Le débat de RTL du 22 novembre 2023
Regardez Le débat du 22 novembre 2023 avec Yves Calvi et Amandine Bégot.
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00:02 7h, 9h
00:05 RTL matin. - Il est 8h19, bonjour Arthur Chevalier. - Bonjour. - Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL.
00:11 Vous êtes historien, auteur du "Cahiers Rouges", des "Femmes de Napoléon", un livre paru je le rappelle aux éditions Grasset.
00:16 Alors aujourd'hui sort dans les salles de cinéma le film réalisé par Ridley Scott qui retrace une partie de la vie et des conquêtes de notre empereur.
00:22 Est-ce que vous l'avez vu et si oui qu'en avez-vous pensé ?
00:26 Oui je l'ai vu et je l'ai adoré, je crois d'ailleurs que je suis un des seuls historiens à l'avoir aimé pour le coup.
00:30 Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous touche dans ce film ?
00:32 J'ai trouvé que c'était déjà une des propositions artistiques et esthétiques les plus fortes sur Napoléon, en tout cas en matière de cinéma depuis excessivement longtemps.
00:39 Peut-être la plus originale d'ailleurs. Ridley Scott a demandé à Joaquin Phoenix de jouer un Napoléon renfronié,
00:46 d'une grande vulgarité, d'une grande brutalité.
00:49 C'était pas exactement l'intégralité de sa personnalité mais en tout cas c'était une partie de lui et c'est très original.
00:55 Donc ça n'est pas faux ?
00:57 Non, c'est pas faux. Honnêtement c'est disproportionné mais on ne peut pas dire non.
01:01 C'est du cinéma.
01:03 Déjà c'est du cinéma et puis ensuite on ne peut pas dire non plus que Napoléon était tous les jours un monstre de raffinement.
01:07 Il avait de la vulgarité, de la brutalité en lui, c'est pas inepte.
01:10 En tout cas votre analyse est très intéressante parce que le film est extrêmement critiqué en gros par la presse en ce moment.
01:14 Et vous, vous nous dites "Historien, j'ai pris du plaisir, il y a de très bons moments dans ce film".
01:18 Il y a de très bons moments dans ce film, il y a des anachronismes mais après tout c'est le lot de tous les films historiques, ça n'aurait pas de sens de lui reprocher.
01:23 C'est exactement d'ailleurs ce que nous disait Stéphane Boutsoc ce matin.
01:25 Au-delà des polémiques qui fleurissent déjà sur la vérité, la véracité on pourrait dire historique du film,
01:30 on avait envie de savoir quelle place conserve encore Napoléon finalement dans la vie et dans le cœur des Français.
01:35 L'Empereur est vraiment une passion française ?
01:37 Je pense que l'Empereur est une passion française pour une raison très simple qui est que nous marchons au milieu de Napoléon au quotidien sans le savoir.
01:44 Nous marchons au milieu de numéros de rues qui ont été déterminés par Napoléon.
01:47 Nous vivons dans un code civil, dans un système judiciaire déterminé par Napoléon.
01:51 Nous vivons évidemment dans un pays qui est vu à travers les yeux du monde,
01:56 aussi par le prisme de Napoléon puisque c'est un de nos personnages les plus connus à l'étranger, c'est un produit d'exportation formidable.
02:01 Donc nous nous vivons malgré nous comme des héritiers de Napoléon, même ceux qui ne l'aiment pas.
02:05 Mais alors vous me dites finalement Napoléon est partout ?
02:08 Napoléon est absolument partout, il est dans notre quotidien.
02:10 Et il est moderne ?
02:11 Il est excessivement moderne puisque Napoléon c'est la version rationalisée, structurée de la Révolution française et beaucoup mieux d'ailleurs.
02:18 Il en est la statue parce que imaginez un peu ce qu'aurait été la Révolution s'il n'y avait pas eu Napoléon.
02:22 Ça aurait été 10 ans de chaos, des têtes coupées, un roi tué.
02:26 Napoléon tout à coup a apporté une structuration, une harmonie.
02:29 Il a donné du sens à cette aventure et il en a créé évidemment la meilleure des conséquences, c'est-à-dire les fondations de la République.
02:35 C'est ce que j'allais vous demander, est-ce qu'on peut dire qu'il a contribué à la construction de la France moderne ?
02:41 Est-ce qu'il nous fait rentrer dans une forme de modernité, quels que soient les propos qu'on peut tenir sur lui ?
02:46 Napoléon, qu'on le veuille ou non, ça a été un personnage qui n'a pas beaucoup aimé la liberté, qui avait un autoritarisme en lui, très bien.
02:52 Mais une fois qu'on a dit ça, Napoléon est à l'origine de ce qu'on pourrait appeler la rationalisation de l'exercice de l'État.
02:58 C'est une des définitions de la modernité, c'est-à-dire que par exemple c'est grâce à lui que nous avons un État de droit,
03:03 c'est-à-dire un système judiciaire qui fait que quand vous entrez dans une cour de justice, vous savez ce pour quoi vous pouvez être jugé.
03:09 C'est contre l'arbitraire si vous voulez.
03:11 Évidemment, il a énormément contribué à l'égalitarisme républicain, puisqu'il a beaucoup fait pour qu'il y ait une égalité des chances.
03:17 Évidemment pas parfaite, on est à la fin du XVIIIe siècle, au début du XIXe, mais enfin il a beaucoup contribué à ça.
03:23 Très important aussi, le fonctionnement du gouvernement qui nous a marqué de façon définitive,
03:29 puisque la suprématie du pouvoir exécutif sur les autres pouvoirs, c'est quelque chose de très français.
03:35 Il a en cela d'ailleurs beaucoup prolongé les rois de France, mais enfin il l'a quand même réaffirmé après 10 ans de parlementarisme un peu anarchique de la part de la Révolution française.
03:43 On lui doit donc toute une tradition dans laquelle on évolue aujourd'hui, et qui s'appelle la modernité.
03:48 - Alors je reviens au personnage, si je puis dire, qui était vraiment Napoléon ? Vous pouvez répondre à cela.
03:52 - Bien sûr, Napoléon c'était... Déjà il faut partir d'une chose, c'est que Napoléon c'est la personne qui a le plus réformé la France, avant et après lui.
04:00 Donc ça, quelqu'un qui a le plus travaillé et le mieux travaillé pour un chef d'Etat.
04:05 - Là vous me répondez par son bilan, ma question était plus intime, je vous parle du personnage.
04:08 S'il tentait qu'on puisse avoir finalement aujourd'hui un portrait raisonnable et logique du personnage ?
04:14 - Comme Napoléon était d'abord et avant tout un monstre de séduction, il a été comme tous les gens très séducteurs,
04:19 1000 personnes en même temps, puisqu'il adaptait sa personnalité à ce avec qui il était.
04:23 Donc déjà pour comprendre Napoléon, il faut comprendre que c'est quelqu'un qui avait un charisme et un charme absolument inouï,
04:27 qui était capable de se fondre dans n'importe quel milieu social et de se...
04:32 - Donc là vous décrivez un personnage irrésistible.
04:34 - Irrésistible, c'est le mot. Irrésistible, c'était quelqu'un de très bavard, qui quand il parlait avait beaucoup de charisme,
04:38 c'était quelqu'un aussi de très autoritaire évidemment, qui avait une capacité de travail phénoménale.
04:43 C'était aussi, disons, pardon pour cette caricature, mais il avait quelque chose de ce qu'on appellait le méditerranéen,
04:48 c'est-à-dire qu'il avait parfois le sang un peu chaud, il n'hésitait pas à penser qu'il pouvait faire mieux que tout le monde si les autres traînaient trop.
04:56 Évidemment, il fonctionnait à la colère aussi, c'était quelqu'un au quotidien, il ne faut pas dire le contraire, de souvent insupportable, c'est clair.
05:02 Donc ce n'était pas une personnalité très aimable, parce qu'il était très égoïste, la seule personne qu'il ait jamais véritablement aimé, c'est sûrement que sa femme.
05:09 Mais enfin, il était admirable.
05:11 - Tyrannique, autoritaire ?
05:13 - Dans le sens humanitaire, oui, pas dans le sens politique, caractériel, clairement, oui, très caractériel.
05:17 - Alors dites-moi, Napoléon et les femmes, ça donne quoi finalement ?
05:21 - Alors c'est assez paradoxal, parce qu'on dit beaucoup que Napoléon a été misogyne, parce qu'effectivement il est à l'origine d'un code civil, moi je ne crois pas non plus.
05:27 Puisque tout simplement, Napoléon a été entouré de femmes, et il est au fond, c'est celle qu'il écoutait le plus, je veux dire, il écoutait énormément sa mère.
05:35 Je le disais, Joséphine, justement, c'est littéralement sa seule part de pureté, c'est la seule personne qu'il a véritablement aimée, qu'il a véritablement écoutée.
05:42 Hortense, la fille de Joséphine, il l'adorait aussi, il était entouré par ses sœurs, qui avaient une influence considérable sur lui.
05:47 Donc pour une personne soit disant misogyne, il a quand même été entouré de beaucoup de femmes, il a été influencé par elles, oui.
05:52 - Je parlais d'une passion française, pour le reste du monde, qui est Napoléon ?
05:56 - Napoléon suscite des passions tout à fait inattendues, et parfois inimaginables, vues de Paris si je puis dire, puisque par exemple, il a une popularité extraordinaire en Russie,
06:04 il a une popularité extraordinaire en Chine, bon c'est pas de grande démocratie, je suis d'accord, mais il est aussi très populaire aux Etats-Unis, en Angleterre n'en parlons pas.
06:11 Ils sont absolument fascinés par Napoléon, vous avez autant de rayonnage sur Napoléon que sur Churchill dans les librairies anglaises, c'est une vie intellectuelle très riche.
06:18 Napoléon à l'international est vu effectivement comme un dictateur, un conquérant, ça c'est vrai, globalement, ça ne les gêne pas beaucoup dans la dictature, ça les gêne plus dans les démocraties,
06:25 mais ce qui est sûr et certain, c'est que la fascination est intacte.
06:27 - Il nous dirait quoi du monde d'aujourd'hui Napoléon ? Alors là on se pense dans un exercice de style, mais je sais que vous pouvez vous...
06:32 - Il nous dirait... - ...avoir la curiosité.
06:34 - Moi je pense que je suis convaincu qu'il nous dirait qu'on a perdu toute notion d'ordre public,
06:38 il penserait que personne ne travaille et il penserait que c'est l'irresponsabilité la plus complète.
06:42 Ce n'est pas mon avis, ce serait le sien.
06:43 C'est-à-dire par là que Napoléon c'était la culture du résultat.
06:45 Et on oublie parfois que la génération qui a travaillé autour de lui, c'est une génération absolument extraordinaire.
06:50 Les ministres qui entouraient Napoléon étaient des gens extraordinaires et il leur imposait d'avoir des résultats en permanence
06:55 et il ne pouvait pas tolérer qu'on échoue à la tête du pays.
06:58 Peut-être qu'on pourrait en tirer quelques conclusions.
07:00 - Qu'est-ce qu'il faut mettre en avant dans le film de Ridley Scott, à la lumière de tout ce que vous venez de dire à l'instant ?
07:05 - Moi je pense qu'il faut mettre en avant, on en parlait de Napoléon en vue de l'étranger, la culturation du phénomène.
07:10 C'est-à-dire que Napoléon devient tout à coup le Napoléon de tout le monde.
07:13 C'est un phénomène mondial, c'est un produit d'exportation.
07:15 Ridley Scott se l'est approprié, il en propose une version très singulière mais après tout, pourquoi pas ?
07:20 Il est vrai qu'il en sort un peu ébouriffé, c'est une vision très anglaise de Napoléon.
07:23 Mais enfin c'est le lot de la popularité et des triomphes de se dépasser eux-mêmes.
07:26 - Apparemment il va y avoir une seconde mouture du film avec un deuxième montage
07:30 puisque là on a une impasse par exemple sur l'arrivée de Napoléon en Russie.
07:36 - C'est-à-dire que Ridley Scott a dû couper son film pour le cinéma qui fait à peu près 2h40.
07:39 Alors dans la version longue, évidemment, ça sera 4h10.
07:41 Oui, il y a beaucoup de coupures, puisqu'évidemment, imaginez un peu, une vie aussi riche,
07:45 comment la reproduire de façon intégrale, ça serait impossible.
07:47 Donc il a fait des choix avec des ellipses.
07:49 - Merci beaucoup Arthur, de nous avoir parlé une fois de plus de Napoléon.
07:53 Je renvoie à votre cahier rouge "Les femmes de Napoléon" paru aux éditions Grasset
07:56 puis donc la sortie du film de Ridley Scott aujourd'hui.
07:59 - Merci. - Merci à vous.