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La Coupe du Monde de rugby en 1999 est le premier mondial de Marc Lièvremont. Sa sélection est une surprise pour le joueur français qui se remet tout juste d’une blessure. Mieux encore, c’est aux côtés de son frère Thomas Lièvremont, également sélectionné, que Marc s’apprête à fouler la pelouse des terrains français et britanniques pendant près de deux mois. Mais une fois la joie de la sélection passée, Marc Lièvremont va vite déchanter. Le XV de France, en transition vers un rugby plus professionnel, est une équipe tiraillée par des rivalités et qui peine à trouver une cohésion de groupe.

Les Bleus commencent cette compétition en essuyant des matchs laborieux qui leur valent les critiques de la presse, et des blessures chez des joueurs clés. Qualifiés pour les quarts de finale, la chance tourne pour les Français qui s’attendaient à retrouver une équipe d’Irlande affutée, chez eux, à Dublin. Mais contre toute attente, ce sont les Argentins qui sortent victorieux de leur poule. De quoi redonner espoir aux joueurs français, puisque sur 33 matchs contre les Pumas, seuls quatre se sont soldés par une défaite des Bleus.

« Ce match nous fait du bien », confie Marc Lièvremont, « c’est celui de la légèreté ». Mais cette cohésion naissante sera-t-elle suffisante pour accéder à une mythique demi-finale France/Nouvelle-Zélande à Twickenham, dans le temple du rugby ? Marc Lièvremont raconte le parcours tumultueux du XV de France lors du Mondial 1999 dans « Les Géants du rugby », un podcast original produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Géants du rugby" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-geants

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Transcription
00:00 point de départ de la Coupe du Monde 99. C'est certainement le soulagement de l'annonce
00:05 de la liste parce qu'il se trouve que j'ai été beaucoup blessé cette saison-là.
00:10 Même si j'avais le sentiment d'avoir la confiance du staff de Jean-Claude Scrella,
00:15 de Pierre-Philippe Reux, j'appréhendais un petit peu logiquement. Donc ça a été
00:19 un vrai soulagement. Ça c'était la première grande joie. Je ne sais pas comment j'ai
00:24 appris la nouvelle mais en tout cas c'est mon premier souvenir. Et puis aussi la deuxième
00:29 joie c'était que c'était plus entendu que mon frère Thomas faisait partie de la
00:35 liste. Donc déjà cette dimension-là d'avoir la certitude de jouer une Coupe du Monde avec
00:42 mon petit frère c'était déjà un grand bonheur.
00:44 A l'aube de l'an 2000, le rugby est désormais professionnel. Pour cette quatrième Coupe
00:50 du Monde de l'histoire, les équipes ont rendez-vous en France et en Grande-Bretagne.
00:53 Marc-Yves Remond a 31 ans et pourtant c'est la première fois de sa carrière qu'il est
00:58 retenu pour participer à un mondial. Je m'appelle Manon Fossat. Bienvenue dans ce
01:03 nouvel épisode des « Géants du rugby ».
01:05 En cet automne 1999, la machine est grippée pour les bleus. Ils enchaînent les défaites
01:17 depuis plusieurs mois et il y a des clans, des tensions entre le staff et les joueurs.
01:21 A tel point qu'un psychologue est appelé en renfort.
01:23 J'ai le souvenir que ce n'était pas une réussite ce psychologue. C'est vrai que
01:29 c'était des années de transition entre le rugby amateur et le rugby professionnel.
01:33 On était tous issus du rugby amateur, évidemment dans les statuts, dans la planification de
01:38 l'entraînement, les choses commençaient à beaucoup bouger depuis deux ou trois saisons.
01:41 Il y avait, comme souvent dans une équipe, dès le moment où ça gagnait un peu moins,
01:48 des tensions, des remises en question sur certains postes, de la rivalité. Il y avait
01:54 peut-être déjà des dissensions au sein du groupe, entre une partie du groupe et du
02:01 staff, des gestions des égouts un peu délicates. Sincèrement, je me disais que le temps et
02:09 le fait qu'on avait construit des choses intéressantes, on avait vécu des choses
02:14 passionnantes tout au long de cette année 98 notamment. Il y avait ces acquis-là qui
02:19 nous permettaient de nourrir une forme de confiance et qu'après deux mois de préparation,
02:26 on allait être fort. J'étais vraiment uniquement au plaisir de participer à cette aventure.
02:33 Aucune équipe française, même si l'an passé on a fait le grand chelou, n'a été
02:38 vraiment à la hauteur sur la continuité. On a eu des exploits retentissants comme les
02:43 Black à Toulouse, comme les Anglais qu'on a battus 4 fois en suivant maintenant. Mais
02:48 derrière il faut qu'il s'installe de la qualité vers l'excellence qui nous permette
02:52 de dire maintenant on a l'équipe, on va pouvoir travailler et les détails seulement
02:57 et non plus globalement cette envie d'aller au-delà de soi-même. Tout ça il faudrait
03:01 que ce soit acquis définitivement pour pouvoir espérer en 99 être au top pour la Coupe
03:06 du Monde. C'est en altitude, à Millau puis à Val d'Isère et à Font-Romeu que les
03:10 Bleus préparent le Mondial. Mais les coups durs s'enchaînent. C'est d'abord leur
03:14 maître à jouer, Philippe Carbonneau, qui se blesse durant l'un des stages.
03:17 C'est un coup dur, c'est un coup dur sportivement et c'est un coup dur aussi en termes d'affect
03:24 parce que Flop, comme on le surnommait, c'était vraiment le boss du côté des avants. Il
03:32 avait pris le meilleur sur Fabien Galtier, il était peut-être moins talentueux encore
03:37 que ça peut se discuter. Mais en tout cas c'était vraiment le cornac de notre paquet
03:41 d'avant. Il y avait aussi une très bonne connexion toulousaine. Il rassemblait Philippe
03:47 Carbonneau. En fait on est réellement rentré dans le dur au-delà des blessures dès les
03:53 matchs de préparation parce qu'on pouvait espérer après un mois de stage de retrouver
03:58 une forme de cohésion et ça n'a pas été le cas. On a joué des matchs de merde pour
04:06 dire les choses. Je me souviens des sifflets du public contre des petites équipes. Est-ce
04:12 que c'était un choix judicieux puisque le staff avait choisi des équipes de province
04:18 un petit peu. Je me souviens d'avoir joué à Grenoble à Dax et à chaque fois on n'était
04:23 pas hyper bien physiquement, on était un peu imprunté. Il y avait ces attermoiements
04:28 à certains postes, la difficulté à trouver une cohésion fonctionnelle sur le terrain,
04:34 relationnelle en dehors et de plus en plus ce climat assez critique autour de nous.
04:39 Quand le 15 de France arrive à Béziers pour le premier match contre le Canada, le climat
04:43 est délétère et cela se ressent sur le terrain. Les Bleus s'imposent sans convaincre,
04:47 33 à 20 et sont la cible de toutes les critiques.
04:50 Le deuxième match contre la Nibibia Bordeaux, je crois qu'on doit mettre 50 points mais
04:54 c'est très approximatif. C'est le premier coup dur à titre personnel puisque mon petit
05:01 frère Thomas se blesse et dit adieu à sa Coupe du Monde. J'entends encore ses cris
05:06 dans le couloir de Charmand d'Elmas qui hurlaient sa frustration, sa déception, sa tristesse.
05:12 Je lui apporte tout mon réconfort. Pour la petite histoire, on s'était un peu projeté
05:17 quand même sur les phases finales. Je m'en souviens très bien du jour de la finale de
05:22 la Coupe du Monde, c'était le 6 novembre. Le 6 novembre c'est l'anniversaire de Thomas.
05:25 On s'était dit que ce serait un joli cadeau pour toi. Evidemment, il n'est plus dans
05:30 l'aventure. Malgré la victoire sur le Canada, il n'y
05:34 a pas beaucoup de sourire sur les visages. Après Philippe Carboneau, Thomas Castagnet
05:38 et Thomas Lièvremont, c'est au tour du demi-deux-mêlée Pierre Mignoni de se blesser.
05:42 C'est un paria qui est alors appelé en renfort, Fabien Galtier. Il n'a pas été retenu
05:47 initialement pour participer à la compétition. Il est vexé et en froid avec le staff.
05:51 Il est animé lui par un sentiment de revanche, qu'évidemment il y a des tensions avec
05:56 le staff parce que les rapports sont assez distants, que peut-être avec certains aussi
06:01 leaders du groupe, c'était aussi le cas puisque je pense que la décision de ne pas
06:05 embarquer Fabien Galtier, elle est aussi partagée peut-être par un certain nombre qui le trouvaient
06:09 un peu individualiste et là aussi dans un contexte qui n'était pas génial forcément.
06:15 Ses comportements un peu égoïstes quelque part ressurgissent. Toujours est-il qu'il
06:20 est animé par un sentiment de revanche et qu'il est plein de fraîcheur. C'est un
06:25 joueur estimé, bien sûr, apprécié du public et puis d'emblée il amène, c'est certain,
06:30 une grosse plus-value. Toujours est-il qu'on est qualifié, douloureusement. On passe vraiment
06:36 par un trou de souris avec beaucoup de réussite sur ce match-là. Il y a en plus, pour gâter
06:43 les choses, le coup de tronche de Califano qui sur le coup ne s'imposait pas et qui
06:48 du coup te l'efface finale de cette Coupe du Monde. Christian Califano, il est considéré
06:52 comme un des meilleurs piliers du monde et puis c'est un garçon qui est très apprécié
06:54 aussi par sa voix et son enthousiasme et son activité sur le terrain. C'est un coup
06:59 dur même si son remplaçant, en l'occurrence Cédric Soulette d'Eastad, était aussi lui
07:04 très apprécié. Il n'avait pas l'expérience de Cady. Il y en a eu tellement des aléas
07:14 quelque part qu'il y a quand même avant tout le soulagement de nous qualifier.
07:19 Malgré les blessures, malgré les exclusions, les tensions, l'équipe de France domine
07:26 les Fidji 28-19 et se retrouve en quart de finale de la Coupe du Monde.
07:30 Il y a quand même une forme de libération. Il y a effectivement Fabien Galtier qui se
07:34 comporte en patron, qui remet une forme d'assise. Il y a le soulagement lié à cette qualification
07:41 un peu miraculeuse, le soulagement lié au fait que c'est les Arlentins en quart de
07:46 finale et que potentiellement le dernier carré est accessible.
07:50 Pour le quart de finale, la plupart des familles des joueurs se rendent en Irlande. Pourtant,
07:55 depuis le début de la compétition, rien n'est fait pour leur faciliter la tâche.
07:58 Certaines épouses sont obligées de réserver elles-mêmes leurs billets de train, leurs
08:02 billets d'avion ou leur chambre d'hôtel. Mais pour accompagner leur mari dans cette
08:06 aventure, elles sont prêtes à dépenser 10 000 francs de l'époque, l'équivalent
08:10 de 1 500 euros.
08:11 Le quart de finale a lieu à Dublin. Il y avait encore le train qui passait sous la
08:18 vieille tribune, le mythique Lansdowne Road. Mais pas contre l'Irlande et contre nos
08:24 amis argentins. À l'époque, c'était encore nos amis puisqu'on les battait régulièrement.
08:28 C'est le retour du plaisir, c'est le retour de la confiance et ça c'est la bonne nouvelle.
08:33 C'est ce dont je me souviens d'une forme de légèreté. Peut-être que tout est lié,
08:38 peut-être que le fait d'évoluer dans ce climat de doute, de scepticisme, de critique,
08:43 nous a un peu compris. Ce match nous fait du bien, nous fait du bien avant cette fameuse
08:48 demi-finale.
08:49 C'est le retour du French Flair. Les Bleus s'imposent largement 47 à 26 avec 5 essais
08:54 à la clé. Ils vont pouvoir maintenant défier la mythique équipe des All Blacks en demi-finale.
08:58 On a fait une brinque phénoménale. Entre nous à l'hôtel, je n'ai pas souvenir d'un
09:11 truc qui s'était remis en boîte de nuit. Surtout on l'a fêté ensemble. C'était
09:16 fondamental. Je me souviens d'un grand repas dans notre hôtel où on est tous ensemble
09:19 avec le staff, où on est tous debout sur les tables, où on a les cravates autour de
09:23 la tête, où Joe Mazzo nous chante Johnny Hallyday, où Richard Hurt mime le haka des
09:33 All Blacks. On essaie de dramatiser le truc. Il y a vraiment à la fois beaucoup de joie,
09:39 beaucoup de soulagement aussi très certainement, une forme d'inconscience ou la conscience
09:44 que ça va être plus que compliqué contre les All Blacks la semaine d'après. Je me
09:49 souviens d'une forme de délivrance, d'un sentiment d'euphorie aussi, en se disant
09:54 bon vivons ces moments-là, profitons-en, fêtons-le tous ensemble. C'est vraiment
10:00 une super soirée où je n'ai pas le souvenir d'excès démesuré. On l'a faite raisonnablement,
10:06 comme il faut et ensemble. C'est une libération. Il y a beaucoup d'euphorie en se disant
10:13 tout simplement la vie est belle, profitons, on est demi-finalistes. Je ne dis pas qu'il
10:19 faut oublier tout ce qui s'est passé préalablement, mais en tout cas on est là.
10:23 Le problème, c'est que la Fédération française de rugby n'a pas forcément anticipé
10:27 une qualification pour les demi-finales. Rien n'a été prévu sur le plan logistique.
10:31 Les Bleus établissent donc leur camp de base à Slough, une petite ville près de Windsor,
10:35 bien loin du luxe de la résidence royale. Je me souviens d'un hôtel, d'une tour,
10:40 d'un building, pas sordide certainement, un hôtel de qualité. Bien sûr, ce n'était
10:45 pas un Formule 1, mais alors vraiment sans espace vert. On était cerné par des rocades.
10:50 C'était la galère pour tout, pour trouver des terrains d'entraînement qui étaient
10:54 dans un piteux état. Je me souviens d'un bourbier, je me souviens de trucs à l'arrache
10:59 où on faisait, je n'en sais rien, des séances de touche dans le parking. Enfin, on s'est
11:03 préparé comme une équipe de, sans faire injure au rugby amateur de fédéral. C'était
11:10 vraiment très particulier. Du coup, ça reste des super moments où on a vécu des moments
11:18 de préparation dans des conditions pas hyper confortables, c'est vrai, mais un peu seul
11:25 contre tous aussi, toujours. Et malgré tout, le sentiment qu'on avait une paix royale,
11:31 parce que mine de rien, on était là en demi-finale malgré toutes les critiques.
11:34 Je me souviens de certains de mes coéquipiers aussi qui avaient parié, à l'époque on
11:37 avait le droit de parier, il y avait la cote de l'équipe de France, mais elle était
11:41 pathétique. La cote des bouleverseurs, c'était pas de savoir à la limite qui allait gagner,
11:45 qui allait perdre le match, et de combien de points allait perdre l'équipe de France.
11:48 C'est se dire qu'on a quasiment aucune chance et on va jouer le coup à fond et
11:53 que peut-être on peut considérer qu'on s'est dit que c'était une course perdue,
11:58 qu'on était quelque part d'accord avec tous les pronostiqueurs et que malgré tout,
12:03 grâce à une course perdue, des fois des individus vont donner le meilleur d'eux-mêmes
12:07 pour une autre ambition que la victoire, ne serait-ce qu'éviter l'humiliation,
12:12 tout donner, et puis on verra la fin.
12:15 Le 31 octobre 1999, c'est dans le temple sacré de Twickenham à Londres que les Bleus
12:22 affrontent les Blacks. Les bookmakers anglais sont catégoriques. La France n'a aucune
12:27 chance.
12:28 Les Bleus vont-ils réussir à faire mentir les pronostiques ? C'est ce que je vous
12:32 propose de découvrir dans la seconde partie de cet épisode. A très vite sur le site
12:36 et l'appli Europe 1 ou sur votre plateforme d'écoute préférée.
12:39 Merci.
12:39 [Musique]

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