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00:00 6h39, les matins de France Culture.
00:05 Guillaume Erner.
00:06 Bonjour Marguerite Caton.
00:07 Bonjour, bonjour à tous.
00:09 C'est le retour Marguerite de la loi immigration.
00:12 En effet, après avoir débuté son parcours législatif au Sénat, on s'en rappelle,
00:16 le projet de loi sur l'immigration et l'intégration arrive ce matin devant la commission des lois de l'Assemblée Nationale.
00:23 Une semaine de négociations, 1500 amendements à discuter et sans aucun doute d'âpres débats.
00:29 C'est dans ce contexte que je reçois l'économiste Alexandra Roulet pour répondre à une question.
00:34 L'économie française, l'appareil productif français a-t-il besoin de travailleurs immigrés ?
00:39 Bonjour Alexandra Roulet.
00:40 Bonjour Marguerite Caton.
00:41 Vous êtes professeure à l'INSEAD, vous avez été conseillère macroéconomie et politique publique au cabinet du Président de la République puis de la Première Ministre, fonction que vous avez quittée début septembre.
00:51 Commençons par le constat des difficultés actuelles de recrutement.
00:55 Quels sont les métiers en tension, ceux qui peinent à embaucher ?
00:58 Il y a des tensions de recrutement dans beaucoup de secteurs qui sont à un niveau assez inédit par rapport aux dernières années mais ce n'est pas propre à la France.
01:08 C'est le cas dans la plupart des pays européens mais même aux Etats-Unis.
01:11 On peut citer à la fois le secteur hôtellerie-restauration, le secteur du soin avec notamment des très fortes tensions sur des métiers comme les métiers d'infirmiers, des métiers d'aides-soignants.
01:23 Bien sûr le secteur de la construction, ça a été dit précédemment, et le secteur de l'industrie.
01:28 Ce sont généralement, dit la Dares, l'organisme de recherche du ministère du Travail, des métiers peu qualifiés avec des conditions contraignantes voire très contraignantes.
01:38 Est-ce qu'il ne suffirait pas d'hausser les salaires ou d'améliorer les conditions de travail pour résoudre ces difficultés ?
01:43 Pour moi, il y a deux types de métiers en tension.
01:46 Il y a des métiers qui sont en tension où il y a des problèmes de recrutement et il y a des problèmes de rétention de la main d'oeuvre.
01:51 C'est-à-dire que même quand les gens sont embauchés, il y a un fort turnover, les gens partent, quittent.
01:56 Ça, c'est un signe que ces métiers ont des problèmes d'attractivité.
02:00 Je pense par exemple à l'hôtellerie-restauration ou à d'autres métiers, on peut penser au secteur du soin, etc.
02:08 Il y a des secteurs où il y a un problème d'embauche, de recrutement, mais il n'y a pas forcément de difficultés de rétention.
02:16 Par exemple, dans l'industrie, vous pouvez avoir des métiers où c'est difficile de recruter, mais une fois que les gens sont recrutés, ils restent.
02:21 Ça, ça veut dire que ce n'est pas un problème d'attractivité, puisqu'ils restent.
02:24 C'est que les conditions de travail ou le salaire sont convenables.
02:27 Ça signifie que c'est essentiellement un problème pour trouver les compétences requises.
02:31 Donc, il faut à mon avis séparer ces deux cas de figure.
02:34 Pour en venir à l'industrie que vous mentionnez, où il y a de véritables problèmes d'embauche,
02:38 le ministre Roland Lescurs, qui s'exprimait samedi sur France Info, disait qu'on a besoin de 100 000 à 200 000 travailleurs étrangers en 10 ans pour résoudre les problèmes de recrutement de l'industrie.
02:50 C'est difficile à comprendre. Est-ce que les travailleurs étrangers sont mieux formés que les 5 millions de personnes inscrites à Pôle emploi ?
02:56 Je pense qu'il ne faut pas opposer une démarche qui consisterait à dire qu'il faut faire venir les compétences de l'étranger.
03:04 Il faut former les compétences sur son national. Il faut en fait faire les deux.
03:09 D'une part, on sait que de façon générale, l'immigration, et notamment l'immigration qualifiée, a des bienfaits économiques.
03:15 Une partie de la prospérité américaine vient de ces immigrés.
03:20 Une partie de l'innovation américaine vient de travailleurs qui ont immigré.
03:23 Et on sait d'ailleurs qu'il y a de plus en plus de travailleurs qualifiés parmi la population immigrée.
03:29 Et qu'on a maintenant, j'ai vu les chiffres récemment, 34% des immigrés qui sont diplômés du supérieur.
03:36 Oui, alors au total, les immigrés sont quand même moins diplômés que les personnes non-immigrées en France.
03:42 Mais c'est vrai que la qualification de la population immigrée augmente avec le temps.
03:46 Et donc il faut évidemment faire venir les compétences et notamment essayer de faire venir, c'est ce qui se passe d'ailleurs,
03:53 les jeunes qui viennent étudier en France qui peuvent ensuite rester.
03:56 Mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas bien évidemment former les demandeurs d'emploi à ces métiers d'avenir.
04:01 Et pas que les demandeurs d'emploi, il faut aussi orienter les jeunes vers les bonnes formations.
04:05 Et il y a à cet égard beaucoup de progrès qui sont faits, notamment sur les plateformes,
04:09 AFELnet, Parcoursup, qui servent aux étudiants à choisir leur formation.
04:15 Il y a tout un projet qui s'appelle "Projet InserSup, InserJeune" qui vise à donner aux jeunes de l'information sur les débouchés
04:21 et bientôt, ce n'est pas encore le cas, les salaires auxquels on peut prétendre si on fait cette formation dans sa discipline.
04:27 Et ça c'est très important parce que ça permet aux jeunes de se former vers des métiers qui en fait,
04:32 et donc notamment les métiers de l'industrie dont on parlait, il y a des métiers comme le métier de soudeur où c'est très difficile de recruter
04:37 et où il faudrait que plus de jeunes s'orientent.
04:40 Et en ayant en tête combien ces métiers rémunèrent, etc., ça peut tout à fait faire basculer certains jeunes.
04:48 En ce qui concerne la formation, ce que note la Fabrique de l'Industrie qui a un think tank sur ce sujet,
04:53 il pointe lui un autre paradoxe, il ne dit pas qu'on manque de jeunes formés, il dit si le nombre d'emplois industriels vacants a bien été
04:58 multiplié par 3 entre 2017 et 2022 dans l'industrie, il atteint actuellement 60 000 postes,
05:03 ce n'est pas qu'on manque de jeunes formés, on a le nombre en volume, c'est simplement que peu rejoignent ensuite les emplois industriels.
05:10 Donc il y a une espèce d'évaporation, dit la Fabrique de l'Industrie. Alors, comment on l'explique ?
05:15 Ça c'est assez étonnant, je pense quand même qu'il y a un déficit de compétences au niveau de certains métiers industriels,
05:25 et notamment par exemple tous les métiers de la transition écologique qu'on mentionnait précédemment.
05:29 Il y a clairement un besoin de continuer la formation, ensuite il y a un besoin de faire la publicité de ces métiers,
05:36 donc c'est aussi toutes ces questions d'orientation, etc., sont très importantes.
05:41 Et puis évidemment dans certains cas spécifiques, il peut y avoir des problèmes d'attractivité du métier, c'est ce qu'on disait précédemment.
05:47 Je reviens sur la question des chômeurs par rapport à l'action d'un mendev' immigré.
05:52 Vous dites qu'on peut faire les deux en même temps, être attractif du point de vue des travailleurs immigrés et former les chômeurs.
05:58 Le patron du Mendev avait un autre avis début septembre. Patrick Martin, qui est le président de l'organisation patronale,
06:04 disait dans un entretien à la Dépêche, et qu'on le disait en fait au ministre de l'Industrie,
06:08 "Avant d'organiser l'immigration économique, il faut former celles et ceux qui chez nous n'ont pas d'emploi."
06:14 Comment vous comprenez cette ligne du patronat et cette dissonance peut-être avec le ministre ?
06:18 La dissonance, je n'en sais rien, mais ce qui est sûr, c'est qu'il faut se rendre compte que l'ampleur des tensions de recrutement
06:23 font qu'il n'y a pas du tout incompatibilité entre essayer de faire venir...
06:29 Alors d'ailleurs dans les tensions de recrutement, il y a deux choses.
06:31 Il y a faire venir une main d'oeuvre d'immigrés qualifiées sur certains points très spécifiques,
06:35 et puis il y a aussi intégrer la main d'oeuvre immigrée qui est présente sur le territoire.
06:38 Donc ça c'est deux choses.
06:39 Et tout ça n'est pas incompatible avec, et ne doit pas l'être absolument,
06:42 avec le fait de, évidemment, former les chômeurs non-immigrés qui viendraient,
06:47 qui cherchent également des emplois et qu'il faut orienter vers les secteurs en tension.
06:51 Et c'est ce que Pôle emploi fait en constituant des viviers de recrutement,
06:54 que ce soit pour les demandeurs d'emploi, immigrés, non-immigrés...
06:57 La ligne de partage, si vous voulez, immigration, n'est pas nécessairement une ligne de partage particulièrement pertinente
07:05 pour résoudre les tensions de recrutement.
07:07 Il y a une question qui se pose, c'est comment on s'assure que l'emploi d'une main d'oeuvre immigrée
07:12 ne se traduise pas mécaniquement par un moindisant social.
07:16 Quand on voit l'exploitation, je dis exploitation parce que c'est le terme qu'emploient certains spécialistes,
07:21 et il y a eu des scandales récemment dans le Champagne,
07:22 donc l'exploitation de saisonniers étrangers, qui sont en situation régulière,
07:25 qui sont embauchés dans le secteur agricole, c'est quand même une crainte qu'on peut avoir, Alexandra Roulet.
07:30 Ce qui s'est passé en Champagne, l'incident qui a été révélé au moment des vendanges,
07:37 c'est des conditions de travail tout à fait indignes, qui doivent être sanctionnées,
07:40 et qui à mon avis ne sont quand même pas un cas général.
07:44 Et encore une fois, je pense qu'il faut...
07:48 Les métiers qui sont en tension, de toute façon,
07:51 ils vont devoir, pour ceux qui ont aussi des problèmes de rétention ou de la main d'oeuvre,
07:55 ils vont devoir travailler sur leurs conditions de travail, leur salaire, leur attractivité,
08:00 et le gouvernement ne peut pas tout en la matière.
08:03 Il y a des forces de marché, et comme on sait, quand on n'arrive pas à recruter,
08:07 il faut devenir plus attractif, augmenter le salaire,
08:10 ce sont des forces de marché qui vont jouer au fil du temps.
08:13 Après, sur les problèmes très spécifiques, sur les métiers verts, les métiers de la transition,
08:19 là, oui, il y a besoin du gouvernement pour intervenir, former, investir peut-être.
08:25 L'investissement public peut être utile dans ces cas très précis,
08:30 pour résoudre, si vous voulez, une sorte de friction temporaire
08:34 qui est liée au fait que les compétences ne sont pas encore au niveau de la demande.
08:39 Merci beaucoup Alexandra Aroula. Je rappelle que vous êtes économiste,
08:42 professeur à l'INSEAD, ancienne conseillère économique à l'Élysée et à Matignon.
08:46 En 2018, vous publiez "Améliorer les appareils sur le marché du travail".
08:50 C'était aux presses de Sciences Po. Merci.