Dr Nacer Chahat, ingénieur à la Nasa (JPL)

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00:00 Alors SWAT, j'espère que l'audience va être très intéressée par sa mission parce que c'était une collaboration entre la France et les États-Unis.
00:08 Donc d'un point de vue personnel, moi j'étais très très content de collaborer avec nos partenaires du CNES et de Thales Alenia Space,
00:17 où on a résidé pendant plusieurs mois d'ailleurs, presque un an d'ailleurs.
00:23 Donc c'était une mission très très intéressante d'un point de vue technologique mais aussi d'un point de vue scientifique.
00:31 L'objectif de cette mission c'était de faire des mesures de la hauteur de l'eau, l'océan, mais aussi des eaux fraîches, donc sur la terre, donc les rivières, les lacs, etc.
00:44 C'est très important, par exemple cette jeune génération qui vient de citer, qui pense que justement ils n'ont pas les opportunités de pouvoir devenir ingénieur ou autre.
00:54 C'est pas totalement vrai, mais la raison pour laquelle ils pensent cela, c'est parce que lorsqu'ils allument la télé, qu'ils regardent la télé, les ingénieurs qu'ils entendent parler ne leur ressemblent pas.
01:05 Ils n'ont pas des noms similaires, ils ne leur ressemblent pas. Donc aux États-Unis, ils sont très méticuleux, ils font en sorte d'avoir cette représentation.
01:14 Donc si vous regardez les gens qui parlent de nos missions de la NASA, il y a énormément de personnes qui viennent des minorités, que ce soit hommes, femmes, latinos, ou au Moyen-Orient ou autre, c'est une très très bonne représentation.
01:31 Je me présente, Nasser Chahat, je suis ingénieur au Jet Propulsion Laboratory à la NASA.
01:42 Le JPL, c'est l'un des centres de la NASA spécialisés dans la robotique.
01:47 Donc toutes les missions extraordinaires dont vous avez entendu parler de la part de la NASA, on a forcément énormément contribué, principalement les missions vers Mars,
01:59 mais aussi beaucoup de missions interplanétaires, donc Voyager, l'une des plus grandes missions spatiales qui est maintenant en dehors du système solaire.
02:12 Alors moi personnellement, je suis français, donc ne soyez pas surpris si je parle plutôt bien français, même si je perds un peu mon français, parce que je parle principalement en anglais maintenant.
02:24 Donc je suis né et grandi en France, j'ai grandi dans le sud de la France, entre Bordeaux et Toulouse, à Jeanne.
02:32 Donc j'ai fait mes études à Rennes, j'ai fait une école d'ingénieur l'ESIR, l'école supérieure d'ingénieur de Rennes, au sein de l'université de Rennes.
02:44 J'ai fait un double diplôme, l'école d'ingénieur plus un master recherche, parce que je voulais faire un doctorat à la suite de mon école d'ingénieur, ce que j'ai fait, donc j'ai poursuivi avec un doctorat.
02:57 Et à la fin de mon doctorat, j'ai décidé de me lancer dans une aventure, c'était un post-doctorat au sein du JPL, après avoir entendu parler de l'atterrissage sur Mars.
03:10 Et donc voilà, maintenant je suis ici, ça va faire plus de 10 ans.
03:15 Très bien. Alors quel a été ton parcours professionnel ?
03:21 Alors comme j'ai dit, j'ai commencé avec un post-doctorat au sein du JPL pendant un an.
03:27 A la fin de cette aventure, on m'a proposé de rester au sein du JPL, donc j'ai joint le groupe Antenne au sein du JPL, où j'ai bossé sur beaucoup de missions.
03:38 J'ai eu beaucoup de chance, parce qu'on a eu à ce moment-là où j'ai joint le JPL, beaucoup de demandes en termes de missions qui sont complètement différentes,
03:51 donc qu'on n'avait jamais fait auparavant, qui ont demandé de développer de nouvelles technologies antennes.
03:57 Donc j'ai eu la chance d'avoir cette opportunité de développer de nouvelles technologies, ce qui n'est pas évident dans le domaine du spatial,
04:05 parce qu'on a beaucoup peur du risque dans le domaine spatial, donc on reste avec des technologies qui sont connues et démontrées.
04:16 Alors peux-tu nous décrire trois grands projets auxquels tu as participé et tu participes actuellement ?
04:23 Plus spécifiquement, sur le rover Perseverance, le satellite d'observation SWOT et le fameux CubeSat MarCO.
04:34 Je suis content que vous ayez choisi ces trois missions, parce que ce sont des missions qui sont très proches de mon cœur.
04:43 On va commencer par la première d'un point de vue chronologique, c'est MarCO, Mars Cube One, c'est le premier CubeSat interplanétaire,
04:53 c'est-à-dire qui est s'aventurer au-delà de l'orbite basse de la Terre. L'objectif de MarCO, c'était de s'aventurer proche de Mars
05:08 pour pouvoir envoyer les données de télémétrie pendant l'atterrissage du lander qui s'appelle InSight.
05:17 C'était une prouesse technologique très difficile, parce que c'est la première fois qu'on a envoyé un satellite qui est de la taille d'une boîte à chaussures.
05:30 C'est 10 par 20 par 30 centimètres. Il y a eu beaucoup de développements de nouvelles technologies qui ont été indispensables
05:42 pour pouvoir réaliser cette prouesse technologique. L'une d'entre elles, c'était l'antenne déployante qui nous permettait de retransmettre
05:50 toutes les données en bande X depuis Mars. On n'est pas rentré en orbite de Mars avec ce CubeSat, on est seulement passé au-dessus de Mars
06:04 pendant l'atterrissage d'InSight pour relayer toutes ces données. Une fois qu'on a accompli cette tâche, c'était la fin de cette mission.
06:15 C'était une sacrée mission, très difficile, mais on a réussi. C'était une très belle aventure. C'était ma première aventure avec Mars.
06:26 La deuxième aventure avec Mars, comme tu l'as souligné, c'était la mission Ingenuity, l'hélicoptère en tandem avec Perseverance, le rover.
06:38 Encore une fois, c'était une prouesse technologique, une démonstration technologique. Le but était de démontrer qu'on était capable de voler
06:52 sur une autre planète, en l'occurrence Mars, qui est l'une des plus difficiles au niveau du système solaire. Pourquoi ?
07:01 Parce que la densité de l'air en comparaison avec celle de la Terre est seulement 1% de celle de la Terre. Pour pouvoir s'envoler dans l'atmosphère martienne,
07:16 c'est très complexe. On doit faire en sorte que notre hélicoptère soit léger, beaucoup plus léger. On avait des palmes qui sont beaucoup plus grandes,
07:29 en comparaison avec la taille de l'hélicoptère en soi. Les palmes font à peu près la taille de mes bras. Elles sont extrêmement légères.
07:49 Je me souviens la première fois où je les ai eues dans mes mains, je pouvais seulement sentir le froid des palmes, mais pas réellement la masse des palmes.
07:58 C'est pour vous dire à quel point elles sont légères. C'est la raison pour laquelle on a réussi aussi à voler sur Mars.
08:08 C'est très complexe parce que ça nous a poussé à tout faire différemment, parce qu'on avait des contraintes de masse très critiques.
08:17 Pour le sous-système de télécoms sur lequel j'ai travaillé, on était limité à 12 grammes. Ça inclut l'antenne, les câbles et la radio.
08:31 Pour la radio, on a utilisé des technologies commerciales existantes, Zigbee, que l'on a complètement modifiées pour pouvoir survivre aux conditions martiennes,
08:50 mais aussi dans le deep space, parce qu'on a eu le trajet, l'atterrissage également. Il y a eu beaucoup de modifications qui ont été faites pour cela.
09:02 L'objectif c'était de démontrer que l'on pouvait voler cinq fois. C'était l'objectif quand c'était fixé.
09:11 Pour être honnête, même cinq vols, c'était quelque chose que l'on n'espérait pas forcément. Maintenant, ça va faire plus de deux ans qu'on est sur la surface de Mars.
09:22 Ça va faire plus de 52 vols, et là on est en préparation pour le vol 53. Ça a été une très belle success story.
09:35 Comme vous pouvez le voir sur mon visage, je suis très heureux de faire partie de cette équipe.
09:41 Encore une fois, c'était une mission où on a dû pousser très fortement, parce qu'il y avait beaucoup de scepticisme.
09:53 On n'avait pas beaucoup d'alliés. Dans un premier temps, la NASA avait rejeté notre proposition d'inclure l'hélicoptère au sein de la mission de Mars 2020.
10:05 C'est par la suite, lorsqu'on a eu un nouveau administrateur de la NASA, qui a annoncé que l'hélicoptère allait faire partie de cette mission.
10:14 Après avoir travaillé sur cette mission pendant plus de 4 ans, sans savoir si oui ou non on allait aller vers Mars,
10:25 lorsqu'on a eu cet annoncement, ça a été aussi excitant que lors du premier vol, pour être honnête.
10:33 Une grande libération, parce que j'ai appris aussi qu'au dernier moment, l'hélicoptère pouvait être retiré du projet.
10:42 Les personnes extérieures étaient là observateurs et observatrices du spectacle magnifique,
10:51 mais ils n'avaient pas forcément des échos de tout ce qui s'était passé en amont et sur le terrain, comme tu l'as parfaitement souligné.
11:00 Et la dernière mission ?
11:05 Exactement, le satellite SWAT.
11:09 J'espère que l'audience va être très intéressée par cette mission, parce que c'était une collaboration entre la France et les États-Unis.
11:18 D'un point de vue personnel, j'étais très content de collaborer avec nos partenaires du CNES et de Thales Alenia Space,
11:27 où on a résidé pendant plusieurs mois, d'ailleurs, presque un an.
11:33 C'était une mission très intéressante d'un point de vue technologique, mais aussi d'un point de vue scientifique.
11:41 L'objectif scientifique de la mission SWAT, c'est d'améliorer les modèles.
11:45 Ça nous permettra d'avoir des mesures d'eau sur l'ensemble du globe, pour la première fois,
11:50 que ce soit la mesure de la hauteur d'eau sur les océans, mais aussi sur les lacs et les rivières, sur la Terre.
11:58 Ce sera le premier satellite qui nous permettra d'avoir ces mesures d'eau fraîche.
12:03 Ça nous permettra d'améliorer nos modèles de prédiction climatique,
12:08 mais aussi de donner des informations cruciales d'un point de vue local et national,
12:14 pour essayer de prévenir des événements climatiques tels que les inondations ou la sécheresse.
12:20 C'est là où SWAT sera crucial, et aussi pour le réchauffement climatique.
12:27 On sait que la plupart de la chaleur est absorbée par les océans.
12:34 Les mesures de SWAT nous permettront d'avoir ces informations,
12:38 de comprendre comment la température change en fonction du temps.
12:55 Il y a une quantité non négligeable d'informations sur ces réalités-là,
13:02 présence d'eau, hauteur, et une qualité non négligeable par rapport aux satellites précédents.
13:11 Il y a des images très intéressantes que vous pouvez trouver sur Internet,
13:17 où on compare les données qui ont été collectées par 10 satellites d'altimétrie,
13:22 en comparaison avec les premières mesures de SWAT.
13:25 Vous pouvez voir que la résolution est 10 fois plus élevée grâce à SWAT.
13:30 Imaginez ce que cela représente pour nos scientifiques,
13:35 qui pourront améliorer leur modèle significativement.
13:39 As-tu eu une rencontre particulière durant ton parcours d'étudiant et/ou professionnel
13:45 qui t'a influencé pour t'orienter sur une carrière d'excellence au sein du JPM ?
13:51 C'est une question qui revient régulièrement.
13:56 En tant qu'étudiant, j'ai eu une rencontre avec mon professeur
14:04 dans le domaine de radiofréquence et antenne,
14:07 qui était toujours très enthousiaste à l'Université de Rennes, à l'ESIR.
14:14 Cela attisait ma curiosité et je lui ai demandé si je pouvais faire un stage.
14:21 C'était mon premier stage d'études en tant qu'étudiant ingénieur.
14:27 C'est là où j'ai commencé à développer cette passion pour la radiofréquence et les antennes.
14:34 J'ai poursuivi, en ma dernière année d'école d'ingénieur,
14:41 où en France on a un stage de six mois,
14:44 ce qui est une très bonne chose, c'est probablement là où j'ai appris le plus.
14:49 J'ai décidé de partir à l'étranger et je me suis aventuré au Japon,
14:54 à l'Université de Chiba, où j'ai travaillé avec un professeur dans ce domaine-là,
15:00 du domaine électromagnétique.
15:04 Encore une fois, c'est quelqu'un qui avait une renommée internationale,
15:08 qui m'a beaucoup appris.
15:11 J'ai accumulé beaucoup de connaissances que j'ai appliquées dans ma thèse.
15:18 J'ai eu beaucoup de chance parce qu'il y avait une proposition de thèse
15:21 au sein de mon université, qui était en continuation avec ce que j'avais fait
15:26 pendant mon stage. Et ce n'était pas du tout quelque chose que j'avais prévu.
15:30 Donc j'avais déjà six mois d'expérience qui m'ont permis d'être beaucoup plus productif
15:36 pendant ma thèse.
15:38 Ensuite, lorsque j'ai commencé à travailler, j'ai eu une rencontre
15:44 qui m'a profondément changé d'un point de vue personnel et professionnel.
15:49 C'était le Dr. Firouz Naderi, qui était l'un des ingénieurs,
15:57 l'un des docteurs, pardon, qui était l'un des directeurs ici au JPL,
16:02 donc qui était devenu mon mentor, qui m'a donné beaucoup de conseils
16:08 pendant les dix dernières années où j'ai travaillé ici au JPL.
16:12 C'est quelqu'un qui a profondément impacté la NASA et le JPL.
16:19 Donc après qu'on ait eu deux échecs consécutifs d'atterrissage sur Mars,
16:30 on lui a demandé de restructurer le programme de Martien.
16:37 Donc il a restructuré complètement son équipe, cette équipe,
16:45 et à la suite de ça, on n'a eu que des succès.
16:49 Donc moi, c'est quelqu'un que, bien entendu, j'avais beaucoup de respect pour lui,
16:55 et j'ai eu la chance de travailler avec lui directement,
16:59 recevoir des conseils directement de sa part.
17:02 Malheureusement, il est décédé très récemment,
17:05 donc bien entendu, pour la communauté de la NASA et du JPL,
17:10 ça a été une perte profonde, mais il a laissé derrière lui un héritage
17:15 qui va nous impacter pendant plusieurs décennies,
17:22 et c'est un sentiment qui est partagé au sein de la NASA et au sein du JPL.
17:28 Donc pour moi, c'est probablement la personne qui m'a le plus impacté au long de ma carrière.
17:38 Donc je vais essayer de continuer cette "legacy", je ne sais pas comment dire en français,
17:45 son héritage.
17:49 Donc voilà, j'ai eu beaucoup de chance de pouvoir travailler avec lui
17:54 et de recevoir des conseils directement d'une personne comme lui.
17:58 Très bien. Alors l'un de tes domaines d'expertise, comme tu l'as souligné,
18:02 concerne les antennes de communication qui sont essentielles pour tous les objets
18:07 que nous utilisons sur Terre, en mer, et que nous envoyons dans l'atmosphère et dans l'espace.
18:13 On les retrouve aussi sur différents engins spatiaux,
18:16 comme les rovers, les satellites et les CubeSats,
18:19 petits CubeSats, les 3U, les 6U, les différentes catégories.
18:23 Quelles sont les étapes, les points à considérer lorsque ton équipe et toi,
18:30 vous commencez un nouveau projet et que vous devez développer des antennes ?
18:35 Exemple, sur un rover pour la planète Mars, un projet lunaire ou un CubeSat
18:41 en direction de la Lune et de Mars ?
18:44 Ok, on peut prendre un exemple, ce sera beaucoup plus simple.
18:46 Par exemple, Marco, le CubeSat dont on avait parlé, qui s'est aventuré vers Mars.
18:51 La première étape, c'est de comprendre l'objectif.
18:55 L'objectif, c'était de transmettre les données pendant l'atterrissage du Lander Insight.
19:01 On reçoit les données de la part du Lander à un débit de 8 kilobits par seconde.
19:08 Le CubeSat n'est pas capable d'enregistrer, de renvoyer ça par la suite.
19:14 D'ailleurs, on préférait retransmettre les données en temps réel.
19:20 L'objectif, c'était de retransmettre avec le même débit, 8 kilobits par seconde.
19:26 À partir de là, on analyse quel est le niveau de puissance que l'on a pour transmettre ces données.
19:33 On était autour de 4 watts.
19:36 Puisque l'on connaît le débit et la puissance,
19:41 on en découle à partir de la distance entre Mars et la Terre.
19:46 On en découle la taille de l'antenne nécessaire pour pouvoir transmettre ces données à ce débit de communication.
19:57 On a retiré très rapidement qu'il nous fallait une antenne qui était trois fois la taille du CubeSat.
20:04 On avait besoin d'une antenne déployante.
20:06 Ensuite, on nous a dit que puisque l'on s'aventure vers Mars,
20:10 on n'a aucun volume disponible à l'intérieur de ce CubeSat.
20:14 Tout est occupé.
20:16 On devait trouver une manière de déployer une antenne qui sera trois fois la taille de ce CubeSat,
20:22 sans occuper aucun volume au sein du CubeSat.
20:25 C'est pour ça qu'on a utilisé une technologie que l'on appelle les Reflect Array,
20:31 qui est une technologie d'antenne complètement plate,
20:35 mais qui se comporte comme une antenne parabolique.
20:40 Ce sont les étapes pour arriver vers une solution.
20:44 Tu as participé à l'écriture d'un livre sur la construction des CubeSats,
21:00 qui est une référence dans le domaine du spatial et à l'international.
21:06 Peux-tu nous en dire quelques mots sur ta participation et ce livre ?
21:12 J'ai commencé à écrire ce livre il y a plus de six ans.
21:18 Ça a été un investissement de temps et de beaucoup de patience,
21:23 sur lequel on a écrit un total de dix chapitres.
21:28 Chacun des chapitres comporte le développement d'une antenne pour une mission très spécifique.
21:35 Quand j'ai joint le JPL, c'était l'une de mes demandes.
21:39 Je voulais pouvoir partager avec le reste du monde toutes les technologies que je développe.
21:47 Le JPL était… Il n'y a eu aucun problème, aucune objection.
21:53 C'était plutôt le contraire, d'ailleurs.
21:57 Du coup, j'ai écrit beaucoup de papiers.
22:00 J'ai aussi écrit ce livre, qui a été publié par Wiley,
22:06 et qui depuis a été utilisé par une référence par tous les ingénieurs dans le domaine des antennes.
22:12 Moi, je dédie beaucoup de mon temps pour faire des présentations, des conférences, partout dans le monde.
22:21 Récemment, j'étais en Inde, donc j'ai eu la chance de rencontrer beaucoup d'étudiants.
22:26 Bien entendu, lorsque les étudiants viennent me voir,
22:30 soit viennent avec une copie du livre et me demandent un autographe,
22:33 ou me disent « j'ai lu ton livre, j'ai des questions sur ces chapitres »,
22:37 ça me réchauffe le cœur parce que du coup, tout ce temps qui a été passé à écrire ce livre
22:45 pour partager ces connaissances ont porté leur fruit.
22:50 On voit la plus-value concrètement dans le cadre que tu viens de nous énoncer,
22:55 sachant entre parenthèses que l'Inde fait partie des leaders à l'international
23:01 puisque beaucoup de lanceurs sont envoyés avec plus d'une soixantaine de CubeSats,
23:06 ce qui n'est pas négligeable.
23:08 Ce que je veux dire par là, c'est que c'est un écho de la réalité d'une expertise absolument impressionnante
23:16 présente en Inde dans le monde scientifique.
23:20 Oui, l'Inde a une agence spatiale qui est extrêmement productive, extrêmement.
23:31 C'est assez impressionnant le nombre de satellites sur lesquels ils travaillent,
23:35 le nombre de satellites qu'ils lancent chaque année.
23:38 Mais ils ont reçu une ressource d'ingénieurs qui est très impressionnante en comparaison d'autres pays.
23:49 L'une des raisons, c'est parce qu'être un ingénieur ou docteur ou scientifique,
23:56 en règle générale, c'est quelque chose qui valorise énormément dans ce pays.
24:02 Voilà, donc c'est une des raisons pour lesquelles...
24:05 On a l'impact directement dans les grands projets sur la considération, c'est clair.
24:10 Alors, un autre aspect assez important du fait de ta très riche expérience professionnelle.
24:19 Comment considères-tu les formations d'école d'ingénieurs et la qualité des écoles doctorales françaises
24:27 en comparaison aux différents parcours des scientifiques que tu côtoies quotidiennement
24:33 et qui occupent de très hautes responsabilités?
24:36 Je vais donner un élément qui me semble intéressant et important.
24:41 C'est qu'en France, on a une considération assez importante des gens qui sont issus des écoles d'ingénieurs
24:50 et qui vont rentrer sur le marché du travail d'une manière plus conséquente, impressionnante.
24:57 Alors que le docteur est moins considéré dans le domaine du marché, entre guillemets,
25:05 dans le domaine de l'emploi, alors que paradoxalement, c'est des mines incontestables de connaissances.
25:12 C'est des encyclopédies vivantes.
25:15 Alors que quand on va aux États-Unis, le docteur est considéré à un excellent niveau.
25:22 C'est celui qu'il faut embaucher parce qu'il permettra un développement impressionnant de la société.
25:29 Je parle en images, mais c'est un peu ça qui est plutôt présent.
25:35 Toi, comment tu te situes et comment considères-tu ces deux aspects?
25:40 Tu touches probablement au plus grand problème en France actuellement.
25:46 C'est quelque chose que je partage régulièrement lorsque je voyage en France
25:50 et que je parle à des professeurs ou à des personnes très haut placées au sein d'institutions
25:56 telles que Thales ou même le CNES.
25:59 En effet, aux États-Unis, et d'ailleurs presque partout dans le monde, même en Europe,
26:05 les doctorats sont extrêmement valorisés.
26:12 C'est quelque chose qu'ils recherchent, c'est quelque chose qu'ils privilégient,
26:17 et ce n'est pas le cas en France.
26:20 En France, on privilégie les écoles d'ingénieurs et on dissuade les personnes qui viennent d'écoles d'ingénieurs
26:30 de continuer et de faire des doctorats.
26:33 Alors, parlons de pourquoi c'est quelque chose qui est valorisé aux États-Unis.
26:37 C'est très simple. Lorsque tu fais un doctorat, et moi j'ai eu la chance de faire un doctorat
26:41 et je n'ai absolument aucun regret, tu apprends à apprendre.
26:46 Et c'est quelque chose que tu n'as pas l'opportunité de faire lorsque tu es en école d'ingénieur.
26:52 En école d'ingénieur, on t'apprend à suivre des étapes, des directives pour pouvoir travailler sur des problèmes.
27:03 Lorsque tu fais un doctorat, on te donne un problème qui n'a pas de solution
27:08 et on te demande de résoudre ces solutions.
27:11 Il y a une impression qu'en France, les doctorats suivent des directions qui sont données par un professeur
27:17 et peut-être que c'est la raison pour laquelle on pense qu'il n'y a pas de valeur dans un doctorat.
27:24 Ce n'est absolument pas le cas.
27:27 Donc, moi, mon directeur de thèse m'a donné un problème.
27:32 Il m'a dit "bon, voilà, c'est ton problème, tu as trois ans pour le résoudre.
27:35 Si tu arrives à le résoudre plus rapidement, tu peux travailler sur n'importe quel problème qui te vient par la tête."
27:42 J'ai résolu mon problème en trois mois, parce que justement, j'avais cette expérience du Japon pendant six mois
27:48 et c'était en relation.
27:50 Et ensuite, il m'a dit "bon, maintenant que tu as résolu le problème pour lequel tu as été payé,
27:55 tu peux travailler sur n'importe quel problème que tu trouves."
27:58 Et donc, c'est ce que j'ai fait pendant le reste de ma durée, pendant ma thèse.
28:01 Donc, ça m'a appris à trouver des solutions à des problèmes très complexes.
28:06 Et ce que je fais au JPL, c'est justement la description de mon travail.
28:12 On me donne des problèmes et je dois les résoudre.
28:14 Parfois, j'ai quelques mois, parfois j'ai quelques années pour le faire.
28:18 Et je développe des technologies qui vont nous permettre de développer nos futures missions.
28:26 Et c'est ce que l'on fait continuellement.
28:30 Donc, c'est pour ça que les doctorats sont très valorisés aux États-Unis,
28:35 parce qu'on a cette aptitude de réussir à solutionner des problèmes qui n'ont pas été résolus jusque-là.
28:41 Et puis, il y a aussi une autre réalité, c'est que les grosses entreprises financent énormément les écoles d'ingénieurs.
28:50 C'est la raison pour laquelle, comme il y a beaucoup de financement pour la préparation des étudiants en école d'ingénieurs,
28:57 que ce soit les grandes écoles ou les petites ou moyennes,
29:01 dès qu'ils sortent, automatiquement, on a investi énormément d'argent dans telle et telle école.
29:05 Donc, il faut les mettre sur le marché rapidement.
29:08 Et ça, c'est un aspect aussi qu'il faut considérer, puisque l'excellence de l'éducation est dépendante d'une réalité,
29:16 le nerf de la guerre, qui est les moyens financés, les moyens présents financiers.
29:23 Alors, que conseilles-tu aux jeunes filles et aux jeunes garçons intéressés par les sciences en général et le spatial et l'astronomie en particulier ?
29:33 Alors, moi, le conseil que je donne aux enfants, je pense que c'est ça ta question, c'est les enfants ?
29:43 Oui, les jeunes.
29:45 Alors, je reprends. Donc, moi, le conseil que je donne aux enfants, c'est de toujours suivre leur passion.
29:51 Très simple. Suis ta passion.
29:54 Si tu travailles sur quelque chose qui te tient à cœur, tu vas réussir et tu seras très performant.
30:02 Tu n'auras jamais le sentiment de travailler.
30:04 Bon, lorsque je vais au travail, je n'ai pas l'impression de travailler.
30:07 Je vais au travail avec un grand sourire.
30:10 Ce n'est pas une corvée.
30:12 Donc, lorsque je vois les gens le lundi matin et qu'on me dit « Ah, c'est lundi ! »
30:17 Et je fais « Ouais, c'est lundi ! Super ! »
30:20 « Une autre semaine, on va passer du bon temps. »
30:23 Donc, c'est toujours le conseil que je donne, c'est de choisir leur domaine de prédilection en fonction de leur passion.
30:32 Si vous faites quelque chose qui vous passionne, vous allez avoir une vie plein de succès et de beaucoup, beaucoup de succès.
30:44 Pour finir, les associations scientifiques et techniques sont-elles pour toi une nécessité au sein de notre société ? Et pourquoi en fait ?
30:55 Alors, la communication autour de la science est bien entendu cruciale, comme tu l'as dit.
31:02 Et c'est la responsabilité des associations, mais pas seulement.
31:06 Donc, ici aux États-Unis, j'ai remarqué qu'il y a énormément de personnes qui travaillent, qui se dédient justement sur la promotion de ce qu'on appelle les STEM.
31:18 Et ce sont des personnes qui sont très jeunes, qui communiquent autour de tout ce qu'on fait sur le spatial ou autre.
31:29 C'est quelque chose que l'on a beaucoup moins en France, c'est vrai.
31:33 Et aussi dit, l'intérêt est là.
31:37 En France, à chaque fois que je suis intervenu à la télévision, par exemple, pour parler des missions spatiales de la NASA,
31:47 il y avait énormément d'engouement autour de ces missions, par exemple Mars Hélicoptère.
31:53 Donc, les gens veulent en parler. C'est notre responsabilité et celle de ces associations de faire en sorte que ces personnes-là puissent communiquer et en parler.
32:03 Vous savez, les gens comme moi qui travaillent sur ces missions, on ne demande que ça, parler de ces prouesses techniques, de ce qu'on a réalisé.
32:11 Et voilà, c'est là le rôle de ces associations qui nous permettent de parler aux enfants, et pas seulement aux enfants,
32:22 aussi aux jeunes ingénieurs ou plus vieux également, entendre parler de ces missions, de ces succès.
32:31 Ça inspire tout le monde et ça inspire les gens à essayer de faire des choses similaires, que ce soit dans le domaine spatial ou autre.
32:39 En voyant l'atterrissage sur la Lune il y a plusieurs décennies, ça a inspiré beaucoup d'ingénieurs partout dans le monde à faire de nouvelles choses.
32:52 Donc, ce n'est pas directement inspiré dans le même domaine.
32:55 C'est là où justement notre responsabilité est de communiquer autour de tout ce qu'on réalise, l'aspect scientifique, l'aspect technologique.
33:04 Et voilà, le public veut entendre parler de ces prouesses.
33:10 Donc, tout le monde est inspiré par ces prouesses-là, c'est ça notre responsabilité.
33:15 Et c'est d'avoir aussi une visibilité sur les véritables repères, les acteurs aujourd'hui. Ça, c'est important.
33:25 Oui, donc ça c'est aussi une chose sur laquelle les États-Unis portent beaucoup d'intérêt.
33:34 Donc, essayer d'avoir de la représentation est très importante.
33:40 Par exemple, cette jeune génération qui vient de Cité, qui pense que justement ils n'ont pas les opportunités de pouvoir devenir ingénieur ou autre.
33:50 Ce n'est pas totalement vrai, mais la raison pour laquelle ils pensent cela, c'est parce que lorsqu'ils allument la télé, qu'ils regardent la télé,
33:57 les ingénieurs qu'ils entendent parler ne leur ressemblent pas. Ils n'ont pas des noms similaires, ils ne leur ressemblent pas.
34:03 Donc, aux États-Unis, ils sont très méticuleux. Ils font en sorte d'avoir cette représentation.
34:09 Donc, si vous regardez les gens qui parlent de nos missions de la NASA, il y a énormément de personnes qui viennent des minorités.
34:18 Que ce soit hommes, femmes, latinos ou au Moyen-Orient ou autre, c'est une très bonne représentation.
34:26 Et ça, c'est la mise en valeur, en exergue, d'une réussite sociale et humaine d'un pays.
34:32 Parce que si on ne valorise pas la diversité au sens intellectuel du terme, ça veut dire qu'au sein de notre société, le cadre est bancal.
34:41 Et une autre chose qui est très importante, c'est que la diversité est cruciale pour l'innovation.
34:51 Donc, lorsqu'on parlait un petit peu de ça tout à l'heure, le fait que les gens que les écoles où on embauche, ce sont souvent les mêmes en France.
35:05 Aux États-Unis, ce n'est pas le cas. Vous pouvez penser qu'au sein de la NASA, on n'a que des ingénieurs de la NASA ou de Stanford ou de Caltech.
35:12 Ce n'est pas le cas. Il y a une très, très grande diversité au niveau des écoles. Et donc, ça, c'est l'un des points de vue.
35:23 Donc, les écoles, c'est une diversité. Mais ensuite, il y a aussi l'histoire personnelle qui est aussi très importante.
35:33 Donc, d'où vous venez ? Quelle est votre histoire personnelle ? Quelle est votre ethnicité ? Quelles sont vos religions ?
35:41 Tout ça, c'est des choses qui vous impactent personnellement, qui vous permettent d'amener une nouvelle approche pour résoudre des problèmes complexes.
35:49 Et ça, c'est très, très, très bien compris aux États-Unis. Et c'est pour ça que, lorsque l'on embauche des ingénieurs, on fait beaucoup attention à cette diversité.
35:59 [SILENCE]

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