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Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.
La dermatologue Sophie Goettmann, autrice de l’ouvrage “Waterbed” (ed. Plon), a grandi dans un cercle familial naturiste et libertin, un climat incestuel qui l’a violemment marquée. Pour Yahoo, elle a accepté de se livrer sur son histoire, revenant sur ce traumatisme, vécu chaque année par des milliers d’enfants et dont les traces sont indélébiles. Elle a notamment évoqué son enfance et la façon dont elle s’est construire dans cette famille aux moeurs complètement différentes.
À noter qu’il est important de différencier l’inceste et l’incestuel. Le premier est un rapport sexuel entre proches parents. Le second peut se caractériser comme un inceste moral dont les dégâts psychologiques sont souvent tout aussi pernicieux. Il désigne une ambiance trouble, ambigüe et souvent malsaine au sein d’une famille. La victime évolue dans un climat lourd qui porte l’empreinte de l’inceste sans qu’il y ait passage à l’acte. Le terme incestuel a été mis en lumière par Paul-Claude Racamier dans les années 1980-1990.

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Transcription
00:00 Mon grand-père tripotait tout le monde de toute façon.
00:02 Donc les petites filles, alors pas les garçons, les petites filles,
00:05 les poids de poids sur les fesses, les seins, tout, c'est comme ça.
00:07 Mais ça, vous savez, c'est pas ce qui traumatise le plus les enfants.
00:10 Les paroles, les menaces, et la peur "d'y passer",
00:14 c'est bien pire que de se faire tripoter.
00:16 Maintenant, on dirait que c'est une agression sexuelle, probablement.
00:19 Mais alors nous, ça nous paraissait complètement normal.
00:22 Je m'appelle Sophie Goetman, je suis médecin, j'écris des livres.
00:27 "Waterbed" est mon deuxième livre.
00:29 Le "Waterbed", c'est un matelas à eau,
00:31 c'est un lit qui a été créé dans les années 67-68 par un Américain.
00:35 C'est un petit peu l'icône de la culture pop et du plaisir.
00:38 C'était bien sûr soi-disant réputé pour être un matelas confortable
00:41 et bien sûr un passeport pour l'hédonisme.
00:43 C'était un petit peu un fil directeur du livre,
00:45 puisqu'il y a plusieurs "Waterbed", dont celui de ma grand-mère,
00:48 qui était carrément malade et qui était parfois couchée sur des matelas anti-escarpes,
00:51 donc c'est quand même des matelas à eau.
00:53 Il y a celui du grand-père.
00:55 La famille est dirigée par un homme qui s'appelle Martial dans le livre,
00:58 donc mon grand-père, qui est un homme brillamment intelligent,
01:02 un industriel génial, tyrannique, par tous heures de renom,
01:06 le livre commence comme ça.
01:08 C'est un monsieur qui a une emprise sur toute la famille,
01:11 et en fait tout le monde obéit, on peut le dire, maîtrise tout le monde.
01:14 Cet homme a deux enfants, donc deux filles, et puis des petits-enfants.
01:19 Il est séparé de sa femme qui était ma grand-mère,
01:21 et il a une vie totalement dissolue de libertin des années 70.
01:25 Bon, je pense qu'il avait quand même une pathologie proche de la perversion.
01:29 Donc c'est sûr que l'ambiance des années 68, 70, 75
01:33 n'a pas donné de frontières à un homme qui n'en avait déjà pas.
01:37 C'était une communauté constituée d'une famille, de l'entourage, des amis,
01:42 où en fait on partage la nudité,
01:44 on partage des propos très libres et de façon très naturelle.
01:49 On parle de sexualité devant tout le monde, il n'y a pas qu'est-ce que soit l'âge.
01:52 On entendait qu'il fallait avoir des rapports sexuels deux ou trois fois par jour,
01:56 sinon on était vraiment n'importe quoi.
02:01 La fidélité n'existait pas, c'est l'adultère fidèle.
02:04 À partir du moment où vous vous dites tout, vous ne trompez pas.
02:07 Donc la fidélité c'est le cœur.
02:10 Moi je ne trouvais pas qu'on voyait beaucoup de cœurs dans tout ce que je voyais,
02:13 mais bon, la fidélité c'est le cœur, mais le corps il est à tout le monde.
02:16 Et donc ils essayent de faire venir d'autres gens,
02:19 et ils essayent d'inculquer ce principe.
02:22 Une communauté incestuelle, il n'y a pas d'âge, il n'y a pas de génération, il n'y a pas de rôle.
02:26 L'ami qui frappe à la porte va venir et va se conduire avec l'enfant comme s'il était la mère ou le père.
02:31 Le grand-père va se conduire comme s'il était le petit copain de la petite fille.
02:35 C'est la grande confusion des êtres.
02:37 L'incestuel c'est la récurrence de comportements
02:40 où le rapport à l'intime de chacun est dévoyé.
02:44 Et cette succession de comportements,
02:46 elle s'accompagne de ce qu'on appelle les équivalents d'inceste.
02:49 Vous avez une fille de 14 ans, vous lui imposez l'annudité,
02:52 et vous l'exposez devant des hommes.
02:54 En fait, vous montrez le sexe de votre fille à des hommes, c'est de ça dont on parle.
02:58 Mais ça c'est pas de l'inceste, mais c'est ce que les psychiatres appellent l'équivalent d'inceste.
03:03 Et il n'y avait aucun interdit, aucune raison que les enfants n'entendent pas des choses,
03:06 ne voient pas des choses, on ne considérait pas la différence d'âge,
03:09 on pouvait dire n'importe quoi devant des enfants.
03:12 Par exemple, paroles de grand-père, je suis allée en Thaïlande,
03:15 j'ai eu une petite, elle était tellement fine, tellement petite,
03:18 qu'on avait l'impression de passer à travers.
03:21 Quand un enfant de 12 ans entend ça, l'enfant se demande,
03:25 mais comment on peut "aimer" quelqu'un au point de passer à travers ?
03:29 C'est extrêmement terrifiant.
03:32 Mais par exemple, il y avait des repas chez mon grand-père,
03:34 qui recevaient des hommes très importants,
03:36 puisque c'était un personnage connu à l'époque, socialement très élevé.
03:39 Tout le monde était nu à table.
03:41 Il y a une scène dans le livre, effectivement,
03:43 il y a M. le Préfet, assis entre deux pépés de choc.
03:46 M. le Préfet, quand il se lève, il y a son truc au-dessus des assiettes,
03:51 qui se balade en demi-érection.
03:53 Bon, il faut avoir envie de manger.
03:55 Mon grand-père était, dans l'âme, naturiste.
03:58 Ça veut dire qu'il avait la philosophie de vie naturiste.
04:01 Qu'est-ce que le naturisme ?
04:03 Ça a été d'abord une médecine, c'est un mode de vie,
04:05 c'est un mode de pensée, c'est la vie au grand air,
04:07 saine, proche de la nature, l'eau, la mer, le soleil,
04:10 l'alimentation saine, l'entretien du corps, l'activité physique.
04:13 C'est un très bon principe, le naturisme.
04:15 Finalement, être naturiste, c'est accepter d'être vu nu,
04:18 c'est pas s'exhiber.
04:20 Dans cette famille, dans ce type de naturisme,
04:24 que je n'appellerais pas du naturisme,
04:26 dans ce type de nudisme, c'est un nudisme qui est sexualisé,
04:29 où les gens s'exhibent, où les gens font des blagues salaces,
04:32 regardent les autres, se montrent, parlent de sexe.
04:35 C'est du nudisme libertin.
04:37 En plus, vous forcez tout le monde à être nu, même à des enfants.
04:41 Moi, on m'a posé d'être nu, bien sûr, comme tous les enfants du livre.
04:44 Même à l'adolescence.
04:46 Alors que les naturistes, souvent, respectent l'adolescent.
04:49 On ne peut pas considérer comme une évidence
04:51 d'amener des enfants dans un espace naturiste.
04:53 On doit y réfléchir, se poser des questions, voir quel enfant on a.
04:56 Des psychiatres vous diront qu'il n'y a pas d'enfants en espace naturiste
04:59 parce qu'ils vont développer leur sentiment de pudeur,
05:01 qui n'est pas inné, c'est acquis,
05:03 dans un espace artificiel qui n'a pas les mêmes codes
05:06 que ceux de la société dans laquelle ils vivent.
05:08 Donc c'est une violence.
05:09 C'est ce que disent certains psychiatres.
05:10 Moi, je ne suis pas psychiatre.
05:11 Ce que je sais, c'est que, moi, personnellement,
05:13 je n'avais pas envie d'être nu,
05:15 que j'étais obligée et que c'est une souffrance pour des enfants.
05:17 Le sexe de l'enfant n'appartient pas à l'adulte.
05:20 C'est une projection d'adulte, ça.
05:22 Le sexe de l'enfant appartient à l'enfant.
05:24 Il le montre s'il veut.
05:25 Et en général, croyez-moi, il ne veut pas.
05:27 Je le vivais très mal, c'était atroce.
05:29 C'est insupportable.
05:30 En fait, vous essayez de vous cacher,
05:32 malheureusement, n'allez pas sur des plages.
05:34 Quand on va sur une plage, d'ailleurs,
05:36 c'est Marcel Ruffaut qui a dans son livre
05:38 "Tout ce que vous ne devriez jamais savoir sur la sexualité des enfants",
05:41 il traite l'inverse, évidemment,
05:43 "Tout ce que vous ne devriez pas savoir sur la sexualité des parents",
05:45 il raconte que sur l'île du Levant,
05:47 ils ont regardé les enfants sur les plages.
05:49 Qu'est-ce qu'ils font, les enfants, sur les plages naturistes ?
05:52 Beaucoup ne jouent pas, ni au ballon, ni au château de sable.
05:54 Ils s'enterrent.
05:55 Nous, on était sur des bateaux.
05:57 Alors, sur un bateau, pour essayer de vous cacher,
05:59 il n'y a pas de solution,
06:00 vous savez, on vous l'enlève, vous n'avez pas le droit.
06:02 Et puis, à part vos mains et vous recroqueviller
06:04 et ne pas vous tenir droite,
06:06 eh bien, vous faites comment, en fait ?
06:08 Vous faites comme ça, un peu, vous faites un peu comme ça,
06:10 vous voilà, il faut se débrouiller.
06:12 Parce que vous n'avez pas envie,
06:13 il y a d'autres jeunes de votre âge,
06:15 surtout à l'adolescence, c'est quand même vachement dur.
06:17 Les enfants, enfin, nous,
06:20 dans le livre, il y a d'autres familles,
06:23 il y a des enfants qui m'étaient emmenées dans les soirées.
06:26 Nous n'avons jamais été emmenées volontairement dans une soirée
06:29 pour m'être renseignée.
06:30 Il y a encore des libertins qui font des soirées chez eux.
06:32 Donc les enfants dorment,
06:34 enfin, en tout cas, ils pensent que leurs enfants dorment.
06:36 Ça fait beaucoup de bruit, une soirée.
06:38 Et les enfants, en fait, ils sont exposés au bruit.
06:40 Vous allez me dire que c'est moins grave que de voir,
06:42 et je vais vous dire, je ne crois pas.
06:45 Parce que la vue, c'est la vue.
06:47 Mais les cris, dans la nuit, c'est quoi pour un enfant ?
06:51 C'est la souffrance, c'est...
06:53 On bat, on bat, on frappe, on tape,
06:55 on arrache les bras, on crève les yeux.
06:56 Quand un enfant a beaucoup d'imagination,
06:58 ça peut aller très, très vite, très, très loin.
07:00 Puis après, les cris s'arrêtent.
07:01 Il y a un moment où ça s'arrête, vous savez.
07:03 Ils sont morts, en fait.
07:05 Ça développe la peur de la mort.
07:07 Il y a une scène difficile dans le livre.
07:09 Les enfants sont au bord de la piscine,
07:10 les adultes sont derrière les buissons.
07:12 Mais derrière les buissons, c'est pas devant.
07:14 Donc c'est surtout auditif.
07:16 C'était le grand-père et toutes ses femmes.
07:18 Ils n'œuvrent pas directement devant les yeux de l'enfant.
07:20 En tout cas, les enfants n'ont pas de place,
07:21 donc ils sont mis de côté,
07:22 ils se débrouillent tout seuls.
07:23 En général, on ne leur donne pas à manger, d'ailleurs.
07:25 Les adultes disparaissent dans les chambres,
07:27 dans les alcoves, derrière les buissons.
07:30 Mais vous ne voyez pas l'ambiance.
07:33 Ça se respire, on va dire.
07:34 Les parents sont absents.
07:36 Il y a un grand-père qui est quand même très particulier,
07:38 dont vous pouvez même avoir peur.
07:40 Il y a des adultes qui n'ont aucun regard pour un enfant.
07:44 Ou alors, ils vont vous dire
07:45 "Ah, mais les gosses, c'est dégueulasse, ça pue, c'est moche, c'est sale."
07:48 Oui, c'est ça. Moi, j'entendais ça.
07:50 Donc en fait, les enfants, ils font quoi ?
07:51 Ils attendent dans un coin que ça se passe.
07:52 Les enfants ne vont pas se mêler de ce qui se passe.
07:54 Mais s'il vous plaît, il y a une atmosphère qui n'est pas saine.
07:56 C'est une évidence.
07:57 Alors comment la femme que je suis a réussi à se construire ?
08:00 La première chose, je crois que c'est la médecine.
08:03 Puisque dans toute cette histoire,
08:05 j'avais quand même une grand-mère extraordinaire qui était malade.
08:07 Qui avait une polyarthrite thromatoïde,
08:09 chez qui j'étais assez souvent.
08:11 Et dont je m'occupais un peu, même parfois beaucoup.
08:14 Et dont j'ai tout de suite voulu faire médecine.
08:15 De toute façon, dès le départ,
08:16 haute comme deux pommes, je voulais faire médecine.
08:18 Je savais déjà que ça m'épanouirait de soigner et de prendre soin.
08:21 Donc j'attendais ça comme le Messie.
08:23 Et à 18 ans, boum, je suis partie.
08:25 J'ai fait ma première année de médecine.
08:27 J'ai réussi tout de suite.
08:28 Et ça, ça a commencé à me construire.
08:30 C'est la première étape.
08:31 En ce qui concerne les troubles du développement de la personne,
08:35 à savoir quel type de femme on va être sensuellement,
08:38 la pression était telle,
08:41 sur les épaules de toutes les filles de mon entourage,
08:43 y compris les miennes,
08:45 à savoir, ça a intérêt à marcher sur ce plan-là,
08:48 sinon on est juste moins que rien.
08:50 Quand vous vous rendez compte que ça va être compliqué,
08:53 vous avez de l'énergie vitale,
08:55 vous vous dépêchez de vous faire soigner.
08:57 Enfin, soigner, c'est un grand mot,
08:58 parce que je n'ai pas à me faire soigner, je n'ai rien fait.
09:00 Mais moi, il fallait bien qu'on m'aide.
09:02 Donc à 16 ans, je pique de l'argent dans les poches de mon père
09:04 et je commence à aller chez le psychiatre très tôt.
09:06 Ça ne marche pas tout de suite parce que le psychiatre, il est...
09:09 Il voit une gosse de 15, 16 ans arriver,
09:12 il lui dit "Allez-y, parlez, je vous écoute".
09:14 La pauvre gosse, elle ne dit rien, évidemment.
09:15 Donc je ne disais rien.
09:16 Donc j'ai arrêté.
09:17 Et puis dès que j'ai été en médecine, j'ai eu 4-5 ans de thérapie.
09:21 Donc voilà, j'ai bien avancé.
09:23 Je crois que c'est la médecine qui m'a construite.
09:25 Après, j'ai rencontré mon mari, j'ai fait des enfants.
09:27 Donc ça, ça a été extraordinaire.
09:28 J'ai refait de mon enfance avec mes enfants.
09:30 J'ai été une maman un peu...
09:31 J'ai été une maman un peu enfant.
09:32 Après avoir été une enfant-mère,
09:35 parce que j'étais quand même un peu la mère de ma soeur,
09:37 que j'avais sous mon aile quand elle est arrivée.
09:39 J'avais 7 ans quand elle est arrivée.
09:41 Donc après avoir été une enfant-mère,
09:44 j'ai été une mère-enfant.
09:45 Je me suis mise par terre à jouer aux petits animaux,
09:48 aux petits camions, aux petites voitures.
09:49 J'ai refait mon enfance avec mes enfants.
09:51 Donc ça m'a beaucoup reconstruit ça.
09:53 Et après, l'art est sorti comme le Messie.
09:56 Brutalement, il a fallu que je dessine, il a fallu que je peigne.
09:58 Alors ça, ça a été extraordinaire.
09:59 Après, il a fallu que je me remette à la musique.
10:01 Ça a été extraordinaire.
10:02 Après, je me suis mise à écrire.
10:03 Et tout ça, c'est revenu progressivement.
10:05 Quand je suis pessimiste, je dis que j'ai passé ma vie à la rattraper.
10:08 Mais je l'ai quand même attrapé.
10:09 Comment j'ai vu les hommes ?
10:11 C'est très intéressant.
10:12 J'ai écrit une chanson qui est super, qui s'appelle "Le Macho".
10:15 Et qui me vient probablement de mon enfance.
10:17 Et de cette façon dont je voyais comment on considérait les femmes.
10:19 Parce que les femmes que je voyais, là,
10:21 elles n'étaient quand même pas très bien considérées.
10:23 Mon idée des hommes, elle n'était quand même pas brillante.
10:26 Ça ne me donnait guère envie.
10:28 Donc, arrivée à 13-14 ans, dans le Lille, il y a une histoire de boum.
10:32 Je vais à une boum.
10:33 Et toutes les autres filles commencent à embrasser les garçons.
10:36 Moi, il y a un garçon qui me tombe amoureuse de moi,
10:38 qui veut absolument sortir avec moi.
10:39 Je ne savais même pas ce que ça voulait dire.
10:40 Moi, j'étais complètement à la ramasse.
10:42 Il n'était même pas question de garçon sortir avec moi.
10:44 Mais je ne savais même pas en quoi ça consistait.
10:46 Alors, visiblement, il fallait embrasser.
10:47 J'étais complètement...
10:49 Et puis, finalement, il ne m'a pas forcée.
10:52 Mais enfin bon, il m'a embrassée pendant la boum.
10:54 Je suis rentrée à la maison.
10:56 Je me suis lavée la langue.
10:58 Enfin, je n'étais pas du tout contente.
11:01 Le lundi matin, j'ai fait comme si de rien n'était.
11:03 Ça ne m'intéressait pas du tout.
11:04 Et ça a encore mis deux ans.
11:05 Au bout de deux ans, je suis tombée amoureuse d'un garçon.
11:09 J'ai commencé à voir ce que ça pouvait être
11:11 qu'un rapport homme-femme autre que ce que j'avais vu.
11:13 J'ai ressenti de l'amour.
11:15 Et même du désir.
11:16 Une adolescente de saison qui tombe amoureuse,
11:18 elle a du désir.
11:19 Ça, c'est normal.
11:20 En tout cas, c'est venu.
11:21 Ça n'aurait pu ne pas venir, mais c'est venu.
11:23 Puis, les choses ont avancé.
11:25 J'ai d'autres petits amis.
11:26 Puis, un jour, j'ai rencontré mon mari,
11:28 avec qui je suis toujours.
11:29 J'ai d'abord considéré la sexualité
11:31 comme une chose épouvantable.
11:33 Comment ça peut être autrement ?
11:35 Je pense qu'à un certain temps,
11:36 la sexualité, pour moi,
11:38 c'était un truc dont je ne voulais pas du tout entendre parler.
11:41 Mais je crois qu'à 16 ans,
11:43 il y a eu ce petit amoureux.
11:45 Déjà, là, j'ai commencé à considérer les choses différemment.
11:47 Et puis, dès que j'ai vu un psy,
11:49 j'ai très vite considéré ça
11:50 comme une chose importante de la vie.
11:52 Mais une chose normalement importante.
11:54 Pas le centre de la vie,
11:56 comme ce que j'avais vu quand j'étais petite.
11:58 Parce que quand j'étais petite,
11:59 c'était le sexe d'une façon...
12:02 On ne la voyait pas ailleurs.
12:04 Quand j'allais chez mes copines,
12:06 je ne voyais pas de choses comme ça.
12:08 On était quand même élevés dans un monde totalement à part.
12:10 On était sur la planète des enfants échangistes.
12:12 Des enfants d'échangistes.
12:14 Pour moi, l'être humain n'est pas mauvais, il le devient.
12:17 Et les agresseurs, dans la grande majorité des cas,
12:20 ils ont subi quelque chose.
12:22 Vous savez, il y a un psychiatre qui s'appelle Robert Stoller
12:24 qui a dit une phrase qui m'a beaucoup frappée.
12:27 La perversion sexuelle,
12:29 le plus souvent, c'est la forme érotique de la haine.
12:32 Ça veut dire que le pervers se venge.
12:34 Il reproduit en quelque sorte.
12:35 Mon grand-père, c'était ça.
12:37 Il a été agressé très gravement quand il était jeune.
12:39 Très jeune, très petit, sexuellement.
12:41 On peut le dire quand même.
12:43 Dans un établissement catholique, par un prêtre.
12:45 Ce n'est pas un secret, ça, non plus.
12:47 Donc, pendant des années.
12:50 Et voilà, c'est tout.
12:53 L'explication, même si ce n'est pas une excuse,
12:56 parce qu'il aurait pu avoir du recul sur lui
12:58 et ne pas reproduire...
13:01 Déjà, il n'a pas reproduit. Il n'a pas violé.
13:03 Donc, il a réussi à ne pas reproduire.
13:05 Et vous savez, l'incestuel, ça vient parfois
13:07 quand quelqu'un qui a subi l'inceste
13:09 essaie de ne pas reproduire.
13:10 Et c'est un succès.
13:11 Et on peut lui dire merci de ne pas avoir reproduit.
13:14 Parce que, moi, personnellement, je pense que l'incestuel,
13:16 en ce qui me concerne, j'ai tellement eu peur
13:18 que ça passe de l'autre côté,
13:19 que je suis contente que ça ne soit pas passé de l'autre côté.
13:21 Effectivement, j'aurais préféré qu'il se fasse prendre en charge
13:23 et qu'on n'ait pas tout ça.
13:24 Mais, cette explication-là,
13:28 elle vous apaise ?
13:30 Savoir que la faute vient de quelqu'un de plus haut placé encore ?
13:32 Enfin, vous voyez, c'est un énorme apaisement
13:35 pour les gens qui ont subi.
13:37 Parce que beaucoup de gens me disent
13:38 "Mais tu ne vas pas l'excuser, tu vas l'excuser."
13:40 C'est pas le sujet.
13:42 Voilà, la boucle est bouclée.
13:44 Il y a une explication.
13:45 C'est un dysfonctionnement familial
13:47 qui est survenu dans ces circonstances-là.
13:48 Voyons la situation, analysons ce qui s'est passé.
13:51 Et puis, surtout, occupons-nous de nos enfants
13:54 pour qu'il ne leur arrive rien.
13:56 Et en tout cas, rien qu'ils fassent
13:57 qu'ils puissent devenir comme ça.
13:58 L'objectif de ce livre,
14:00 il est de faire comprendre
14:02 que l'inceste, c'est grave, tout le monde le sait,
14:04 mais qu'il y a d'autres types de violences sexuelles,
14:06 en particulier ce qu'on appelle l'incestuel,
14:08 qui est gravissime,
14:10 qui entraîne des conséquences terribles sur les enfants,
14:14 qui ne peuvent pas se construire.
14:16 Il y a des jeunes qui finissent par se suicider,
14:18 il y a des jeunes qui ont des troubles psychiatriques graves.
14:22 L'incestuel, c'est quand on souffle le ventre de l'inceste
14:24 sans qu'il y ait inceste.
14:25 On le voit.
14:26 C'est l'enfant baigné dans la sexualité
14:28 avec des équivalents d'inceste
14:31 qui font office de menace.
14:33 Donc, en fait, l'enfant craint, mais ça n'arrive jamais.
14:36 On peut avoir eu peur tout son enfance de se faire violer,
14:38 et ça n'arrive jamais.
14:40 Mais en fait, pendant ce temps-là, vous avez eu peur.
14:42 Tout le temps.
14:43 Et ça, c'est un inceste moral.
14:46 Et en fait, ça empêche l'enfant de se construire.
14:48 C'est très grave,
14:49 mais comme il n'y a pas eu de passage à l'acte physique,
14:51 les gens qui ont subi ça n'ont pas de légitimité.
14:54 Donc, ce sont des femmes et des hommes, adultes,
14:57 ou jeunes adultes,
14:58 qui, quand ils regardent des reportages sur l'inceste,
15:00 dont on parle tant en ce moment,
15:01 mais vous ne savez pas ce que c'est d'avoir vécu l'incestuel,
15:04 et de voir un reportage sur l'inceste,
15:06 de voir tous les gens hurler contre l'inceste,
15:09 et vous, vous êtes sur le côté, là, sur le tapis,
15:12 parce que vous n'avez rien vécu, en fait.
15:14 Et la phrase qui termine mon livre, c'est ça.
15:17 Quelqu'un m'a dit un jour, me voyant écrire,
15:19 "Qu'est-ce que tu fais ? Tu écris sur quoi ? J'écris sur..."
15:21 Il me dit, "Ah, rien de condamnable, en fait."
15:24 Exact.
15:26 "Ah, rien de condamnable, en fait."
15:28 Et ça, ce n'est pas possible.
15:29 L'incestuel, c'est une violence physique et psychique.
15:34 Ça détruit les enfants, ça les empêche de se construire,
15:36 ça peut aboutir à la mort psychique, ça doit être reconnu,
15:38 et les victimes vont pouvoir dire qu'au moins,
15:41 voilà, on reconnaît qu'elles ont vécu une violence
15:44 qui les a empêchées de se construire.
15:46 Moi, c'est mon premier combat.
15:47 C'est l'incestuel, c'est grave, c'est destructeur,
15:50 ça doit être reconnu.
15:51 D'ailleurs, à la CIVIS,
15:52 qui est la Commission de Défense contre l'Inceste
15:53 et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants,
15:55 qui est dirigée par, dont le président, c'est Édouard Durand,
15:58 Nathalie Mathieu,
15:59 ils sont sur les starting blocks pour faire reconnaître l'incestuel.
16:03 Donc, j'ai envie de dire, la première, voilà,
16:06 c'est, moi, mon livre, je l'avais écrit depuis longtemps,
16:09 j'ai décidé d'essayer de le publier, et j'ai réussi.
16:12 Le principal objectif, c'est de faire reconnaître l'incestuel.
16:17 [Générique]
16:19 Merci.

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