Israël-Hamas : pourquoi cette tension ? Daniel Meier, professeur à Sciences Po Grenoble répond à France Bleu

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00:00 - Et à 7h45, tout de suite, vous avez la parole et ce matin, on vous invite à poser vos questions
00:04 autour du conflit israélo-palestinien.
00:07 - Et du regain de tension ces derniers jours.
00:09 On est à plusieurs milliers de morts.
00:10 Il y a eu des attaques du Hamas, puis une riposte violente d'Israël.
00:13 Qui est responsable de cela ? Quel rôle peut jouer la France également ?
00:16 Bref, il y a quantité de questions et un spécialiste pour nous répondre.
00:20 - Et appelez-nous, vous, pour poser votre question à numéro 04 76 46 45 45.
00:26 - Et on va tenter de vous donner des éléments de réponse.
00:28 Avec Daniel Meyer. Bonjour, monsieur Meyer.
00:30 - Bonjour.
00:32 - Merci d'être avec nous. Vous êtes professeur à Sciences Po Grenoble,
00:35 spécialiste du Liban et plus globalement des conflits de frontières au Proche-Orient.
00:39 Merci d'être avec nous.
00:41 D'abord, j'aimerais vous faire entendre le témoignage de deux grenobloises
00:45 qui étaient dans la manifestation hier à Grenoble, manifestation de soutien à Israël.
00:49 Elles étaient très choquées par la violence du Hamas.
00:52 Écoutez.
00:53 - Il n'y a presque pas de mots. Ça n'a pas de nom.
00:55 C'est de l'animalité pure et simple.
00:57 C'est même pas une guerre. On décapite pas des bébés.
00:59 Enfin, dans une guerre normale. Une guerre normale peut exister.
01:03 - C'est l'abomination pour moi. J'ai pas d'autre mot.
01:05 Et j'ai reçu vraiment un coup de poingard dans le cœur quand j'ai appris cette nouvelle.
01:09 - Israël a vécu son 11 septembre.
01:11 Ça, c'est ce qu'a déclaré Olivier Véran, l'Isaraois porte-parole du gouvernement.
01:16 Est-ce que c'est une analogie qui vous semble pertinente ?
01:19 - Assez probablement, effectivement, parce que symboliquement,
01:25 en fait, c'est un choc inimaginable.
01:27 Il y a quelque chose d'inconcevable dans ce qui s'est produit.
01:31 Et le 11 septembre était bel et bien, on s'en souvient,
01:35 un événement totalement inconcevable, c'est-à-dire une attaque sur le sol américain
01:40 qui a fait des milliers de morts.
01:42 Et là, on est effectivement dans une configuration où, en plus,
01:46 venant de Gaza, qui semblait être un endroit totalement fermé et sécurisé par l'armée israélienne,
01:52 il y a aujourd'hui quasiment 1000 victimes israéliennes.
01:58 Et donc, c'est tout à fait comparable sur le plan symbolique,
02:03 sur le plan de la force du message et sur le plan de la terreur.
02:07 - Le mot "terrorisme", Swayze Pele, c'est aussi ce qui ressort des commentaires
02:11 d'auditeurs de France Bleu Isère ce matin.
02:13 - Effectivement, sur la page Facebook de France Bleu Isère, on a Christine, par exemple,
02:17 qui nous dit "ce n'est pas une guerre, mais du terrorisme".
02:21 - Effectivement, Daniel Meyer, on rappelle que le Hamas est considéré
02:24 comme une organisation terroriste, bien qu'il soit au gouvernement à Gaza.
02:30 - Oui, alors c'est une des choses qui est relativement absurde,
02:36 comme si, disons, dans la politique internationale,
02:39 on n'avait toujours pas compris que le labelling du terrorisme
02:43 ne naît dans rien, sinon à stigmatiser,
02:47 sinon, effectivement, à mettre en marge et à empêcher le dialogue.
02:55 Parce que si on ne parle pas avec ses ennemis, comment va-t-on parler ?
03:01 Si on ne parlait plus avec Vladimir Poutine,
03:04 vous vous imaginez où est-ce qu'on irait ? Nulle part.
03:06 Donc, effectivement, ça ne va nulle part et cette politique ne va nulle part,
03:10 et on le sait très bien, depuis la création du Hamas
03:13 et surtout depuis son enclavement à Gaza,
03:16 sa prise de contrôle de Gaza, puis son enclavement par Israël à Gaza,
03:21 ce labelling du terrorisme pour ce mouvement,
03:24 même s'il semble tout à fait justifié en regard des actes d'aujourd'hui,
03:27 ça c'est une chose, mais plus fondamentalement,
03:30 avant même ces actes-là, il y a eu ce labelling,
03:33 et en fait, il empêche aujourd'hui d'aller plus loin et de regarder plus loin,
03:38 et en réalité, c'est bel et bien une guerre,
03:41 mais ce n'est pas simplement du terrorisme,
03:43 donc je pense qu'il faut peut-être revenir un peu sur l'origine de ce conflit.
03:48 – Ça va plus loin que du terrorisme.
03:50 Une question au standard de France Blizzard,
03:53 avec Cécile qui nous appelle de Villefontaine.
03:55 Bonjour Cécile.
03:56 – Bonjour, alors ma question,
03:58 je n'ai pas tout à fait entendu ce que disait le monsieur que vous interviewez,
04:02 parce que j'étais avec votre collègue,
04:04 mais ma question c'était, est-ce que vous ne pensez pas
04:07 que les regards de violence qu'on vit en France en ce moment,
04:10 du fait qu'on sent la conséquence de ce conflit,
04:12 n'ont pas un petit lien avec la présentation
04:14 dont les journalistes font de ce conflit,
04:17 qui font passer systématiquement à Israël pour la victime,
04:20 et qui ne parlent jamais, mais alors jamais,
04:23 de ce qui se passe en Palestine depuis 60 ans,
04:26 et tous les morts qu'il y a eu.
04:29 – C'est l'impression que vous avez en tout cas.
04:31 – Oui voilà, mais ce n'est pas vraiment une impression.
04:34 – Votre regard, monsieur Meyer, sur le témoignage de Cécile,
04:39 est-ce qu'il y a une disproportion entre l'exposition faite à Israël
04:43 et aux territoires palestiniens ?
04:47 – Alors sans aucun doute, il y en a une,
04:48 et je pense que Cécile a tout à fait raison de rappeler
04:51 qu'il y a une profondeur historique, vous évoquez une soixantaine d'années,
04:55 et effectivement depuis 1948, ça fait donc un peu plus de 60 ans,
04:59 il y a une spoliation territoriale,
05:03 qui retombe en partie sur la communauté internationale,
05:06 qui est restée tout à fait inactive de façon efficiente sur ce dossier,
05:12 au point que décennie après décennie, le territoire de la Palestine
05:17 s'est rétracté comme peau de chagrin,
05:20 et qu'on a même inventé le concept d'une autorité palestinienne
05:23 sans réel territoire, c'est quand même le comble.
05:26 Et effectivement, il y a le phénomène de la colonisation
05:29 qui vient se surajouter à cela, contre lequel finalement,
05:33 il n'y a que de belles déclarations, mais aucun acte,
05:36 et en quelque sorte, une frustration grandissante
05:38 de la population palestinienne constitue bien évidemment
05:42 sur le long terme, vraiment le terreau fertile pour la violence.
05:48 - Cécile parle aussi du regain de tension en France,
05:51 à quel point est-ce que ce conflit, il y a des risques de contagion chez nous ?
05:57 - Écoutez, je pense que c'est une contagion autour des termes,
06:01 c'est plus qu'une contagion, enfin j'espère en tout cas,
06:05 qu'une contagion de type, on va dire, ethnique,
06:09 ça serait vraiment gravissime, mais on est aujourd'hui
06:13 dans une forme d'idéologisation de la question de l'antisémitisme.
06:18 Je trouve qu'autant il est tout à fait important
06:21 de rappeler la lutte contre l'antisémitisme,
06:24 et c'est absolument fondamental,
06:26 autant il est tout à fait erroné de faire constamment ce parallèle,
06:32 qui est un parallèle qui vient d'Israël,
06:35 qui vient de certains gouvernements israéliens.
06:37 - Avec un gouvernement de plus en plus à droite aussi.
06:40 - De plus en plus à droite, et qui consiste à dire effectivement
06:43 que l'anti-sionisme est un antisémitisme,
06:47 c'est-à-dire que finalement on ne pourrait plus rien dire,
06:50 plus rien critiquer de ce que fait un gouvernement,
06:54 le gouvernement israélien en l'occurrence,
06:56 mais imaginez que ce soit un gouvernement d'un autre pays,
06:58 y compris des pays amis, où va-t-on avec ce réseau ?
07:02 C'est quelque chose qui est inconcevable
07:09 sur le plan de la pensée et de la rationalité,
07:11 mais évidemment au cœur de l'émotion,
07:14 au cœur de l'émotion c'est quelque chose qui est resurgi,
07:16 et c'est pour ça qu'on l'a entendu,
07:18 parce qu'effectivement c'est extrêmement choquant ce qui s'est produit.
07:20 - On a l'impression quand même monsieur Meillard
07:22 que parfois la critique va plus loin.
07:26 Ce qui me frappe par exemple, c'est ces commentaires sur les réseaux sociaux.
07:29 Il y a un groupe Facebook par exemple qui s'appelle "Les musulmans de Grenoble"
07:32 où il y a des images de propagande du Hamas,
07:35 où des gens commentent qu'Allah accorde la victoire à nos frères palestiniens,
07:40 que des commentaires comme ceux-là soient encore visibles quatre jours après,
07:44 et qu'ils viennent de gens grenoblois, ou en tout cas de l'Isère,
07:48 ça montre quand même une présence peut-être inquiétante.
07:52 - Oui, alors bien sûr, mais on est toujours quand même dans l'ordre du discours,
07:56 mais je suis d'accord avec vous, la résonance de ce conflit,
08:00 et c'est peut-être ça qu'il faut regarder,
08:02 elle est forte parce que la dimension symbolique que porte la Palestine,
08:07 au-delà du territoire palestinien,
08:09 avec en quelque sorte cette trajectoire vraiment dramatique du peuple palestinien,
08:17 qui reste aujourd'hui un peuple quasiment sans terre,
08:19 ou avec des terres qui sont complètement contrôlées,
08:21 ou en tout cas colonisées,
08:24 eh bien aujourd'hui, dans le fond, cette résonance, elle est mondiale,
08:29 alors évidemment, elle se manifeste dans ce genre de moment par des outrances,
08:35 puisqu'évidemment, il y a une chose qui est totalement indéfendable,
08:39 c'est les meurtres de civils, c'est tout à fait indéfendable,
08:43 je veux dire, de quelque côté que ce soit,
08:45 c'est tout à fait, et c'est ça qui nous choque,
08:48 mais en réalité, cette résonance, elle est globale,
08:51 et on a des débats du même ordre dans un tas d'autres pays de la région,
08:55 évidemment, ça dépend des proportions de population qui s'identifient,
09:00 soit idéologiquement, soit ethniquement ou religieusement avec les Palestiniens.
09:04 - Des morts civiles et puis des otages aussi,
09:06 il y a une question d'ailleurs sur nos réseaux sociaux, Swayze.
09:09 - Oui, tout à fait, Olga, qui nous met un message de Saint-Vincent de Mercuse,
09:13 et qui nous demande ce que vont devenir les otages,
09:16 est-ce qu'on le sait, ça, Daniel Meyer ?
09:20 - Non, on ne le sait pas, et on a tout lieu de craindre
09:23 qu'aujourd'hui il y ait une espèce de grande discussion
09:27 autour de savoir si c'est encore acceptable
09:32 d'essayer de sauver les otages,
09:37 c'est-à-dire de négocier avec le Hamas,
09:40 et de l'autre côté, puisqu'il y a une pression populaire israélienne
09:43 extrêmement forte pour une action militaire violente,
09:47 que ces otages soient finalement des victimes collatérales,
09:51 soit des bombardements ou des attaques,
09:54 ou évidemment des assassinats en représailles.
09:57 - Et ce sera à suivre dans les prochains jours.
09:58 Merci beaucoup, Daniel Meyer, d'avoir été notre invité ce matin,
10:01 professeur à Sciences Po Grenoble, spécialiste du Liban
10:04 et des conflits de frontières au Proche-Orient.
10:06 Merci beaucoup, belle journée, monsieur Meyer.

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