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Georges Bensoussan, historien et auteur de "Les origines du conflit israélo-arabe" aux éditions Que sais-je, répond aux questions de Sonia Mabrouk au sujet du symbole de L’hôpital Al-Chifa à Gaza, de la position de la France dans le conflit israélo-palestinien, de la guerre de civilisations qui se dessine et de la possibilité de l'existence de ces deux états.

Retrouvez "La Grande interview Europe 1 - CNews de Sonia Mabrouk" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linterview-politique-de-8h20
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News
Transcription
00:00 Et place donc à la grande interview sur CNews et Europe 1.
00:08 Bonjour à vous, Georges Bensoussin.
00:09 Bonjour Sonia Mavrouk.
00:10 Et bienvenue.
00:11 Vous êtes historien, vous êtes l'auteur de cet ouvrage,
00:14 "Les origines du conflit israélo-arabe".
00:16 C'est important avec vous, Georges Bensoussin,
00:17 d'essayer d'avoir un peu de recul dans ce contexte inflammable.
00:21 Et il y a en ce moment un hôpital qui concentre toutes les attentions
00:24 et qui est le symbole d'une situation inextricable,
00:26 l'hôpital Al-Shifa à Gaza.
00:27 Hier, Emmanuel Macron a condamné avec la plus grande fermeté
00:31 le bombardement de cet hôpital.
00:33 Les États-Unis démentent,
00:34 avoir donné le feu vert à Israël pour intervenir.
00:37 Et l'armée israélienne, depuis hier,
00:39 publie des images de stocks d'armes et d'uniformes de Hamas.
00:42 Georges Bensoussin, de quoi cet hôpital est devenu le symbole aujourd'hui ?
00:45 Cet hôpital Al-Shifa est le centre de commandement du Hamas
00:48 depuis les années 2007-2008.
00:50 L'ONU, en 2009, avait déjà dénoncé l'hôpital Al-Shifa
00:54 pour cacher des armes sous les salles d'opération,
00:57 sous les salles de pédiatrie, etc.
00:59 Mahmoud Abbas avait dit la même chose en 2014,
01:01 mais ça on l'a oublié.
01:03 Et donc, depuis longtemps, c'est un secret de polychinelle en Israël,
01:05 mais comme dans tous les États-majors,
01:07 que l'hôpital Al-Shifa, c'est le centre de commandement.
01:09 Alors, la question pour Israël était la suivante.
01:12 Faut-il ou non s'attaquer au centre de commandement du Hamas
01:15 alors qu'il est situé sous un hôpital ?
01:17 Et ce à quoi on a assisté hier,
01:18 c'est que l'armée israélienne a pris l'hôpital sans donner l'assaut.
01:21 Elle ne l'a pas détruit.
01:23 Souvenez-vous de l'hôpital de Mossoul.
01:25 Quand les Américains l'ont pris, ils l'ont rasé littéralement.
01:28 Hier, on a vu les images, ils n'ont rien détruit.
01:30 Ils sont entrés par le service des urgences,
01:33 puis ils ont gagné les souterrains,
01:34 ils ont assuré la vie et la survie,
01:36 ils ont apporté du matériel médical.
01:39 On est en présence dans ce conflit d'une inversion des réalités,
01:43 d'un retournement de l'agresseur en agressé,
01:46 qui stupéfie et qui, je crois, stupéfiera les historiens dans 20 ans.
01:50 C'est quelque chose de très significatif,
01:52 ce qui est en train de se passer ici.
01:54 - Avec, je l'ai dit hier, non pas l'aval,
01:57 mais en tout cas, tout cela est nourri par les déclarations aussi des pays occidentaux.
02:02 Quand je vous cite ce que dit le président français,
02:04 le président américain,
02:05 est-ce qu'il contribue par ses déclarations à cette inversion ?
02:09 - Alors, le président américain est tenu à une certaine neutralité,
02:11 mais on se demande pourquoi Washington devrait donner le feu vert
02:15 à l'armée israélienne pour lancer une offensive.
02:17 Les intérêts de l'État d'Israël dépendent de l'État d'Israël et de lui seul.
02:21 En revanche, en ce qui concerne la déclaration du président Macron,
02:25 il est difficile de la commenter parce qu'elles sont erratiques,
02:27 elles sont absolument illisibles.
02:29 On ne comprend plus rien, ni en politique étrangère, ni en politique intérieure.
02:32 - Pourtant, Georges Ben Soussan, hier encore, le président,
02:34 affirme justement que ce ne sont pas des revirements,
02:37 mais c'est une situation et une politique d'équilibre, a-t-il dit ?
02:40 - D'équilibre entre qui et qui ?
02:42 Entre un agresseur et un agressé ?
02:44 Toute la subtilité de ce conflit, et c'est le drame d'ailleurs,
02:47 pour les deux partis, palestinien et israélien,
02:50 c'est que les apparences donnent tort à l'État d'Israël,
02:52 alors qu'en l'occurrence, ici, il a été agressé le 7 octobre.
02:55 Alors, que fallait-il faire ? Ne pas réagir ?
02:57 Il devait réagir. Il a eu 1 400 morts en une journée,
03:00 l'équivalent de 12 000 tués en France.
03:03 Est-ce que la France n'aurait pas réagi ?
03:04 40 000 tués aux États-Unis. Les États-Unis n'auraient-ils pas réagi ?
03:08 On sait comment les États-Unis auraient réagi.
03:09 Ils auraient tout détruit sur leur passage.
03:12 Ce n'est pas le cas de l'État d'Israël.
03:13 - C'est intéressant ce que vous dites, Georges Ben Soussan,
03:14 parce qu'il y a quelques jours, sur cette antenne, sur CNews,
03:17 l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin a exhorté Israël
03:21 à ne pas répéter les erreurs du passé,
03:23 et en particulier les erreurs des États-Unis,
03:26 qui, dit-il, en luttant contre le terrorisme,
03:29 a fini par nourrir la bête immonde du terrorisme.
03:31 Est-ce que ce n'est pas ce qu'est en train de faire Israël ?
03:33 - Alors, il a raison, Dominique de Villepin, sur la première partie.
03:36 Effectivement, réagir comme les États-Unis, c'est nourrir la haine,
03:39 nourrir le ressentiment et nourrir, élever les nouvelles générations terroristes.
03:44 Il se trouve que l'État d'Israël, on le voit,
03:47 il suffit simplement d'écouter les correspondants militaires,
03:49 il suffit d'écouter les généraux qui s'expriment sur différents plateaux,
03:52 n'a pas la même position, la même tactique militaire que celle des États-Unis.
03:57 Ils ne détruisent pas tout systématiquement sur leur passage,
03:59 ils avancent lentement, progressivement.
04:01 Il y a déjà plus de trois semaines qu'ils ont lancé cette offensive autour de Gaza,
04:05 sur un territoire extrêmement réduit.
04:06 Ça signifie qu'ils veulent réduire les pertes des deux côtés,
04:09 non pas des terroristes du Hamas,
04:11 ceux-là, évidemment, ils les ont en ligne de mire.
04:13 Mais des populations civiles,
04:15 ils sont conscients qu'il faut préparer l'avenir.
04:17 Un jour ou l'autre, il faudra vivre avec ces populations.
04:20 - C'est-à-dire préparer l'avenir ?
04:21 Parce que ce que reprochait Dominique de Villepin,
04:23 c'était seulement une stratégie militaire
04:25 et pas la moindre voie ni opportunité politique.
04:28 - Écoutez, si l'État d'Israël,
04:31 et je ne suis pas ici son porte-parole,
04:33 n'avait eu qu'une stratégie militaire,
04:35 ils auraient déjà détruit en 48 heures l'ensemble de la zone de Gaza City.
04:40 Donc les propos de Villepin sont ineptes.
04:43 - Ineptes, dit-on ?
04:44 - Absolument ineptes, oui.
04:47 - C'est lourd de sens, le venant de votre part.
04:49 - Oui, lourd de sens, je le redis.
04:50 Absolument ineptes.
04:50 - Ça vous a un peu interpellé ?
04:53 - Ce sont des propos partiels et partiaux.
04:56 Ce ne sont pas des propos d'un homme qui se veut au-dessus de la mêlée,
04:59 qui tente de ramener la paix et le calme dans la région.
05:02 Si vous faites d'une seule partie le coupable,
05:06 par définition et par éternité, vous ne serez pas entendu par lui.
05:09 Il faut voir les torts des deux côtés
05:12 et voir comment ménager l'avenir demain.
05:14 Parce que ce qui se passe entre Israéliens et Palestiniens,
05:17 c'est ce qui s'est passé entre Allemands et Français en 1919.
05:19 Vous savez ce que disait Clémenceau, le père de la victoire,
05:22 cette très grande figure française, en 1919 ?
05:25 Il disait "il faut nous accommoder de ces 70 millions d'hommes et de femmes
05:29 qui vivent à côté de nous".
05:30 Il avait l'attitude la plus respectable sur ce plan-là,
05:33 alors que Foch était partisan d'une position très dure.
05:36 C'est Clémenceau qui avait raison.
05:37 Et l'état-major israélien n'est pas composé d'un ramassé d'imbéciles.
05:41 Ils savent très bien qu'il faudra demain s'accommoder de cette population
05:44 et vivre avec eux en bonne intelligence.
05:47 - Pour préparer l'avenir ? - Ce n'est pas facile.
05:48 - Bien sûr. Et demain, Georges Bensoussin,
05:50 encore faut-il reconnaître plaitement ce qui s'est passé le 7 octobre.
05:54 Ce n'est malheureusement pas le cas pour certains, pour beaucoup.
05:56 Les vidéos des massacres ont été diffusées
05:59 à une partie de la presse, également aux parlementaires français.
06:02 La question se pose, est-ce que de telles images
06:04 pourraient un jour être diffusées à un large public
06:06 et est-ce qu'elles pourraient servir, selon vous,
06:09 à contrer le poison du négationnisme ?
06:12 - C'est une question difficile que vous posez là.
06:14 Est-ce qu'elles seraient utiles dans une diffusion massive ?
06:16 Je n'en suis pas forcément certain.
06:18 Elles pourraient convaincre les gens qui de bonne foi doutent, certainement.
06:21 Mais il y a un certain nombre de gens qui doutent par principe.
06:24 C'est-à-dire dès lors qu'ils ont défini l'agresseur, le coupable,
06:28 par essence, si vous voulez,
06:30 toutes les images que vous pourrez leur montrer
06:32 ne leur suffiront pas comme preuve.
06:33 A fortiori, quand l'intelligence artificielle s'en mêle,
06:36 pourront vous dire que ce sont des montages,
06:37 ce sont des fake news,
06:39 ce sont des images fabriquées par les Israéliens.
06:43 À partir du moment où vous avez décidé
06:45 qu'une des parties est coupable par essence,
06:49 ontologiquement coupable, si vous voulez,
06:51 vous pouvez apporter toutes les preuves que vous voulez.
06:53 - Pourquoi ? Parce que c'est visuel ?
06:55 - Je termine d'un mot.
06:56 C'est un peu comme les négationnistes de la Shoah.
06:58 Apportez-leur 10 000 preuves de l'existence aux Schwitz,
07:01 ils ne vous croiront pas.
07:02 Et même, ils diront que plus vous apportez des preuves
07:05 et plus c'est la preuve qu'il y a un complot juif
07:07 pour démontrer la pseudo-existence
07:10 de l'extermination des Juifs d'Europe.
07:12 Vous êtes en présence d'une logique mentale
07:14 contre laquelle la raison a peu de prise.
07:16 C'est ça qu'il faut comprendre.
07:17 Donc, pour revenir à votre question,
07:19 est-ce que ce serait très utile auprès du grand public,
07:21 j'en suis pas certain, auprès des responsables,
07:24 auprès des décideurs, auprès des politiques,
07:25 auprès des journalistes,
07:27 auprès même peut-être d'un certain nombre d'enseignants
07:28 qui le voudraient bien, pourquoi pas ?
07:30 Oui ?
07:31 - C'est assez inquiétant parce que c'est une situation unique,
07:34 inextricable que vous décrivez, Georges Ben Soussan,
07:38 et puis il y a aussi ce qui se passe en Cisjordanie,
07:40 on en parle peu.
07:41 Comment vous décrivez ce qui est en cours en Cisjordanie ?
07:45 - C'est en cours en Cisjordanie, je le crée de deux façons.
07:47 Premièrement, les agissements que laissent faire
07:50 ces deux ministres illuminés que sont Bengvir et Smotrich
07:54 sont le résultat, hélas, d'un refus arabe systématique
07:59 qui a nourri le radicalisme juif.
08:01 Si vous voulez, l'extrémisme des uns nourrit l'extrémisme des autres.
08:04 Et ça, c'est une tragédie.
08:06 La deuxième chose, c'est que je suis convaincu,
08:08 pour connaître la société israélienne,
08:10 que Bengvir et Smotrich ne représentent presque plus personne en Israël.
08:13 Certes, une minorité de l'électorat, peut-être 15 %,
08:17 mais un sondage dans Ma'ariv, le grand quotidien israélien publié hier,
08:21 disait que 74 % des Israéliens faisaient confiance à Daniel Hagari,
08:25 le porte-parole de l'armée,
08:28 et 4 % seulement faisaient confiance à Netanyahou
08:30 quand il s'exprimait sur les opérations militaires.
08:33 Ça veut dire que ce gouvernement n'est plus crédible
08:36 auprès de la masse des Israéliens.
08:37 Si demain, il y avait des élections, il serait balayé.
08:40 La colère, de ce qui me revient, d'un certain nombre de sources israéliennes,
08:45 la colère contre l'équipe dirigeante est intense.
08:48 Et en particulier contre ces deux excités-là,
08:52 dont je rappelle quand même que dès qu'il y a eu les agissements
08:55 si jordaniques, ils ont laissé faire,
08:57 les résidents des implantations, les colons,
08:59 avec des armes, ont distribué des armes.
09:01 Yoav Galand, ministre de la Défense,
09:04 Herthi Alevi, chef d'état-major,
09:06 et le chef du Chabac, le service de sécurité intérieure,
09:09 ont convoqué Bengvir pour lui dire de faire cesser cela immédiatement.
09:13 À quoi Bengvir a rétorqué
09:14 "Je n'ai pas d'ordre à recevoir du ministre de la Défense".
09:18 Voilà la situation.
09:18 Donc je veux dire par là que ce qui se passe en Cisjordanie est déplorable,
09:22 mais je pense que ce n'est qu'une parenthèse.
09:24 Quand les armes se tairont,
09:26 quand il sera venu le moment de rendre des comptes,
09:28 ces deux-là rendront des comptes et ce gouvernement sera balayé.
09:32 Il y a aussi les conséquences, évidemment, en France.
09:34 Georges Ben Soussan,
09:34 quelle suite après la marche contre l'antisémitisme ?
09:37 Les actes antisémites explosent.
09:38 Indignation ce matin après les dégradations
09:41 sur une dizaine de stèles juives dans l'Oise.
09:43 Est-ce que le président de la République aurait dû y être ?
09:46 Est-ce que c'était un symbole ?
09:48 Ou est-ce que finalement, vous dites
09:49 "Bon, sa présence n'était pas si nécessaire que cela".
09:51 À partir du moment où la lutte contre l'antisémitisme,
09:54 la lutte contre le racisme,
09:56 la lutte contre les actes anti-musulmans,
09:58 s'ils venaient à proliférer dans le pays,
09:59 sont une cause nationale
10:00 parce que ça porte atteinte à la paix civile.
10:03 Alors, le président de la République a sa place dans la marche,
10:07 François Mitterrand l'avait montré,
10:08 pour une exaction qui était infiniment moindre
10:11 que ces 1 500 et quelques actes antisémites
10:15 déplorés en un mois, je crois, moins cinq semaines.
10:18 Oui, Emmanuel Macron avait sa place dans la marche,
10:21 il a fait une erreur politique.
10:23 Comment est-il arrivé à la conclusion
10:25 qu'il ne fallait pas être là ?
10:26 Certains citent les conseils.
10:29 En tout cas, a-t-il été influencé par des voix
10:31 comme celle de Yassine Belattar,
10:33 condamné pour menace de mort,
10:35 qui aurait, selon le magazine Express,
10:37 conseillé les conseillers du président ?
10:40 Quand même, avec cette phrase, je trouve édifiante.
10:43 Il aurait dit "ce serait une erreur irréparable d'être présent".
10:47 Pour le président.
10:48 Écoutez, si les faits sont avérés, je n'en sais rien,
10:51 si les faits sont avérés,
10:52 s'il a pris conseil par le biais de ses conseillers,
10:54 bien sûr, auprès de Yassine Belattar,
10:56 qui est un humoriste, rappelons-le,
10:57 qui n'est pas un politique, ni un journaliste,
10:58 ni un intellectuel.
11:00 Alors, c'est à peu près de la même eau
11:02 que la minute de silence qui a été respectée
11:06 à l'Assemblée nationale pour la mort de Nahel,
11:08 fin juin ou début juillet, je crois, 2023.
11:11 Est-ce qu'on imagine le général de Gaulle
11:13 prendre conseil auprès d'un humoriste
11:15 avant de prendre une décision capitale ?
11:17 Imagine-t-on le général de Gaulle recevoir Fernand Reynaud
11:20 pour lui demander ce que pourrait penser la France profonde
11:22 de sa participation à telle ou telle action ?
11:25 Où en est arrivée la fonction présidentielle ?
11:28 Où en est-on arrivé dans la désinstitutionnalisation
11:30 de la société ?
11:31 Au sens où le principe d'autorité s'est effondré
11:34 et où cette présidence-là ne l'incarne plus ?
11:37 - Abaissement de la fonction et crainte aussi.
11:41 Est-ce qu'Emmanuel Macron a peur ?
11:42 Hier, sur cette antenne également, en tout cas sur CNews,
11:45 on a entendu Éric Zemmour, dans l'émission Leur Dépro,
11:48 affirmer que c'est le président de deux peuples.
11:51 C'est une phrase lourde de sens,
11:53 de deux peuples dans un même pays.
11:54 - Je crois que c'est une phrase dangereuse.
11:56 On ne peut pas parler de deux peuples.
11:58 On doit, quand on est un président de la République
11:59 et quand on est un responsable ou un intellectuel,
12:02 continuer à considérer qu'il n'y a qu'un seul peuple,
12:04 même si nous savons qu'en réalité,
12:05 effectivement, les fractions sont terribles,
12:08 les coupures sont là, mais en les disant,
12:11 nous ne faisons que les aggraver souvent.
12:12 Il faut partir de l'idée qu'il ne peut y avoir
12:15 qu'un seul peuple en France et colmater les brèches
12:18 sur le fond et atténuer les tensions
12:20 entre les différentes communautés,
12:21 mais ne pas jouer une communauté contre l'autre,
12:22 surtout pas.
12:23 - Pour conjurer quel risque ?
12:24 Celui d'une guerre de civilisation
12:26 que certains décrivent comme étant déjà présente ?
12:29 - Oui, la guerre de civilisation, elle est là, bien sûr.
12:31 C'est indéniable, c'est vrai.
12:32 - Elle est là ? On la vit ?
12:33 - Bien sûr qu'on la vit.
12:34 - Face à qui, Jean-Jean Bensoussan ?
12:36 - C'est-à-dire qu'il y a un certain nombre,
12:38 une partie de cette population
12:40 qui s'insurge contre les valeurs de l'Occident,
12:42 contre les valeurs des Lumières
12:43 et qui prône à une forme de séparatisme,
12:45 de communautarisme au nom d'un islam intégraliste
12:48 ou littéraliste, qui n'est pas l'islam du quotidien
12:51 de la masse des musulmans français,
12:52 qui est l'islam d'une petite minorité
12:54 mais qui fait entendre sa voix,
12:55 une voix démesurée, qui a un écho considérable.
12:57 - Quand je pense que vous l'avez dénoncé depuis tant d'années,
12:59 je rappelle à chaque fois cet ouvrage
13:01 sur les territoires perdus de l'Olympique
13:02 que vous avez dirigé il y a combien de temps ?
13:04 - 21 ans.
13:05 - 21 ans.
13:06 Boalem Sansal a alerté la France et dit
13:09 "Mais ce qui est arrivé en Algérie
13:10 dans cette terrible décennie noire, période noire,
13:13 peut arriver en France."
13:14 - Oui, il l'a dit, il l'a redit à plusieurs reprises,
13:17 il n'a pas été écouté.
13:18 Il est maintenant menacé en Algérie,
13:19 vous le savez peut-être directement,
13:21 directement menacé.
13:21 - Alors qu'il vit sur place.
13:22 - Alors qu'il vit sur place,
13:23 il est témoin il y a encore deux ou trois mois,
13:26 je ne révèle aucun secret en disant
13:27 qu'il est maintenant en danger,
13:28 et en grave danger en Algérie.
13:30 Oui, effectivement, tout ça a été dénoncé depuis longtemps,
13:33 on n'a pas voulu entendre.
13:34 La politique du pire, c'est celle qui consiste
13:37 à mettre un silence gêné sur toutes ces réalités.
13:39 Mais ce n'est pas en disant qu'il y a deux peuples,
13:41 forcément aujourd'hui, qu'on va colmater les brèches.
13:44 On peut constater sociologiquement
13:46 que deux peuples se dressent l'un contre l'autre,
13:48 et encore, nuançons quand même le propos,
13:50 mais il faut faire en sorte de réparer
13:54 ce qui risque d'être un divorce considérable.
13:56 - Même si c'est un ancien ministre de l'Intérieur
13:58 qui avait dit "attention, côte à côte,
14:00 il y a d'autres en face".
14:01 - Pourquoi ?
14:02 Parce qu'il avait compris, lui, comme d'autres d'ailleurs,
14:05 avant lui, que la meilleure façon
14:08 de réparer une société civile qui se déchire,
14:10 c'est de désigner ce qui est en place,
14:12 de mettre des mots, MOTS sur les mots MAUX,
14:16 et surtout de ne pas pratiquer la politique du pire
14:18 qui consiste à dire "circulez, il n'y a rien à voir,
14:20 on met la poussière sous le tapis".
14:22 Ça c'est important.
14:22 Et ce qui se passe avec le conflit israélo-arabe,
14:26 israélo-ramas, plutôt en l'occurrence ici,
14:29 c'est effectivement le miroir
14:30 de ce qui est en train de se passer en France.
14:32 Vous avez...
14:33 - Le miroir ?
14:34 - Le miroir, oui, dans la mesure où vous avez...
14:36 - Nous pourrons avoir exactement les mêmes conséquences, alors ?
14:38 - Pas forcément les mêmes conséquences,
14:39 mais vous avez une partie de la population
14:41 qui manifeste avec comme slogan
14:43 "la Palestine sera libre de la mer au Jourdain",
14:46 c'est-à-dire "éradication de l'Etat d'Israël",
14:48 c'est-à-dire que là on est avec des slogans
14:50 qui sont des slogans de guerre civile.
14:52 - Alors pour conclure, Georges Ben Soissons,
14:53 qui aujourd'hui, qui croit en la solution des deux États ?
14:58 Qui ?
14:59 Il le croit vraiment ?
15:00 - Aujourd'hui la situation est prématurée
15:03 pour poser la question dans de tels termes
15:05 parce que ce que le Hamas a fait le 7 octobre,
15:07 c'est qu'à certains égards il a ruiné la solution à deux États,
15:10 mais pour l'instant, si vous voulez.
15:11 Mais moi ce qui me frappe,
15:13 et ce sur quoi je voudrais insister,
15:15 c'est que ce conflit a une dimension planétaire
15:17 qu'il ne mériterait pas d'avoir.
15:19 C'est un conflit ridiculement petit
15:20 qui concerne peu de population
15:22 et il enflamme la planète d'un bout à l'autre.
15:24 Il y a une telle passion dans ce conflit
15:26 que la raison a totalement capitulé,
15:28 que les faits ont totalement disparu,
15:29 que les croyances ont emporté sur les faits,
15:32 que chacun croit connaître ce conflit
15:33 et apporte son opinion là-dessus.
15:35 Il y a quelque chose
15:37 qui dans les derniers développements
15:39 m'a fait penser à la guerre d'Algérie,
15:40 c'est le silence de Camus.
15:42 À partir de 1958 après le prix Nobel,
15:44 Camus garde le silence.
15:46 Et je vais vous dire pourquoi.
15:47 Parce que Camus était victime de ce lynchage,
15:50 de ce traficotage des faits,
15:52 de cette mauvaise foi, de ce cynisme
15:55 au moment de la réception du prix Nobel.
15:57 Lorsqu'au moment de réception du prix Nobel,
15:59 cet étudiant algérien lui parle de justice
16:01 à propos des attentats,
16:02 nous sommes en pleine bataille d'Alger.
16:05 Camus lui répond ceci,
16:07 il lui dit "Monsieur,
16:09 aujourd'hui, à l'heure où je vous parle,
16:11 en décembre 1957, à Alger, ma mère,
16:14 est peut-être dans l'un de ces autobus
16:15 qui va exploser.
16:16 Si c'est ça le visage de votre justice,
16:18 je préfère ma mère à la justice."
16:22 Point final.
16:23 Vous connaissez la suite ?
16:24 On a tronqué sa phrase
16:25 et on a gardé que
16:27 "je préfère ma mère à la justice".
16:28 On a oublié tout ce qu'il y avait avant.
16:30 Tout ce qui se passe médiatiquement
16:31 avec le conflit Israël-Hamas aujourd'hui
16:33 me fait penser à cette malhonnêteté
16:35 qui entourait Albert Camus
16:37 et qui l'a condamné,
16:38 ou du moins qui s'est retranché
16:39 dans ce silence jusqu'à sa mort en 1960.
16:41 Un silence de chagrin, profondément,
16:44 parce que c'était sa patrie.
16:45 Eh bien dans ce contexte,
16:46 merci d'avoir pris la parole,
16:47 Georges Bensoussan.
16:48 C'était votre grande interview.
16:49 Je vous remercie.

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