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L’intelligence artificielle ne cesse de progresser et donc de faire des ravages. Futurs victimes annoncées : les comédiens qui doublent les films, séries. En France nous sommes encore 75% à regarder les fictions en version française. Et demain, des voix générées par l'intelligence artificielle pourraient remplacer les doubleurs français sans même que l’on s’en rende compte. Alors est ce un fantasme ou une réalité ?

Retrouvez "La Question du jour" sur : http://www.europe1.fr/emissions/la-question-du-jour

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00:00 9h, 11h.
00:02 Europe 1 Culture Média.
00:04 Avec Thomas Hill et c'est l'heure de la question Média du jour Thomas.
00:06 L'intelligence artificielle ne cesse de progresser, donc de faire des ravages.
00:11 Futur victime annoncée, les comédiens qui doublent les films, les séries.
00:15 En France nous sommes encore 75% à regarder les fictions en version française.
00:19 Et demain, des voix générées par de l'intelligence artificielle
00:23 pourraient remplacer les doubleurs français sans même que l'on s'en rende compte.
00:27 Est-ce un fantasme ou une réalité ? On va en parler avec nos invités du jour.
00:31 Patrick Cuban, bonjour.
00:33 Bonjour Thomas.
00:34 Bienvenue, vous êtes artiste, interprète, voix off pour des pubs notamment.
00:38 Vous êtes aussi la voix de Canal, c'est ça ?
00:40 Exactement.
00:41 Vous pouvez nous la faire la voix de Canal ?
00:42 Ce soir sur Canal+.
00:43 C'est parfait, on y est direct.
00:45 Ah oui ça y est.
00:46 Très fort.
00:47 Et alors vous rassemblez et représentez aujourd'hui en France les comédiens de la voix
00:50 enregistrés à travers un collectif qui s'appelle Les Voix.
00:53 Mathilde Croz est avec nous également, bonjour.
00:55 Bonjour Thomas.
00:56 Bienvenue, vous êtes avocate associée au sein du cabinet Lerrain, spécialisé en droit des nouvelles technologies.
01:02 Et puis Hugo Amizé est avec nous en ligne également.
01:06 Bonjour Hugo.
01:07 Bonjour Thomas.
01:08 Vous animez une chaîne YouTube dédiée au doublage connu sous le nom de Mister Fox.
01:13 Et alors Hugo Amizé, l'intérêt d'abord de cette intelligence artificielle, c'est quoi ?
01:19 C'est de produire un doublage pour beaucoup moins cher et en beaucoup moins de temps, c'est ça j'imagine ?
01:24 Exactement, l'objectif c'est de se passer des comédiens, de se passer de toutes les personnes qui incarnent le doublage
01:32 pour laisser la place à des robots, des intelligences qui apprennent à partir des comédiens qui ont déjà pu travailler.
01:40 Il y a des comédiens aussi qui peuvent enrichir ces intelligences artificielles si elles y participent de leur plein gré.
01:47 Et c'est un petit peu tout ça qui fait peur au métier actuellement.
01:50 Et quand je dis moins cher et plus rapide, c'est de quel ordre à peu près ?
01:54 Alors là je pourrais pas vous dire. C'est toujours un peu nébuleux les budgets dans le milieu du doublage.
01:59 Moi j'ai lu quelque part que ça pouvait être à peu près 10 fois moins cher et 4 fois plus rapide.
02:04 Donc c'est vrai qu'on peut comprendre que ça intéresse les gens du métier.
02:08 Vous Patrick Cubant, évidemment comme vous êtes comédien de doublage, j'imagine que ça vous inquiète tout ça.
02:13 Est-ce que c'est déjà une réalité pour vous ou c'est quelque chose que vous voyez venir ?
02:17 Alors les outils ne sont pas prêts en fait, notamment en français.
02:20 Il n'y a rien qui est encore probant et pour le moment on est plutôt sur des copier-coller.
02:24 C'est-à-dire qu'on arrive à prendre une intention sur une phrase et la mettre sur une autre.
02:27 Donc on n'a pas une véritable intelligence de pouvoir jouer une scène complète
02:32 avec juste du prompt et de faire des choses qui soient artistiquement valables.
02:37 Les outils pour l'instant sont en développement.
02:39 Ce sont surtout des petites start-up qui sont disséminées un peu dans le monde entier, un petit peu en Europe aussi.
02:44 Et qui par des démos essaient de faire croire qu'on pourra remplacer ce métier qui est unique, irremplaçable.
02:49 Et qui est à base d'émotion, à base de technicité, à base d'expérience, à base du métier de comédien.
02:55 Parce que quand nous sommes comédiens, nous le sommes au théâtre, au cinéma et à la télévision, pas seulement dans un micro.
03:00 Mais en tout cas c'est suffisamment crédible pour vous inquiéter.
03:02 Parce que vous avez lancé un appel avec 21 des syndicats européens et internationaux.
03:05 "Don't steal our voices", "Ne volez pas nos voix".
03:08 Qu'est-ce qui vous inquiète tant ?
03:10 Exactement ça. Alors c'est un mouvement mondial, ça va de Los Angeles à Taipei, à Taïwan.
03:14 Donc on s'est regroupé au mois de février, ça s'est fait spontanément.
03:17 Donc des comédiens qui ont les mêmes problématiques dans tous les pays.
03:19 Il y a une inquiétude sur ces outils, ça c'est vrai.
03:21 Mais il y a surtout une inquiétude sur le vol de voix.
03:24 C'est-à-dire que nos voix, notre personnalité, votre voix, Thomas, vous appartient en fait.
03:29 C'est votre attribut de votre personnalité.
03:31 Moi je serais tenté de vous dire "la data c'est toi".
03:35 Pour reprendre une expression de mon camarade Stéphane Calve qui est avec moi dans les rencontres et les négociations,
03:41 il a inventé ça hier, "la data c'est toi".
03:43 C'est-à-dire que votre voix vous appartient.
03:45 Ça fait partie de mes données biométriques.
03:47 Exactement, c'est une donnée biométrique qui peut se retrouver sur des bases de données d'entraînement de ces IA.
03:51 Et ça c'est un vrai problème.
03:52 Mais sur l'artistique, nous on est certains d'être irremplaçables, uniques.
03:56 Parce que tout ce qu'on fait dans chaque séance et dans chaque doublage,
03:59 moi je ne suis pas spécialisé vraiment en doublage, je fais plutôt de la publicité.
04:03 Mais chaque séance c'est vraiment quelque chose d'unique.
04:05 C'est-à-dire qu'on s'adapte au texte, au désir du réalisateur, et on amène une patte de comédien, on amène notre univers.
04:10 Et ça c'est pas remplaçable dans une ligne de code.
04:13 Et donc aujourd'hui les éléments de voix, Mathilde Croz, qui sont collectés,
04:17 ils le sont de manière illégale, c'est ça ? Par toutes ces startups ?
04:20 Aujourd'hui, une startup qui fait de l'intelligence artificielle,
04:23 elle a besoin de nourrir son intelligence artificielle avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de données.
04:27 Pour ça, elle va aller chercher la donnée sur internet.
04:32 Elle va aussi essayer de la chercher auprès de comédiens.
04:34 Il y a eu des séances de doublage enregistrées, des enregistrements qui ont été faits cette année,
04:39 où les comédiens n'étaient pas forcément au courant qu'ils allaient nourrir une intelligence artificielle.
04:44 Et pour ça, il faut informer les personnes concernées.
04:48 Il faut parfois aussi obtenir leur autorisation.
04:51 Et aujourd'hui, c'est un peu le far west sur l'utilisation de cette donnée,
04:54 qui est pourtant une donnée biométrique, qui est aussi utilisée pour des outils de sécurité,
05:00 et qui peut permettre de générer beaucoup de deepfakes.
05:04 On en entend beaucoup parler aussi des deepfakes.
05:07 Et la voix, puis ensuite l'image, c'est tout ça qu'il faut encadrer.
05:11 Et alors, comment ça fonctionne exactement ?
05:14 On va vous donner un petit exemple dans un instant,
05:16 et vous verrez que vous avez quand même de quoi être un peu inquiet, Patrick Cubant.
05:18 A tout de suite sur Europe 1.
05:20 Vous écoutez Culture Média sur Europe 1 avec Thomas Hill.
05:23 Et la suite de la question média du jour, Thomas.
05:26 L'intelligence artificielle va-t-elle remplacer les comédiens de doublage ?
05:29 Je vous propose d'écouter ce petit test réalisé sur un discours du général de Gaulle.
05:34 L'intelligence artificielle est capable de le traduire dans n'importe quelle langue avec la voix de de Gaulle.
05:40 Il était une fois un vieux pays tout bardé d'habitude et de circonspection.
05:48 C'était une fois un ancien pays,
05:51 connu pour ses nombreuses habitudes et ses circonspections étranges qui le caractérisaient.
05:57 C'était une fois un ancien pays,
05:59 avec de nombreux habitudes et traditions,
06:01 où les gens étaient prudents et attentifs à tous les détails.
06:05 Alors on est d'accord, c'est pas encore totalement parfait,
06:08 mais on est quand même très loin, Hugo Amizé, des voies robotisées.
06:12 La qualité devient vraiment excellente quand même là.
06:14 Oui, la qualité devient assez impressionnante.
06:17 Après, il ne faut pas perdre de vue que ces petits essais,
06:20 qui font de plus en plus parler d'eux sur Internet,
06:23 restent souvent des démonstrations de quelques minutes.
06:26 Et la question, en amateurs de doublage, qu'on se pose beaucoup, c'est
06:30 est-ce qu'on supporterait ça plus de quelques secondes, quelques minutes ?
06:34 Je ne sais pas, mais on peut y voir quand même un atout important pour ces intelligences artificielles.
06:39 Si demain, par exemple, vous imaginez que la voix de Brad Pitt en français
06:43 ressemble furieusement à la voix de Brad Pitt en anglais,
06:47 finalement on est beaucoup plus proche de sa vraie voix.
06:50 Ce sera vraiment comme si Brad Pitt nous parlait en français ou en indien.
06:54 Donc ça, c'est quand même très embêtant pour vous.
06:57 Sauf que Brad Pitt, en fait, c'est un Américain.
07:00 Donc il pense son texte en américain, il a un second degré américain,
07:04 il a du non-dit américain, parce que dans la parole, il y a aussi ce qu'on ne dit pas,
07:07 dans le jeu du comédien, il y a ce qu'on fait passer par les émotions,
07:10 donc le sous-texte, on appelle le sous-texte.
07:12 La voix de Brad Pitt, dans sa langue originale, n'a pas ça pour la langue française.
07:17 Donc il faut le travail d'un comédien pour adapter à notre culture,
07:21 à notre ressenti de la langue, au second degré.
07:24 Le non-dit justement, tout le jeu subtil, tout ce qui nous paraît,
07:28 qui donne le sens du texte français, ça doit être fait par un comédien.
07:32 Alors ça ne veut pas dire qu'à terme, on ne pourra pas superposer,
07:35 je dirais, l'empreinte vocale, pourquoi pas, mais pour l'instant on n'y est pas en fait.
07:39 Et la grève à Hollywood, elle porte justement là-dessus,
07:42 c'est que les acteurs américains n'ont pas envie à ce qu'on récupère
07:45 aujourd'hui, sans leur consentement, ce qui caractérise leur personnalité.
07:49 Leur voix, mais aussi l'image, c'est-à-dire leur physique.
07:55 Donc la voix, le doublage, ce n'est qu'une partie immergée de l'iceberg.
08:01 Là on parle aussi du traitement de l'image, de la manipulation de l'image,
08:05 et de la manipulation du travail des comédiens à l'image.
08:07 Parce qu'aujourd'hui, ça peut être, le cinéma français ne s'est pas encore réveillé,
08:11 je dirais, par rapport à l'intelligence artificielle,
08:13 mais ça sera bien que les acteurs qu'on voit à la télévision et aussi au cinéma,
08:16 se posent quelques questions. D'ailleurs ça commence à arriver avec les figurants.
08:20 Il y a des alertes sur les figurants, des gens qui font des figurations
08:23 dans des tournages à Paris, donc ils font leur métier de figurant devant la caméra.
08:26 Et puis à un moment donné, on les retrouve sur un fond vert,
08:29 en fin de journée, pour faire des petites captations.
08:32 Donc il commence à y avoir des problèmes.
08:33 - Ça va toucher beaucoup de métiers, c'est certain.
08:35 Mais c'est vrai ce que dit Patrick Hubbard, il faut encore que Brad Pitt accepte
08:39 d'être traduit en français, notamment Mathilde Krause,
08:43 parce que c'est son empreinte vocale qu'on utilise.
08:46 Donc comment s'est régi ça aujourd'hui ?
08:48 - Aujourd'hui, c'est beaucoup de dispositions contractuelles.
08:52 Aujourd'hui, Brad Pitt n'impose pas des voix particulières.
08:57 En général, c'est le distributeur qui va choisir la personne qui va doubler,
09:02 le comédien ou avec un directeur artistique.
09:07 Demain, peut-être que Brad Pitt imposera,
09:11 soit qu'effectivement on utilise une voix qui lui ressemble générée par une machine,
09:16 soit il imposera qu'on continue à utiliser des comédiens.
09:20 Et derrière ce choix-là, il y a le choix aussi,
09:23 demain, est-ce que Brad Pitt est d'accord pour qu'on continue à utiliser son image numérisée
09:28 pour le faire incarner n'importe quel personnage,
09:30 dans n'importe quel rôle, y compris quand il sera mort ?
09:33 C'est aussi ce genre de question.
09:34 - On parle d'un très grand acteur américain,
09:37 mais il y a aussi toute une production,
09:39 je pense à plein de feuilletons qui sont peut-être de qualité un peu inférieure.
09:43 Et ça, Hugo Amizé, j'imagine que c'est les premiers qui vont être touchés par l'intelligence artificielle.
09:48 Et il est possible que très vite, ces comédiens de doublage soient remplacés, non ?
09:52 - Alors c'est un peu l'inquiétude qui traverse le milieu actuellement.
09:57 Désolé, j'ai un trou, c'est ma première radio.
10:03 - Non, il n'y a aucun problème.
10:04 - Ça va bien se passer, Hugo.
10:05 On est entre nous, tout va bien.
10:07 - Il ne faut pas oublier que la communauté,
10:11 enfin la communauté même, le grand public,
10:13 comme vous l'avez dit tout à l'heure,
10:14 70% des gens regardent encore le doublage,
10:17 enfin les œuvres en version française.
10:20 Et il ne faut pas oublier que c'est un public conscient,
10:23 que c'est un public qu'on a tendance à croire parfois
10:26 que le public de VF est passif.
10:29 Mais en fait, il est assez actif et assez impliqué
10:32 quand il est renseigné sur ce genre de choses.
10:34 Et il l'est de plus en plus.
10:36 Il y a de plus en plus de comédiens qui font du doublage,
10:38 qui sont des influenceurs,
10:40 qui arrivent un petit peu à faire parler d'eux.
10:42 Et cette année, en avril dernier,
10:45 il y a eu le cas du film "Super Mario Bros"
10:47 où il était prévu d'inviter des stars
10:50 pour faire le doublage du film.
10:51 Et en fait, la première bande-annonce
10:53 qui contenait des comédiens de doublage
10:54 et des voix plutôt connues du public
10:56 a été réclamée par les gens sur les réseaux sociaux.
10:59 Les gens se sont mobilisés en disant, par pitié,
11:01 pas de stars à regarder les voix de la bande-annonce.
11:04 Donc, le public qui regarde la version française
11:07 est quand même attentif.
11:09 Et la question qui se pose, c'est, encore une fois,
11:12 est-ce que le public acceptera ça ?
11:14 Et je pense que, ce soit pour le doublage
11:17 ou pour toutes les autres branches artistiques
11:20 qui risquent d'être touchées par l'intelligence artificielle,
11:22 ce n'est pas dit.
11:24 - Parce qu'il faut expliquer aussi que derrière le doublage,
11:26 il y a des comédiens aussi,
11:27 mais il y a aussi des ingénieurs du son,
11:28 il y a des studios, c'est tout un pan de la profession
11:30 qui est menacée aujourd'hui.
11:32 - Exactement, c'est le doublage.
11:34 Donc, c'est plein de professions, ingénieurs du son,
11:36 patrons déjà de studios de doublage,
11:38 qu'on appelle des doubleurs.
11:39 Vraiment, les doubleurs sont les patrons de studios.
11:41 Et il y a aussi toute la production audiovisuelle
11:43 dans son ensemble.
11:44 C'est la radio, la télévision,
11:46 la création de fiction.
11:48 Ce n'est pas que le doublage.
11:49 Le doublage, c'est vraiment une partie visible.
11:51 Aujourd'hui, il va falloir qu'on s'interroge
11:52 sur ce qu'on a envie de voir au cinéma et à la télévision.
11:55 Est-ce qu'on a envie de voir des choses
11:56 qui sont faites par des robots ?
11:57 Parce qu'on pourrait créer des séries ou des films
12:00 qui sont faits par des robots et des voix de robots.
12:02 Est-ce qu'on a envie d'écouter des livres audio
12:04 dits par des robots ?
12:05 C'est une vraie question de civilisation en tant que citoyen.
12:08 On doit s'interroger sur ce qu'on veut voir demain.
12:10 C'est pour ça qu'on a interpellé les politiques,
12:12 français et aussi européens.
12:13 J'étais à Bruxelles lundi pour pouvoir dire
12:15 "Oh, il faut qu'on se réveille sur l'IA,
12:17 il y a un problème sur l'IA, sur les bases de données,
12:19 il faut les rendre transparentes,
12:20 et il faut savoir dans quel monde on a envie de vivre.
12:22 C'est important.
12:23 On attend toujours un rendez-vous au ministère de la Culture.
12:26 - On arrive au terme de la discussion.
12:27 Merci beaucoup d'avoir été avec nous ce matin.
12:30 Mathilde Croce, avocate associée au sein du cabinet LR1,
12:32 Patrick Cubant, artiste, interprète avec ce collectif
12:36 "Les Voix" vers lequel je vous renvoie.
12:38 - Les Voix pour les faire.
12:39 - Et puis Hugo Amizé, Mister Fox sur YouTube
12:42 qu'on a plaisir à suivre.
12:43 Merci d'avoir été avec nous ce matin.

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