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Elles ont permis de réduire de plus de 80% la production de soufre des navires. Mais ont-elles paradoxalement contribué au réchauffement de l'océan ?
Olivier Boucher, climatologue, nous explique en plateau le phénomène de réchauffement océanique ainsi que les conséquences de ces nouvelles mesures.

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Transcription
00:00 (Générique)
00:03 ---
00:05 -Le Zoom de ce Smart Impact.
00:07 On parle du réchauffement de l'océan.
00:09 Bonjour, Olivier Boucher. -Bonjour.
00:12 -Vous êtes climatologue, directeur adjoint
00:14 de l'Institut Pierre-Simon Laplace et directeur de recherche au CNRS.
00:18 Je propose qu'on fasse ensemble le constat, pour démarrer,
00:22 du réchauffement de l'océan.
00:24 On parle de quoi ?
00:25 Est-ce une accélération à laquelle on assiste ?
00:28 -On a un climat qui se réchauffe,
00:30 et donc des océans qui se réchauffent
00:33 de manière assez continue.
00:35 Il y a des années avec plus de réchauffement,
00:37 des années avec moins de réchauffement.
00:39 Ce réchauffement est continu.
00:41 Je ne pense pas qu'on puisse parler d'accélération.
00:44 Il est lancé, il ne s'arrête pas tout de suite.
00:47 C'est un souci.
00:48 -Oui, parce que les phénomènes climatiques profonds,
00:52 évidemment, ils sont anticipables longtemps à l'avance
00:55 et ils ont des effets de très long terme.
00:57 Les équations de transformation environnementale
01:02 sont si compliquées.
01:03 Il y a un effet de ce réchauffement.
01:06 Je vois bien qu'on détaille les effets du réchauffement océanique.
01:10 On l'a vu avec la tempête d'Agnès, récemment.
01:13 Qu'est-ce qui s'est passé en Méditerranée ?
01:15 A quel point une eau plus chaude
01:17 peut alimenter des phénomènes de tempête ?
01:20 -En plus du réchauffement,
01:21 on a aussi des vagues de chaleur marine,
01:24 donc des réchauffements assez extrêmes,
01:27 par endroit, par saison.
01:29 On en a connu plusieurs cet été, dans l'Atlantique Nord,
01:32 mais aussi dans la Méditerranée.
01:34 Ça, ça alimente des tempêtes,
01:36 en particulier pour la Méditerranée
01:38 et la tempête d'Agnès que vous citez,
01:40 un phénomène qu'on appelle des médikénes,
01:43 des ouragans de la Méditerranée.
01:44 -Méditerranéens, hurricanes.
01:46 -Celui-là était particulièrement puissant.
01:49 Surtout, il y a un phénomène de persistance.
01:51 Ils restent au même endroit pendant longtemps.
01:54 Vous avez des cumuls de précipitations
01:57 qui peuvent devenir très extrêmes.
01:58 -C'est-à-dire qu'ils viennent se recharger en mer ?
02:02 Est-ce qu'on peut dire ça ?
02:04 -La tempête, là, elle était en deux phases.
02:06 D'abord, elle est allée en Grèce,
02:08 où elle a déjà fait pas mal de dégâts,
02:11 et après, elle s'est rechargée en humidité.
02:13 Et puis, il y a eu des cumuls de précipitations
02:16 très importants aussi en Libye.
02:18 -Parce que l'eau plus chaude de la mer Méditerranée
02:21 fait que la tempête se nourrit plus facilement ?
02:25 -L'eau plus chaude va évaporer plus facilement.
02:28 Vous allez avoir plus de vapeur d'eau dans l'atmosphère.
02:31 Cette vapeur d'eau va venir nourrir la tempête,
02:33 puisque quand la vapeur d'eau se condense et devient nuage,
02:37 puis devient pluie, elle dégage de l'énergie,
02:39 de la chaleur,
02:40 qui permet d'alimenter, justement, la convection et donc la tempête.
02:45 -Alors, voilà, pour le constat.
02:47 Parmi les causes, il y a cette surprise,
02:50 mauvaise surprise.
02:51 On pourrait trouver, dans les nouvelles règles
02:54 de transport maritime, qui abaissent depuis 2020
02:57 les teneurs en souffre du fioul utilisé par les bateaux.
03:01 C'est la rue Science, cet été, qui a émis cette hypothèse.
03:05 Déjà, là, on va essayer de se faire comprendre,
03:08 surtout vous, d'ailleurs, des Béotiens que nous sommes,
03:12 de quel phénomène on parle ?
03:13 -On va pas faire le lien trop rapide.
03:15 -Oui, je dis "hypothèse".
03:17 -Le réchauffement des océans, et ce phénomène,
03:20 qui est bien réel, puisqu'il y a une nouvelle réglementation
03:23 qui impose de diminuer le contenu en souffre des fiouls.
03:26 Il faut savoir que les navires fonctionnent
03:29 avec du fioul lourd, du mazout, comme on l'appelle, parfois,
03:32 et il est très chargé en souffre,
03:34 et quand on brûle ce combustible,
03:36 il génère beaucoup de particules,
03:38 des petites particules, de submiques très petites.
03:41 -Donc, ça, c'est une pollution avérée
03:43 dont on cherche à se débarrasser.
03:45 -C'est une pollution de l'air, c'est pas bon,
03:48 on respire, ça cause des maladies,
03:50 en particulier quand les bateaux sont dans les ports,
03:53 les zones comtières,
03:54 parce qu'on a du vent et on respire ces particules.
03:57 C'est une bonne idée de réduire le contenu en souffre
04:00 de ces fiouls, de manière à améliorer la qualité de l'air.
04:04 Donc, ça, c'est une législation
04:07 qui date des années 2020,
04:09 début des années 2020,
04:11 mais ce qu'on se rend compte aussi,
04:13 c'est que ces particules, elles servent
04:15 de noyaux de condensation pour former les nuages.
04:18 Les nuages, ce sont des gouttelettes d'eau liquide
04:21 qui viennent se former sur ces petites particules.
04:24 -Quand ces particules étaient émises en mer,
04:26 c'est-à-dire si on prend le trajet d'un supertanker,
04:30 par exemple, il va favoriser,
04:33 avec du fioul souffré, la création de nuages,
04:35 c'est ce que je comprends de votre explication.
04:38 -Tant qu'on avait du fioul souffré,
04:40 on générait beaucoup de particules,
04:42 on allait former des nuages qui contenaient plus de gouttelettes,
04:46 qui étaient plus réfléchissants.
04:48 Maintenant qu'on a réduit ces concentrations en particules,
04:52 on va avoir des nuages qui vont revenir comme avant,
04:55 avec moins de particules et un peu moins réfléchissants.
04:58 Ca veut dire qu'ils réfléchissent moins
05:01 du rayonnement solaire vers l'espace,
05:03 et donc un petit réchauffement supplémentaire pour l'océan.
05:07 -On dit "hypothèse émise par la revue Science".
05:10 Ca veut dire quoi ?
05:11 Ca veut dire qu'il y a eu, là,
05:13 parce que c'est récent, cette législation,
05:16 on s'est posé la question, cet été,
05:18 notamment, dans certaines zones particulières,
05:20 d'un lien entre l'absence ou la réduction du soufre dans le fioul
05:25 et le réchauffement de l'océan à cet endroit-là ?
05:28 Ca peut être aussi précis que ça ?
05:30 -Oui, c'est assez précis,
05:32 parce qu'on a des mesures satellitaires,
05:34 et puis tous ces bateaux, vous parliez de supertankers,
05:38 ils voyagent un peu toujours dans les mêmes couloirs.
05:41 -Il y a des autoroutes maritimes.
05:43 -On sait où ils sont,
05:45 on peut regarder ces couloirs avec l'imagerie satellitaire,
05:48 on peut comparer à la période avant les années 2020,
05:51 quand on avait l'ancien fioul,
05:53 on peut aussi comparer les couloirs et juste à côté,
05:55 et on voit bien que les propriétés des nuages sont différentes.
05:59 Les nuages sont moins réfléchissants.
06:01 Il y a une étude qui a été publiée cet été,
06:04 et ça, c'est très robuste, je pense,
06:06 c'est pas une hypothèse, c'est un fait.
06:08 Par contre, ce qui est plus incertain,
06:10 c'est l'ampleur de ce phénomène.
06:12 -C'est-à-dire le niveau de réchauffement ?
06:15 -Si on veut ensuite traduire ça en niveau de réchauffement,
06:18 c'est plus compliqué, il y a des incertitudes,
06:20 on peut faire un calcul, mais on voit que ça contribue
06:24 au réchauffement, mais c'est pas un terme majeur.
06:26 -Quand une étude comme celle-là paraît,
06:29 il y a, vous, les scientifiques,
06:31 qui nous alertez depuis, parfois,
06:34 pour vous, je ne sais pas,
06:36 mais pour la communauté des décennies,
06:38 sur les risques du réchauffement climatique,
06:41 souvent en prêchant dans le désert,
06:43 vous êtes montré du doigt, vous êtes critiqué
06:46 sur les réseaux sociaux, il y a des campagnes
06:48 qui sont très dures pour les scientifiques.
06:51 Quand une information comme ça paraît,
06:53 comment elle peut être utilisée par ceux qui veulent dénigrer
06:56 la réalité du réchauffement climatique ?
06:59 Vous voyez ce que je veux dire ?
07:00 "On interdit le souffle dans le fioul maritime."
07:03 Regardez l'effet inverse.
07:05 -Là, on a une situation un peu particulière,
07:08 puisqu'on n'a pas de synergie entre ces deux effets.
07:11 Soit on a une meilleure qualité de l'air,
07:14 soit on a un climat qui se réchauffe.
07:16 -Qu'est-ce qu'on choisit ? -Qu'est-ce qu'on choisit ?
07:19 Malheureusement, la vie n'est pas toujours simple.
07:21 Il faut quand même améliorer la qualité de l'air,
07:24 et on a aussi d'autres leviers
07:26 pour jouer sur le réchauffement climatique.
07:28 Il faut réduire les émissions.
07:30 Ces bateaux contribuent aussi au réchauffement climatique
07:33 parce qu'ils émettent du dioxyde du carbone, du CO2.
07:36 -Cette mesure de réduction, finalement,
07:41 de la part de souffle dans le fioul maritime,
07:44 elle avait été bien appliquée par le secteur,
07:48 partout sur la planète.
07:50 Comment ça a été accueilli ? Avec une étude comme celle-là,
07:53 j'imagine que certains gros opérateurs vont dire
07:56 "Qu'est-ce qu'on fait ? On arrête ? On continue ?"
07:59 -Je pense que c'est lancé, ça ne va pas s'arrêter.
08:01 L'Organisation maritime internationale,
08:04 c'est un organisme international
08:06 qui n'est pas régulé par les gouvernements.
08:08 Ils ont pris cette décision parce que c'était réalisable.
08:12 On sait désulfuriser le fioul.
08:15 Et puis, ils voulaient faire quelque chose
08:17 pour la qualité de l'air, et c'est bien,
08:19 mais l'impact sur le réchauffement
08:21 n'a peut-être pas été réfléchi jusqu'au bout.
08:24 C'est pour ça que c'est important de travailler sur le CO2.
08:27 -Est-ce que vous préconisez de remettre
08:29 un peu plus de souffle dans le fioul maritime ?
08:32 -Je ne dirais pas jusque-là.
08:33 Peut-être qu'on aurait pu réfléchir
08:36 à avoir différents types de fiouls
08:38 suivant là où est le bateau.
08:40 Au milieu du Pacifique, la qualité de l'air
08:42 n'est pas un sujet, vraiment,
08:44 parce que ces particules ne restent pas longtemps
08:47 dans l'atmosphère, elles retombent plus rapidement.
08:50 Par contre, quand le bateau n'est pas loin des côtes
08:53 ou dans les ports, il faut absolument désulfuriser.
08:56 -Certains chercheurs disent qu'on pourrait l'injecter
08:59 dans la stratosphère pour créer un effet miroir.
09:01 Vous en pensez quoi de cette idée ?
09:03 -Ca, c'est vraiment le plan B, voire le plan C.
09:06 C'est-à-dire que c'est pas désirable,
09:09 ça a tout un tas d'effets secondaires,
09:12 mais on pense que, dernier recours...
09:15 -C'est-à-dire que si les solutions mises en place
09:18 ne sont pas suffisantes et qu'on a un niveau de réchauffement
09:22 trop important, on pourrait en arriver là ?
09:24 -Oui, en 2050 ou en 2070,
09:27 si on se retrouve avec 3 degrés de réchauffement,
09:30 c'est plutôt pour la fin du siècle,
09:32 je pense qu'on réfléchira peut-être à deux fois.
09:35 On se posera la question de savoir
09:37 si on peut refroidir le climat de manière artificielle.
09:40 Une des techniques proposées, c'est d'injecter ces particules
09:43 non pas à la surface de la planète,
09:45 là où on peut les respirer, mais plus haut dans l'atmosphère.
09:49 -Quand on dit stratosphère, on est à...
09:51 -On est à 15 km dans les tropiques,
09:53 un peu moins dans les moyennes et hautes latitudes,
09:57 à ces altitudes-là.
09:58 -Comment ça marche ?
09:59 -Ces particules interagissent avec le rayonnement solaire
10:02 parce qu'elles sont de taille très petite.
10:05 C'est une taille qui est très proche
10:07 de la longueur d'onde du rayonnement solaire,
10:10 de l'ordre de 500 micromètres.
10:12 Et ces particules, elles sont plus petites,
10:14 plutôt de...
10:15 Pardon, 0,5 micromètre.
10:18 550 nanomètres.
10:20 Et donc, elles interagissent de manière assez efficace
10:24 avec le rayonnement solaire
10:26 et elles le diffusent un peu dans toutes les directions,
10:29 mais en particulier vers l'espace.
10:31 Plus de rayonnement solaire repart vers l'espace.
10:34 En temps normal, en moyenne, il y en a 30 %,
10:36 on ferait en sorte qu'il y en ait 31 %,
10:39 et donc moins de rayonnement solaire
10:41 qui vient être absorbé par la planète.
10:43 On vient contrecarrer l'effet de serre.
10:45 C'est loin d'être une solution parfaite.
10:48 Il y a des risques associés.
10:49 -Il y a un côté apprenti sorcier quand on lit ça.
10:55 Mais vous dites quoi ?
10:56 Vous dites qu'il ne faut pas se priver
10:58 de rechercher, d'avancer dans cette direction-là,
11:01 au cas où, c'est ça ?
11:02 -Il ne s'agit pas de déployer ça ni aujourd'hui, ni demain,
11:06 ni même dans 10 ans.
11:07 La priorité, c'est vraiment réduire les émissions
11:10 de dioxyde de carbone et des autres gaz à effet de serre,
11:13 mais il ne faut pas s'interdire de faire la recherche.
11:16 La recherche se fait sur le temps long,
11:19 donc on a besoin d'accroître le niveau de connaissance
11:22 sur ces techniques-là aussi,
11:24 même si elles sont très imparfaites.
11:26 -On parle de technosolutionnistes.
11:28 Il y a d'autres techniques similaires
11:30 sur lesquelles, selon vous, il faut travailler,
11:33 même si c'est pas la priorité ?
11:36 -Oui, il y a quelques techniques,
11:39 mais on a vite fait le tour.
11:41 Il y a celle-ci et une autre technique
11:43 qui consisterait à rendre ces nuages maritimes
11:46 plus brillants, mais en injectant des particules
11:49 qui ne sont pas des particules de soufre du haut bateau,
11:52 mais plutôt des particules de sel marin.
11:54 Ca paraît pas impossible, mais c'est plus compliqué.
11:57 Après, il y a une autre classe de techniques
12:00 sur laquelle il faut faire la recherche,
12:02 qui est la captation du CO2 atmosphérique,
12:05 comment aller rechercher le CO2 dans l'atmosphère.
12:07 C'est plus facile de ne pas l'émettre,
12:10 il faut commencer par là, mais quand il y en a trop,
12:13 et dans certains cas, c'est difficile de ne pas émettre du CO2,
12:16 l'idée, c'est d'aller en rechercher.
12:18 C'est coûteux et c'est pas facile.
12:20 -Merci beaucoup, Olivier Boucher.
12:22 C'était passionnant. A bientôt sur Bsmart.
12:25 On passe à notre rubrique consacrée
12:27 aux start-up écoresponsables, Smart Ideas.

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