Un petit creux ? Juliette nous régale avec sa chronique du jour, garantie 100% fait maison. Elle cite un classique de la littérature signé Jacques Prévert, entre vol de miches de pains, tickets de rationnement durant la Guerre et œufs durs.
Retrouvez toutes les dramatiques de Juliette Arnaud dans « Le grand dimanche soir » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-juliette-arnaud
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00:00 Juliette Arnault, vous relisez les classiques de la littérature avec vos yeux et ceux de l'actualité.
00:06 Alors pour éclairer les effets de l'inflation sur la population, vous avez songé à un recueil de poèmes,
00:12 un tube de la poésie, je vois le sourire déjà de Laélia parce que vous allez en parler tout à l'heure, vous adorez.
00:17 Ce tube de la poésie, c'est "Paroles de Jacques Prévert", Gautoux 1946.
00:23 En 2023, pour un quart des étudiants français, le loyer payé, il reste 50 euros pour le reste.
00:31 Le reste, comprenant cette activité assez inévitable, se nourrir.
00:35 Eh bien ça, 40 euros, ça ne fait pas lourd.
00:37 Avoir faim, avoir les crocs, avoir la dalle.
00:40 La littérature s'est-elle saisie de cette sensation universelle ?
00:44 Certes, on sait tous que si Jean Valjean dans "Les Misérables" bousille la devanture d'un boulanger,
00:50 ce n'est pas par haine du gluten.
00:53 Il vole du pain, Jean Valjean, parce qu'il a faim.
00:56 Parce que les sept enfants de sa sœur ont faim.
00:58 Mais ça nous semble un peu loin.
01:00 Alors on va sauter un peu dans le temps, on va aller en 1946.
01:03 Les Trente Glorieuses vont certes commencer, mais en 1946, il y a toujours des tickets de rationnement.
01:10 Et surtout, personne n'a oublié la dalle monumentale des cinq années de guerre.
01:14 C'était même le sujet numéro un des conversations des gens.
01:17 C'est ce que me disaient mes tantes quand j'étais petite.
01:19 Ce qu'on n'avait pas mangé, ce qu'on rêvait de manger, ce qu'on mangerait après la guerre.
01:23 Et puis voilà, la guerre est terminée et puis rien n'est réglé.
01:26 La preuve dans un des poèmes au titre ironique de Prévert, "La Grasse matinée".
01:31 Il est 6h du mat', tu parles d'une grasse mat', et le protagoniste est loin du gras, il n'a rien mangé depuis trois jours.
01:36 Alors comment capturer une sensation si vaste, si puissante et si politique en seulement deux pages ?
01:42 Eh bien Prévert a un atout majeur, il est scénariste.
01:46 Alors il commence avec un gros plan.
01:48 "Il est terrible le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain."
01:53 Tout à coup on y est, bistrot, ville, comptoir, œuf dur.
01:56 On voit et on entend. Prévert poursuit.
01:58 "Il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim."
02:03 Et là Prévert dézoome.
02:06 L'homme qui a faim est seul debout dans la rue devant la vitrine d'un grand magasin, plein de nourriture.
02:11 Nourriture qui n'est pas à portée de bouche.
02:13 Et Prévert parle de la mémoire de l'homme, alors on est dans la tête aussi de cet homme qui a faim.
02:17 On grince des dents avec lui.
02:19 Et lui aussi, l'homme va dézoomer.
02:21 Et c'est prodigieux comme on va le suivre.
02:23 Je cite Prévert.
02:24 "Il compte sur ses doigts. 1, 2, 3, 1, 2, 3.
02:28 Ça fait trois jours qu'il n'a pas mangé.
02:30 Et il a beau se répéter depuis trois jours, ça ne peut pas durer.
02:32 Ça dure. Trois jours, trois nuits, sans manger.
02:35 Et derrière ses vitres, ses pâtés, ses bouteilles, ses conserves,
02:38 poisson mort protégé par les boîtes,
02:40 boîte protégée par les vitres,
02:42 vitre protégée par les flics,
02:43 flics protégés par la crainte,
02:45 c'est peut-être le plus poignant zoom arrière
02:48 de toute la littérature française."
02:50 Merci, bisous, merci.
02:52 (Applaudissements)
02:57 Et à présent, voici l'adaptation contemporaine du poème de Prévert
03:04 dans notre petit théâtre radiophonique.
03:07 Il ne vous aura pas échappé que la ministre des PME,
03:10 Olivier Grégoire, entend lutter contre les effets de l'inflation
03:13 avec des cours de cuisine à l'école.
03:15 Alors imaginez Juliette en tablier de cuisine,
03:18 parce qu'elle est prof et en même temps elle est prof de cuisine.
03:21 Elle est entourée de deux apprentis, de Marmiton,
03:25 d'Ouli et de Guillaume Berris.
03:27 Alors imaginez-les, vous qui êtes chez vous,
03:29 devant une table avec une nappe à carreaux,
03:31 puis des accessoires de cuisine,
03:33 le tout à la manière de Prévert.
03:35 (Musique)
03:40 Il est terrible, le petit bruit de la pizza qui grille comme un gratin.
03:45 Il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'étudiant en L1.
03:49 Il est terrible, oui, mais j'ai la solution.
03:52 Ce cours de cuisine à l'école vous redonnera de l'espoir.
03:56 Ce n'est pas de moi, c'est de la ministre, Olivia Grégoire.
03:59 Des cours de cuisine pour lutter contre la famine ?
04:02 Et pour augmenter notre rémunération,
04:05 vous nous apprendrez à jouer.
04:07 Allons, remue les ondes !
04:08 Alors, ce qu'on dit chez Renaissance, et cela j'en suis convaincue,
04:12 il faut faire les choses, il faut faire soi-même l'expérience.
04:15 Il faut se sortir les doigts du cul !
04:18 (Rires)
04:19 Oui, pour faire une pizza, voici la recette.
04:22 Préparez votre pâte, préparez votre pâte,
04:27 dans une chatte, dans une...
04:30 Ouh, pardon, excusez-moi, j'ai cru que j'étais Catherine Deneuve.
04:33 (Rires)
04:35 Quelqu'un peut-être pour me mettre une main au cul ?
04:37 (Rires)
04:39 Il faut donc de la farine et de l'eau, c'est net,
04:44 mais vous pouvez ajouter de la levure et de l'huile les jours de fête.
04:48 Ouais, c'est bien ça, mais moi je trouve tout sur Marmiton.
04:50 Ah, ne m'interrompez pas, c'est le projet d'Emmanuel Macron.
04:54 Une fois la pâte reposée, vous pouvez ajouter les ingrédients,
04:57 homard bleu et truffé, c'est celle que préfère notre président.
05:01 Au prix de tous les éléments, c'est moins cher d'aller chez Dominos.
05:05 En plus, j'y bosse à mi-temps, et j'ai une achetée, une gratosse.
05:10 Des ingrédients pas chers, croyez-moi, vous en trouverez.
05:12 Au secours populaire ou dans les poubelles du supermarché ?
05:15 Bon, j'en ai marre de faire des verres, avec ce type de mauvaise foi,
05:18 j'ai l'impression d'être sur Inter, face au type des micro-trottoirs.
05:22 C'est bien gentil, mais maintenant, il faut penser à la cuisson,
05:25 et vu le prix du gaz, il faut faire un crédit à la consommation.
05:28 Mais là aussi, enfin, la solution est toute trouvée,
05:31 grâce au réchauffement climatique, nul besoin de dépenser.
05:34 Une bonne heure dehors, en pleine canicule, et hop !
05:37 La pizza est cuite sans dépenser le moindre pécule.
05:40 Il est terrible le bruit des idées à la con.
05:43 Et dire que ma quincesse fait un max de pognon.
05:46 Et si on refuse de jouer à ce jeu, vous allez faire quoi ?
05:49 Très bien, comme à chaque fois...
05:50 1, 49, 3 !
05:54 [Applaudissements]
05:59 Merci.
06:02 Merci Juliette Arnaud, et c'est Marmiton de la rigolade.
06:07 Ça vous a plu cette adaptation, Hippolyte ?
06:08 - Fort bien, fort bien, j'ai trouvé que vous avez vraiment...