Xavier Couture et 'La Dictature de l'émotion' : Une Discussion Profonde sur les Rouages de notre Société Émotionnelle ! ️ Explorez les Idées et Réflexions de l'Auteur.

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Transcript
00:00 C'est formidable.
00:00 Avant de passer à votre nouveau livre, Xavier, je voudrais encore citer deux phrases tirées de Coma, si vous permettez.
00:05 Vous faites comme vous voulez, Thierry.
00:07 J'ai l'impression d'être une huître pas fraîche, dont on aurait passé la coquille au karcher.
00:12 Ouais, c'est joli, non ?
00:13 Très beau.
00:14 On voit l'animal, on voit le karcher, on fabrique bien les images. C'est prenant, quand même.
00:19 C'est beau, hein ?
00:20 C'est beau.
00:20 Et l'autre ?
00:21 J'en ai une autre.
00:21 Ma tête me semble aussi lourde qu'une enclume et douloureuse comme si tous les forgerons de la création tapaient dessus et dedans à la fois.
00:32 C'est pas mal, hein ?
00:32 C'est pas mal.
00:33 En tout cas, de Winnie le forgeron...
00:34 Honnêtement, c'est pas mal.
00:35 C'est pas mal, hein ? Voilà.
00:36 Alors aujourd'hui...
00:36 Je persiste.
00:37 Aujourd'hui, vous publiez "La dictature de l'émotion. Où va la télévision ?" aux éditions Louis-Audibert.
00:43 Alors, où va la télévision ? Ben, dans le salon, on passe du canapé.
00:47 Hé, il est content de dire. Regardez. Là, il est super content, là.
00:50 Celle-là, en revanche, il l'a préparée.
00:51 Oui, je l'ai préparée. Je suis content de la faire rire le public.
00:53 Mon cher public.
00:54 Voilà. Alors, sérieusement, vous dites "La télévision se doit de rassembler le maximum de public. Dès lors, tous les moyens sont bons pour attirer et conserver les téléspectateurs, à commencer par l'émotion, effectivement.
01:07 Comment en est-on arrivé là, à cette dictature de l'émotion ?"
01:10 Alors, vous dites ça, vous. Enfin, vous l'écrivez. C'est juste.
01:14 Enfin, vous êtes quand même bien le Xavier Couture qui a dirigé TF1, quand même, et qui bosse sur Andemol. C'est ça que je comprends pas.
01:19 Oui, mais y a pas de jugement de valeur dans ce que j'ai écrit. C'est simplement que j'ai essayé d'expliquer les ressorts du système.
01:25 Mais ça serait écrit par un mec du CNRS à Toulouse avec une barbe et tout. On comprendrait. Mais vous, vous êtes quand même le mec qui fait ces programmes-là.
01:33 Oui, mais un garçon aussi boyant soit-il, issu du CNRS à Toulouse ou à Lille ou à Strasbourg, n'aurait pas l'expérience que j'ai dans la télévision.
01:41 Moi, j'ai vu effectivement fonctionner le zinzin de très près. Et donc, à partir du moment où j'ai cette expérience, j'ai trouvé que ça pouvait être intéressant pour le public qui regarde la télévision d'avoir un peu les clés pour mieux la comprendre.
01:55 Oui, mais c'est intéressant. C'est un making-of de la télévision.
01:57 Vous dites un truc terrible. Vous dites "la télévision nous a échappés, on ne la contrôle plus".
02:01 Et d'ailleurs, vous dites que les goûts des directeurs des programmes et des directeurs d'antenne n'ont pas vraiment d'importance.
02:07 Parce qu'en fait, leur boulot consiste à analyser au jour le jour les préférences des téléspectateurs et faire ce que veut le téléspectateur.
02:14 Donc en fait, les mecs, ils ne servent à rien finalement.
02:15 Ah ben non, ils servent tout à fait. Ils servent à observer très précisément ce que veut le téléspectateur.
02:20 Et en fonction de ce qu'il a observé, d'essayer de faire, ou de faire eux-mêmes, des programmes qui soient les plus attractifs possibles.
02:27 C'est un travail. Ce que l'expert a expliqué, c'est qu'en France, la télévision est souvent associée à l'idée que c'est un programme culturel,
02:34 qu'il faut avoir comme ça, et des références qui sont celles de la culture au sens très français du terme, très large.
02:40 Alors qu'en fait, c'est devenu un métier, une industrie, quelque chose qui est de l'ordre de la relation entre des marchands et des acheteurs.
02:48 C'est terrible.
02:49 Ben c'est terrible. Vous faites ce métier-là comme les autres, Thierry.
02:52 Ah non, mais moi je ne fais pas ça du tout. Moi, je fais ce que je veux. Moi, je...
02:54 Moi, je trouve qu'il a bon dos, le spectateur.
02:56 Ouais.
02:57 Mais non, mais en plus, le téléspectateur, il a bon dos. Justement, il a tellement bon dos qu'il n'y a pas un téléspectateur en particulier.
03:03 Et on essaye de trouver des éléments qui, au sein de cet ensemble, rassemblent.
03:07 Ouais.
03:07 Donc l'émotion est au premier rang, parce que le ressenti émotionnel, ça touche aussi bien Thierry Ardisson que moi, que vous, l'émotion, ça réunit tout le monde.
03:15 Que Claire Chazal, qui a fait HEC.
03:17 Que Claire Chazal, qui a fait HEC, absolument, et qui néanmoins est intellectuelle. Voilà. Contrairement à ce que je comprends.
03:21 Et Florence, qui n'aime pas les poils.
03:22 D'ailleurs, si on avait plein les oreilles...
03:24 Il a des poils dans les oreilles.
03:26 Retire-lui. Retire-lui.
03:27 Mais enlève-lui. Enlève-lui.
03:28 Allez-y.
03:30 Florence, enlève-lui.
03:33 Il faut les retirer.
03:35 Ouais, ouais. Là, regarde.
03:36 Est-ce qu'on peut avoir une pince à épiler, s'il vous plaît ?
03:38 J'ai, j'ai.
03:38 Non, non, non.
03:39 C'est une pince à épiler, Lolo ?
03:41 Bien sûr.
03:42 Non, c'est une parenthèse.
03:43 C'est une parenthèse.
03:45 Écoute aussi.
03:46 Enlève-en un, Florence.
03:48 Vous allez avoir mal, hein.
03:49 Sinon, je peux y aller avec les dents.
03:50 Ah, ah, ah.
03:52 Vas-y, essaye.
03:54 Ah !
03:55 Ça serait pas mieux avec les dents, Florence ?
03:58 Non, non, non.
03:59 Regarde.
03:59 Là, j'en ai eu un.
04:00 J'en ai eu un.
04:01 Mais non, mais je le fais, ça.
04:02 Régulièrement.
04:03 Là, il y en a plein.
04:04 Mais t'as de l'acier, en plus.
04:05 Mais regarde.
04:06 Bon.
04:12 Nous reprenons, chers amis et spectateurs,
04:14 le cours de cette interview.
04:16 Donc, ce que vous dites, en fait,
04:17 c'est que le boulot d'un directeur des programmes, aujourd'hui,
04:19 effectivement, c'est un travail de réglage permanent,
04:22 de mise au point empirique,
04:24 pour obtenir l'adhésion collective, en fait.
04:26 Donc, il n'y a plus de goût, il n'y a plus d'envie,
04:29 il n'y a plus de mission.
04:30 On fait, on essaye de faire, en tous les cas,
04:32 ce qu'on pense que les gens attendent.
04:34 Voilà, c'est tout.
04:35 Voilà.
04:35 Voilà.
04:36 Voilà.
04:36 Tous ces directeurs des programmes, finalement,
04:39 n'imposent jamais leur vision personnelle, quoi.
04:41 Et ça n'est pas du tout ce qu'on leur demande.
04:43 Ouais.
04:44 C'est pas ce qu'on leur demande.
04:46 Ouais.
04:46 Alors, ce que vous dites, c'est que c'est même le cas dans le journal télévisé,
04:49 où le spectacle a pris le pouvoir.
04:51 La hiérarchie des sujets, aujourd'hui, dans un journal télévisé,
04:54 finalement, se fait en fonction des courbes d'audience.
04:57 Ouais.
04:57 Exemple, une loi très importante qui va avoir des répercussions gigantesques
05:05 sur le fonctionnement de la planète est votée à Pékin.
05:08 Ouais.
05:09 Ou, en tout cas, est décidée à Pékin par le gouvernement chinois,
05:12 au moment où il y a un accident de la circulation sur l'autoroute A6
05:15 qui fait de manière tragique 15 morts.
05:17 Ouais.
05:18 Je pense que la loi qui va probablement avoir des conséquences pour 30 ans ou 40 ans
05:23 pour l'ensemble de la planète va passer inaperçue, totalement inaperçue,
05:27 parce qu'effectivement, on fera 3, 4, 5 sujets sur l'accident.
05:30 C'est quand même le comble du chinisme, ça.
05:32 C'est-à-dire que vous êtes à la fois acteur et spectateur de tout ça, quoi.
05:34 À la fois, vous faites le pensionnat de Sarlat,
05:37 et à la fois, vous êtes capable, dans ce bouquin, de critiquer tout ça.
05:40 C'est pas une critique, encore une fois, c'est une observation.
05:42 Ouais.
05:42 Je ne crois pas que dans le livre, vous ayez pu lire des mots "critique".
05:46 Ce n'est pas du tout... Je ne dénonce rien.
05:49 J'essaie de faire un constat, qui est le constat de ce qu'est ce métier. Voilà.
05:53 Alors, l'effet loupe, par exemple. Vous parlez de l'effet loupe.
05:55 Très intéressant.
05:56 Si on vous dit, tiens, on discute d'une loi à l'Assemblée Nationale pour la santé publique,
06:01 eh bien, non, le journal télévisé va montrer le cas d'une infirmière, en particulier.
06:04 C'est-à-dire que les gens, on leur montre des gens comme nous.
06:07 Mais l'effet loupe, il est très important pour retenir aussi l'attention du téléspectateur.
06:11 Dans le même temps, ça permet de réunir 9 millions de personnes.
06:15 C'est-à-dire qu'il vaut mieux, avec de la micro-sociologie, avoir 9 millions de téléspectateurs,
06:21 qu'avec une explication extrêmement fournie et extrêmement détaillée
06:25 par des spécialistes qui emmerderaient tout le monde, avoir 200 000 téléspectateurs.
06:29 En fait, c'est le public qui est rédac' chef du journal télévisé, en gros.
06:32 Oui. Le public est, par définition, celui qui va dicter ce que sera la hiérarchie du journal.
06:39 Pas de manière directe, mais de manière indirecte, par l'établir des constats successifs.
06:42 Vous trouvez ça bien ou pas bien ?
06:44 Mais...
06:45 Non, non. Vous trouvez ça bien ou pas bien ?
06:47 J'ai pas de réponse à ça.
06:48 Moi, je trouve ça pas bien. Je vous le dis tout de suite.
06:50 Vous, parce qu'on s'intéresse plus à l'international,
06:52 il n'y a qu'à voir le journal de Pernod, on s'intéresse à les fabricants de sabots en Iser,
06:55 c'est scandaleux.
06:56 Alors, je vous pose la question différemment.
06:57 Moi, je dis que je trouve ça pas bien.
06:58 Thierry, vous dites que vous trouvez ça pas bien.
06:59 Moi, je vous pose la question différemment.
07:00 Je vous dis, si personne n'en regardait plus le journal,
07:03 parce que c'est un journal qui deviendrait très emmerdant
07:05 et où il n'y aurait plus une information qui serait capable de passer,
07:08 mais si on ne pouvait plus rien dire, parce que plus personne ne s'y intéresserait,
07:11 vous trouverez ça bien ?
07:12 Non, je pense que les gens ne sont pas si cons qu'ils peuvent s'intéresser,
07:14 il suffit de les aider à s'intéresser à des choses intéressantes.
07:16 Non, mais ça, c'est...
07:17 Vous soufflez de notre...
07:19 Pardonnez-moi.
07:20 Notre boulot.
07:21 Pardonnez-moi, Thierry.
07:22 Je vais vous dire, Xavier.
07:23 Thierry, pardonnez-moi.
07:24 Xavier, mais c'est pas vrai.
07:25 Je peux pas vous laisser dire.
07:26 C'est à propos d'Hémagogique, ce que vous faites.
07:28 Mais non, c'est pas d'Hémagogique.
07:29 La semaine dernière, on a fait une émission où il y avait 38 minutes d'interview de Houellebecq,
07:33 on a fait la meilleure audience de France 2 en deuxième partie de soirée sur la semaine.
07:37 Ça prouve bien quand même que les gens ne sont pas idiots.
07:39 Mais attendez, pardonnez-moi.
07:40 Houellebecq, il est extrêmement médiatisé en ce moment,
07:42 et c'est un événement de l'avoir chez vous.
07:44 Vous avez abdiqué toute idée que la télévision peut apporter quelque chose aux gens.
07:48 La télévision, c'est juste comme de la nourriture pour les animaux, pour vous.
07:51 C'est la gamelle du chien, la télé.
07:52 Il n'y a pas, dans ce qu'est aujourd'hui la télévision grand public,
07:57 de dimension culturelle ou pédagogique.
07:59 Il faut arrêter cette fiction.
08:00 C'est dommage.
08:01 C'est peut-être dommage, mais c'est un constat.
08:03 Mais c'est comme ça.
08:03 C'est comme ça.
08:04 C'est malheureusement comme ça.
08:05 Moi, je ne dis jamais "c'est comme ça".
08:07 Mais non, mais on peut toujours, encore une fois,
08:10 je peux vous faire un discours extrêmement d'Hémagogique
08:13 pour vous dire qu'il faut réformer la télévision,
08:15 créer des comités d'éthique et imposer à tout le monde une vision culturelle.
08:18 Mais c'est stupide.
08:19 Ça n'est pas ce que le public attend.
08:21 Ça n'empêcherait jamais les films confidentiels de faire peu d'entrées au cinéma
08:27 et les grosses comédies de faire beaucoup d'entrées.
08:29 Pourquoi tu me regardes quand tu dis "peu d'entrées au cinéma" ?
08:31 [Rires]
08:35 C'est un jeu sur film.
08:37 Moi, j'adore avec cette manière.
08:38 Alors, vous dites que c'est pareil pour la fiction, d'ailleurs,
08:40 parce qu'en fait, dans les fictions qu'on voit, les téléfilms,
08:43 les personnages, c'est un panel représentatif de la société française.
08:47 C'est-à-dire qu'il n'y a plus de création.
08:48 On prend des gens qui ressemblent aux gens qui les regardent.
08:50 Il faut être créatif.
08:51 Il faut être très créatif pour trouver des personnages
08:53 qui soient à la fois intéressants et qui ressemblent à ceux qui regardent.
08:57 En d'autres termes, on est passé d'une télévision
08:59 qui, dans les années 50-60, racontait des histoires plutôt...
09:05 je ne dis pas ordinaires, mais disons des histoires de gens extraordinaires.
09:09 On est passé à une logique qui nous vient des États-Unis
09:13 et qui est l'histoire extraordinaire de gens ordinaires.
09:15 Des gens comme nous à qui il arrive des choses extraordinaires.
09:17 - Vous dites d'ailleurs que le téléspectateur s'est rendu propriétaire du média,
09:21 surtout depuis l'apparition de la télé-réalité.
09:25 Vous dites que les participants de cette télé-réalité
09:29 sont de la chair à canon médiatique et qu'on les fusille.
09:31 Et quand on les fusille, finalement, ça fait de l'audimat.
09:34 - Oui, ça c'est probablement la chose qui est parfois la plus choquante.
09:38 C'est quand la télé-réalité prend en otage
09:41 les participants qui viennent de manière innocente.
09:45 Je parle de ceux qui sont vraiment innocents,
09:47 les innocents au sens médiéval du terme.
09:49 Et qui sont effectivement fusillés pour le plus grand plaisir de ceux qui regardent.
09:54 Je trouve ça, là pour le coup, puisque vous posiez tout à l'heure la question
09:58 "est-ce bien, n'est-ce pas bien", je crois que ce n'est pas bien.
10:00 Il y a une émission...
10:01 - Il y a quand même un moment où vous avez une position un peu morale.
10:03 - Oui, là-dessus, oui, parce que c'est inutile.
10:05 Parce que ça ne sert pas réellement le spectacle.
10:08 Je pense à une émission où l'on chante beaucoup sur une chaîne privée
10:12 et où on repasse en boucle les castings qui ridiculisent...
10:17 - La recherche de la nouvelle star. - Je ne sais pas, j'ai oublié.
10:20 - Dans ce cas-là, vous parlez de consensus honteux.
10:22 - En fait, les téléspectateurs se trouvent absolument comme des individus
10:27 qui regarderaient par le trou de la serrure une scène
10:29 qu'ils n'ont pas vraiment très envie de regarder, mais qui les fascine un peu.
10:32 Et puis, ils se sentent un peu dans le consensus
10:36 parce qu'ils voient qu'il y a beaucoup de gens derrière toutes les portes
10:38 qui regardent par le trou de la serrure.
10:40 Donc, ça, c'est pas bien.
10:42 - Zoé, exprimez-vous, Zoé.
10:44 Vous allez dire après que je te sors des sons, Zoé.
10:46 - Non, non, non, c'est pas vrai.
10:48 La dernière fois, j'ai fait une interview, je suis desimes.
10:50 Je m'en rappelle très bien encore.
10:52 Rien, hein. Bonjour, au revoir, un rire au milieu.
10:54 - Oui. - Zoé, ce sera coupé, ça.
10:56 - Je sais. - Non, mais...
10:58 - Coupé. - C'est bien. - Un sourire au milieu, c'est tout.
11:01 - Xavier Couture, la dictature de l'émotion.
11:04 Où va la télévision ?
11:06 C'est publié aux éditions Oddy Bear, mesdames, messieurs.
11:09 (Générique)
11:12 ---

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