Prise de Parole du député François Ruffin et des salariés d'Onet
Ce mercredi 15 novembre, le député Insoumis de la Somme François Ruffin est venu apporter son soutien aux salariés grévistes de la société de nettoyage Onet, sous-traitante du CHU de Montpellier, accusée de créer de mauvaises conditions de travail.
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00:00 Ça fait 65 jours qu'on est en grève.
00:02 On n'a pas demandé grand chose.
00:06 On a demandé qu'on nous respecte déjà, premièrement.
00:10 Deuxièmement, par rapport à notre temps,
00:12 ils nous donnent beaucoup de travail et pas beaucoup de temps.
00:15 On n'a pas demandé un treizième mois, mais une prime équivalente.
00:18 Même si 50%, 60%, je ne sais pas.
00:20 Non, ils n'ont pas accepté ça aussi.
00:22 Ils ont dit, là, vous n'aurez jamais ça.
00:25 Vous faites la grève pour rien.
00:27 En plus de ça, malgré qu'on fait ce boulot-là,
00:30 ils nous méprisent à la fois.
00:32 C'est comme si c'était des animaux qui travaillaient.
00:35 Parce que la directrice, elle te regarde de haut,
00:37 elle te parle de haut.
00:39 Si moi, je n'étais pas venue travailler,
00:41 elle n'aurait pas eu son salaire aussi.
00:43 Donc, elle a besoin de moi, moi aussi j'ai besoin d'elle.
00:46 Et voilà, il faut qu'on se complète.
00:48 Je ne me lève pas à 4 heures du matin pour venir m'amuser.
00:50 Je viens pour travailler, je suis payée pour quelque chose.
00:53 Donc, je le mérite. Donc, on me respecte.
00:55 Si je n'étais pas là aussi, honnête, je ne serais pas là.
00:58 On est au milieu. C'est nous qui nettoyons l'hôpital.
01:01 C'est nous qui ramassons le sang.
01:03 C'est nous qui ramassons les poubelles.
01:05 C'est nous qui ramassons tous les déchets de l'hôpital.
01:07 Ça veut dire qu'on n'a rien.
01:09 On n'a rien.
01:11 Il n'y a pas de reconnaissance aussi.
01:13 Il n'y a pas de merci.
01:15 Voilà. Il n'y a rien.
01:17 Des fois, on part en pleurant.
01:19 On déprime.
01:21 Mais on tient.
01:23 Moi, la question que je viens poser, c'est où est l'État ?
01:26 L'État, là, il ne veut pas.
01:29 Il ne veut pas. Il a une double responsabilité.
01:32 La première responsabilité, c'est que c'est l'hôpital le donneur d'ordre.
01:35 Et c'est l'État.
01:37 Et l'État doit être le garant de l'ordre social.
01:39 C'est-à-dire le garant d'une certaine justice.
01:41 Or, là, il y a une situation qui est injuste
01:44 sur ces femmes et ces hommes
01:46 qui font le ménage à l'hôpital.
01:49 Et je le dis tout de suite, ce qu'ils rapportent, ce qu'elles rapportent.
01:52 On sait que 1 euro investi dans l'entretien de l'hôpital,
01:57 c'est 10 euros que ça rapporte à la sortie,
01:59 parce qu'on évite des maladies nosocomiales.
02:01 C'est un journal de médecine britannique
02:03 qui a sorti cette information.
02:05 Et c'est entre 8 et 12 maladies nosocomiales
02:07 qui sont évitées par travailleurs.
02:09 C'est-à-dire qu'on peut considérer que chaque travailleur
02:11 rapporte autour de 80 000 euros par an.
02:13 Voilà ce qu'ils rapportent.
02:15 Dire ce que rapporte le travail invisible des agents d'entretien.
02:19 Je veux revenir sur ce que j'ai le plus entendu là.
02:23 Ce n'est pas les salaires d'abord.
02:25 Je vais venir sur les salaires.
02:26 Mais ce que j'ai entendu, c'est le temps.
02:28 Je veux qu'on comprenne, et aussi les syndicalistes, tout le monde,
02:32 qu'on comprenne ce qui se joue aujourd'hui dans le rapport au temps.
02:36 L'objectif des entreprises est de chasser tous les temps morts,
02:40 ils appellent ça.
02:41 De chasser tous les temps improductifs.
02:43 C'est vrai pour les métiers physiques.
02:46 Mais c'est vrai aussi pour les métiers psychiques.
02:48 Il s'agit de faire plusieurs tâches en même temps,
02:50 que ça soit terminé dans l'heure, que ça aille de plus en plus vite.
02:53 Et en fin de compte, je le vois dans la logistique chez moi,
02:57 où auparavant, un gars me disait,
02:59 auparavant quand on faisait 150 colis dans la journée, c'était très bien.
03:03 Maintenant on est passé à 350 et si on veut à la prime, il faut en faire 500.
03:07 Mais je le vois sur les chaînes d'aéronautique,
03:10 où les cadences se sont hyper accélérées,
03:13 les outils arrivent directement dans les mains des travailleurs,
03:16 parce que les 3-4 secondes où on allait chercher l'outil, on les chasse.
03:19 Et en fait, ça c'est vrai partout.
03:21 Que produit cette chasse aux temps morts ?
03:26 Ça produit, je dis que, normalement le travail, ça devrait être de la brasse coulée.
03:31 On fait une tâche, on respire.
03:33 On fait une tâche, on respire.
03:35 Et maintenant, on est passé à l'apnée.
03:37 Et qu'est-ce que j'entends ?
03:39 L'expression "on ne respire plus".
03:42 Vous l'avez entendu, on ne respire plus.
03:44 Et donc, ça veut dire que le travail, qui pour moi,
03:47 peut être une forme de réalisation de soi,
03:50 et bien là, ça devient une souffrance.
03:53 Ça devient une souffrance, ça se porte, on court tout le temps,
03:56 on n'a plus le temps de discuter un petit peu avec ses collègues,
03:58 on n'a plus le temps d'avoir une petite vie sociale sur son lieu de travail,
04:01 on n'a plus le temps de trouver du plaisir un petit peu dans les temps morts,
04:05 on n'a plus le temps même de bien faire son travail,
04:07 parce qu'il y a une fierté à bien faire son travail,
04:09 à bien avoir bien nettoyé sa pièce.
04:11 Et là, on a le sentiment de mal faire son travail,
04:13 parce qu'on ne nous donne pas le matériel,
04:14 parce qu'on nous demande de tout faire en courant.
04:16 Tout ça produit de l'épuisement.
04:19 C'est ce que j'appelle le mal-travail.
04:21 Il a été chiffré, et il coûte environ 100 milliards d'euros par an au pays.
04:26 Et ça produit des inaptitudes, à cause des burn-out, pour les uns,
04:30 ou à cause des troubles musculoskélétiques,
04:33 des épaules qui ne vont plus, du dos qui ne va plus, tout ça.
04:36 Plus de 100 000 personnes chaque année quittent le marché du travail,
04:40 quittent l'emploi, c'est un plan social géant, pour inaptitude.
04:43 C'est un chiffre caché, un chiffre déguisé, un chiffre qu'on ne veut pas voir.
04:47 Mais ce mal-travail qui est mis en œuvre là,
04:50 qui était déjà présent, mais que les pointeuses viennent accélérer.
04:54 La pointeuse, elle est là pourquoi ?
04:55 Pour vérifier que dans chaque bureau, dans chaque toilette,
05:00 dans chaque chambre qui sera nettoyée,
05:02 il n'y aura pas 30 secondes, 15 secondes de perdu.
05:06 Donc ce n'est même pas une surveillance du travailleur sur l'ensemble de son temps,
05:10 c'est du chroménométrage minute par minute.
05:13 Et ça, ça rend...
05:16 J'ai une formule, je dis que les Français, tous les habitants de ce pays,
05:20 doivent vivre de leur travail, bien en vivre et non pas en survivre,
05:24 et aussi bien le vivre.
05:26 Et ça, ça fait qu'on vit mal son travail, quand on est pris comme ça.
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