Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti est jugé pour prise illégale d'intérêts du 6 au 17 novembre. Un procès qui pourrait virer au règlement de comptes, estime notre journaliste Marie-Amélie Lombard-Latune.
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00:00 Eric Dupond-Moretti peut être mis sur la sellette.
00:02 La toile de fond politique du procès mérite d'être rappelée.
00:10 Premier point, en juillet 2020,
00:16 la nomination d'Eric Dupond-Moretti fait grincer des dents.
00:18 Ça serait un fait du prince d'Emmanuel Macron
00:20 qui n'en fait qu'à sa tête en nommant un avocat pénaliste
00:23 qui a passé beaucoup de temps à se payer les juges aux assises
00:26 et à démolir leur dossier.
00:28 Il a un passif, comme on dit.
00:30 Deuxième point, ce sont deux syndicats de magistrats
00:32 dont le très marqué à gauche,
00:34 Syndicat de la magistrature ainsi que l'association Anticor,
00:38 qui ont lancé la procédure en portant plainte contre le ministre
00:41 devant la Cour de justice de la République, la CGR.
00:44 Troisième aspect, en juillet 2020,
00:47 Eric Dupond-Moretti arrive bien place bandaume avec un agenda
00:50 et le feu vert du président de la République
00:52 pour bousculer le corporatisme des juges et leur tendance à l'entre-soi.
00:56 Il entend bien montrer qui est le patron
00:57 et n'a pas trop l'habitude qu'on lui résiste.
01:00 Enfin, et ce n'est pas rien,
01:01 la Cour de justice de la République est une juridiction politique par excellence.
01:05 Pour juger Eric Dupond-Moretti,
01:06 ils sont en effet 12 parlementaires, 6 députés, 6 sénateurs.
01:09 Alors officiellement, bien sûr,
01:11 tout le monde laisse ses convictions à la porte du tribunal.
01:13 Mais personne n'imagine que Daniel Obono pour la France insoumise,
01:16 Bruno Bild pour le RN,
01:18 les 4 parlementaires de la majorité,
01:20 les 5 républicains et centristes qui y siègent sont totalement schizophrènes.
01:24 Ils ont tous en tête le poids du symbole Dupond-Moretti,
01:26 soutenu contre vents et marées par Emmanuel Macron,
01:29 reconduit au gouvernement quand tous les pronostics le donnaient partant.
01:33 Encore avocat, maître Dupond-Moretti traité les magistrats
01:39 du parquet national financier de barbouzes
01:42 et un juge français détaché à Monaco de cow-boys.
01:46 Une fois place Vendôme, il les aurait poursuivis de sa vindicte
01:49 en utilisant les services de son administration pour régler ses comptes.
01:53 C'est là sa prise illégale d'intérêt selon l'accusation
01:56 qui a épluché les mails et les réunions de l'époque au ministère de la Justice.
02:00 Le garde des Sceaux, lui, jure n'avoir fait que suivre
02:02 les recommandations de son administration et les circuits prévus.
02:05 Tout l'intérêt de l'audience est donc de faire parler ces 143 pages du dossier
02:10 qui retrace ses échanges.
02:11 Il va falloir plonger dans la paperasse,
02:13 mais aussi dans les têtes des protagonistes.
02:16 Au chapitre règlement de comptes, il y a du monde dans ce dossier.
02:19 Éric Dupond-Moretti, peut-être.
02:20 Les syndicats de magistrats, on l'a vu.
02:22 Mais aussi un personnage central.
02:24 François Mollins, l'ancien procureur antiterroriste
02:26 qui était à l'époque procureur général de la Cour de Cassation.
02:30 Dire que le courant ne passait pas entre lui et le nouveau garde des Sceaux
02:33 est un euphémisme.
02:34 François Mollins se pose en défenseur de l'indépendance des juges,
02:38 en rempart contre les politiques.
02:40 C'est lui qui a toutes les étapes de la procédure à valider l'accusation.
02:44 L'inimitié entre les deux hommes est une des clés de lecture du procès.
02:47 Le dossier tel qu'il a fûté dans la presse repose sur des éléments factuels,
02:51 mais aussi sur beaucoup de "ont dit", de "ressentis".
02:54 Des exemples ?
02:55 Les déclarations de l'ancienne procureure générale de Paris
02:57 reprochant à Éric Dupond-Moretti, avocat,
03:00 d'avoir une défense très agressive.
03:02 Je dirais que c'est un peu le rôle d'un avocat.
03:03 Autre pièce à conviction, un article de Paris Match
03:06 sur les vacances amoureuses du garde des Sceaux sur la Côte d'Azur.
03:09 De la grande enquête.
03:11 Éric Dupond-Moretti peut être mis sur la sellette.
03:17 Le fonctionnement de son cabinet Place Vendôme, mis en cause.
03:20 Mais l'audience peut aussi être l'occasion de se pencher
03:22 sur les méthodes du parquet national financier,
03:24 sur sa façon d'éplucher les fadettes à grande échelle.
03:27 Le monde judiciaire s'inquiète enfin d'un effet arroseur arrosé.
03:31 À sa sacro-sainte volonté d'indépendance serait opposée sa propension
03:35 à se transformer en gouvernement des juges.
03:38 Comment pourrait-il se prétendre légitime à déclarer d'emblée illégitime
03:42 un garde des Sceaux qui ne lui convenait pas ?
03:44 Si les parlementaires de la Cour de justice de la République
03:47 viennent de camps opposés, il y a bien un ciment qui les unit.
03:50 Leur méfiance envers les juges.
03:51 Quelques grenades ou boules puantes pourraient ainsi être lancées à l'audience
03:55 selon la tournure qu'elles prennent.
03:56 Éric Dupond-Moretti dit être impatient de s'expliquer.
03:59 Il bouillonne, il trépigne, ce qui peut lui jouer des tours.
04:02 Et il rappelle à qui veut l'entendre que prise illégale d'intérêt
04:05 ne veut pas dire qu'il a piqué dans la caisse.
04:07 [Musique]