cette récompense pour votre documentaire diffusé sur France 5
00:13 et accessible en replay, Daesh, les enfants fantômes.
00:17 Vous racontez dans ce document cinq ans de combat de plusieurs familles pour récupérer
00:21 plus de 300 enfants français aux mains de Daesh dans des camps en Syrie.
00:25 Parmi les témoignages que vous avez recueillis, Karim, dont les trois enfants ont été enlevés
00:30 par sa femme, il est sans nouvelles d'eux depuis deux ans.
00:33 J'ai envisagé tout et n'importe quoi pour récupérer mes enfants.
00:38 C'est la chair de ma chair.
00:40 Je serais même prêt à aller les chercher.
00:45 Mais ça pourrait être dangereux et un voyage sans retour.
00:49 L'État français fait.
00:50 Qu'est-ce que j'ai en fait d'autre à dire ? Envoyer des militaires pour récupérer
00:54 mes enfants.
00:55 Ils peuvent le faire pour des journalistes.
00:57 Mais là, ils ne veulent pas.
01:01 Cette incompréhension, ce sentiment d'injustice, que pointe ce papa ? Elle est exemplaire,
01:05 Hélène Lamtrong.
01:06 Alors exemplaire, je ne sais pas.
01:09 Mais ce qui est vrai, c'est que ces enfants sont un problème parce que leur absence est
01:13 un problème pour ceux qui les aiment.
01:14 Il n'y a que ceux qui se soucient de ces enfants, qui portent, qui essaient de porter leur voix
01:21 dans les médias, les journalistes qui suivent un petit peu le sort qui leur est fait depuis
01:26 des années, qui font que ces enfants sont un problème.
01:29 Autrement, on préfère faire comme s'ils n'existent pas.
01:32 Et ça dure depuis longtemps.
01:33 Alors pour le documentaire, vous avez aussi suivi les grands-parents de deux enfants qui
01:36 ont eu la chance d'être rapatriés en janvier 2023.
01:41 Comment l'État français choisit-il aujourd'hui les enfants qu'il fait revenir sur son sol
01:45 ?
01:46 Aujourd'hui, l'État français ne fait plus revenir d'enfants sur son sol.
01:49 Pendant longtemps, il y a eu ce qu'on a appelé une politique du cas par cas.
01:54 Le problème, c'est qu'on n'a jamais dit dans quel cas on ramenait les enfants et dans
01:57 quel cas on ne ramenait pas les enfants.
01:58 De fait, au début, immédiatement après la guerre, il était question de ramener tout
02:04 le monde, les enfants, les femmes et même les hommes.
02:06 Finalement, la première opération de rapatriement n'a concerné que des orphelins, donc des
02:12 enfants dont la maman était décédée, dont le père était décédé lui aussi, ou en
02:16 prison.
02:17 Petit à petit, vraiment au compte-gouttes, il y a eu des retours de familles dont la
02:23 mère était très malade ou qui étaient volontaires pour rentrer.
02:26 Mais on était à chaque fois sur des dizaines d'enfants, quelques dizaines de femmes, pas
02:30 plus.
02:31 On n'a jamais su pourquoi certains avaient été laissés des années et d'autres ramenés
02:35 très tôt.
02:36 On n'a jamais su.
02:37 Il y a donc de l'arbitraire dans les décisions françaises ?
02:39 Complètement.
02:40 Et le gouvernement s'en défendra.
02:42 Mais la vérité, c'est que comme on ne sait pas dans quel cas on ramène les enfants et
02:45 dans quel cas on ne les ramène pas, effectivement on peut considérer que c'est complètement
02:49 arbitraire.
02:50 Et pour tordre le bras, si j'ose dire, à l'État français, il y a eu quand même trois
02:53 décisions de justice, notamment une de la Cour Européenne des droits de l'homme.
02:56 Sans ces décisions, vous pensez qu'on aurait pu rapatrier déjà une partie de ces enfants
03:02 ?
03:03 On ne peut pas dire que ces décisions-là ont eu un effet, comment dire, absolument déterminant
03:09 sur la politique de la France en matière de rapatriement.
03:12 Il y a eu un mouvement un peu généralisé en Europe de rapatriement.
03:16 La France ne pouvait pas ne pas s'inscrire dans ce mouvement.
03:19 Mais aujourd'hui, ce qui se dit, c'est que les femmes qui restent là-bas sont celles
03:23 qui veulent rester.
03:24 Et qu'est-ce qui va venir de leurs enfants ? On ne sait pas.
03:28 La France est l'un des seuls pays européens à ne pas avoir rapatrié ses enfants prisonniers
03:33 de Daesh.
03:34 Pourquoi ? Comment on l'explique ?
03:35 Ce n'est pas vraiment l'un des seuls pays européens à ne pas l'avoir fait.
03:38 C'est le pays européen qui a le plus de ressortissants encore sur place.
03:42 Il y en avait 300, on le rappelle.
03:44 C'était aussi le pays européen qui en avait le plus.
03:47 On est le pays européen qui a eu le plus de femmes et d'enfants et aussi d'hommes
03:50 qui ont quitté la France pour aller en Syrie.
03:51 Il y a le sujet quand même de l'opinion publique.
03:55 Parce que ça pèse ça dans le fait que la France ait du mal à accepter ce retour.
04:00 Ça pèse énormément.
04:02 Mais c'est un problème.
04:03 C'est un problème parce que ces enfants existent, parce que ces enfants sont français.
04:06 Et ils ne cesseront ni d'exister ni d'être français.
04:09 Donc quel est le projet pour eux ? Pour l'instant, ils sont encore petits.
04:12 Bien qu'ils grandissent à mesure que les années passent.
04:14 Mais qu'est-ce qui va se passer quand ils seront majeurs ? Ils sont aujourd'hui incarcérés
04:17 avec leur mère parce qu'ils sont mineurs et qu'on considère que c'est elle qui est
04:20 responsable d'eux.
04:21 Mais quand ils seront majeurs, qu'est-ce qu'on va faire de ces enfants ? Est-ce qu'on va
04:24 les empêcher de revenir sur le territoire français ? Est-ce qu'on pourra même le faire ?
04:27 Et dans quel état ils reviendraient si c'était le cas ?
04:29 Précisément, Hélène Lametrong, qu'est-ce que l'on sait de la manière dont ils sont
04:32 traités ? Comment ils vivent ces enfants qui restent aujourd'hui emprisonnés en Syrie ?
04:36 Il n'y a pas beaucoup de mystère sur la manière dont ils sont traités puisque depuis quelques
04:40 années maintenant, les journalistes français, qui longtemps ont été empêchés d'entrer
04:44 dans ces camps, ont pu y aller.
04:45 Donc pour ce film, on y est allé.
04:46 Ils sont en prison, ces enfants.
04:48 Il n'y a pas de mur, ce sont des tentes, mais il y a des barbelés.
04:52 Ils sont dans un espace réduit dont ils ne peuvent pas sortir.
04:55 Ils ne sont pas scolarisés.
04:56 Et surtout, ils n'ont aucune perspective.
04:58 C'est-à-dire qu'on a des enfants qui sont condamnés sans avoir eu de procès à rester
05:02 quelque part sans savoir jusqu'à quand ça va durer.
05:04 Il y a ceux qui sont rentrés et qui rendent leur famille un peu plus heureuse.
05:10 Est-ce que l'on sait comment ils sont réintégrés sur le sol ? Et est-ce que vous travaillez
05:16 aussi sur cette matière ? Pourquoi pas pour un prochain documentaire ?
05:18 C'est une matière qui est très difficile à manier parce que c'est très sensible
05:23 et parce que ces enfants-là, une fois qu'ils sont rentrés, ils ont surtout besoin d'être
05:26 protégés.
05:27 Mais on sait qu'en tout cas, aucun des enfants qui y est rentré depuis 2016, parce qu'avant
05:32 même la fin de la guerre contre Daesh, il y a des enfants français qui ont été en
05:36 zone irako-syrienne et qui sont rentrés.
05:37 On sait qu'aucun de ces enfants n'a posé de problème majeur.
05:40 Ça ne veut pas dire qu'ils vont tous très bien, mais aucun n'a posé de problème de
05:43 sécurité, y compris les ados.
05:44 C'est important de le dire.
05:45 Donc leur suivi aujourd'hui, il est comme celui de la plupart des enfants pris en charge
05:50 par l'aide sociale à l'enfance, à la grande différence quand même qu'ils sont aussi
05:54 suivis par la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse, comme des enfants criminels.
06:00 Ça aussi, ça peut poser des questions.
06:01 Est-ce que c'est le thème de votre prochain documentaire, cette réinsertion, cette réintégration
06:05 des enfants ?
06:06 Difficile à dire.
06:07 Encore une fois, je ne suis même pas sûre que ce soit faisable aujourd'hui de suivre
06:11 ces enfants.
06:12 Je ne suis pas sûre que ce soit bien pour eux non plus.
06:14 Donc si jamais documentaire il y avait, ce serait fait avec beaucoup, beaucoup de précautions.
06:18 Une dernière question, Hélène Lamtrong.
06:21 Vos conditions de tournage, parlons-en.
06:23 Vous n'avez plus de carte de presse.
06:24 Lors de la remise du prix Albert Londres, vous avez insisté sur les problèmes que
06:27 cela pose techniquement.
06:29 Quels sont-ils exactement ces problèmes ? Le fait de ne pas être journaliste "estampillé"
06:35 pour tourner ce genre de documentaire ?
06:36 La difficulté, c'est que la carte de presse, elle sert surtout à être identifiée.
06:41 Quand on passe une frontière, quand on rencontre des militaires qui se demandent ce qu'on
06:44 fait dans une zone de guerre, une carte de presse lève le doute assez rapidement.
06:48 Mais il faut savoir que, comment dire, il n'y a que pour la commission de la carte
06:55 de presse qui vous délivre, à vous tous, la carte de presse, que je ne suis pas journaliste.
06:58 Évidemment que quand je passe une frontière, quand je demande des autorisations de tournage
07:01 pour entrer dans un camp en Syrie, je suis journaliste.
07:04 Donc pour tout le monde, les gens comme moi qui fabriquent des films d'investigation
07:09 sont journalistes, sauf pour la profession.
07:11 Et ça devient un problème parce que ça peut nous mettre en danger, mais pas seulement
07:15 à l'autre bout du monde, ça nous met aussi en danger dans les manifestations en France.
07:18 Aujourd'hui, si on n'est pas identifié comme journaliste, on peut se faire nasser,
07:22 on peut se faire arrêter.
07:23 Et c'est un gros problème qui j'espère changera.
07:26 Merci beaucoup Hélène Lamtrong, réalisatrice de Daesh, les enfants fantômes.
07:30 A revoir sur France TV.
07:32 Ripley, merci d'avoir accepté l'invitation de France Info ce matin.