• l’année dernière
La soprano Barbara Hendricks était l'invitée du 7h50 de France Inter, samedi 21 octobre, à l'occasion de la sortie de son nouvel album, “Hector Berlioz” (Arte Verum). Elle est également ambassadrice du Haut commissariat pour les réfugiés à l’ONU et souligne les difficultés de cet organisme en ce moment.

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Transcription
00:00 Et ce matin, avec Ali Baddou, nous recevons une immense soprano, l'une des plus célèbres
00:04 au monde qui chante Berlioz sur un nouvel album qui vient de paraître chez Arte Verum.
00:08 Bonjour Barbara Hendrix.
00:09 Bonjour.
00:10 Bonjour.
00:11 Alors on va naturellement parler de ce magnifique album et de votre amour pour Berlioz et pour
00:14 la langue française.
00:15 Mais d'abord, près de 110 millions de personnes déplacées et réfugiées l'an dernier.
00:19 C'était déjà un record et ça risque d'être encore plus cette année avec la guerre au
00:23 Proche-Orient.
00:24 Comment est-ce que l'ambassadrice honoraire des Nations Unies aux réfugiés que vous
00:28 êtes voit les choses ?
00:29 Ah oui, nous sommes dans une période très difficile, très difficile pour l'HCR parce
00:37 qu'on a le plus de réfugiés, des gens forcés de fuir pour des raisons de conflit et de
00:45 persécution depuis les 70 ans de l'HCR, qu'on avait commencé en 1950.
00:54 Et on a pour les fonds, on a la moitié de ce qu'on a besoin.
01:01 Ça veut dire que récemment, dans les derniers six mois, il y a 6 millions de Soudanais qui
01:09 sont forcés de fuir, qui étaient forcés de fuir.
01:12 4 millions restent dans l'intérieur du pays.
01:15 2 millions dans les pays à Chade, dans les pays à côté qui sont pauvres, qui n'ont
01:21 pas les moyens.
01:22 Et nous on a pour l'acquisition des Soudanais, on n'a reçu qu'un tiers de ce qu'on a
01:30 besoin.
01:31 Ça veut dire que nous sommes obligés de diminuer la nourriture, la santé, même les
01:39 choses essentielles.
01:40 Et c'est, je sais qu'il y a beaucoup d'autres crises tous les jours qui arrivent, la guerre
01:49 qu'on a entre Israël et Hamas.
01:54 Mais aussi, le jour après, il y avait un tremblement de terre où il y avait 2 000
02:01 personnes qui étaient mortes.
02:02 En Afghanistan.
02:03 Et moi je dis mais c'est pas vrai.
02:05 Je dis mais je dois lire ça une deuxième fois.
02:08 C'est arrivé ce matin, 2 000 personnes.
02:11 Bon, je ne sais pas qu'est-ce qu'il y a à la terre qui est fâchée avec nous, avec
02:17 le climat.
02:18 Mais on vit une période où il y a des choses qui arrivent tous les jours.
02:24 J'imagine que les gens sont fatigués, angoissés.
02:28 Mais moi je suis là pour dire que pour moi, dans les périodes comme ça, il ne faut pas
02:34 perdre l'espoir.
02:35 Et qu'est-ce que vous pouvez faire, vous, là ?
02:36 Moi, je fais, d'abord je suis le président, "emeritus" comme on dit en français,
02:46 d'une fondation en Suède qui fait partie des partenaires nationaux de l'ACR.
02:54 Et bon, je peux dire que je suis fière que les Suédois restent très très généreux.
03:00 Des fois, pour l'Ukraine, on avait eu, on était deuxième après le gouvernement américain
03:10 pour l'Ukraine.
03:11 Et ils continuent de donner pour l'Arménie, et maintenant on pousse pour le Soudan.
03:19 Mais c'est difficile.
03:20 Je vois que les gens, on peut être fatigué, désespéré, mais il ne faut pas perdre l'espoir.
03:27 Il y avait des choses qui, moi je me souviens, j'étais à Prague avec les membres de Quatuor
03:36 Amodeus qui venaient, ils étaient enfants en Vienne, qui sont allés en Angleterre pendant
03:43 la guerre, et on a dit, on ne va jamais voir cette ville libre.
03:49 Et ce n'était pas le cas.
03:52 C'est libre aujourd'hui.
03:53 Ça veut dire qu'il ne faut pas perdre l'espoir.
03:55 Moi, je n'ai jamais imaginé qu'en Irlande du Nord, qu'ils allaient trouver une solution.
04:01 Mais c'est fait.
04:02 Il ne faut jamais trouver l'espoir, mais il faut faire tout ce qu'on peut pour trouver
04:08 les solutions pour la paix.
04:10 Et je crois que ça commence, parce que moi, ça commence chez moi.
04:16 Je dois trouver ma sérénité et la paix, l'amour autour de moi d'abord.
04:22 Moi, je ne peux pas aller aider les autres si j'ai la bagaille chez moi et dans mon
04:27 cœur.
04:28 Et je crois qu'il faut prendre un peu de recul, aller dans la nature, écouter la
04:34 musique, lire la littérature, trouver le recueillement pour ressourcer et retourner
04:42 à la bataille.
04:44 Et je crois que la bataille, c'est d'être dans la famille, là où on travaille.
04:50 Tout le monde ne peut pas aller sur le terrain, en soudain.
04:54 Ce n'était pas pour tout le monde.
04:56 Mais on peut s'assurer qu'il y a autour de moi, que j'essaie de respecter les autres,
05:05 de l'aimer autant que je peux.
05:08 Et là, ça me donne la force pour aller plus loin, pour aider mes collègues qui, même
05:15 sans les fonds nécessaires, ils sont toujours sur le terrain.
05:19 Pendant la COVID, ils étaient sur le terrain.
05:22 Et moi, j'essaie d'être une voix pour les réfugiés, une vraie ambassadeur, ambassadrice.
05:28 Le mot en allemand est "Botschafter".
05:33 Ça veut dire quelqu'un qui donne le message.
05:37 Et c'est ça que j'essaie.
05:39 Pour moi, ce n'est pas 110 millions de réfugiés.
05:43 C'est le chiffre.
05:44 Mais c'est une famille, un enfant, un visage.
05:48 À chaque fois.
05:49 Oui, exactement.
05:50 Et moi, je sais que je ne peux pas sauver le monde.
05:53 À 20 ans, je pensais que ma génération allait le faire.
05:57 On avait échoué.
05:59 Mais on peut faire quelque chose.
06:02 Ils ne peuvent pas être désespérés et dire "je ne peux rien faire".
06:05 Parce que vous êtes née, c'était la ségrégation aux Etats-Unis.
06:08 Oui.
06:09 Et vous avez connu les mouvements des droits civiques pour que les Noirs américains puissent
06:15 accéder à l'égalité des droits.
06:18 Quand vous dites que vous n'êtes pas désespérée, quand vous regardez aujourd'hui les réfugiés,
06:22 on en a peur.
06:24 On élève des murs encore aux Etats-Unis.
06:27 C'est dans tous les programmes politiques.
06:31 Il faut des murs pour éviter d'accueillir les réfugiés.
06:34 Et vous, vous parlez d'amour.
06:36 Vous êtes à contre-temps.
06:37 Je crois que c'est ma façon d'être combattante, d'être activiste.
06:43 C'est les armes que j'ai.
06:45 J'ai ma musique, mais aussi j'ai mon cœur.
06:48 Et je crois que dans ma vie, c'était toujours le cœur qui menait la tête.
06:53 Mais quand vous entendez ces messages de personnes aussi, avec le conflit entre Israël et le
07:01 Hamas, qui disent, même en France, il va falloir renvoyer les gens chez eux plus vite,
07:07 ça vous en fait quoi ?
07:08 Oui, c'est la peur.
07:09 J'ai dit quelque chose l'autre jour, Martin Luther King avait dit que la haine
07:20 trouble la vie, l'amour la rend harmonieuse.
07:24 La haine obscurcit la vie, l'amour la rend lumineuse.
07:31 Et voilà, c'est les choses, c'est mes armes à moi.
07:36 Et oui, je sais qu'il n'y a pas tout le monde qui a ce discours, mais c'est le discours
07:42 qui me parle et que j'ai envie de partager.
07:46 Et pour faire la paix autour de soi, vous conseillez tout à l'heure d'écouter
07:49 de la musique.
07:50 Il y a donc votre album.
07:51 Ou d'aller écouter de la musique dans la nature.
07:54 Votre nouvel album magnifique, vous le consacrez à Berlioz.
07:57 Vous chantez Hermini, vous chantez Les Nuits d'été, vous chantez Cléopâtre.
08:01 Pourquoi Berlioz ?
08:02 Ah oui, c'est une histoire qui a commencé.
08:06 Bon, je vais dire un peu mon histoire.
08:09 Moi, j'ai toujours chanté.
08:11 Mon père était pasteur, j'ai chanté à l'église.
08:14 J'ai fait mes études en mathématiques et chimie.
08:17 J'ai eu mon diplôme de l'université.
08:19 Mais j'avais en train de… j'ai pris un cours de laissance de chant pour me faire
08:26 plaisir.
08:27 Ce n'était pas nécessaire.
08:28 Et il y avait une jeune fille qui avait le même professeur.
08:34 Elle était étudiante de musique qui voulait faire un concours de chant pour le Metropolitan
08:40 Opera.
08:41 Je lui ai dit, mais viens.
08:42 Je lui ai dit, mais ok, je vais le faire.
08:45 Mais c'est moi qui l'avais gagné pour l'état de Nebraska.
08:49 Pas la finale parce que vraiment, je n'étais pas prête du tout.
08:52 Mais ça veut dire qu'il y avait des gens qui voulaient m'envoyer, qui m'ont entendu
08:57 chanter, étudier pendant l'été à Aspen, Colorado, dans l'académie et festival d'Aspen
09:04 où j'avais rencontré Jenny Turel, qui est devenue ma seule professeure de chant.
09:09 Et quand je suis sautée dans le vide après avoir eu mon diplôme pour aller à la Juilliard
09:15 School, étudier avec elle, elle m'a partagé une telle passion pour la musique française
09:22 mais aussi pour le récital.
09:24 C'était une Russe qui a fait sa carrière à l'opéra comique parce que sa famille
09:31 est partie après la révolution de la Russie.
09:37 Mais elle était obligée de fuir la France pour arriver pendant la Deuxième Guerre mondiale
09:44 pour venir aux États-Unis.
09:45 Je lui ai dit, voilà, je serais là, pas là, s'il n'avait pas été réfugié dans
09:50 ma vie.
09:51 Et avec cette passion de la langue française et de récits, de la musique de chambre, elle
09:58 m'a emmenée à un concert à New York avec Régine Crespin.
10:02 Et là, après, j'ai écouté « Les Nuits d'été » avec Régine Crespin.
10:08 Le chef d'œuvre.
10:09 Le chef d'œuvre.
10:10 Elle était malade, Jenny Turel, cinq ans avant que j'en ai rencontré.
10:19 Et elle est retombée malade la dernière année que j'étais avec elle à la Juilliard
10:23 School.
10:24 Et je me souviens quand sa secrétaire m'appelait parce que l'école n'avait pas encore commencé.
10:29 Et nous, on était, j'étais avec elle à Jérusalem dans l'Urban Academy où elle
10:35 avait donné des cours cet été.
10:37 Et bon, je rentrais.
10:38 Et pour recommencer l'année avec elle, elle a dit, elle est à l'hôpital et c'est
10:45 pas bien.
10:46 Et quand le téléphone a sonné, j'étais en train d'écouter « Ma belle amie est
10:54 morte ». Et en effet, le 20 novembre, qui était le jour du Thanksgiving, elle est morte.
11:03 Et moi, je suis la dernière personne qui avait parlé avec elle parce que comme c'était
11:07 Thanksgiving pour la première fois, toute la famille est partie parce que je n'étais
11:12 jamais seule avec elle à l'hôpital.
11:14 Et elle m'a dit « Je ne veux pas mourir ». Et comme eux, ils n'ont pas dit qu'elle
11:18 allait, c'était la fin, moi je ne voulais pas lui mentir.
11:22 Je lui ai dit « Vous n'allez pas mourir parce que moi je vais faire tout pour être
11:28 sûre que tout ce qu'il vous a donné, partagez avec moi, que ça va vivre pour toujours.
11:35 » Et voilà, c'était un peu en hommage à elle, à Jeanne Crespin et à Berlioz.
11:42 Et le fait que quand j'ai fait mon propre label en 2006, je n'attendais pas de pouvoir
11:48 avoir la possibilité de faire des choses avec un grand orchestre.
11:51 Mais j'ai un copain finlandais qui était dirigeant de l'orchestre de Paury.
11:57 Quand je lui ai proposé de faire ce disque, il a dit « Oui, il faut le faire live parce
12:04 qu'on n'a pas le budget pour avoir cinq jours pour l'enregistrer ». Et voilà,
12:10 je suis arrivée avec Berlioz, via la Finlande, la Russie, Régine Crespin, la France.
12:18 On en écoute un extrait ?
12:20 S'il vous plaît.
12:23 Donne, Ciel, son baptandre, et le son retournera.
12:44 Vous pleurez, Barbara Hendrix ?
12:58 Oui.
12:59 Pourquoi ces larmes ?
13:01 Parce que c'est « Ma belle amie est morte ». C'est ça que j'ai écouté quand j'ai eu ce coup de fil.
13:13 C'est d'ailleurs cet album une forme de lettre d'amour à ceux qui vous ont quittés,
13:21 à ceux qui vous ont accompagnés ?
13:23 Oui, exactement.
13:24 Depuis plus de 50 ans, presque 60 ans.
13:28 Vous êtes partie du gospel avant de devenir l'une des plus grandes voix de ce qu'on appelle la musique classique.
13:33 Vous avez joué sur les plus grandes scènes partout dans le monde.
13:37 On vous connaît. Et vous retournez au gospel régulièrement.
13:43 Qu'est-ce que vous trouvez dans cette musique qu'on ne trouve pas, même chez Berlioz, chez Mozart,
13:49 ou dans ce qu'on appelle le grand répertoire ?
13:52 Oui, mais ça se trouve là-dedans.
13:55 Mais c'était juste une autre langue, une autre langue musicale.
14:00 C'est une musique que j'ai chantée à l'église de mon père.
14:07 Il y a quelques années, mon agent espagnol m'a demandé de faire partie d'un festival de musique religieuse.
14:16 Il voulait avoir du gospel.
14:18 Je lui ai dit « Bon, le gospel, les Negro Spirit, c'est quelque chose qu'ils chantent à la cappelle.
14:24 Je veux voir vraiment les racines du gospel, parce que le gospel est arrivé dans les années 30,
14:30 avec le blues, qui était un peu le jumelle de blues, profane et l'autre était sacré.
14:38 Il dit un peu chez moi, c'était le blues qui était un peu interdit.
14:43 Mais j'avais cherché, je regardais, je me suis dit voilà, il y a des choses que je me souviens que j'aimais beaucoup,
14:51 j'aimais quelques blues et j'avais fait un programme qui était « Road to Freedom ».
14:56 C'est là où je fais cette citation de Martin Luther King dans ce programme.
15:00 J'ai réalisé que beaucoup de cette musique a accompagné cette lutte pour les droits civiques aux États-Unis.
15:06 Et l'idée était de faire quelque chose qui montrait un peu mon histoire.
15:12 Mais c'est arrivé à un moment où j'ai réalisé que ce message, d'abord cet activisme, le combat,
15:21 il faut dire qu'il y avait beaucoup de femmes qui étaient derrière Martin Luther King,
15:28 mais il n'aurait jamais arrivé sans elles.
15:31 Et que souvent les gens partaient manifester dans les églises en chantant.
15:37 Et j'ai vu l'impact que ça a sur le public, et j'ai continué beaucoup plus longtemps de faire ce « Road to Freedom »
15:45 que ce festival de musique gospel.
15:50 Le chemin vers la liberté.
15:52 Exactement. On va toujours sur ce chemin parce que rien n'est fixe.
15:58 On gagne, mais c'est la vie. On avance, on recule.
16:05 Mais des fois, dans les moments de recul, il faut dire « Ok, maintenant qu'est-ce qu'on fait ? »
16:11 « Maintenant, on continue. »
16:13 Martin Luther King a dit que si on ne peut pas voler, il faut marcher.
16:19 Si on ne peut pas marcher, il faut grimper, romper.
16:23 Si on ne peut pas romper, il faut continuer à tout.
16:27 C'est ça d'être vivant, de continuer, mais il ne faut pas oublier qu'on a besoin de ressources, de recueillement, et d'être très humble.
16:37 Vous gardez une voix incroyable, très puissante. On sent l'émotion aussi.
16:43 C'est ça qui va faire que jamais une cantatrice comme vous, Barbara Hendrix, ne sera remplacée par une intelligence artificielle, par exemple ?
16:49 J'espère ! C'est une crainte chez les musiciens.
16:52 Non, mais aussi parce que, j'avais discuté avec un taxi qu'il avait, à une époque où même les orchestres avaient un son,
17:01 qu'on pouvait entendre, et dire « Ah oui, c'est les cordes de Philadelphia ou de Dresde. »
17:06 Oui, ça peut être un peu copié, mais il a quelque chose qui… c'est une intelligence artificielle, mais ce n'est pas un cœur artificiel.
17:17 En tout cas, je ne crois pas que je vais vivre pour avoir une AI qui me remplace.
17:28 Vous êtes irremplaçable. Qu'est-ce qu'elle dit de vous, votre voix ?
17:32 Vous avez dit un jour que la voix, c'était le miroir de ce qu'on a en soi.
17:38 Oui, je crois qu'on ne peut pas…
17:39 Votre voix, Barbara Hendrix, c'est ce qu'elle dit ?
17:42 C'est ce qu'elle me dit. C'est un compagnon depuis toujours. Je crois que ma voix me dit toujours de rester vraie à moi-même.
17:54 C'est la petite fille d'Arkansas, avec ses pieds dans le bout d'Arkansas, qui me regarde.
18:02 Je reste cette fille et j'avais cette voix. Quand j'avais 12 ans, j'avais le même timbre.
18:12 Et ça n'a pas changé ?
18:13 Ça n'a pas changé.
18:14 Barbara Hendrix, cantatrice, qui sort un album consacré à Berlioz, chère Thévé Romme, qui est aussi ambassadrice des Nations Unies Refugiées.
18:20 Merci, immense merci de nous avoir répondu sur France Inter.
18:23 Je rappelle vos dates de concert en France, bientôt, 2 février 2024 à Noisy-le-Grand, 11 avril 2024 à L'Aigle, 30 septembre 2024 à Nancy.
18:32 Merci.

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