Les opposants à l'A69 se mobilisent de nouveau ce week-end. Thomas Brail, militant écologiste, Jean-Marc Balaran, président de l’association des maires du Tarn, et François Gemenne, spécialiste du climat, expliquent leur position sur le sujet dans le Grand entretien de France Inter, ce dimanche 22 octobre.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00 Grand entretien ce matin autour de l'A69, celle qu'on appelle l'autoroute de la
00:04 discorde, un projet qui divise.
00:06 Hier encore, journée de mobilisation près de Castres qui a réuni entre 5 et 10 000
00:11 personnes en cause donc une autoroute à péage de 53 kilomètres qui doit relier Toulouse
00:17 à Castres, gagner 20 minutes de trajet et un projet qui est devenu un symbole.
00:22 Il y a les enjeux locaux évidemment, mais c'est aussi un formidable révélateur de
00:26 questions écologiques de fond et de l'avenir des infrastructures en général.
00:31 Vos questions, vos réactions chers auditeurs au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:38 Inter.
00:39 Dans un instant, nous serons en ligne avec le Tarn et un élu local qui soutient le projet,
00:43 Jean-Marc Ballarand est la figure de la contestation, Thomas Braille.
00:47 Mais un invité fil rouge, avec Marion Lourdes, nous avons la chance de recevoir un spécialiste
00:52 de l'écologie et de ses enjeux.
00:54 L'auteur de l'écologie n'est pas un consensus et vraiment, ça n'est pas le
00:59 cas ce matin.
01:00 Bonjour François Gémen.
01:01 Bonjour à tous les deux.
01:02 Et bienvenue, vous êtes un grand homme de la lutte contre le réchauffement climatique,
01:05 professeur à HEC, président du conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l'Homme.
01:10 Vous travaillez aussi avec le GIEC.
01:13 De quoi est-ce que ce projet, la 69, ce petit tronçon d'autoroute est-il devenu le symbole
01:20 François Gémen ? J'ai envie de dire que c'est en quelque
01:22 sorte un symbole des divisions que vont provoquer dans la société toute une série de mesures
01:28 qui vont toucher de près ou de loin l'écologie.
01:30 On a longtemps eu la naïveté de penser que ça allait tous nous rassembler, que le climat
01:35 n'était ni de gauche ni de droite, pareil pour la biodiversité.
01:38 Et on voit bien que sur chaque projet, sur chaque décision, ça fait naître des clivages
01:42 nouveaux, ça réactive des clivages anciens et que donc oui, ce n'est définitivement
01:46 pas un consensus.
01:47 Et ça interroge aussi sur l'avenir des infrastructures et sur la manière dont on va aménager le
01:51 territoire dans les années qui viennent.
01:53 Raison pour laquelle ce tronçon est devenu à tel point symbolique d'ailleurs.
01:57 Une cinquantaine de kilomètres.
01:58 Une cinquantaine de kilomètres.
01:59 Alors il y a le symbole mais il y a aussi le côté local.
02:02 On est en ligne avec le président de l'association des maires du Tarn qui rassemble 314 communes,
02:08 Jean-Marc Ballaran, bonjour.
02:09 Bonjour, bonjour à vos auditeurs.
02:11 Qu'est-ce que vous attendez de ce projet de tronçon d'autoroute ? Pourquoi est-ce
02:16 que vous avez décidé, vous, de le soutenir ?
02:18 Alors parce que d'abord on a le sentiment que les Tarnais n'arrivent plus à vraiment
02:25 faire entendre leur voix dans ce débat.
02:27 On vous la donne.
02:28 Oui bien sûr, mais j'en suis très heureux.
02:31 Donc cette voix, elle n'est bien sûr pas unanime mais je crois qu'elle est très
02:35 favorable, très majoritairement favorable à ce chantier.
02:38 J'en veux pour peu le texte qu'on a proposé aux adhérents de l'association lors de
02:44 notre congrès il y a maintenant une quinzaine de jours.
02:47 Donc c'est un texte de soutien à ce chantier de la 69 et mille élus Tarnais l'ont signé.
02:54 Donc cela représente un quart de tous les élus locaux Tarnais, toute sensibilité politique
02:58 confondue.
02:59 Donc ça me semble une prise de position notable.
03:02 Jean-Marc Ballaran, vous ne dites toujours pas pourquoi, parce que finalement le gain
03:06 de temps espéré c'est quoi ? 20, 25 minutes ? Quel est l'intérêt pour vous ?
03:09 Alors ce que disent les mille élus Tarnais qui sont signataires de ce texte, parlent
03:17 de la nécessité de cette autoroute en termes de sécurité et de santé parce que la route
03:22 actuelle est source de beaucoup trop d'accidents.
03:26 C'est nécessaire en termes de sécurité pour relier les gens du bassin Castré-Mazamétin
03:33 aux hôpitaux de Toulouse.
03:34 Les élus considèrent aussi que ça peut être nécessaire en termes d'attractivité
03:41 et qu'une liaison facile avec Toulouse incitera à l'installation de nouveaux habitants.
03:45 J'en veux pour preuve l'augmentation, alors que le chantier est encore en cours, l'augmentation
03:51 du prix des terrains et des maisons sur le secteur.
03:53 Nous en espérons aussi une attractivité supérieure, notamment pour attirer des médecins puisque
04:00 chez nous le manque de médecins est crucial.
04:04 Et puis en termes des enclavements, pour la vie quotidienne des Tarnais, les 20 ou 30
04:10 minutes d'économie de temps que certains balaient d'un revers de la main ne sont absolument
04:15 pas négligeables.
04:16 La voiture dans le Tarn restera pendant très longtemps quelque chose d'indispensable.
04:21 Et puis bien sûr pour nos entreprises et les emplois locaux, notamment dans le secteur
04:26 qui a été vraiment sacrifié sur l'autel de la mondialisation, une ville comme Mazamé
04:32 est passée de 1960 à 1980 de 17 000 à 10 000 habitants.
04:35 Le taux de chômage est aujourd'hui de 50% supérieur à la moyenne nationale.
04:41 Donc c'est aujourd'hui nécessaire pour ces entreprises qui sont des entreprises dynamiques
04:46 avec des filières comme le bois, le granit ou l'agroalimentaire pour lesquelles le transport
04:51 est un souci essentiel.
04:53 Merci infiniment de nous avoir présenté vos arguments et Jean-Marc Ballarand, on va
04:59 continuer à parler justement de ce projet.
05:02 Est-ce que François Gémenes, vous pensez qu'il y a un problème démocratique ? Les
05:07 élus en phase avec les habitants ou non ? Chacun avance ses arguments.
05:11 L'attractivité économique d'un côté et dans un instant on va entendre un contestataire
05:16 de ce projet.
05:17 Mais on sent bien qu'il y a effectivement beaucoup d'élus locaux qui sont favorables
05:22 au projet, à l'inverse quand on sonde les habitants de la région, on se rend compte
05:26 que ce consensus n'est pas si fort et qu'en réalité beaucoup d'habitants déclarent
05:31 que le projet oui, pourrait être utile mais n'est absolument pas indispensable et surtout
05:34 qu'une très grande majorité demande un référendum sur ce projet.
05:38 82% ! 82% ! Donc on a parfois l'impression que les élus locaux ne représentent plus
05:42 tellement l'avis de la population sur ce sujet.
05:44 Il y a ceux qui soutiennent et ceux qui protestent.
05:47 Bonjour Thomas Braille.
05:48 Bonjour.
05:49 Vous êtes devenu le visage de la contestation à cette autoroute.
05:54 Les français vous connaissent tous.
05:56 Vous avez passé des jours dans un arbre devant le ministère des Transports à Paris.
06:01 Vous avez reçu la visite de nombreux responsables politiques, des journalistes.
06:05 Vous avez fait une grève de la faim et de la soif.
06:08 Et vous êtes depuis hier à la manifestation qui a eu lieu près de Sâtre de Castres,
06:14 près des travaux de construction de l'autoroute.
06:16 Qu'est-ce que vous attendez aujourd'hui comme prochaine étape dans la contestation ?
06:21 Écoutez, moi je serais ravi de pouvoir échanger et discuter en toute bienveillance avec l'élu
06:29 qui a pris la parole à l'instant.
06:30 Ce n'est pas 1 000 élus en fait, c'est 20% des élus du territoire qui sont favorables
06:35 à cette autoroute.
06:36 Puisqu'il y a eu la Chambre de Commerce et de l'Industrie qui a envoyé un mail et
06:41 qui a donné une heure et demie aux adhérents, aux maires pour répondre.
06:44 Donc personne n'a pu répondre et puis dans ce mail il était dit qu'au bout d'une
06:49 heure et demie si personne ne répondait, tout le monde était favorable à cette autoroute.
06:52 Bon c'est quand même assez triste, on sent qu'il y a vraiment une...
06:56 Il y a une grosse contestation bien évidemment, il y a une grosse partie des scientifiques
07:00 qui sont avec nous, l'opinion publique est avec nous.
07:03 Et est-ce qu'elle continue Thomas Breil cette contestation ?
07:05 Est-ce qu'effectivement il va y avoir par exemple une nouvelle ZAD comme le disaient
07:08 certains dans la manifestation hier ?
07:09 Écoutez en tout cas ce qui est sûr c'est qu'on a passé du temps.
07:13 Vous nous avez suivi clairement, on est allé, moi j'ai parlé en tête à tête avec M.
07:18 le ministre, M.
07:19 Bohn, j'ai parlé avec Mme Delga, je les ai prévenus qu'il y avait une grosse contestation
07:23 qui était en train de monter et qu'ensuite on ne serait plus responsable de ce qui allait
07:26 se passer.
07:27 Et là c'est clairement le cas.
07:29 Donc oui il y a une occupation qui est en train de se faire par la jeunesse, mais comme
07:33 on l'a dit et comme on l'a répété, aujourd'hui la jeunesse est tendue, elle n'est pas écoutée
07:36 et la jeunesse elle n'a plus envie d'entendre ce genre de discours, de dire on fait une
07:39 autoroute pour gagner 10 minutes, pour 17 euros l'aller-retour, qui va pouvoir se payer
07:44 ça ? Et la jeunesse elle est désabusée.
07:46 Donc moi je serai toujours derrière la jeunesse, je le dis clairement, parce que j'ai un petit
07:51 garçon aussi et que ce n'est pas l'avenir qu'on a envie de leur proposer, une autoroute
07:55 qui a été pensée il y a une trentaine d'années.
07:57 Donc il faut quand même se rappeler qu'on avait des températures caniculaires de plus
08:01 de 30 degrés il y a une semaine à Toulouse, on est au mois d'octobre.
08:04 Si aujourd'hui les élus, j'ai envie de dire c'est dommage parce qu'on sent qu'ils sont
08:08 clairement climato-sceptiques, le fait de continuer à soutenir ce projet-là, moi j'ai
08:13 envie de dire que ça va être un suicide politique pour une grande partie de la classe politique
08:17 du coin et même la classe politique des gouvernants au niveau politique national.
08:21 Et c'est triste en fait.
08:22 Jusqu'où ira la contestation puisque vous avez évoqué un écocide en parlant de ce
08:28 projet d'autoroute ? Est-ce que vous allez installer une ZAD, une zone à défendre comme
08:33 l'ont réclamé certains dans le cortège hier ?
08:34 Écoutez, je pense qu'elle est déjà en train de s'installer, moi je serai là et je la
08:40 soutiendrai clairement.
08:42 J'aiderai tous ces jeunes qui sont complètement perdus et désespérés parce que j'ai serré
08:48 une gamine dans mes bras qui va avoir 22 ans dans deux jours et elle était en pleurs parce
08:54 qu'elle ne sait plus quoi faire et parce qu'elle est complètement déprimée.
08:56 Donc j'ai mis 10 minutes avant de la consoler et de lui dire on va y arriver, on va s'en
09:01 sortir, nos politiques vont comprendre.
09:03 Mais bon sang, au-delà des chiffres, au-delà des sondages, au-delà de tout ça, mais qu'est-ce
09:07 qu'on dit à cette jeunesse ? Moi je suis attristé.
09:09 On ne peut que les soutenir et dans les cortèges parfois et dans ces jeunes qui sont masqués,
09:16 je peux vous assurer que j'en connais certains qui sont proches d'élus et même certains
09:20 qui sont des enfants d'élus et leurs parents ne le savent même pas.
09:23 Donc il va falloir arriver à comprendre aujourd'hui que cette jeunesse elle est perdue.
09:27 - Nous avons une dernière question pour vous, peut-être Thomas Braille, le ministre des
09:32 transports Clément Beaune, vous l'avez vu, vous lui avez donné un message hier et il
09:36 sera sur notre antenne tout à l'heure à midi dans "Questions politiques".
09:39 Quel message vous avez envie de lui donner ? Quelle question peut-être ?
09:43 - Bah écoutez, là même, quand on a échangé un tête-à-tête, monsieur le ministre, s'il
09:49 vous plaît, même vous, vous m'avez avoué que parfois vous avez des désaccords avec
09:53 des membres de votre famille, avec vos neveux, vos nièces, quoi, mais ne nous amenez pas
09:58 droit dans le mur, monsieur le ministre, s'il vous plaît.
10:00 Je pense que monsieur le ministre, honnêtement, je le dis clairement, c'est une bonne personne,
10:04 quoi, et il est tiraillé entre ce projet qui est vieux d'il y a longtemps, d'élus du
10:09 coin qui soutiennent ce projet alors qu'il n'a plus lieu d'être, mais monsieur le ministre,
10:14 je lui ai clairement dit, on ne pourra plus rien faire, nous on vous alertait dans la
10:17 bienveillance, mais écoutez la voix et la parole de tous les citoyens, de toutes les
10:23 personnes et de tous les élus du territoire qui ne veulent plus de cette autoroute, parce
10:28 que nous, après, on ne pourra plus rien faire derrière, on ne pourra pas nous accuser de
10:31 ne pas avoir travaillé dans la pédagogie et dans le dialogue, quoi.
10:35 - Merci infiniment Thomas Braille d'avoir été au micro de France Inter, François Gemmene,
10:40 vous avez écrivié dans votre livre « L'écologie n'est pas un consensus » que la démocratie
10:45 représentative peut rencontrer des limites quand il s'agit de questions écologiques,
10:51 on vient de l'entendre, cette opposition, écologie et démocratie représentative peuvent
10:56 arriver à un point d'incompatibilité.
10:58 - Bien sûr, d'une certaine manière, surtout quand on est, comme dans ce cas-ci, sur des
11:02 projets qui ont été initiés il y a 20 ou 30 ans, moi j'ai l'impression que si aujourd'hui
11:06 on a tellement de mal à renoncer à ce projet, c'est parce qu'on est face à ce qu'on appelle
11:11 en théorie économique le piège des coûts irrécupérables.
11:13 Vous avez déjà passé 30 minutes au téléphone devant un répondeur et on vous promettait
11:17 dans une musique d'un censeur qu'un opérateur allait vous prendre dans un instant.
11:21 Et à chaque moment vous voulez raccrocher et vous vous dites « non je ne vais pas raccrocher
11:24 parce que peut-être qu'on va décrocher dans la minute suivante ». Et au final vous perdez
11:28 deux heures au téléphone parce que vous savez que le temps que vous avez déjà passé
11:31 à attendre, vous ne voulez pas qu'il soit perdu.
11:32 On est dans le même cas de figure ici, c'est-à-dire qu'on a tellement investi dans ce projet
11:37 depuis 20 ou 30 ans qu'on ne veut plus l'abandonner et on perçoit le fait de l'abandonner comme
11:42 une défaite politique.
11:43 Et je crois que c'est là où il faut complètement changer le narratif.
11:46 Aujourd'hui il faut pouvoir dire qu'abandonner ce type de projet c'est une victoire collective
11:51 et que le renoncement ce n'est pas une défaite mais au contraire une force de frappe politique.
11:56 Et je me mets à la place des responsables locaux qui ne veulent pas évidemment assumer
12:00 le poids d'une défaite, qui ne veulent pas dire qu'ils ont cédé face à la pression.
12:04 Il faut qu'on puisse en sortir collectivement par le haut avec des solutions de transport
12:09 qui permettent de désenclaver Castres et c'est un argument qu'il faut pouvoir entendre,
12:13 mais qui permet aussi aux politiques d'en sortir avec une sorte de victoire politique
12:17 et de dire aujourd'hui ce n'est pas de la faiblesse de renoncer à ce type de projet,
12:21 c'est de la force.
12:22 Mais voilà, on a l'impression qu'il y a quand même cette dichotomie entre, en tout
12:26 cas c'est ce qu'essayent de renvoyer certains, entre les bobos des grandes villes qui circulent
12:30 à vélo, qui n'ont pas besoin forcément d'autoroutes pour aller au travail et puis
12:33 cette France qui est obligée de prendre sa voiture pour aller travailler.
12:36 C'est aussi la même problématique par exemple sur les zones zéro artificialisation net.
12:41 Est-ce qu'elle existe cette dichotomie ? Et si oui, comment on fait pour la dépasser ?
12:45 Et on l'a vu de façon très violente lors de la crise des Gilets jaunes où très clairement
12:50 on avait l'impression que les mesures écologiques étaient un peu imposées par une élite qui
12:54 en quelque sorte avait les moyens de changer de mode de vie, d'habitude de consommation
12:59 et allait imposer cela à des gens qui en réalité étaient contraints, n'avaient
13:03 en l'occurrence pas d'autre choix que celui de prendre leur voiture.
13:06 Et donc il faut être absolument conscient de cela et donc c'est pour ça que je crois
13:11 qu'il faut absolument qu'on puisse incarner l'écologie par des projets concrets qui
13:15 montrent aux gens pourquoi ils ont intérêt à cette action écologique.
13:18 Et donc sur le cas de la 69, à mon avis, la question ce n'est pas l'autoroute ou pas
13:21 d'autoroute, c'est qu'est-ce qu'on va déployer comme solution de transport pour
13:24 les castrés, pour ceux qui en ont besoin, pour ceux qui doivent rallier les hôpitaux
13:27 dans un temps plus court, etc.
13:29 Qu'est-ce qu'on met en œuvre comme projet qui potentiellement va combiner la route existante
13:33 avec des solutions de car express, avec des solutions de rail, etc. pour effectivement
13:38 sortir par le haut de cette situation.
13:39 Avant d'aller au Standard Inter où il y a de très nombreuses questions, est-ce que
13:43 ce n'est pas une problématique qui concerne l'ensemble des infrastructures ? Est-ce
13:47 qu'il ne faudrait pas aujourd'hui changer de modèle, oublier la manière dont on aménageait
13:52 le territoire ? Mais personne n'a défini de modèle alternatif François Gemmene.
13:56 Très clairement c'est ce qu'on essaye de faire.
13:58 Il faut réaliser qu'aujourd'hui, je prends le cas des infrastructures routières, aujourd'hui
14:02 les émissions de transport c'est 32% des émissions de gaz à effet de serre de la France.
14:06 C'est le seul secteur qui soit en augmentation continue.
14:09 Dans ces secteurs, 95% des émissions sont liées à la route.
14:14 Et donc, je veux bien qu'on fasse des mesures en faveur des véhicules électriques, c'est
14:18 très bien, mais on oublie souvent l'infrastructure elle-même et la nécessité de décarboner
14:21 la route.
14:22 Et c'est pour ça qu'avec des chercheurs, des industriels et des collectivités, on
14:25 est en train de monter pour le moment une alliance pour la décarbonation de la route,
14:28 pour voir précisément comment on peut décarboner ces infrastructures.
14:31 Sans ça, on n'y arrivera pas.
14:32 Le ministre des Transports, lui, doit dire d'ici quelques semaines quels projets autoroutiers
14:36 seront éventuellement abandonnés.
14:38 Il semble prêt à en laisser tomber certains.
14:41 Et ça va clairement dans le bon sens.
14:42 Il y a aujourd'hui plein de projets du passé qui n'ont plus de sens aujourd'hui.
14:46 Et donc, du coup, qu'est-ce que vous attendez de lui ? Qu'il abandonne finalement tous
14:49 ses projets autoroutiers pour décarboner ? Mais à quel horizon aussi ?
14:52 Globalement, je pense qu'aujourd'hui, on s'est dit trop souvent que pour pouvoir
14:56 désenclaver toute une série de territoires, il fallait construire des routes.
15:00 Le problème, c'est que construire des routes, ça veut dire mettre aussi plus de véhicules
15:03 en circulation.
15:04 Et je pense qu'on ferait beaucoup mieux de s'occuper d'améliorer l'existant.
15:08 Comment rendre ce transport plus efficace, plus facile pour les gens ? En développant
15:12 des solutions de covoiturage, en développant des solutions d'intermodalité ou de multimodalité.
15:17 Et qu'on n'a pas suffisamment réfléchi à ce qu'on pouvait faire des infrastructures
15:20 existantes.
15:21 Mais ça prend du temps tout ça, il y a une transition.
15:22 Ça prend du temps, c'est pour ça qu'il faut aller très très vite.
15:24 Bonjour Frédéric, merci de participer au grand entretien de la matinale.
15:29 Oui, bonjour à tous.
15:31 Alors moi je ne connais pas bien le problème localement, mais je me posais une question,
15:35 est-ce qu'il n'y aurait pas une alternative plus intelligente, disons plus vertueuse au
15:39 plan écologique et tout aussi sécuritaire, à savoir une deux fois deux mois gratuite.
15:45 Par exemple, François Gemmene ?
15:47 Par exemple, alors j'avoue que je ne connais pas exactement quelle est la route existante,
15:51 mais il y a certainement des aménagements qu'on peut faire avec la route existante.
15:55 Et notamment, comme je le disais, pour favoriser des situations d'intermodalité pour que
15:59 les gens qui sont contraints aujourd'hui de faire des déplacements en voiture puissent
16:02 envisager d'autres moyens de transport aussi.
16:03 Beaucoup d'auditeurs essayent de trouver des alternatives, mais il y a ceux qui critiquent
16:08 même la course au progrès.
16:10 José, bonjour.
16:11 José ?
16:12 Bonjour, bonjour, merci pour votre émission.
16:17 J'ai effectivement 85 ans et je suis consterné par ce qui se passe depuis des années et
16:22 des années.
16:23 Nos gouvernants de droite et de gauche n'y comprennent rien, n'entendent rien, n'écoutent
16:28 pas la population et le bien-être de la population.
16:31 Je le vois chez nous sur la Côte d'Azur avec le bétonnage qui provoque des privations
16:40 de terrains culturels et favorise ces inondations.
16:43 On le voit dans les vallées de la Tignée et de la Roya qui ont subi à nouveau, après
16:48 2020, des catastrophes naturelles.
16:50 Et avec tout ça, les centrales nucléaires dont 50% ne fonctionnent pas.
16:56 Et nous voulons toujours continuer à construire.
16:59 C'est lamentable, je ne comprends pas que le président de la République ne prenne pas
17:03 ses affaires en main et écoute la population et écoute aussi le GIEC qui, depuis 30 ans,
17:09 30 ans de depuis toutes ces années, avertissent la population et les gouvernants de ce qui
17:16 nous attend.
17:17 C'est infernal, c'est incompréhensible.
17:19 Justement José, puisque vous connaissez parfaitement le GIEC, puisque vous en êtes membre François
17:24 Gémen, qu'est-ce que vous lui répondez, José qui ne comprend pas que la course au
17:28 progrès s'amène à la mort de la planète ?
17:31 Non, je comprends tout à fait ce que dit José Lantenne et c'est vrai que nous alertons
17:35 depuis plus de 30 ans, merci de le rappeler, contre cela.
17:39 On est, je crois, face à des logiques qui sont parfois un peu contradictoires.
17:44 Et moi, lorsque je discute avec des responsables qui portent notamment ce type de projet,
17:48 j'ai parfois l'impression qu'ils sont tiraillés entre ce qui leur apparaît comme
17:52 une sorte de cause à laquelle ils sont sensibles, et ce n'est pas vrai de dire que les politiques
17:56 ne sont pas sensibles aux questions de climat ou de biodiversité, et ce qu'ils perçoivent
18:00 comme des intérêts immédiats, soit pour eux, pour leur carrière, soit pour le territoire,
18:04 soit pour certains lobbies qu'ils doivent écouter, sur certaines parts de leur électorat
18:08 qu'ils doivent satisfaire.
18:09 On est un peu tiraillés entre ce qu'on perçoit comme une cause à laquelle on est
18:12 sensible et les intérêts qui nous guident.
18:14 On parlait tout à l'heure du temps que peut prendre cette transition, justement,
18:18 il y a un coût aussi, il a été évalué à 65 milliards d'euros par Jean Pisaniferri
18:22 dans son rapport.
18:23 Cet argent, on va le trouver où pour arriver aux alternatives, pour sortir des autoroutes ?
18:27 Alors on voit bien qu'il y a aujourd'hui un vrai problème de financement, sur les
18:30 infrastructures, sur l'énergie, sur globalement tout ce qu'on appelle les coûts de la transition.
18:35 Jean Pisaniferri dans son rapport avec Selma Mahfouz, vous le rappeliez, parle de 63 milliards
18:40 d'euros annuels.
18:41 On n'est pas clairement à ces montants.
18:43 Et pourtant cet argent, il existe.
18:44 L'épargne des Français dans les banques, c'est entre 4000 et 6000 milliards d'euros.
18:48 Donc c'est un montant considérable qui parfois est investi à l'insu des épargnants
18:53 et certainement contre leur gré dans des projets d'exploitation d'énergie fossile
18:56 ou de déforestation.
18:57 Taxer les sociétés d'autoroutes comme le prévoit par exemple le budget pour l'an
19:01 prochain en France ?
19:02 Je ne suis pas sûr qu'une taxe sur les sociétés d'autoroutes qui a une mesure
19:04 un peu symbolique soit forcément la moyen de dégager les montants nécessaires.
19:10 Moi je pense qu'il faudrait davantage mobiliser l'épargne des Français et que je suis
19:14 certain qu'aujourd'hui, plein de gens seraient très heureux de pouvoir investir dans la
19:18 transition, de faire en sorte que leur épargne serve à quelque chose, à condition qu'on
19:22 fournisse les véhicules d'investissement nécessaires, que l'État puisse garantir
19:26 les rendements.
19:27 Il y a plein de choses à faire pour mobiliser l'épargne des Français à laquelle pour
19:30 le moment on ne touche pas.
19:31 Mais regardez malgré tout la crispation, les tensions autour d'un tronçon d'autoroutes
19:35 dans le sud de la France.
19:36 Quand on regarde d'ailleurs la carte du monde, qu'on voit par exemple les projets
19:42 de nouvelles routes de la soie qui sont menées par la Chine avec des infrastructures absolument
19:48 colossales, des aéroports, des routes, des acducs.
19:51 L'Inde qui vient de passer, et on s'en est félicité, une commande record de 500
19:57 avions, dont de très nombreux Airbus.
19:59 Bon, on est très loin, très très loin d'arriver à une solution satisfaisante.
20:05 On est très loin de ça.
20:06 Sauf que le problème c'est que comme nous portons une responsabilité historique énorme
20:10 dans le changement climatique, nous les pays industrialisés, la France, l'Europe, l'Amérique
20:15 du Nord, le Japon, on peut imaginer que la Chine et l'Inde vont se dire "mais regardez
20:19 en France, ils construisent encore de nouvelles autoroutes, pourquoi est-ce que nous on s'abstiendrait
20:23 de construire de nouvelles autoroutes ?" Alors je ne suis pas sûr que la Chine et l'Inde
20:25 aient les yeux rivés sur la 69 et la région Toulouse, mais globalement on est dans une
20:30 logique de coopération internationale où les engagements des uns dépendent des engagements
20:34 des autres.
20:35 Et donc on a parfois tendance à se dire "oui mais nous la France, qu'est-ce qu'on représente ?"
20:38 On représente surtout un pays avec une énorme responsabilité historique et un pays qui
20:42 malgré ce qu'on dit reste écouté, reste important dans ce type d'arène internationale
20:47 où évidemment on va regarder ce que fait la France.
20:49 Et c'est faux de dire ou de croire que la Chine ou que l'Inde ne font rien.
20:53 Elles sont elles aussi prises dans des logiques contradictoires.
20:56 La Chine est aujourd'hui le premier investisseur dans l'énergie solaire, dans les véhicules
20:59 électriques et puis en même temps développe encore ce type d'infrastructures, le charbon,
21:03 etc.
21:04 Rapidement, est-ce qu'il faut compter sur la hausse du prix du carburant pour nous forcer
21:06 finalement à être vertueux comme ça a été le cas pour l'énergie l'hiver dernier, pour
21:10 nous forcer à économiser ?
21:11 Je pense qu'il n'y a pas que l'enjeu du carburant.
21:13 Je pense qu'un enjeu fondamental aujourd'hui c'est que l'empreinte carbone, le coût environnemental
21:18 des biens et services n'est pas du tout intégré dans le prix de ces biens et services.
21:21 Et vous avez, c'est le cas du train et de l'avion, vous avez par exemple des biens
21:24 qui sont moins carbonés mais qui coûtent beaucoup plus cher que des biens qui sont
21:27 très carbonés.
21:28 C'est tout l'enjeu d'une taxe carbone de faire rentrer dans le prix de ces biens et
21:32 services leur empreinte environnementale et moi je suis convaincu que ça peut complètement
21:35 changer l'économie et faire émerger véritablement l'économie bien carbone dont on a besoin
21:40 aujourd'hui.
21:41 Merci infiniment François Gemmene d'avoir participé à ce grand entretien ce matin.
21:45 C'était la journée mondiale de l'énergie d'ailleurs aujourd'hui et on s'aperçoit
21:49 que le monde n'est pas prêt à se passer d'énergie fossile.
21:52 Il y a présent toujours 84% du mix énergétique mondial.
21:55 Et j'ajoute François Gemmene qu'on peut voir votre pièce "Le Pas de l'Autre" en ce moment
22:00 au théâtre de Belleville à Paris.
22:03 Merci d'avoir été notre invité à suivre Le Carrefour sur Inter.