Quatre femmes se livrent sur les remarques sexistes et les agressions sexuelles dans le monde du vin et dénoncent un milieu encore très masculin.

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00:00 Il y avait les cuvées Gros Lolo, les cuvées GHB.
00:02 On est dans cette cave, il se masturbait, il me regardait.
00:05 Plusieurs fois au restaurant, il m'a fait pleurer
00:07 en me disant que je ne savais pas parler du vin.
00:09 Moi je pense que le "me too" du vin, on est en plein dedans.
00:11 Donc j'ai commencé à travailler dans le vin quand j'avais 20 ans.
00:15 Et c'était un milieu qui était très codifié.
00:18 Il y avait énormément de bistrots,
00:20 cavistes qui ne me recevaient pas parce que j'étais une meuf.
00:23 Mon tout premier job, je ne pouvais pas rentrer dans la cave
00:26 parce que les femmes font tourner le vin.
00:27 Surtout ne pas faire rentrer une femme dans un milieu sacré
00:31 qui est celui de l'homme, faire du vin.
00:33 Je pense que dans le milieu du vin,
00:34 les hommes ont plus ou encore plus de pouvoir que les femmes
00:37 parce qu'on leur a donné la chance il y a 20 ans
00:40 d'eux apprendre le vin, servir le vin, faire le vin.
00:43 Et les femmes étaient complètement sur le côté.
00:45 Donc ils ont les bouteilles, ils ont le savoir.
00:46 J'ai eu de nombreux témoignages d'agressions sexuelles assez graves
00:51 et des viols, oui, et des témoignages de viols.
00:54 Je ne descends plus dans des caves.
00:56 J'ai une grosse angoisse.
00:58 Je suis à une soirée, on m'invite à aller choisir une bouteille dans la cave.
01:01 Et le mari dit "on y va qu'à deux, ça suffit".
01:04 Donc on est dans cette cave, il me dit "tu es belle, j'adore les gros culs".
01:08 Et au moment où on remonte, ma copine, elle ne voit pas le vigneron.
01:11 Et moi, je l'ai en face de moi et je vois que ça s'agite au niveau du bassin.
01:15 Ah mais il se masturbait, il me regardait.
01:17 J'ai vu le gland, j'ai vu le prépuce, enfin, je n'ai pas compris.
01:20 Un de mes premiers jobs, c'était dans un petit bar à vin très connu.
01:25 Et une des premières semaines où je travaillais là-bas,
01:29 mon responsable me propose de m'emmener en boîte.
01:33 Je lui dis "ben écoute, ok, super, avec plaisir, mais on est ensemble, tu veilles sur moi".
01:38 Et c'est vraiment dit en toutes lettres.
01:40 Je me souviens de formuler cette vulnérabilité.
01:43 On boit un verre de champagne avant de partir.
01:46 Et en fait, il met de la MDMA dans ce verre.
01:48 Là, on se retrouve dans une boîte et cut, je me réveille le lendemain.
01:54 Je suis chez un type que je ne connais pas.
01:56 Je n'ai pas mon sac, je n'ai aucun souvenir.
01:58 C'est un miracle en fait qu'il ne me soit rien arrivé.
02:01 Et je confronte donc mon supérieur qui me dit "ah ouais, c'était cool,
02:05 hier soir, t'as vu, j'embrasse bien".
02:08 Et je pense qu'aujourd'hui, il n'a toujours pas réalisé en fait,
02:10 la gravité de ce qui s'était passé cette nuit-là.
02:14 Ces mecs-là, ils font croire qu'ils ont du pouvoir
02:16 et se mettent en position d'en avoir.
02:18 Et tu as raison, ces mecs-là, ils sont connus.
02:20 Ça ne surprend jamais personne en fait.
02:22 J'ai rencontré mon ex-compagnon sur les réseaux sociaux.
02:24 C'est quelqu'un qui est très influent dans le monde du vin.
02:26 La première fois qu'il m'a proposé de prendre un verre,
02:28 il m'a demandé si le bar acceptait le droit de bouchon
02:31 pour ramener une bouteille, évidemment, rare et chère.
02:34 C'est quelqu'un qui boit des bouteilles qui sont inaccessibles.
02:36 Il n'y en a peut-être parfois qu'une centaine dans le monde.
02:39 Il n'en reste qu'une centaine et c'est bouteilles qui valent
02:41 entre 500 et peut-être 10 000 euros.
02:44 Tous les gens sont fascinés par cet homme.
02:46 Et je recevais plein de messages sur les réseaux sociaux.
02:49 "Waouh, mais c'est incroyable ce que tu bois".
02:51 Plus on me le disait en fait et plus moi aussi,
02:53 ça m'emmenait en quelque chose de très excitant.
02:56 "Ah, tous les soirs, c'est encore une nouvelle surprise".
02:58 Ce qui me fascinait chez lui, c'était surtout son savoir
03:01 et pas les bouteilles qu'il buvait.
03:02 Tout ce qu'il avait appris, tout ce qu'il avait à me partager.
03:04 La relation s'est dégradée assez rapidement.
03:06 Plusieurs fois au restaurant, il m'a fait pleurer
03:08 en me disant que je ne reconnaissais pas,
03:11 que ce n'était pas possible, que je ne savais pas parler du vin.
03:13 C'était humiliant.
03:14 Donc ça faisait 4 mois, 4-5 mois qu'on se fréquentait.
03:18 Il m'envoyait une vidéo de nos débats.
03:20 Il prenait toujours ses vidéos à mon insu.
03:22 Et quand je lui ai réclamé mes affaires,
03:24 je lui ai mis une gifle en partant.
03:25 C'était une grosse erreur, on ne fait pas ça, c'est sûr et certain.
03:28 C'était pour dire "Connard, cette gifle, elle n'était pas pour faire mal".
03:31 Et puis là, il m'a attrapée par le cou, contre le mur.
03:34 Je ne sais pas si je l'ai repoussée par le bras ou sur le torse.
03:37 Et là, il m'a réattrapée.
03:38 J'ai perdu connaissance.
03:39 Le cou était écarlate quand je me suis vu dans le miroir ensuite.
03:42 Il m'a jeté un verre d'eau dessus.
03:44 C'était l'humiliation ultime.
03:45 J'étais au sol, trempée, avec le cou écarlate,
03:48 en train de pleurer parce que je ne comprenais pas.
03:50 Il y a eu un procès pour tout ça, qui aurait dû avoir lieu en décembre.
03:53 Donc six mois après l'agression, ça a été reporté.
03:57 Donc finalement, ce n'était pas une petite affaire.
03:58 Depuis que c'est arrivé, il y a des lieux que je ne fréquente plus
04:01 parce que j'aurais peur de le croiser.
04:03 J'aurais peur de ce qui pourrait arriver.
04:04 Parce qu'on a bu, parce que j'ai bu, parce qu'il a bu.
04:06 Il y a un bar à vin à Paris où je sais qu'on ne l'acceptera pas.
04:10 Il faut plus d'endroits comme ça pour les femmes.
04:12 Les agressions sexuelles et les viols, c'est toute une histoire de pouvoir.
04:15 Ces hommes du vin qu'on a énormément encensés,
04:19 qu'on a starifiés, à les encenser comme ça,
04:22 on leur donne ce pouvoir.
04:23 Je suis vraiment en colère contre ça.
04:25 Un jour, je rencontre un soi-disant président d'un club de dégustation,
04:31 d'un lieu de pouvoir à Paris.
04:34 Et j'arrive devant ce lieu,
04:36 et je me rends compte que ce n'est pas du tout le lieu auquel je m'attendais.
04:39 Le soi-disant club de dégustation est au deuxième sous-sol.
04:42 On passe par un escalier exigu.
04:45 Je me dis "mais moi, si je veux sortir de là, je ne peux pas, je suis coincé".
04:49 Je suis vraiment à la merci de ces gens.
04:51 Je me suis dit "je suis en danger".
04:52 Si je dois être agressé, violé, je dois tout retenir.
04:55 Et dans ce petit lieu, il y avait un canapé tout en bordel.
04:58 Il y avait une bouteille de vin avec marqué "Libertin",
05:00 une bouteille de bière avec marqué "Jackie et Michel".
05:03 Il y avait un petit bureau avec un jeu de dés en bois avec des positions sexuelles.
05:08 Donc en fait, c'était un lupinard.
05:10 Le monsieur qui m'a donné rendez-vous arrive au bout de 30 minutes,
05:15 et pendant l'entretien, il va me poser des questions très privées, très intimes.
05:20 Il va s'en servir de prétexte pour me prendre dans les bras.
05:23 Il m'achète 72 bouteilles.
05:24 C'est un client à partir de là.
05:26 Je ne dois plus le vexer.
05:27 C'est mon fonctionnement jusqu'à ce que j'ai honoré la commande.
05:29 Je vais rester à peu près trois semaines à recevoir ces SMS lubriques.
05:33 Je ne m'en sortais pas de ce gars et la commande n'arrivait jamais.
05:36 Donc, ça voulait dire que le monsieur voulait le beurre,
05:39 l'argent du beurre et le cul de la crémière.
05:41 Il se servait de ce lieu de pouvoir pour appâter les gens.
05:43 J'ai mailé le président de ce lieu de pouvoir.
05:47 J'ai envoyé toutes les captures d'écran et j'ai expliqué la situation.
05:50 Voilà, et je ne sais pas ce qui est arrivé à ce monsieur.
05:52 Et donc tu ne sais pas s'il est encore en poste ?
05:54 Non, je ne sais pas.
05:55 L'affaire Sybarth a été pour moi le début de la libération de la parole.
05:59 Alors elles ont été hyper courageuses
06:01 parce qu'elles ont été les premières à dénoncer quelque chose et quelqu'un
06:06 dont tout le monde savait ce qui se passait là-bas depuis des années.
06:10 Les contrats d'après, c'était au CAVOG.
06:13 On me dit "Marc Sybarth est problématique,
06:15 il est connu pour ses comportements, il ne se tient pas avec les femmes".
06:18 Il y a un truc où je suis en train de travailler à côté d'un monument
06:22 qui est problématique, mais comme je le sais, je pense que ça va aller.
06:26 Et qui se pose dès le début comme une sorte de mentor.
06:29 Et puis de toute façon, il n'y a pas l'équivalent en femmes.
06:32 Il n'y a pas un endroit où tu peux apprendre dans le milieu du vin
06:35 avec une grande soeur marraine, quelqu'un comme toi.
06:40 À l'analyse, on avait toutes le même profil.
06:43 En fait, c'est vraiment quelqu'un qui choisissait,
06:45 qui recrutait ses employés à ce poste-là
06:49 sur des critères de jeune âge, d'apparence physique.
06:53 On avait toutes 20 ans, on était toutes perdues,
06:55 on n'avait toutes pas eu de père.
06:57 Un soir, toute l'équipe s'en va.
06:59 Il était convenu qu'il m'emmène dans un restaurant
07:02 que je ne connaissais pas, qui avait une super réputation.
07:06 On boit un coup, comme souvent, le temps que le reste de l'équipe parte.
07:10 Je vais chercher mon manteau au bout du couloir et je reviens.
07:13 Et en fait, il est en train de se masturber et il me dit
07:16 "Bon, alors voilà, maintenant tu vas me donner un petit coup de main".
07:19 Je n'ai pas du tout compris que c'était une agression sexuelle.
07:21 Je me suis dit "Il s'est trompé, il a dû se tromper".
07:23 Donc j'ai fait comme si ça n'existait pas.
07:25 Puis on est passé à autre chose.
07:26 L'alcool est souvent une excuse.
07:28 Alors que c'est un facteur aggravant, il ne faut pas l'oublier.
07:30 Ça va être une excuse pour les hommes alcoolisés
07:33 qui vont avoir des comportements inappropriés.
07:35 Et ça va être aussi une excuse pour eux si la femme était alcoolisée
07:40 en disant "Voilà, c'est de sa faute, elle n'avait qu'à faire attention
07:43 et ne pas se mettre en danger".
07:45 Un homme alcoolique, c'est un homme qui sait bien vivre.
07:48 Une femme alcoolique, c'est une mauvaise mère,
07:51 c'est une dépravée, c'est une pute.
07:54 L'excuse de l'alcool, pour moi, ce n'est pas une excuse.
07:56 Parce que même bourrée, on ne se masturbe pas devant les gens.
07:59 Même bourrée, on ne va pas dégraffer la robe d'une fille.
08:02 Même bourrée, il y a plein de trucs qu'on ne fait pas.
08:05 Moi, je n'ai pas pu porter plainte parce qu'il y avait une prescription.
08:08 Donc on est allé au procès.
08:10 Elles y sont allées très courageusement.
08:12 Il y avait vraiment ce sentiment que de toute façon, c'était impossible.
08:16 C'était avant mito.
08:17 Et ça, c'est très important.
08:19 Parce que ça nous a permis de voir l'impact d'un tel procès.
08:23 Déjà, ça a pris cinq ans.
08:24 Finalement, l'affaire est jugée.
08:26 Il est en effet démis de ses fonctions
08:29 et condamné à six mois de travaux d'intérêt général
08:32 et à un suivi psychologique pour alcoolisme.
08:36 Il y a eu une sorte de ligne invisible qui a été posée.
08:41 Très claire.
08:42 Parce que si un type aussi puissant pouvait être sorti
08:46 en dépit de tout l'argent, de tout ce qui avait été déployé pour le protéger,
08:51 en fait, plus personne n'était à l'abri.
08:53 Il y a eu un avant et un après le procès Cibar.
08:56 Moi, je l'ai senti tout de suite, dès le lendemain du jugement.
08:59 Il y avait quelque chose dans l'air qui était différent.
09:02 Parfois, la justice fonctionne et ça, il ne faut pas l'oublier.
09:06 Ça a un effet très, très concret.
09:09 Ce qu'on a compris, en tout cas, c'est que toutes ces femmes
09:12 qui avaient dénoncé, qui ont gagné, elles ont toutes quitté Paris.
09:15 Elles se sont toutes éloignées plus ou moins de ce milieu,
09:19 enfin en tout cas du milieu qu'elles fréquentaient.
09:20 Il faut bien se mettre une chose dans la tête,
09:22 c'est que non seulement on ne le fait pas pour se mettre en avant
09:26 et on ne le fait pas pour gagner de l'argent,
09:27 parce qu'on le fait, on sait très bien qu'on a tout à perdre et qu'on perdra tout.
09:31 C'est important de parler, c'est important de dénoncer,
09:33 parce que si on ne le fait pas, rien ne changera jamais.
09:35 Il faut avoir le courage de dire les choses.
09:37 Il y a parfois des gens qui me disent que j'en dis trop,
09:39 mais non, en fait, il n'y a pas de raison.
09:41 J'ai l'impression que c'est un problème de pouvoir
09:42 et de ce qu'on fait du pouvoir dans le cadre du patriarcat.
09:45 Enfin, on ne va pas mettre toutes les personnes,
09:48 tous les hommes problématiques dans une capsule spatiale
09:51 et l'expédier sur Pluton.
09:52 Je crois qu'il faut que les victimes puissent parler,
09:56 qu'elles puissent être entendues.
09:57 L'idée du code rouge, ça, c'est génial, en fait.
10:00 C'est prévenir une personne qu'on va être dans une situation éventuelle de danger
10:03 et lui demander, dès qu'elle reçoit le mot "code rouge" ou autre chose,
10:07 "tortiflette", d'appeler jusqu'à ce que la personne soit mise en sécurité.
10:10 Et aujourd'hui, oui, il y a des hommes alliés, des vrais alliés.
10:14 Il y en a plein qui ont envie de nous apprendre des choses sans contrepartie,
10:18 mais il y en a d'autres, il y a quelque chose de vraiment de pervers
10:21 et on le sent assez rapidement.
10:23 Après, il va falloir qu'ils s'engagent publiquement.
10:25 Moi, c'est ça que j'attends d'eux, en fait.
10:26 J'attends pas qu'ils viennent me voir et qu'ils me disent dans l'oreille,
10:30 "moi, je te soutiens".
10:31 Et il faut que les hommes, ils aient pas peur de se mettre à dos un pote.
10:36 Il faut qu'ils assument, en fait.
10:37 Si j'ai un conseil à donner aux jeunes femmes qui démarrent dans ce milieu,
10:41 aux personnes queers ou à toutes les personnes différentes,
10:45 en fin de compte, qui ne correspondent pas à ce modèle de l'homme
10:48 qui possède, qui est tout en haut de l'échelle de domination
10:52 et qui n'est jamais inquiété,
10:55 soyez fort et forte, soyez ensemble, soyez en lien.
10:59 Ne vous laissez pas maltraiter parce que c'est pas normal.
11:03 Et dès que ça dépasse le stade de ce qui est normal
11:07 dans le cadre d'une relation de travail,
11:09 dites-le.
11:10 Parce que si vous le gardez, ça devient quelque chose que vous acceptez.
11:15 Et plus vous l'acceptez, plus vous vous faites violence
11:18 et plus ça donne de force à votre agresseur.
11:20 Il faut contacter l'association Paye ton Pinard,
11:22 il y aura toujours quelqu'un pour écouter, pour répondre.
11:25 On n'est pas seul, que ça arrive à d'autres et qu'il ne faut pas avoir honte.
11:29 *BIP*

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