• l’année dernière
Transcription
00:00 [Musique]
00:14 Ici, on est dans une pièce qui est à l'étage,
00:17 où j'aime m'abstraire de toutes les contingences matérielles en venant ici.
00:23 Pour moi, l'écriture, c'est vraiment un travail solitaire.
00:26 J'ai besoin de me mettre à mon bureau avec des horaires de bureau,
00:31 justement de 9h à 15h.
00:33 Et j'ai besoin que toute la vie quotidienne soit réglée,
00:37 qu'il n'y ait plus rien qui puisse me perturber.
00:39 Alors, ce n'est pas toujours le cas,
00:41 parce que j'ai aussi mes enfants qui sont à l'école,
00:43 donc je laisse quand même mon téléphone pour qu'on puisse m'appeler.
00:45 Mais oui, j'ai mes petits rituels avant de commencer à écrire.
00:48 Par exemple, il faut que je lance une machine à laver,
00:50 il faut que je mette en route la vaisselle,
00:53 qu'il n'y ait plus rien qui puisse me perturber.
00:56 S'asseoir au bureau, ça ne veut pas forcément dire écrire.
00:59 Je n'écris pas non-stop.
01:01 Mais au moins, je sais que je suis là, sur mon roman, sur mon projet,
01:06 et que ma pensée est uniquement dirigée vers ce travail.
01:10 Et je sais qu'il y a beaucoup d'écrivains qui vont dans des bistrots.
01:14 Et c'est vrai que ça m'a toujours paru assez incroyable
01:17 d'être suffisamment concentrée
01:20 pour pouvoir s'abstraire du bruit qui est autour,
01:22 des conversations qui sont autour.
01:24 Pareil, la musique ne m'aide pas du tout.
01:28 J'ai besoin de ce silence.
01:31 Vous avez remarqué, il y a une cheminée qui n'est pas en activité,
01:34 mais on entend le vent aussi dans le conduit de la cheminée.
01:38 C'est un bruit aussi que j'aime, un bruit un peu de la nature.
01:43 Et ça, ça ne me dérange pas, pas du tout.
01:45 Quand j'étais en train d'écrire mon roman,
01:47 j'avais sur mon bureau les livres que j'aime,
01:51 pour toujours avoir en tête une manière d'écrire que j'aime.
01:55 Et j'avais également les livres
01:58 qui, d'un point de vue documentaire, m'ont servi aussi.
02:01 Alors j'écris uniquement à l'ordinateur.
02:03 Quand j'ai écrit mon roman, c'était uniquement sur l'ordinateur.
02:06 Mais c'est vrai que j'ai toujours avec moi un carnet.
02:10 Donc le voici.
02:12 Et ce carnet, en fait, il me suit partout.
02:14 Je l'ai dans mon sac à main.
02:16 Je l'emporte avec moi.
02:17 Et c'est vrai que dès qu'il y a quelque chose
02:21 dans ma vie de tous les jours qui me marque,
02:24 ça peut être un visage, ça peut être une expression,
02:27 ça peut être des mots, une idée qui me vient,
02:29 j'aime noter, je note à la main.
02:31 Dans la littérature classique,
02:33 j'ai une passion pour Émilie Bronté,
02:35 pour Les Hauts-de-Hurlevent.
02:37 C'est un roman que je relis régulièrement.
02:41 J'aime chez elle les descriptions de l'ambiance.
02:45 Dès que je pense à ce livre, je pense à la lande,
02:48 je pense à la pluie.
02:49 J'avais à cœur, quand j'ai écrit mon propre roman,
02:51 justement, cette dimension visuelle et sensorielle.
02:54 Et après, dans les contemporains,
02:56 j'adore Nicolas Mathieu, Leurs Enfants Après Eux.
02:58 Pour moi, ça a été une sorte de révélation
03:00 quand j'ai lu cet ouvrage.
03:02 Il arrive à nous immerger vraiment dans les années 90,
03:05 dans mon adolescence, en fait,
03:07 avec tous ces détails vraiment très, très concrets,
03:10 les sacs à dos qu'on avait à l'époque, les marques.
03:13 Et ça aussi, pour moi, c'était important.
03:14 Moi, ça se passe dans les années 30 et 40.
03:17 J'ai utilisé parfois des marques qu'on utilisait à l'époque,
03:19 comme le savon Kadom, etc.
03:22 Voilà, en référence peut-être lointaine à Nicolas Mathieu,
03:26 parce que j'ai adoré cet aspect,
03:29 enfin, ces détails, en fait, dans son ouvrage.
03:32 Pour écrire cette histoire,
03:33 ce que je voulais vous dire,
03:34 c'est que je ne l'ai pas écrite à Chartres.
03:36 J'ai eu besoin de partir à 11 000 km d'ici.
03:39 Je l'ai écrite à La Réunion, en fait.
03:41 C'était un concours de circonstances.
03:43 Mon mari a été muté pour une mission de trois ans.
03:46 Et moi, à ce moment-là, j'ai arrêté de travailler.
03:49 Et on est parti en famille.
03:51 J'avais 40 ans.
03:52 C'était l'année de mes 40 ans.
03:54 J'avais en moi ce rêve depuis très longtemps,
03:58 en me disant, un jour, j'écrirai un roman.
04:01 Et puis, en fait, la vie passe.
04:03 Voilà, j'ai construit une famille.
04:05 J'ai eu d'autres activités.
04:07 Et puis, à 40 ans, je me suis dit quand même,
04:09 en fait, la vie va passer
04:11 et je n'aurai jamais au moins essayé de réaliser ce rêve-là.
04:15 Dans notre maison à La Réunion,
04:17 j'avais une petite chambre, un petit bureau.
04:19 Là, j'avais une vue sur l'océan Indien.
04:22 Donc, magnifique vue.
04:24 On était dans les hauteurs de Saint-Denis.
04:27 Donc, j'ai écrit à La Réunion un roman qui se passe à Chartres.
04:30 Chartres, c'est ma ville.
04:31 Je suis originaire de cette ville.
04:32 J'ai grandi jusqu'à mes 18 ans à Chartres.
04:35 Mais finalement, c'est aussi la ville
04:37 où j'avais le poids du quotidien.
04:39 Et je pense que je n'aurais pas pu écrire sur Chartres
04:41 en étant à Chartres.
04:43 C'est comme si j'avais besoin de m'extraire de ce quotidien
04:45 pour pouvoir réinventer ma ville, en fait.
04:48 La période de l'occupation,
04:49 c'est une période qui m'a toujours intéressée.
04:51 Quand je suis partie à La Réunion,
04:52 j'ai emporté des films, des livres.
04:54 Et je suis retombée par hasard sur cette photo de Robert Capa.
04:57 Photo que je connaissais depuis toujours
04:59 puisqu'elle a été prise à Chartres.
05:00 Elle m'a toujours interpellée, interrogée, cette photo
05:04 où on voit donc une femme tondue,
05:06 portant son enfant dans ses bras,
05:07 avec autour d'elle la foule qui la construit.
05:11 Pendant longtemps, j'ai cru, comme beaucoup,
05:13 que cette femme était la victime de l'épuration sauvage,
05:16 qu'elle avait eu un enfant avec un Allemand.
05:19 Et c'était la raison pour laquelle elle avait été tondue.
05:21 Et par la suite, en 2011, il y a eu une enquête historique
05:24 qui a été écrite par Gérard Leray et Philippe Rétigné.
05:27 En lisant cette enquête, je me suis rendue compte
05:29 que cette femme, elle était aussi éminemment coupable
05:32 puisqu'elle avait collaboré,
05:34 elle avait admiré le nazisme,
05:36 elle avait adhéré au PPF,
05:38 qui était le parti le plus fasciste.
05:40 Elle avait également été soupçonnée
05:42 d'avoir dénoncé ses voisins,
05:44 qui ont ensuite été déportés.
05:45 En fait, son destin était singulier
05:47 parce que la plupart des femmes
05:49 qui ont été tondues à la libération
05:50 étaient uniquement coupables
05:52 d'avoir eu des relations avec les Allemands.
05:54 Et elle, elle avait aussi tout ce passé éminemment coupable.
05:59 Je m'étais interrogée pour savoir
06:01 comment est-ce qu'une jeune femme, à cette époque-là,
06:03 peut, à ce moment-là, faire ces choix-là,
06:07 ces choix funestes.
06:08 Et finalement, l'enquête historique
06:11 ne permet pas de répondre à toutes ces questions
06:13 dans le sens où ça relève aussi
06:17 de sa psychologie, de ses émotions,
06:19 des événements, des circonstances
06:21 qui se sont passées dans son enfance, son adolescence.
06:23 Et ça, on ne le connaît qu'en filigrane.
06:26 Et donc, quand je suis retombée sur la photo,
06:28 je me suis souvenue de toutes ces questions que j'avais
06:30 et je me suis dit que le roman
06:31 pouvait être un bon moyen pour explorer ce cheminement,
06:34 pour retracer ce parcours.
06:36 Je pense bien sûr que d'avoir une appétence
06:38 pour la littérature,
06:40 bien sûr que ça me sert,
06:42 ça me permet d'avoir aussi des références littéraires.
06:45 Après, mes études de journaliste
06:47 aussi m'ont servi pour tout ce qui est recherche,
06:50 recherche des sources.
06:51 J'ai pris des cours récemment,
06:53 il y a trois ans, de creative writing
06:56 pour étudier tout ce qui est schéma narratif.
07:01 Ce qu'on n'apprend pas, là, en l'occurrence,
07:03 ce qu'on n'apprend pas quand on fait des études de lettres.
07:05 Et j'avais aussi une phrase de Leïla Slimani
07:07 où elle dit "ne jamais raconter de situations,
07:11 toujours raconter des événements".
07:13 J'ai participé à un atelier
07:15 qui a été fait par le magazine Lire,
07:17 un magazine littéraire,
07:18 où on m'a conseillé de décrire à certains éditeurs.
07:21 Donc, j'ai suivi le conseil
07:23 et le premier éditeur qu'on m'avait conseillé,
07:25 c'était Jean-Claude Lattès.
07:26 Donc, j'ai envoyé mon manuscrit.
07:27 J'avais mis sur la page de garde
07:30 la photo de Robert Capa.
07:32 Et c'est vrai que cette photo,
07:34 ensuite mon éditrice me l'a dit,
07:36 quand elle a reçu le manuscrit avec cette photo,
07:38 tout de suite, ça l'a intriguée.
07:40 Donc, ensuite, elle a lu le manuscrit.
07:42 Elle m'a envoyé un premier message en me disant
07:44 "J'ai bien reçu votre manuscrit,
07:47 mais il est trop lourd dans mon sac,
07:49 est-ce que vous pouvez me l'envoyer en version numérique ?"
07:51 Donc, là, je me suis empêchée de sauter de joie tout de suite.
07:54 Deux semaines après, elle m'a rappelé en me disant
07:57 "Voilà, nous, on est conquis,
08:00 on aimerait bien le publier, est-ce que vous êtes d'accord ?"
08:02 Je me rappellerai toujours quand j'ai reçu ce coup de téléphone.
08:05 C'est un moment de bouleversement, en fait.
08:09 On m'avait tellement dit que ça n'arrive jamais,
08:13 envoyer un manuscrit par la poste,
08:15 on n'a quasiment aucune chance
08:17 d'être publié par ce biais-là.
08:20 Et donc, moi, ce que j'aime à dire,
08:23 c'est que oui, c'est quand même possible.
08:25 En 2022, en 2023, c'est toujours possible.
08:28 Donc, voilà, message d'espoir pour tous ceux qui écrivent.
08:33 Et quand j'ai su que je faisais partie
08:35 des quatre lauréats talent culturel,
08:37 c'est un honneur, en fait,
08:40 une grande fierté.
08:42 Et je le prends aussi comme une invitation
08:44 à continuer à écrire, à écrire d'autres romans.
08:47 Et ça, ça n'a pas de prix.
08:49 Donc, c'est vrai que je remercie vraiment
08:51 les membres du jury des talents culturels.
08:54 Le principal ouvrage que j'ai utilisé,
09:04 c'est "L'attendue", 1944-1947,
09:07 écrit par Gérard Leray et Philippe Rétigné,
09:10 qui, en fait, est une enquête,
09:13 une reconstitution de la vie,
09:15 de ce que l'on connaît de la vie de cette femme.
09:17 C'est extrêmement bien documenté.
09:19 Et tous les événements, finalement, que l'on connaît,
09:21 qui sont dans ce livre, je les ai conservés.
09:24 Et après, tout ce que l'on ne connaîtra jamais,
09:26 comme son enfance, son adolescence,
09:28 sa psychologie, tout ça, j'ai ajouté de la fiction.
09:31 Donc, c'est pour ça que c'est un roman,
09:33 mais qui s'inspire vraiment de faits réels.
09:36 Donc, les romans ont été extrêmement utiles.
09:39 Par exemple, j'ai lu "Journal à quatre mains"
09:42 de Benoît Téflor-Agroulte,
09:44 qui est un journal de l'occupation
09:46 écrit par deux jeunes filles,
09:48 qui m'a donné beaucoup de détails sur la vie quotidienne.
09:51 J'ai relu "Suite française" de Irène Némirovsky,
09:55 notamment pour la description de l'exode.
09:57 J'ai regardé aussi des films.
09:59 Un film qui m'a beaucoup marquée,
10:00 c'est "Une affaire de femme" de Claude Chabrol,
10:03 où l'on voit, en fait,
10:05 c'était une femme qui pratiquait des avortements illégaux.
10:08 Donc, ça m'a servi aussi,
10:10 puisque dans mon roman, j'ai choisi
10:13 qu'il y ait un épisode, justement, sur l'avortement.
10:15 J'avais un livre avec des cartes postales de Chartres,
10:18 à cette époque-là, pour vraiment me rendre compte
10:20 comment étaient les rues.
10:22 Par exemple, il n'y avait pas de goudron, c'était du pavé.
10:24 Enfin, des détails, pour essayer vraiment
10:26 d'avoir une description fidèle.
10:28 Alors, la phrase que j'ai choisie,
10:33 c'est un vers de René Char.
10:43 C'est un vers, en fait, qui me porte,
10:46 parce qu'il parle, enfin, pour moi, en tout cas,
10:49 il parle de l'accomplissement personnel
10:52 comme étant une prise de risque.
10:55 Et c'est vrai que dans les moments de doute,
10:57 les moments de découragement,
10:59 j'aime relire cette phrase, relire ce vers,
11:03 pour me donner du courage,
11:04 pour me dire qu'il ne faut jamais abandonner.
11:10 Chartres, 16 août 1944, à l'aube.
11:13 Ces visions m'assaillent depuis des jours,
11:39 elles dansent la gigue dans mon cerveau,
11:41 elles me trouvent les entrailles.
11:43 Il n'y aura pas de pitié pour moi,
11:44 la pitié n'existe pas.
11:46 La vengeance, oui.
11:48 Les Allemands ont fusillé ceux de Chavannes
11:50 comme des chiens en 1942.
11:52 Aujourd'hui, les vainqueurs ont changé de camp.
11:55 Je n'aurai droit à aucune clémence,
11:57 la pute du Bosch va être butée.
12:00 CULTURA, la culture avec un grand A.
12:03 CULTURA, la culture avec un grand A.
12:05 CULTURA, la culture avec un grand A.
12:08 Sous-titrage Société Radio-Canada
12:12 Sous-titrage Société Radio-Canada

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