Avec « Goldman » (Seuil), biographie du chanteur et formidable radiographie de la France des années 1980, l’historien Ivan Jablonka affirme sa place singulière dans le panorama de la recherche française. De la première « Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus » aux essais d’ego-histoire, en passant par l’enquête sur le féminicide de « Laetitia » (prix Médicis), l’œuvre de ce spécialiste de l’enfance et du genre témoigne qu’un livre de sciences humaines est un projet aussi intime qu’une fiction et que l’essai recoupe une aventure intellectuelle qui se pense – et peut aussi s’assumer – à la première personne.
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00:00:00 Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
00:00:01 Donc moi, je m'appelle Grégoire Lomenager, je suis directeur adjoint
00:00:05 de la rédaction de l'Obs.
00:00:06 Je suis chargé par Cécile Prieur, qui malheureusement n'a pas pu
00:00:09 venir vous accueillir ici pour continuer ce cycle de masterclass
00:00:17 qui nous a accompagnés toute l'année dernière.
00:00:20 On a reçu, je me souviens, Julien O'Dayem-Poly, Tristan Garcia,
00:00:24 Paul Preciado, pas mal d'autres gens.
00:00:27 Depuis là, cette année, rien que pendant l'automne, on va recevoir
00:00:31 Cynthia Fleury, Laurent Binet, Maria Pourcher et on est très heureux
00:00:35 de démarrer avec un professeur d'histoire, un professeur d'université,
00:00:41 quelqu'un de très sérieux qui s'appelle Ivan Jablonka et qui s'est
00:00:46 intéressé à un sujet non moins sérieux qui est ce monsieur,
00:00:50 Jean-Jacques Goldman.
00:00:51 Donc, c'est un peu inattendu de sa part, mais je pense qu'il va nous
00:00:57 expliquer pourquoi en répondant aux questions de Julie Clareny,
00:01:00 qui dirige le service ID chez nous.
00:01:03 Et on a été très intéressé par son livre.
00:01:06 On a été très, très, très content de lui consacrer notre couverture
00:01:11 du 17 août parce que ça parle un peu de musique, parce qu'avec
00:01:17 Goldman, il y a toujours quelques accords de guitare qui traînent,
00:01:22 mais aussi d'histoire, d'histoire de la France, d'histoire politique
00:01:28 aussi.
00:01:29 Et moi, bêtement, je pensais qu'une des dernières grandes figures
00:01:33 de la social-démocratie, c'était Michel Rocard.
00:01:36 Et en fait, non, il en reste au moins une sur cette planète,
00:01:40 même si elle se tait.
00:01:41 Et c'est Jean-Jacques Goldman, d'après Ivan Jablonka.
00:01:44 Donc, Ivan, merci beaucoup d'être là.
00:01:46 Vraiment, on est très heureux.
00:01:47 Merci, Grégoire.
00:01:55 Je suis, moi, ravie de retrouver Ivan.
00:01:58 Alors, je connais assez bien Ivan, donc on se tutoie.
00:02:01 Moi, je tutoie la rockstar de la soirée.
00:02:03 Ivan, tu es historien, on l'a dit, professeur d'université.
00:02:08 Tu es aussi éditeur.
00:02:09 Tu as écrit de nombreux ouvrages dont certains ont reçu.
00:02:12 Dantin a reçu le Prix Médicis et donc tu signes ce Goldman à cette
00:02:16 soirée.
00:02:17 Ce Goldman qui est un essai.
00:02:20 D'ailleurs, j'en profite pour dire, sinon on va me le reprocher,
00:02:23 qu'il y a une signature après notre discussion tout à l'heure.
00:02:27 Vous pourrez aller acheter et faire signer le livre.
00:02:30 Donc, ce Goldman, c'est un essai un peu particulier.
00:02:33 C'est un essai, je crois que tu aimes bien dire que tu fais de la
00:02:35 socio-histoire.
00:02:36 C'est un essai de socio-histoire incarnée.
00:02:39 Tu avais déjà essayé cette méthode, appliqué cette méthode à toi-même,
00:02:44 au petit Yvan Jablonka, dans le livre qui précédait,
00:02:46 qui s'appelait "Un garçon comme toi et moi", où tu essayais de savoir
00:02:50 ce que c'était, comment est-ce qu'on fabriquait la garçonnité ?
00:02:54 Puisque on ne naît pas homme, on le devient.
00:02:55 Cette fois, là, tu t'intéresses à Goldman et tu te demandes,
00:02:58 tu te dis "oui, on ne naît pas Jean-Jacques Goldman,
00:03:01 on le devient".
00:03:01 Et donc, tu reprends cette méthode-là pour te présenter pour les gens
00:03:08 qui n'auraient pas une vue panoramique de tout ce que tu as fait
00:03:12 depuis que tu commences, que tu as commencé à être historien.
00:03:15 Je me concentrerai sur la dernière décennie.
00:03:18 Tu parles d'une décennie miraculeuse pour Goldman.
00:03:21 Toi, tu es en plein dans ta décennie miraculeuse.
00:03:23 Ça commence en 2012 avec un livre qui te tient beaucoup à coeur,
00:03:26 qui est un livre important pour toi et que moi, je trouve aussi être
00:03:30 un grand livre qui s'intitule "Histoire des grands-parents que je n'ai pas eue",
00:03:33 qui est une enquête sur ces deux militants juifs polonais chassés
00:03:39 de Pologne qui arrivent en France.
00:03:41 Et qui sont sans papiers en France, qui sont arrêtés, envoyés à Edrency,
00:03:45 puis de Edrency vers Auschwitz.
00:03:47 Et ce livre, tu l'écris à la première personne et tu théorises très vite
00:03:50 dans un livre qui arrive juste après cet emploi de la première personne.
00:03:55 Ce livre qui arrive juste après, c'est un manifeste pour les sciences
00:03:58 sociales que tu intitules "L'histoire est une littérature contemporaine".
00:04:01 Ça dit beaucoup de choses.
00:04:02 Tu dis dans ce livre que l'histoire est d'autant plus scientifique
00:04:05 qu'elle est littéraire.
00:04:06 On y reviendra peut-être, parce que c'est important dans la suite
00:04:09 de ce que tu vas écrire.
00:04:11 Et puis après, tu bifures qu'on peut dire, tout d'un coup,
00:04:13 tu écris un livre qu'on n'attendait pas, un livre sur un féminicide,
00:04:17 sur Laetitia, qui est une jeune femme qui a été assassinée dans la région
00:04:21 nantaise, je crois qu'elle avait 18 ans.
00:04:24 Ce livre, tu l'écris avant "Me Too", mais là, quelque chose bascule
00:04:29 pour toi, parce que tout d'un coup, tu rencontres le grand public.
00:04:31 Tu passes du professeur d'université à la figure de l'historien public.
00:04:37 Tu agrandis énormément l'audience de tes livres, mais ce n'est pas
00:04:43 pour ça que tu fais des concessions.
00:04:44 Juste après, tu écris un gros livre plus robuste, qui est une enquête
00:04:47 sur le patriarcat, qui te vaut des critiques des antiféministes,
00:04:51 évidemment, et des féministes, et de certaines féministes,
00:04:54 parce que là, on est après "Me Too", et le terrain commence à se miner.
00:04:57 Et enfin, la dernière chose que je voudrais te dire pour qu'on
00:05:01 comprenne comment tu arrives à "Godman", c'est que tu as un intérêt
00:05:05 pour la culture populaire.
00:05:06 Il y a un livre que je n'ai pas encore cité qui s'appelle
00:05:09 "En camping-car", dans lequel tu racontes des vacances,
00:05:13 les vacances de la classe moyenne à travers cette idée du camping-car,
00:05:20 et dans lequel tu montres ton intérêt pour la France des loisirs
00:05:23 et la culture populaire.
00:05:26 Tout ça, ça t'amène à "Godman", mais moi, il y a un truc,
00:05:31 justement, dans cette décennie miraculeuse qui m'intéresse,
00:05:34 c'est à quel moment tu te dis "Godman, c'est moi", ou à quel moment
00:05:39 tu te dis "à nous deux, Godman" ?
00:05:41 - Bonsoir, je suis très heureux d'être là ce soir.
00:05:46 Je vous remercie d'être avec nous.
00:05:48 Ça me fait plaisir et ça me touche.
00:05:50 Merci à toi aussi, Julie, de présider à cette soirée.
00:05:54 Je voudrais aussi remercier le nouvel observateur, d'autant plus...
00:05:59 - L'Obs, on dit l'Obs.
00:06:02 - L'Obs, d'autant plus qu'il est de notoriété publique
00:06:07 que les relations avec Jean-Jacques Goldman ont été compliquées.
00:06:10 Et je trouve qu'il y a une forme de...
00:06:13 pas de courage, mais en tout cas, une forme de revanche de l'histoire
00:06:19 des uns et des autres, qui consiste à organiser une soirée autour
00:06:26 de Jean-Jacques Goldman, dans les locaux de cette presse
00:06:30 avec laquelle il a eu temps de démêler le nouvel observateur,
00:06:34 l'Obs, mais aussi Télérama, Le Monde, on y reviendra peut-être.
00:06:38 J'ai entendu parler de Jean-Jacques Goldman pour la première fois
00:06:44 quand j'étais adolescent, quand j'avais à peu près 12 ou 13 ans,
00:06:47 à travers une émission qui était très importante pour moi
00:06:50 et pour toute ma génération, qui s'appelle "Le Top 50".
00:06:53 "Le Top 50", comme son nom le laisse entendre,
00:06:56 consistait en un classement des 50 meilleures ventes de 45 tours
00:07:01 de la semaine.
00:07:02 Et Jean-Jacques Goldman, à partir de la création du Top 50 en 1984,
00:07:07 en devient en quelque sorte l'enfant chéri, ce qui ne reflétait
00:07:11 que l'état des ventes et donc de sa popularité auprès du public
00:07:16 et notamment du jeune public dont je faisais partie.
00:07:19 Donc je me souviens que Jean-Jacques Goldman,
00:07:22 je l'écoutais à l'heure du goûter quand j'avais 13, 12, 14 ans.
00:07:29 Et paradoxalement, ce n'était pas un chanteur que j'appréciais,
00:07:35 ni que j'écoutais dans ma chambre, puisque je me reconnaissais
00:07:39 davantage dans Renaud, Gainsbourg ou la pop anglaise.
00:07:43 Et encore aujourd'hui, je connais beaucoup mieux le répertoire
00:07:46 de Renaud, par exemple, que celui de Jean-Jacques Goldman,
00:07:48 même si, bien sûr, je suis à ma manière un Goldmanologue.
00:07:52 La véritable rencontre avec Jean-Jacques Goldman est venue
00:07:57 beaucoup plus tard.
00:07:58 J'étais déjà jeune adulte, je devais avoir 25, 26 ans et j'ai
00:08:02 acheté, pour le coup, je me souviens très bien,
00:08:04 un CD de Goldman que j'ai commencé à écouter ou plutôt à réécouter
00:08:09 avec beaucoup d'assiduité et puis aussi d'émotion.
00:08:13 Et je pense que c'est à partir de ce moment là qu'il y a eu
00:08:19 une rencontre et je me suis aperçu peu à peu que Jean-Jacques
00:08:22 Goldman répondait aux questions que je me posais confusément.
00:08:26 Et ça m'a expliqué rétrospectivement pourquoi,
00:08:29 quand j'étais adolescent, je n'avais pas écouté Jean-Jacques
00:08:32 Goldman dans ma chambre.
00:08:34 C'est sans doute parce que je ressemblais trop à Jean-Jacques
00:08:37 Goldman.
00:08:38 J'étais moi-même un petit Goldman et quand on est adolescent,
00:08:41 on n'écoute pas les gens qui vous ressemblent trop.
00:08:45 En tout cas, c'est mon sentiment.
00:08:47 Et quand j'ai été jeune adulte, j'ai pu accepter le fait que
00:08:50 Jean-Jacques Goldman, je lui ressemblais et donc il avait
00:08:53 des choses à me dire, des choses qui me touchaient.
00:08:56 Alors, quelle chose?
00:08:57 La première, c'est le parcours familial, le parcours
00:09:02 d'intégration familiale.
00:09:03 Comme chacun sait, Jean-Jacques Goldman vient d'une famille
00:09:06 juive immigrée.
00:09:07 Moi aussi.
00:09:08 Et ses chansons expliquent, retracent, éclairent un parcours,
00:09:15 un parcours familial collectif.
00:09:17 Les Goldman, Jean-Jacques Goldman nous parle de Goldman,
00:09:21 des Goldman, des Goldstein, des Goldberg, des Jablonka et de
00:09:24 tant d'autres Juifs hachkénaz qui ont tenté leur chance en France
00:09:29 au cours du siècle dernier.
00:09:32 Le deuxième point commun, c'est les engagements de gauche.
00:09:38 En tant qu'éditeur, ce sont mes engagements et Jean-Jacques
00:09:45 Goldman vient d'une famille avec, j'allais dire, 50 nuances de
00:09:49 gauche, au moins 2, 3, 4 nuances de gauche et parfois des luttes
00:09:53 fratricides au sein de ces gauches.
00:09:56 Et ça, c'est quelque chose qui m'a parlé parce que Jean-Jacques
00:10:00 Goldman, comme le disait tout à l'heure Grégoire, est un des
00:10:03 derniers représentants de la social-démocratie française.
00:10:06 C'est quelque chose qui ne pouvait que me toucher.
00:10:08 Il y a aussi que Jean-Jacques Goldman incarne, à mon sens,
00:10:13 une masculinité décalée, dissidente, illégitime.
00:10:18 Et quand j'étais adolescent, j'étais aussi ce garçon, peut-être
00:10:23 un peu mal à l'aise ou un petit peu solitaire, gêné avec sa
00:10:28 propre masculinité et le modèle de virilité obligatoire.
00:10:31 Et l'art goldmanien symbolise ce trouble dans le masculin.
00:10:37 Et le dernier point commun, le dernier questionnement commun,
00:10:42 c'est le lien qui nous relie, qui nous attache à la culture de
00:10:49 masse et à ce que j'appellerais la pop culture.
00:10:51 Ce qui me frappe, c'est la manière dont cette pop culture,
00:10:57 que je définirais comme les sous-genres populaires, la variété,
00:11:04 la chanson, mais aussi la bande dessinée, la comédie musicale,
00:11:11 le polar, le thriller, le roman d'espionnage, le roman d'amour,
00:11:14 bref, la manière dont cette pop culture, qui est façonnée pour
00:11:18 des millions de lecteurs, de lectrices, de téléspectateurs,
00:11:22 d'auditeurs, etc.
00:11:23 Comment cette pop culture entretient avec chacune, chacun d'entre
00:11:28 nous, un lien intime ?
00:11:30 Et on a tous une histoire particulière avec les chansons,
00:11:36 et en l'occurrence, les chansons de Jean-Jacques Goldman.
00:11:38 Et ça, je trouve que c'est un paradoxe fascinant de la modernité.
00:11:41 Comment cette culture de masse entre de manière si intime dans la
00:11:46 vie des gens, dans notre vie, jusqu'à faire partie de notre intimité ?
00:11:50 Alors même qu'on est des milliers à dire ça, des millions à dire ça.
00:11:53 Là, je crois qu'il y a un paradoxe fascinant.
00:11:55 Pour répondre à ta question, ce livre Goldman, qui peut paraître
00:11:59 à certains égards un ovni dans ma production, c'est en fait un
00:12:04 livre qui est au croisement de plusieurs de mes questionnements.
00:12:09 L'histoire des grands-parents que je n'ai pas eue pour le judaïsme
00:12:13 et le parcours familial, la gauche en lien avec mes travaux d'éditeurs,
00:12:21 la masculinité, ça renvoie au livre que j'ai consacré au masculin
00:12:26 et aux transformations dans le masculin, et la pop culture et la
00:12:30 culture de masse.
00:12:31 Je l'avais déjà évoqué dans mon livre sur mon camping-car,
00:12:33 qui est exactement la même chose puisque ce camping-car qui a été
00:12:38 fabriqué à des millions d'exemplaires est entré dans ma vie et a,
00:12:41 je crois, un lien très intime avec l'enfant que je fus et ma famille.
00:12:46 Donc, d'une certaine manière, travailler sur Jean-Jacques Goldman,
00:12:49 ce n'était pas si étonnant que ça.
00:12:51 J'espère vous avoir convaincu.
00:12:54 - Alors, c'est intéressant.
00:12:57 Je te demande à quel moment tu as le déclic et que finalement,
00:13:00 tu me parles de toi comme individu et presque assez peu de toi comme
00:13:05 individu, parce que les deux semaines, mais on y reviendra peut-être
00:13:09 plus tard.
00:13:10 Moi, j'ai quand même retrouvé, je te demandais un peu, à quel moment
00:13:12 tu as eu le déclic ?
00:13:13 Parce qu'un livre aussi, ça travaille et puis à un moment,
00:13:16 ça prend forme.
00:13:17 On se dit ça y est, c'est ça que je veux faire.
00:13:20 J'ai remarqué que dans "Un garçon comme vous et moi", tu parles déjà
00:13:23 de la morale Goldman.
00:13:24 Tu dis, il y a la révolte Renault dans ces années 80, dans lesquelles
00:13:28 on grandit tous les deux, on a à peu près le même âge.
00:13:30 Il y a la morale Goldman et la révolte Renault.
00:13:33 C'est quoi la morale Goldman ?
00:13:35 Il y a, je dirais, je parlerais aujourd'hui d'éthique parce que
00:13:40 le caractère moral associé à Goldman pourrait prêter à sourire.
00:13:44 Mais je pense pourtant qu'il y a réellement une morale
00:13:46 goldmanienne.
00:13:47 La morale goldmanienne, où je dirais aujourd'hui, est l'éthique
00:13:52 de cet homme et artiste.
00:13:54 Ça peut être résumé par un certain nombre de qualités que, au moins,
00:14:00 les fans lui reconnaissent.
00:14:02 Et en tout cas, tous les entretiens que j'ai menés dans le cadre
00:14:06 de ce livre ont eu un point commun, c'était de reconnaître à Goldman
00:14:10 un certain nombre de qualités morales que je résume par quelques
00:14:16 mots clés.
00:14:17 La discrétion, l'humilité, le goût de la méritocratie, la gratitude,
00:14:27 notamment pour nos parents, grands-parents, et puis aussi
00:14:31 pour la France qui a accueilli tous ces Goldman, Jablonka et autres
00:14:36 juiférents.
00:14:38 Il y a aussi la fidélité à une histoire.
00:14:41 Et je crois que dans cette morale goldman, s'explique une partie
00:14:46 de sa popularité qui est complètement incroyable parce que
00:14:51 ça fait maintenant au moins 20 ans qu'il est entré dans un silence
00:14:55 épais dont il ne ressort que parfois avec colère, précisément
00:15:01 parce qu'on l'oblige à sortir de son anonymat et on l'empêche
00:15:05 de redevenir l'anonyme que peut-être il n'aurait jamais voulu
00:15:10 cesser d'être.
00:15:11 Mais quand on est Jean-Jacques Goldman, on peut laisser Jean-Jacques
00:15:16 retourner à l'anonymat, mais pas Goldman.
00:15:18 Goldman fait partie de l'histoire, de l'histoire culturelle française,
00:15:21 de l'histoire politique, de notre histoire tout simplement.
00:15:25 Et c'est pour ça que mon livre s'appelle Goldman et non pas
00:15:29 Jean-Jacques.
00:15:30 Donc, toute cette morale Goldman a touché et touche encore des
00:15:36 millions de Français, de Belges, de Suisses, enfin, dans tout
00:15:39 l'espace francophone.
00:15:41 Et ça m'amuse que cet homme qui est la personnalité préférée
00:15:46 des Français depuis officiellement 12 ans et officieusement 20
00:15:50 ans, ça m'amuse que cet homme qui est la personnalité préférée
00:15:54 des Français ait forgé sa morale, cette morale Goldman, dans le
00:16:00 creuset des Juifs ashkénazes, épris des Lumières et de la France
00:16:06 révolutionnaire, puis démocratique.
00:16:09 En effet, cette discrétion, cette humilité, cette croyance
00:16:16 dans la méritocratie, dans la République sociale, dans la France,
00:16:20 tout simplement, c'est évidemment partagé par des millions de
00:16:23 Français, mais c'est surtout partagé par des millions de Juifs
00:16:27 ashkénazes qui ont vécu en France.
00:16:30 Et ça, c'est une revanche qui me fait sourire.
00:16:33 Voilà, ça me fait bien plaisir que la personnalité préférée des
00:16:36 Français soit un Juif, tout simplement.
00:16:38 C'est paradoxal que quand on connaît bien Goldman, on pouvait
00:16:44 savoir l'importance que ça avait, cette judaïté pour lui.
00:16:49 Mais en même temps, moi, je vais te dire, il y a des gens de mon
00:16:51 âge qui, en te lisant, ont découvert que Goldman était
00:16:54 Juif et que, par exemple, surtout, ont découvert que la chanson
00:16:58 très connue, elle s'appelait "Sara", évoquait la Shoah.
00:17:00 C'est-à-dire qu'il a réussi ce que tu appelles l'universel
00:17:03 minoritaire.
00:17:04 Il a réussi à incarner une grande majorité, une grande idée,
00:17:08 disons, une transcendance nationale, presque, une identité
00:17:14 transcendante, alors même qu'il vient effectivement d'une
00:17:18 identité qui est très précise et avec laquelle il est très à l'aise.
00:17:21 Alors, Jean-Jacques Goldman a très peu insisté publiquement sur
00:17:28 sa judaïté.
00:17:29 Il a bien sûr, malgré tout, donné quelques interviews à la
00:17:33 presse communautaire, comme on dit, L'Arche, par exemple, ou
00:17:38 aux tribunes juives, interviews dans lesquelles il dit tout à
00:17:41 fait clairement qu'il est Juif, qu'il n'a jamais été question
00:17:44 pour lui de changer de nom.
00:17:45 Après tout, il aurait pu adopter un nom qui faisait un peu plus
00:17:50 rock, comme Johnny Hallyday.
00:17:52 Non, il est resté Jean-Jacques Goldman.
00:17:54 Il aurait pu s'appeler Jean-Claude Zilberstein ou Jean-Claude
00:17:58 Grimbert.
00:17:59 Non, il s'est appelé Jean-Jacques Goldman et c'était son prénom,
00:18:03 son nom authentique.
00:18:05 Donc, publiquement, il ne s'est jamais...
00:18:09 Il n'a jamais cherché à se cacher, mais il ne s'est jamais non
00:18:12 plus mis en avant.
00:18:13 Ce qui, là encore, fait partie de cette modestie et de cette
00:18:18 discrétion tout à fait goldmanienne.
00:18:20 Mais en même temps, quand on regarde un peu plus en détail
00:18:24 son parcours et surtout son oeuvre, enfin ses chansons, on voit
00:18:28 que la judéité et le judaïsme, peut-être, sont partout.
00:18:33 Il y a d'abord cette chanson, "Comme toi", qui est une des
00:18:40 premières chansons mémorielles.
00:18:42 Il y en a d'autres, mais à mon sens, c'est vraiment une des
00:18:44 toutes premières chansons qui fait entrer la France dans
00:18:47 l'ère mémorielle.
00:18:48 "Comme toi" est sorti en 1982.
00:18:51 Et il faut se souvenir qu'en 1982, le film "Shoah" de Lanzmann
00:18:57 n'est pas encore sorti.
00:18:58 Les lieux de mémoire de Pierre Nora non plus et les procès de
00:19:03 Vichy, notamment celui de Klaus Barbie, n'ont pas encore eu lieu.
00:19:06 Donc, il y avait quelque chose de vraiment prémonitoire ou
00:19:09 visionnaire de la part de celui qu'on méprisait déjà comme un
00:19:12 chanteur à minettes.
00:19:13 Il y avait un certain, il y avait quelque chose de prémonitoire à
00:19:17 travailler, à chanter cette petite fille de 8 ans, Sarah,
00:19:20 donc assassinée par les nazis.
00:19:24 Mais pour ceux qui connaissent cette chanson ou pour ceux qui
00:19:27 ne la connaissent pas, je tiens à dire qu'il n'y a pas dans cette
00:19:30 chanson les mots "juif", "guerre", "Shoah", "génocide".
00:19:34 Enfin, c'est une chanson d'une pudeur que je trouve vraiment
00:19:37 bouleversante.
00:19:38 Donc, d'une certaine manière, c'est une chanson qui parle de
00:19:40 la mémoire juive sans dire le mot "juif" à un seul moment.
00:19:44 Et puis, il y a de manière plus profonde encore chez Goldman,
00:19:49 toute une réflexion sur l'exil, le déracinement, le fait de
00:19:55 n'appartenir à aucun pays, de se sentir toujours l'étranger
00:19:59 d'une société.
00:20:01 Alors ça, ce n'est pas des thèmes qui sont spécifiquement juifs.
00:20:05 Ce sont des thèmes qui appartiennent à tous les
00:20:07 racinés, à tout ce que l'exil a arraché à leur pays.
00:20:12 Enfin, quand même, j'ai la faiblesse de croire qu'il y a
00:20:16 beaucoup de judaïté, de judaïsme, de judaïté dans des
00:20:20 chansons comme "Laba", "Long is the road", "J'irai où tu iras",
00:20:27 "On ira", qui sont vraiment des chansons du grand départ,
00:20:32 du déracinement.
00:20:34 Et je crois que c'est le génie propre de Jean-Jacques Goldman
00:20:37 de nous parler de judaïsme et de judaïté à travers ses thèmes,
00:20:41 mais sans jamais dire le mot juif, comme je le dis de manière
00:20:44 un peu triviale.
00:20:45 Et c'est pour ça qu'il a été capable de séduire des millions
00:20:49 de personnes qui n'avaient rien de juif.
00:20:53 C'est parce que c'est ce que j'ai appelé l'universel minoritaire.
00:20:56 C'est que ce chanteur si mainstream qui faisait danser
00:21:00 dans les discothèques, qui était l'enfant chéri du top 50 et dont
00:21:04 le poster trônait dans la chambre de centaines de milliers
00:21:08 d'adolescentes, eh bien, en fait, ce chanteur si mainstream
00:21:11 chantait l'exil, la diaspora, l'impossible intégration,
00:21:16 la Shoah.
00:21:17 Et ça, il fallait quand même une forme de génie pour nous dire
00:21:20 cela et parler du judaïsme à la majorité dans laquelle la
00:21:27 minorité essayait tant bien que mal de s'insérer.
00:21:30 Tu viens de dire l'impossible intégration.
00:21:34 C'est comme ça que la famille Goldman perçoit sa place en France.
00:21:38 Pas la famille Goldman, puisqu'au contraire, la famille
00:21:41 Goldman est plutôt un exemple d'intégration.
00:21:45 Et ça a commencé avec les parents Goldman qui tenaient une modeste
00:21:49 boutique de sport à Montrouge.
00:21:52 Donc, après avoir été des exilés, des déracinés, puis des résistants,
00:21:56 les parents Goldman ont repris la vie commune, là encore,
00:21:59 comme des centaines de milliers de juifs.
00:22:01 Après le chaos, après la résistance, après la Shoah,
00:22:05 après les larmes.
00:22:07 Bon, c'est comme la plaie, l'atelier de Jean-Claude
00:22:10 Grimbert.
00:22:11 Ensuite, tout le monde retourne au travail.
00:22:12 Qui est dans l'atelier, qui dans une boutique de sport ou dans
00:22:17 ma famille, c'était plutôt une boutique de meubles dans le
00:22:21 Faubourg Saint-Antoine.
00:22:22 Bon, voilà, c'était les années 50.
00:22:23 Et puis, il fallait, avec ses dix doigts, retrouver un petit
00:22:27 peu la normalité et puis gagner un petit peu d'argent pour faire
00:22:32 vivre et pour faire vivre et revivre les enfants,
00:22:36 parfois les grands-parents.
00:22:37 Bon, voilà, il fallait se refaire une vie normale.
00:22:43 Et ça a été le destin des parents Goldman.
00:22:46 Et ça a été exactement aussi le parcours des enfants,
00:22:51 cette fois, bien sûr, avec cette exception de Pierre Goldman,
00:22:57 dont on reparlera si tu le souhaites.
00:22:59 Pierre Goldman est ici une exception totale, mais qui confirme
00:23:04 la règle qui, pour le reste, reste absolument vraie et authentique.
00:23:10 Donc, oui, évidemment, il y a une réflexion dans l'art
00:23:15 goldmanien.
00:23:16 Il y a une réflexion sur l'intégration et je crois que ce n'est pas
00:23:19 du tout paradoxal que ce Jean-Jacques Goldman, si intégré,
00:23:24 si sage, ait chanté précisément les grands départs et l'arrache
00:23:29 ment.
00:23:30 C'est précisément parce qu'il était intégralement intégré,
00:23:32 authentiquement intégré, qu'il a pu réfléchir sur la difficulté
00:23:37 de l'intégration et sur le parcours familial qui avait été le sien.
00:23:41 Ou pour le dire autrement, celui qui chantait "On sera jamais
00:23:44 des standards" dans une de ses chansons les plus connues a eu
00:23:48 précisément un destin complètement standard, c'est à dire une vie,
00:23:52 une enfance tout à fait tranquille à Montrouge, ensuite des études,
00:23:55 ensuite un travail dans le magasin familial.
00:23:59 Donc ce paradoxe entre "on sera jamais des standards" et en fait,
00:24:03 sociologiquement, Jean-Jacques Goldman est tout à fait un standard.
00:24:06 Ce n'est pas un paradoxe.
00:24:07 C'est parce que les parents, les pères, les mères ont eu ce parcours
00:24:13 complètement chaotique que les enfants, tranquillement, peuvent
00:24:17 raconter l'histoire de leur père et de leur mère.
00:24:19 C'est le mandat de l'intégration et c'est exactement mon propre mandat.
00:24:23 Moi, qui suis né en 1973 et qui n'ai rien connu de ce chaos ni de
00:24:27 l'antisémitisme, c'est mon tour maintenant, c'est mon mandat.
00:24:30 C'est de raconter justement le chemin de mes pères.
00:24:33 C'est très exactement ce qu'a fait Jean-Jacques Goldman.
00:24:35 Cette famille, elle est très importante.
00:24:39 En tout cas, tu en fais vraiment un berceau de beaucoup de ce que
00:24:44 va porter plus tard Goldman.
00:24:45 On l'entend, on le lit dans ton livre et on l'entend dans ce que
00:24:48 tu viens de dire.
00:24:49 C'est une famille assez typique, mais qu'on pourrait penser paradoxale.
00:24:53 Elle est une famille marquée par les drames, mais que tu présentes
00:24:56 finalement assez chaleureuse et joyeuse.
00:24:58 C'est une famille juive, mais complètement athée.
00:25:01 C'est une famille politique, très politique, peut être même,
00:25:04 on pourrait dire idéologique, mais tolérante.
00:25:07 Et en cela, en fait, elle est assez représentative de ce monde
00:25:10 de l'immigration juive polonaise.
00:25:12 Ce qui est amusant pour moi, c'est que quand je parlais de la
00:25:16 famille Goldman à des fans de Goldman des années 80, notamment
00:25:22 des adolescentes aujourd'hui, des femmes de 30, 40, 50 ans,
00:25:26 en tout cas à l'époque des adolescentes d'origine souvent
00:25:30 populaire, classe moyenne, en provenance des campagnes,
00:25:34 des petites villes, des banlieues.
00:25:36 Enfin, vraiment, la France, la France profonde, c'est un peu
00:25:39 péjoratif, mais en tout cas, la France périurbaine, rurale,
00:25:43 relativement modeste du point de vue du milieu social.
00:25:51 Quand je parlais à ces ex fans de Goldman, de son milieu familial,
00:25:56 elles étaient très surprises.
00:25:57 Elles disaient Ah bon, je ne savais pas du tout.
00:25:59 Ah bon, mais les Goldman, c'était comme si c'était comme ça.
00:26:01 Bon, là, je faisais un petit peu de la pédagogie socio historique
00:26:06 pour expliquer de quelle famille Jean Jacques Goldman était
00:26:10 originaire.
00:26:12 Mais ce qui est amusant pour moi, c'est que les Goldman, c'est
00:26:14 vraiment la banalité absolue.
00:26:16 Ma famille, c'est exactement pareil.
00:26:18 Et quand j'étais enfant, on fréquentait des familles qui
00:26:21 ne s'étaient pas les Goldman.
00:26:22 Mais enfin, c'était vraiment c'était exactement la famille.
00:26:26 C'était la banalité des familles juives, ashkénazes, plus ou
00:26:31 moins télos, plus ou moins classe moyenne, avec de la petite
00:26:35 bourgeoisie et qui lisait des livres et qui essayait de faire
00:26:41 d'obtenir une certaine réussite sinon sociale, du moins
00:26:45 intellectuelle pour les enfants.
00:26:47 Pour moi, c'est vraiment la banalité totale.
00:26:49 Pour moi, chez les Goldman, il y a l'aspect politique.
00:26:51 Oui, mais dans ma famille aussi, j'allais dire dans nos familles
00:26:54 aussi.
00:26:55 Alors ensuite, avec un certain nombre de nuances.
00:26:56 Alors parlons politique, mais dans de très nombreuses familles
00:26:59 juives, ashkénazes, c'était exactement la même chose.
00:27:02 C'était des formes plus ou moins douces, subtiles de militantisme.
00:27:08 Et moi, c'est ce que j'ai essayé de raconter dans mon livre Un
00:27:10 garçon comme vous et moi, parce que dans ma famille, c'était
00:27:12 d'autres formes de militantisme.
00:27:14 Enfin, voilà, ma mère était plutôt de famille boundiste,
00:27:17 mon père communiste.
00:27:18 Encore une fois, tout ça est pour moi complètement banal.
00:27:22 Alors parlons des Goldman et non pas des Jablonka.
00:27:24 Dans la famille Goldman, il y avait un militantisme très net,
00:27:29 très enthousiaste.
00:27:31 Le père Goldman et la mère Goldman sont plutôt des communistes
00:27:36 anti-staliniens dès les années 30, plutôt dès les années 30 et 40.
00:27:41 Ce qui est assez remarquable parce qu'après tout, il fallait une
00:27:44 certaine préscience pour être un communiste anti-stalinien dans
00:27:49 les années 30.
00:27:50 Ce n'est pas le cas de mes grands-parents, par exemple.
00:27:51 Mais le père Goldman a eu ce caractère peut-être visionnaire
00:27:56 et courageux.
00:27:57 Et puis, dans la fratrie, dans les enfants Goldman, dans la fratrie
00:28:02 Goldman, il y a Pierre, comme on sait, gauchiste de choc,
00:28:08 devenu gangster et qui a donc défrayé la chronique.
00:28:11 Et puis, pour la fille Goldman, Evelyne Goldman, je ne sais pas
00:28:15 très bien, donc je vais m'abstenir de parler d'elle.
00:28:17 Mais pour les deux autres garçons, Jean-Jacques et Robert,
00:28:20 on connaît un petit peu mieux leur militantisme.
00:28:23 Pour Robert, il est plutôt dans le trotskisme des années 60-70.
00:28:29 Et Jean-Jacques, quant à lui, est un social-démocrate,
00:28:33 un social-traître, comme on disait à l'époque dans ce milieu-là.
00:28:37 Et il se disait lui-même politiquement musicien.
00:28:40 Ça voulait dire, en fait, que lui, son militantisme, c'était
00:28:43 les Beatles, les Rolling Stones et d'autres groupes anglophones
00:28:47 des années 70.
00:28:48 En fait, très rapidement, on sent, et il le dit dans sa famille,
00:28:51 on sent que ce n'est pas lui qui va transformer le monde,
00:28:56 ni révolutionner la société avec le grand soir.
00:29:02 Alors, peut-être, il était regardé avec une forme de condescendance
00:29:07 déjà dans sa famille.
00:29:08 Je ne sais pas très bien, parce que les archives manquent à cet
00:29:11 égard, ainsi que les témoignages.
00:29:12 Mais comme il l'a dit lui-même, lui, il était un petit peu,
00:29:16 il était un petit peu, comment dire, en décalage avec sa famille,
00:29:24 ses parents et sa fratrie, parce que très rapidement, il a décidé
00:29:27 que sa vie serait la musique et non pas la politique.
00:29:31 - Dans ton livre, tu en fais quand même, justement, à travers cette
00:29:34 parole Goldman qu'on évoquait en début d'entretien, tu en fais quand
00:29:38 même le porteur, celui qui va défendre un certain nombre de
00:29:42 valeurs qu'on pourrait dire des valeurs social-démocrates.
00:29:44 C'est-à-dire que peut-être qu'il délaisse d'une certaine façon la
00:29:47 passion politique qui animait sa famille et notamment celle de son
00:29:51 grand frère, dont tu fais quand même une figure de repoussoir
00:29:53 pour lui.
00:29:54 Mais tout de même, il reste fidèle à cet héritage, disons, de gauche.
00:30:01 - Oui, je crois qu'il est resté très fidèle, filigrane, à cet
00:30:06 héritage social-démocrate.
00:30:08 Alors, on sait que Jean-Jacques Goldman et Pierre Goldman n'étaient
00:30:13 pas proches, mais ont quand même vécu ensemble dans la même famille.
00:30:16 Après tout, ils ont le même patronyme et le même père.
00:30:18 Mais effectivement, ils ont une certaine opposition, d'abord dans
00:30:22 leur judaïsme, judaïsme flamboyant pour l'un, beaucoup plus discret
00:30:26 pour l'autre, comme je l'ai dit, et puis aussi pour des raisons
00:30:29 politiques évidentes.
00:30:31 Pierre croyait faire la révolution et puis, d'une certaine manière,
00:30:37 le gangstérisme peut s'expliquer comme une forme de militantisme.
00:30:42 En disant ça, je suis assez complaisant, puisque, comme le
00:30:46 disaient ces militants des années de plomb en France, les braquages
00:30:52 ne sont rien d'autre que des formes d'appropriation prolétarienne
00:30:56 des biens que la bourgeoisie a extorqué ou capté.
00:31:00 C'est comme ça, d'ailleurs, que Pierre Goldman et d'autres
00:31:05 justifiaient leur braquage.
00:31:07 Et ça, évidemment, ce n'est pas du tout la manière de penser de
00:31:10 Jean-Jacques Goldman, qui, lui, au contraire, a fait une grande
00:31:13 école commerciale.
00:31:14 Vous pensez bien que ce n'est pas du tout la manière dont il
00:31:18 concevait la société.
00:31:19 Maintenant, ce que j'essayais de montrer dans mon livre, c'est
00:31:22 qu'il y a chez Goldman une adhésion discrète, mais réelle,
00:31:28 aux valeurs de la sociale-démocratie.
00:31:30 Alors, je vais le dire rapidement parce que je ne veux pas trop
00:31:32 prendre de temps là-dessus, mais il y a chez Jean-Jacques
00:31:35 Goldman un amour, ou en tout cas une affection vis-à-vis du
00:31:46 peuple, enfin, les petites gens, les ouvriers, les commerçants,
00:31:50 les artisans, c'est-à-dire, en fait, les siens, son milieu
00:31:55 familial, ce qui le rend assez proche d'un Orwell dans les
00:31:59 années 30, c'est-à-dire ce que Orwell appelait la descense
00:32:03 ordinaire.
00:32:04 Et dans toutes les très nombreuses chansons de Jean-Jacques
00:32:06 Goldman, il y a ce respect des petites gens, cette armée de
00:32:10 simples gens dont Goldman a toujours été un défenseur dans
00:32:14 de très nombreuses chansons.
00:32:15 Et c'est ça encore, à mon avis, qui lui vaut une très grande
00:32:18 popularité aujourd'hui.
00:32:19 Et c'est ça qui explique aussi, quelques années plus tard,
00:32:23 l'épopée des Restos du Coeur et des Enfoirés.
00:32:26 Je dirais cette proximité du peuple ou du populaire.
00:32:29 Il y a ensuite le socialisme dans sa version années 30,
00:32:34 c'est-à-dire le socialisme de Léon Blum, le socialisme des
00:32:39 brigades internationales, des fronts populaires en France
00:32:42 ou en Espagne.
00:32:43 Et ça, Jean-Jacques Goldman a toujours rendu hommage à ce
00:32:49 socialisme là, notamment dans le clip de sa chanson Rouge,
00:32:54 qui est beaucoup moins un hommage au rouge de la Révolution ou au
00:33:00 rouge de l'armée soviétique.
00:33:03 Beaucoup moins un hommage à ces entités qu'au Front populaire.
00:33:08 On le voit des paroles comme "Et le dimanche, on ira voir la
00:33:12 mer".
00:33:13 C'est une référence directe au combat du Front populaire.
00:33:16 Et puis enfin, dernier aspect, l'antitotalitarisme des années
00:33:22 70.
00:33:22 On sait que Jean-Jacques Goldman avait une certaine sympathie
00:33:28 pour ceux qu'on appelait dans les années 70 les nouveaux
00:33:30 philosophes qui dénonçaient le goulag.
00:33:33 Enfin, c'est une histoire sur laquelle je ne reviens pas.
00:33:35 Et donc, ces trois aspects, la proximité du peuple,
00:33:39 le socialisme dans sa version Front populaire et enfin
00:33:43 l'antitotalitarisme des années 70, ces trois aspects,
00:33:48 engagement, se convergent vers ce qu'on appelle en France la
00:33:54 deuxième gauche.
00:33:55 Et c'est ce qui me fait dire que Jean-Jacques Goldman est dans
00:33:58 la chanson, ce que Jospin et Rocard sont dans la sphère politique,
00:34:03 ce que Pierre Rosanvalon et Alain Touraine sont dans le domaine
00:34:07 intellectuel, ce que Edmond Mer est dans le domaine syndical.
00:34:12 Voilà pour moi, Jean-Jacques Goldman, et pour toutes les
00:34:14 raisons que je viens de vous dire, est un des grands symboles
00:34:16 de la social-démocratie française à la fin du 20e siècle.
00:34:19 - Alors, Yvan, j'ai une question piège.
00:34:21 Alors, qu'est-ce qu'est Sardou ?
00:34:22 Quel est l'équivalent ?
00:34:26 Sardou, c'est quoi ?
00:34:28 - Alors, ce n'est pas du tout une question piège.
00:34:32 Au contraire, je trouve ça fascinant de voir comment,
00:34:36 non seulement la chanson de variété ou la pop culture sont présentes
00:34:43 dans nos vies, mais aussi comment elles nourrissent des guerres
00:34:49 culturelles.
00:34:50 C'est fascinant de voir comment Sardou, on le hait, ou au contraire,
00:34:54 on le défend.
00:34:55 Bon, alors, Jean-Jacques Goldman est devenu aujourd'hui consensuel.
00:34:58 Enfin, il faut voir les articles que le dit Nouvelle Hopse ou Le
00:35:02 Monde réservaient à Jean-Jacques Goldman dans les années 80.
00:35:05 C'était une violence qui m'a fait tomber de ma chaise quand j'ai lu et
00:35:10 relu ces articles à la Bibliothèque nationale il y a quelques années
00:35:14 quand je préparais ce livre.
00:35:15 C'est vraiment des guerres culturelles à la française, en fait.
00:35:17 C'est tout simplement ça.
00:35:19 Alors, je réponds à ta question.
00:35:20 Je ne fuis pas cette question.
00:35:21 - Non, mais d'ailleurs, les guerres culturelles sont toujours
00:35:23 des guerres politiques aussi, parce que dans le dédain qu'on a
00:35:26 pour Goldman, tu montres bien qu'il y a aussi un dédain de...
00:35:31 On préfère le grand frère, quoi, dans les journaux marqués à gauche
00:35:34 des années 80.
00:35:35 - Bien sûr.
00:35:36 Et aujourd'hui, je suis heureux, flatté d'avoir eu une bonne couverture
00:35:40 médiatique, notamment dans les journaux qui étaient très critiques
00:35:44 vis-à-vis de Jean-Jacques Goldman.
00:35:46 J'ai dit lesquels tout à l'heure.
00:35:47 En revanche, le journal qui n'a pas changé, c'est Libération.
00:35:50 Libération, hier comme aujourd'hui, n'aime pas Jean-Jacques Goldman
00:35:55 et ceux qui en parlent.
00:35:56 Et ça, je trouve que ça fait encore partie du sujet.
00:35:58 On est encore dans des guerres culturelles à la française et je
00:36:00 trouve ça fascinant.
00:36:01 Alors, qu'en est-il de Michel Sardou ?
00:36:06 Michel Sardou est un chanteur de droite.
00:36:09 Enfin, je ne dis pas que c'est mal ou que c'est bien, mais il suffit
00:36:12 de voir un certain nombre de ses chansons sur la peine de mort ou
00:36:15 sur l'orientation scolaire ou sur les colonies ou sur les femmes.
00:36:19 Enfin, il y a des...
00:36:20 Dans "Être une femme", c'est une chanson sur laquelle on peut
00:36:24 parfaitement danser dans les soirées.
00:36:25 Enfin, c'est une chanson qui est remplie de galéjades misogynes.
00:36:29 Il n'y en a pas une seule dans tout l'art goldmanien, pas une seule
00:36:32 blague misogyne chez Goldman.
00:36:35 Chez Sardou, il n'y a que ça.
00:36:36 Donc, c'est plutôt un chanteur de droite.
00:36:38 Mais ça ne veut pas dire que c'est mal ou que c'est sale ou que
00:36:40 c'est ridicule.
00:36:41 Michel Sardou est un grand chanteur populaire, comme Jean-Jacques
00:36:45 Goldman.
00:36:46 Et c'est pour ça que la récente polémique lancée par Juliette
00:36:49 Armanet, elle est intéressante parce que la question que moi,
00:36:52 je voudrais poser à Juliette Armanet, c'est "Est-ce que tu
00:36:56 n'aimes pas Sardou parce que c'est un homme de droite ou est-ce
00:37:00 que tu n'aimes pas Sardou parce que c'est un chanteur populaire
00:37:03 sachant que toi, tu es une chanteuse plutôt marquée
00:37:08 bobo parisienne ?"
00:37:09 Ça, c'est intéressant.
00:37:10 C'est une vraie question.
00:37:12 C'est une vraie question qui fait partie de ces guerres culturelles
00:37:16 à la française.
00:37:17 Qu'est-ce qu'on n'aime pas chez Sardou ?
00:37:19 Est-ce que c'est l'homme de droite ou est-ce que c'est la grande
00:37:23 référence de la France populaire ?
00:37:25 C'est une question qu'on pourrait poser et que j'ai aussi posée
00:37:28 pour Jean-Jacques Goldman parce que lui, c'est un homme de gauche,
00:37:31 mais en même temps, c'est évidemment un chanteur
00:37:34 très populaire.
00:37:35 Et c'est pour ça qu'il était dédaigné et même honni par la
00:37:38 presse intellectuelle de gauche il y a 40 ans.
00:37:40 - Continuons dans les exercices un peu hors champ.
00:37:45 Mais c'est intéressant parce que ça permet de faire une petite
00:37:48 sociologie.
00:37:48 Admettons que tu ne me connaisses pas du tout, que nous ne soyons
00:37:51 jamais rencontrés dans le cadre professionnel.
00:37:53 J'arrive.
00:37:54 On est à peu près le même âge.
00:37:55 Je te dis moi, je n'ai jamais écouté Goldman.
00:37:58 Qu'est-ce que tu peux deviner de moi ?
00:38:00 - Je pense que ça renvoie à de la sociologie et comme disait
00:38:06 Bourdieu, la sociologie est très violente vis-à-vis de nos
00:38:11 narcissismes parce que la sociologie dit tellement de nous,
00:38:14 de nos familles, de nos goûts.
00:38:15 Comme il disait lui-même, les goûts, c'est souvent le dégoût
00:38:19 des goûts des autres, c'est-à-dire que nos goûts,
00:38:21 c'est aussi la manière dont on méprise les autres, dont on se
00:38:24 distingue des autres.
00:38:25 Et il y a quelque chose de très intime dans la sociologie.
00:38:29 Alors, le portrait que Bourdieu ferait de toi, c'est le portrait
00:38:35 que je ferais de moi quand j'avais 15 ans.
00:38:39 C'est en gros les catégories plutôt favorisées de la bourgeoisie
00:38:45 intellectuelle parisienne qui a fréquenté les bons lycées,
00:38:49 plus ou moins chics, plutôt chic que pas chic, fréquentés par
00:38:55 ses enfants de la bourgeoisie parisienne.
00:38:57 Et c'est pour la raison pour laquelle, chère Julie, ni toi ni
00:39:01 moi n'écoutions vraiment Jean-Jacques Goldman quand on avait
00:39:04 15 ans.
00:39:05 Nous, on était plutôt Gainsbourg, Birkin, ensuite plutôt Renaud,
00:39:10 bien sûr, pour ce qui me concerne.
00:39:12 Moi, Bobby Lapointe.
00:39:13 Bobby Lapointe, moi aussi.
00:39:14 Bobby Lapointe, c'est ça ce que nous dit la sociologie culturelle.
00:39:20 Inversement, ceux qui écoutaient, surtout celles qui écoutaient
00:39:24 Jean-Jacques Goldman dans les années 80, ce que la sociologie
00:39:28 et d'ailleurs la distinction du même Bourdieu, même s'il ne parle
00:39:31 pas de Goldman, mais enfin déjà, il parle de la pop dans les années
00:39:34 70 ou 60, ce que nous apprend la sociologie de Bourdieu ou toute
00:39:40 la sociologie de la culture, c'est que le public de Jean-Jacques
00:39:44 Goldman et de Michel Sardou, dans d'autres, à certains égards,
00:39:48 c'était un public beaucoup plus populaire, classe populaire,
00:39:51 classe moyenne, beaucoup d'adolescentes.
00:39:54 Là, c'est très genré à cet égard.
00:39:56 Et puis, comme je l'ai dit tout à l'heure, les petites villes,
00:40:02 les campagnes, les banlieues.
00:40:06 Donc, l'adolescente type qui écoute Jean-Jacques Goldman dans
00:40:10 sa chambre en 1985, c'est la fille qui vient de Seine-et-Marne
00:40:17 ou qui vient du 93, de Seine-Saint-Denis ou des petites
00:40:23 villes, par exemple, je ne sais pas moi, Nice ou Dijon ou Lille.
00:40:28 Et c'est ça qui explique le caractère très misogyne des
00:40:35 politiques de cette même presse de gauche dans les années 80,
00:40:39 parce que mépriser Goldman, c'était aussi mépriser son public.
00:40:43 Et donc, Goldman méprisé, c'était aussi son public d'adolescentes
00:40:48 qui devenait méprisable.
00:40:49 Et tous les entretiens que j'ai faits avec des fans, des femmes
00:40:52 maintenant de 40, 50 ans, le montrent.
00:40:55 Elles-mêmes se sentaient méprisées et n'osaient pas dire qu'elles
00:40:58 écoutaient Goldman.
00:40:59 Et ça, du point de vue de la sociologie, je trouve ça passionnant.
00:41:02 Encore aujourd'hui, tu libères beaucoup la parole.
00:41:05 On entend dans les rédactions, même dans la rédaction de l'Obs,
00:41:08 des gens maintenant assumés qui sont fans, qui ont été fans et qui
00:41:12 continuent d'être fans de l'Obs.
00:41:15 Alors, à propos de fans, justement, toi, tu dis dans le livre que
00:41:17 t'en es un.
00:41:18 Tu assumes.
00:41:19 Est-ce que c'est...
00:41:21 Ce n'est pas un peu compliqué, justement, comment tu fais le
00:41:25 partage entre ton côté fan et ton côté historien, ton côté MidiNet
00:41:31 et ton côté sciences humaines pour écrire un livre objectif,
00:41:35 puisque c'est bien ce qu'on te demande ?
00:41:37 Alors, il y a deux questions.
00:41:39 Je me permettrais de répondre en deux temps à ta question très
00:41:42 importante, parce que c'est une question de méthode.
00:41:43 Et après tout, l'histoire, c'est de la méthode.
00:41:47 D'abord, la méthode.
00:41:50 Depuis le livre que tu m'as fait l'amitié de citer tout à l'heure,
00:41:55 "Histoire des grands-parents que je n'ai pas eue", j'assume le fait
00:41:58 que je suis un historien, mais aussi un individu.
00:42:01 Tantôt petit-fils, tantôt fils et père, tantôt homme,
00:42:08 tantôt ex-garçon.
00:42:11 Enfin bref, à chaque livre, sa personnalité que j'assume et
00:42:15 que j'essaye de situer, comme dit Sandra Harding.
00:42:21 Se situer.
00:42:22 Il a l'idée qu'on peut être un historien, un intellectuel,
00:42:27 un chercheur, mais il est important de dire d'où l'on parle et
00:42:29 donc de se situer.
00:42:31 Et j'ai essayé d'avoir une approche compréhensive de Goldman en
00:42:38 reconnaissant ce que j'ai dit tout à l'heure, que j'étais devant le
00:42:40 top 50 en 1986, que j'aime Goldman, que Goldman m'émeut,
00:42:44 que j'écoute Goldman en famille.
00:42:46 Mais ça n'empêche pas que j'ai de la distance vis-à-vis de Goldman
00:42:49 et que, pour toutes les raisons que je vous ai dites, j'essaye
00:42:52 de mettre en oeuvre des outils d'histoire, de science sociale
00:42:56 pour comprendre Goldman et au-delà ce qui nous est arrivé,
00:43:00 ce qui m'est arrivé.
00:43:01 Donc, vous voyez bien que j'ai beau être fan de Goldman ou
00:43:04 petit-fils de déporté ou fils d'un orphelin de la choix.
00:43:10 J'essaye à chaque fois de faire la part entre l'empathie,
00:43:14 la distance et mettre le curseur au bon endroit.
00:43:17 En tout cas, je demande à être jugé là-dessus.
00:43:19 C'est bel et bien ce que j'essaye de faire.
00:43:20 Ça, c'est une chose que j'assume.
00:43:22 Et d'ailleurs, dans mes derniers livres, c'est cela que j'essaye
00:43:28 d'analyser parce que l'historien fait partie de l'histoire et donc
00:43:32 l'historien doit assumer son historicité.
00:43:35 Et ce que je trouve problématique, ce n'est pas ma position.
00:43:39 Ce que je trouve problématique, c'est les historiens qui refusent
00:43:42 leur historicité, qui prétendent qu'ils sont tels Zeus nous
00:43:45 regardant du ciel et croyant qu'ils peuvent en quelque sorte
00:43:50 s'extraire de l'histoire qu'ils sont en train de narrer.
00:43:52 Ça, je trouve ça un peu vaniteux.
00:43:55 Et donc, ce n'est pas comme ça que je conçois mon travail.
00:43:58 Alors, il y a une deuxième question, je crois, dans celle
00:44:02 que tu m'as posée, qui est une question beaucoup plus complexe
00:44:06 et peut-être même douloureuse, qui consiste à choisir des
00:44:12 sujets en tant qu'historien, mais qui sont en décalage avec mon
00:44:16 habitus d'intellectuel, professeur de fac, bientôt âgé de 50 ans,
00:44:24 parce que quand on a cet habitus, le prof de fac aux cheveux
00:44:27 poivrés, celle, enfin, beaucoup plus celle que poivre aujourd'hui,
00:44:31 mais l'intellectuel qui veut être respecté, qui parle dans les
00:44:35 médias.
00:44:36 J'ai un habitus qui est facilement analysable et depuis une
00:44:41 vingtaine d'années, je fais des choix intellectuels qui sont en
00:44:44 décalage complet avec cet habitus.
00:44:46 J'ai travaillé sur les enfants, j'ai travaillé sur les femmes,
00:44:50 j'ai travaillé sur des anonymes, j'ai travaillé sur des gens qui
00:44:53 ne comptaient pour personne, comme mes grands-parents ou
00:44:55 Laetitia Perret.
00:44:56 J'ai travaillé sur moi quand j'étais garçon, j'ai travaillé
00:45:00 sur mon camping-car, j'ai travaillé maintenant sur Jean-Jacques
00:45:03 Goldman, qui était méprisé.
00:45:05 Bref, quasiment tous mes sujets d'historien sont en décalage
00:45:09 avec l'habitus qui est le mien, ce qui me vaut parfois des lazis
00:45:12 dans mon milieu professionnel.
00:45:13 À la part de certains de mes collègues, on me rapportait,
00:45:17 parce qu'il y en a toujours des "amis" qui vous rapportent le
00:45:19 mal qu'on dit de vous.
00:45:21 Donc, parfois, quelqu'un, une amie, me rapportait récemment
00:45:25 que dans je ne sais plus quelle jury de thèse, il y avait
00:45:29 quelqu'un, un collègue qui disait à propos de l'impétrante ou
00:45:34 de l'impétrant qui parlait de voitures ou de culture populaire.
00:45:38 Enfin, je ne sais plus très bien.
00:45:39 Ce collègue s'était crié "elle ne va pas nous parler de son
00:45:43 camping-car, elle".
00:45:45 C'était destiné à moi.
00:45:48 Du reste, je n'étais pas là.
00:45:49 Bon, donc ça, c'est peut-être un peu plus douloureux parce que
00:45:52 ça, pour le coup, je le prends de face.
00:45:54 Ce n'est jamais non plus rigolo de faire l'objet comme ça de
00:45:58 lazis, même si aussi, même si j'ai mon succès, bien sûr aussi.
00:46:01 Mais bon, là, tu mets le doigt, puisque tu voulais me mettre un
00:46:06 petit peu en difficulté.
00:46:08 Là, tu mets le doigt sur quelque chose d'un peu douloureux
00:46:10 parce que oui, c'est vrai que j'ai fait des choix qui ne
00:46:12 correspondent pas à mon habitus.
00:46:14 Mais j'assume parce que c'est là-dessus que j'avais envie de
00:46:16 travailler et je travaille là-dessus.
00:46:18 Mais de manière générale, on peut refaire ton parcours en disant
00:46:20 que tu aimes te mettre un peu en danger puisque tu as écrit des
00:46:23 livres avant d'avoir un poste de fac vraiment tel que tu pouvais
00:46:28 l'espérer.
00:46:29 On sait qu'en fait, écrire des livres trop tôt, ce n'est pas
00:46:31 formidable dans une carrière universitaire.
00:46:32 Tu choisis donc ces sujets qui ne sont pas très nobles.
00:46:35 Tu pratiques une forme d'égo-histoire, ce qui n'est pas
00:46:37 non plus forcément apprécié des collègues.
00:46:38 Tu travailles sur le féminisme alors que tu es un homme.
00:46:41 Et dernière chose, tu choisis comme objet dans ce livre
00:46:44 quelqu'un qui est encore vivant.
00:46:46 C'est un peu risqué parce que quand Jacques Legoff écrit sur
00:46:49 Saint-Louis, il a assez peu de chance que Saint-Louis lui dise
00:46:51 je ne suis pas tout à fait d'accord.
00:46:53 Toi, tu as pris ce risque.
00:46:56 Alors, il y a quelque chose qui me fait souvent rire, mais ça,
00:47:00 je pense souvent aussi aux grands bourdieux qui parlaient de
00:47:02 narcissisme et qui disaient que la sociologie vient détruire
00:47:05 le narcissisme.
00:47:06 Ce qui me fait souvent rire, c'est les écrivains qui disent à
00:47:08 la radio je me suis mis en danger.
00:47:10 Quand tu me parles de risque, ça me flatte.
00:47:13 Mais ceux qui ont pris des risques, c'est des gens comme
00:47:15 Hubert Goldman qui étaient résistants et qui ont libéré
00:47:17 Villeurbanne en 1944.
00:47:19 Eux, ils prenaient des risques.
00:47:20 Moi, toi, quels risques on prend ?
00:47:23 Au pire, on n'est pas élu et on ne fait pas carrière.
00:47:26 Enfin bon, donc non, je ne prends pas de risques.
00:47:29 Non, je ne me mets pas en danger.
00:47:30 Je fais des livres qui me plaisent.
00:47:32 En plus, ces livres marchent bien.
00:47:33 En plus, je suis prof de fac.
00:47:34 Enfin bon, franchement, ça a été fait sur des paris.
00:47:38 Quand même, tu as construit ça sur une succession de paris.
00:47:40 Maintenant, je sens que tu brûles d'en venir à la prise de parole
00:47:45 de Jean-Jacques Goldman.
00:47:46 Est-ce que tu veux qu'on parle de ça ?
00:47:47 Il faut qu'on en parle.
00:47:49 On a tous envie d'en parler.
00:47:50 Parlons-en.
00:47:51 Alors, pour ceux qui ne le sauraient pas, Jean-Jacques Goldman
00:47:57 m'a "scudé", comme on dit de manière familière.
00:48:02 Je le dis de manière pas familière.
00:48:04 Jean-Jacques Goldman a fait savoir publiquement qu'il
00:48:08 désapprouvait les livres.
00:48:11 D'ailleurs, il a parlé au pluriel.
00:48:12 Ce n'est pas que moi.
00:48:13 Les livres qui évoquent son parcours et son oeuvre.
00:48:18 Bon, j'ai été très honoré puisque maintenant, je suis l'homme
00:48:21 qui a fait sortir Goldman de son silence.
00:48:23 Ce n'est pas rien quand même, dans une vie.
00:48:25 Donc, j'en ai été honoré.
00:48:28 Mais maintenant, pour parler sérieusement, ça ne m'a pas surpris.
00:48:31 Ça ne m'a pas surpris parce que Jean-Jacques Goldman est dans
00:48:36 une position de retrait que personne n'ignore.
00:48:38 Et cela depuis 20 ans et même d'ailleurs bien avant, puisque
00:48:42 quand il était une hyperstar dans les années 80, déjà, il
00:48:47 fuyait le showbiz, le tout Paris, etc.
00:48:50 Donc, tout le monde sait que Jean-Jacques ne veut pas qu'on
00:48:54 parle de lui.
00:48:54 C'est la raison pour laquelle je n'ai pas demandé à Jean-Jacques
00:48:58 un entretien personnel.
00:48:59 En revanche, j'ai demandé à Jean-Jacques Goldman d'avoir
00:49:03 accès à certaines de ses archives.
00:49:05 Je n'ai pas eu de réponse.
00:49:06 Je pense que le mail est bien arrivé, mais je n'en suis pas
00:49:08 sûr parce que je n'ai pas eu de réponse.
00:49:10 Et j'ai écrit aussi à certains des proches de Jean-Jacques Goldman,
00:49:14 son frère Robert et quelques autres de ses proches.
00:49:18 Et je n'ai pas eu de réponse non plus, sauf de la part de Robert
00:49:21 Goldman, qui a eu l'élégance de me répondre pour refuser.
00:49:24 C'était évidemment sa liberté.
00:49:25 Donc, ma position est que Jean-Jacques, il faut le laisser
00:49:29 tranquille.
00:49:30 D'ailleurs, je l'ai laissé tranquille.
00:49:31 Je lui ai simplement demandé certaines de ses archives et
00:49:34 puis j'ai aussi demandé si je pouvais lui envoyer un
00:49:37 questionnaire.
00:49:38 Donc, il ne m'a pas répondu.
00:49:39 En revanche, Goldman, le titre de mon livre, c'est Goldman.
00:49:43 Goldman, il fait partie de notre histoire et je suis absolument
00:49:46 fondé à écrire un livre sur Goldman pour toutes les raisons
00:49:49 que je vous explique depuis quelques dizaines de minutes.
00:49:53 Donc, je n'ai pas été étonné que Jean-Jacques Goldman sorte
00:49:59 de son silence, du silence dans lequel il est enseveli depuis,
00:50:05 dans lequel il s'est enseveli volontairement depuis 20 ans.
00:50:09 Mais en même temps, vous voyez bien le paradoxe.
00:50:12 Jean-Jacques Goldman nourrit le fantasme d'être un chanteur à
00:50:18 succès qui ne serait pas connu.
00:50:20 Ou d'être une star anonyme.
00:50:23 Mais depuis le 18e siècle, ce n'est pas possible.
00:50:25 Il y a une époque où c'était possible.
00:50:27 Par exemple, quand vous étiez, par exemple, ceux qui dirigeaient
00:50:33 l'abbaye de Cluny au 11e ou au 12e siècle, ils pouvaient être
00:50:38 dans une fois, ils pouvaient avoir beaucoup de succès, mais pas
00:50:41 être connu.
00:50:41 Ça, c'était possible au Moyen Âge.
00:50:42 Mais à partir de Rousseau, à partir de la deuxième moitié du
00:50:46 18e siècle, ce n'est plus possible.
00:50:48 Le succès va de pair avec la notoriété.
00:50:51 Donc, dire qu'on est un chanteur à succès et vouloir être
00:50:54 complètement inconnu et qu'il n'y ait pas de livre sur soi,
00:50:57 pas de concert sur soi, etc.
00:50:58 Ce n'est pas possible.
00:50:59 Ce n'est donc ce n'est donc pas possible.
00:51:02 Et c'est la raison, évidemment, pour laquelle je n'ai pas
00:51:04 demandé l'autorisation à quiconque de faire mon livre.
00:51:08 Un historien ne demande l'autorisation à personne de
00:51:11 faire ses livres.
00:51:12 Donc, je n'aime pas cette expression de biographie
00:51:15 non autorisée.
00:51:16 Mon livre n'est pas une autobiographie, n'est pas une
00:51:19 biographie.
00:51:20 Et en plus, autorisé, pas autorisé, c'est complètement
00:51:23 grotesque pour un historien.
00:51:24 Imaginez qu'on demande aux ayants droit de De Gaulle ou de
00:51:27 Mitterrand l'autorisation de faire un livre.
00:51:29 Tout ça est complètement grotesque.
00:51:31 Donc, je n'ai demandé l'autorisation à personne.
00:51:34 En revanche, la question de savoir si c'est un problème que je n'ai
00:51:42 pas rencontré Goleman ou je n'ai pas souhaité rencontrer
00:51:45 Goleman.
00:51:46 Non, ce n'est pas un problème.
00:51:47 L'absence de Goleman n'est pas un problème.
00:51:50 C'est le coeur même de mon livre.
00:51:51 L'absence, l'absence de Goleman, la disparition, nos disparus,
00:51:55 mes grands-parents, Laetitia et maintenant, Jean-Jacques Goleman.
00:51:58 Tout s'est disparu.
00:51:59 C'est le coeur même de mon livre.
00:52:00 C'est l'objet de mon livre.
00:52:01 Justement, dans l'entretien que tu as donné, tu as bien voulu
00:52:04 parler à Lopes, même si Lopes n'a pas toujours été gentil.
00:52:06 Donc, on a bien compris avec Jean-Jacques.
00:52:09 Tu as fait un fil que j'ai gardé pour maintenant, que je n'ai pas
00:52:14 présenté tout à l'heure.
00:52:15 Tu as proposé un fil de cohérence entre tout ton travail,
00:52:20 qui est celui de la disparition.
00:52:22 Tu dis en fait, en m'intéressant à Goleman, je me suis intéressée
00:52:25 à un disparu.
00:52:26 Et finalement, c'est ce que je fais depuis le début.
00:52:29 Alors, je voulais savoir comment tu as interprété ça, au-delà
00:52:33 de la formule.
00:52:34 Est-ce que tout historien est en dette, est un homme en dette ou
00:52:39 est-ce que là, c'est le petit fils de la Shoah qui parle ?
00:52:41 Je crois que je travaille sur les disparus pour tous les livres
00:52:47 que j'ai évoqués.
00:52:48 Le mot a été popularisé, bien sûr, par le grand livre de
00:52:51 Daniel Mendelsohn.
00:52:52 Mais je crois plus généralement que tout historien travaille
00:52:56 sur les disparus.
00:52:57 Alors, il/elle ne le reconnaît pas toujours parce que c'est un
00:53:00 mot un petit peu qu'on trouve un peu gênant, un peu chargé
00:53:04 d'émotions, peut-être trop mémoriel.
00:53:06 La vérité, c'est qu'un historien ou une historienne travaille
00:53:10 par définition sur les disparus.
00:53:12 Alors, il y a peut-être des microscopiques exceptions,
00:53:15 mais pour le reste, quand vous travaillez sur l'Égypte
00:53:18 ancienne ou sur le Moyen Âge ou sur l'âge classique,
00:53:22 tous ces gens-là, ils sont morts et ils sont dans la situation
00:53:26 qui sera la nôtre dans 100 ans.
00:53:27 Alors, je regrette de devoir dire cette vérité désagréable,
00:53:30 mais dans 100 ans, on sera tous morts.
00:53:32 Et dans 100 ans, il y aura peut-être des historiens qui
00:53:35 travailleront sur les disparus que nous serons devenus
00:53:37 entre-temps.
00:53:38 Bon, mais c'est le sujet de l'histoire et c'est pour ça
00:53:42 qu'un historien peut se définir comme un enquêteur sur la trace
00:53:47 des disparus.
00:53:48 L'histoire est une enquête dans l'absence.
00:53:51 Donc, le fait que Jean-Jacques Goldman, je ne l'ai pas
00:53:52 rencontré ou qu'il ne m'ait pas répondu ou que etc.
00:53:56 Mais ce n'est même pas un problème.
00:53:57 C'est ce que je fais depuis que je suis en première année
00:54:01 d'histoire.
00:54:02 Tous les historiens font ça.
00:54:03 Les sociologues, un petit peu moins parce qu'ils sont davantage
00:54:06 dans le présent.
00:54:07 Moi, j'ai gardé de la sociologie, plutôt sa méthode et certains
00:54:11 de ses outils.
00:54:12 Mais pour l'histoire, tout le monde fait ça.
00:54:14 Donc, en ce sens, moi, je suis comme d'autres, comme beaucoup
00:54:18 de mes collègues, le gardien des disparus.
00:54:20 Et c'est pour ça que nul n'a le droit de m'entraver dans ma
00:54:25 mission sacrée, qui est de garder les disparus et de parler
00:54:28 de leur mémoire.
00:54:29 C'est une méthode, ça, évidemment.
00:54:33 C'est dans je crois que c'est dans ton manifeste pour les
00:54:36 sciences sociales que tu dis que l'histoire, c'est presque aussi
00:54:39 une stylistique, on pourrait dire, puisque tu dis qu'en
00:54:41 histoire, je crois que ou alors c'est à propos de Mandelson
00:54:44 que tu disais ça.
00:54:45 L'émotion ne n'est pas des superlatifs, mais elle jaillit
00:54:48 de notre tension vers la vérité.
00:54:50 Ça, je trouve ça intéressant parce que je sais que tes livres,
00:54:52 pour toi, c'est aussi une façon d'écrire.
00:54:56 Je ne fais pas mystère du fait que, selon moi, l'histoire est
00:54:59 une littérature contemporaine.
00:55:00 Je l'ai dit, j'ai essayé de le théoriser et j'ai essayé de le
00:55:06 mettre en pratique dans un certain nombre de mes livres.
00:55:09 Donc, l'histoire est une littérature contemporaine.
00:55:11 Ça veut pas dire qu'elle est fiction.
00:55:13 J'emploie quasiment jamais le mot de fiction, sauf dans certains
00:55:17 moments vraiment très, certains points très techniques.
00:55:21 Mais pour le reste, je ne parle pas de fiction.
00:55:23 En revanche, je pense que l'histoire s'écrit, que l'histoire
00:55:27 est une littérature, une forme de littérature et que le problème
00:55:31 n'est pas quand on le problème n'est pas d'écrire.
00:55:34 Le problème est quand certains historiens ou certains sociologues
00:55:38 essayent de non écrire.
00:55:40 Qu'est ce que la non écriture?
00:55:41 Qu'est ce que c'est que le non texte?
00:55:42 Le non texte, c'est un écrit qui ne cesse d'abjurer sa propre
00:55:48 littérarité, qui ne cesse de dire attention, moi, j'écris pas.
00:55:51 Attention, je choisis des mots qui sont exprès, fades, simples,
00:55:57 simplistes, laids et je m'intéresse pas du tout ni à la rythmique,
00:56:03 ni à l'atmosphère, ni à la construction narrative.
00:56:05 Ça, c'est le non texte.
00:56:07 Ça, c'est problématique aujourd'hui en science sociale,
00:56:09 parce que ça produit des livres qui deviennent illisibles,
00:56:12 qui ne sont plus lus de fait.
00:56:13 Et moi, je suis très fier que mon livre marche au bien,
00:56:19 pas parce que c'est pas pour la gloriole, c'est parce que c'est
00:56:22 une manière de rendre à nouveau les sciences sociales lisibles.
00:56:25 Et ça, c'est un combat.
00:56:26 Je suis évidemment pas le seul à l'avoir, mais ça, c'est un combat
00:56:29 que je mène depuis une dizaine d'années.
00:56:31 Et c'est pour ça que je suis fier d'avoir un public,
00:56:33 encore une fois, pas par narcissisme, mais parce que c'est
00:56:36 une manière de proposer des sciences sociales autrement.
00:56:41 Je crois que la littérature peut féconder les sciences sociales
00:56:44 et que les sciences sociales peuvent féconder la littérature.
00:56:48 Ça, c'est mon combat ou ma mission pour dire des choses un petit
00:56:51 peu pompeuses en tant que chercheur.
00:56:53 Mais là, on est nombreux à penser ça.
00:56:56 Donc, je ne le dis pas comme je ne suis pas un révolutionnaire.
00:56:59 Et d'ailleurs, du reste, je le dis du point de vue des
00:57:03 sciences sociales, mais d'autres l'ont dit du point de vue
00:57:05 de la littérature.
00:57:06 Et je suis d'autant moins révolutionnaire en le disant qu'il
00:57:10 y a de nombreux prix Nobel qui ont été décernés à des écrivains
00:57:13 qui disent à peu près la même chose depuis la littérature.
00:57:17 Quelqu'un comme Modiano, quelqu'un comme Svetlana Alekseyevich
00:57:20 ou quelqu'un comme Agnès Ernaud, trois prix Nobel, donc excusez
00:57:23 du peu, c'est des gens qui disent à leur manière que la littérature
00:57:29 et les sciences sociales, ça va ensemble.
00:57:30 Donc, tout ça, c'est un continent, en fait.
00:57:33 - Avant de donner la parole à la salle pour des questions,
00:57:37 et puisque l'équipe du Seuil est venue t'écouter, tu pourrais
00:57:42 peut-être nous dire un mot, justement, parce que tu dis que
00:57:43 c'est ta mission en tant que chercheur, mais c'est aussi
00:57:46 la mission que tu t'es donnée en tant qu'éditeur.
00:57:48 Tu as créé une émission, une émission, une collection
00:57:51 transgenre.
00:57:52 - Oui, oui, j'ai créé une collection qui s'appelle
00:57:58 Traverse et dont la raison d'être est de croiser les genres et
00:58:04 d'accueillir toutes les écritures du réel, qu'elles soient produites
00:58:08 par des chercheurs, des chercheuses, des écrivains,
00:58:11 des journalistes, des enquêteurs, des reporteurs, etc.
00:58:15 Mais je voudrais profiter justement de ta question et du fait que
00:58:17 de nombreux amis du Seuil sont là ce soir pour remercier toutes
00:58:22 les équipes du Seuil et pour dire, pour faire une espèce de
00:58:25 déclaration d'amour au Seuil.
00:58:26 C'est une maison, je suis très fier d'être un auteur au Seuil
00:58:31 et aussi d'être un éditeur au Seuil.
00:58:33 Et si mon livre marche bien, c'est grâce à toutes les équipes
00:58:39 du Seuil.
00:58:40 Alors là, on dirait que je le dis de manière un petit peu convenue,
00:58:41 mais je pourrais vous décrire ce que c'est vraiment que le
00:58:44 travail des équipes du Seuil.
00:58:46 Enfin, c'est très technique, mais c'est aussi très intellectuel.
00:58:49 Enfin, les équipes, ça peut être l'éditorial, ça peut être
00:58:53 la direction artistique, ça peut être la presse.
00:58:55 Il y a de très nombreuses équipes dans une maison d'édition et un
00:58:59 succès est toujours collectif.
00:59:01 Il n'y a que les échecs qui sont personnels.
00:59:03 Ils t'ont fait une très belle couverture.
00:59:06 D'ailleurs, j'ai vu tout à l'heure, pas mal de gens se
00:59:10 reconnaissaient dans le portrait que tu faisais des fans de Goldman.
00:59:14 Je suis sûre qu'il va y avoir des questions.
00:59:15 Vous pouvez même essayer de piéger Yvan sur les chansons
00:59:21 qu'il connaît, que celles qu'il ne connaît pas.
00:59:23 Moi, je n'ai pas une question, je vais simplement dire que j'aime
00:59:43 énormément ce que vous faites, parce que vous faites ce qu'on
00:59:45 appelle un pas de côté par rapport à l'histoire.
00:59:47 On lit des essais historiques, parfois, c'est.
00:59:50 Non, très clairement, et vous faites toujours un pas de côté
00:59:55 et ce pas de côté est fabuleux.
00:59:57 Et je voulais dire une chose importante aussi, c'est que
00:59:59 Goldman est à la chanson, ce que Rocart nous manque vraiment.
01:00:04 Et vous, dans ce livre, la combinaison des deux, parce que
01:00:09 ce n'est pas une biographie.
01:00:10 Ce n'est pas un essai sociologique, c'est les deux.
01:00:13 Et c'est fait de façon très subtile et très intelligente,
01:00:15 parce que l'on s'aperçoit que Goldman nous manque.
01:00:18 Rocart nous manque.
01:00:21 La gauche doit se mettre au travail.
01:00:23 Je vous remercie pour ce témoignage.
01:00:27 Je ne vais pas y répondre, mais je ne peux que abonder dans
01:00:29 votre dans votre sens.
01:00:31 J'ai senti votre émotion et d'ailleurs, c'est la mienne aussi.
01:00:34 Il est temps peut être de dire que je me sens orphelin de cette
01:00:38 gauche là.
01:00:39 Je me sens orphelin de cette gauche là et on pourrait lire ce livre.
01:00:43 Pas comme une oraison funèbre, si je le dis, on va tous sortir
01:00:46 déprimés.
01:00:47 Les équipes du Seuil vont dire c'est pas du tout bon pour les
01:00:49 d'autres.
01:00:50 Mais non, mais je veux dire un champ d'espoir.
01:00:55 En tout cas, ce livre, c'est aussi une réflexion sur tout ce que
01:00:59 la social démocratie et la gauche française ont apporté au pays.
01:01:04 Nous, nous ont apporté.
01:01:05 Et effectivement, pour moi, c'est un crève coeur de voir que
01:01:09 cette gauche là est vraiment, j'allais dire, en état de mort
01:01:14 cérébrale.
01:01:15 Ce serait peut être un peu sévère, mais bon, on a vraiment
01:01:17 besoin que cette gauche là revienne.
01:01:20 Alors, puisque vous rendez hommage à Rocard, je vais vous
01:01:25 donner un point important que j'ai bêtement oublié dans mon
01:01:30 livre.
01:01:31 D'ailleurs, s'il y a des rééditions, je vais m'empresser
01:01:34 de réactiver parce que c'est un oubli de ma part que je ne me
01:01:37 pardonne pas.
01:01:38 Quel est l'oubli que j'ai fait ? Jean-Jacques Goldman a pris
01:01:44 définitivement ou provisoirement définitivement sa retraite des
01:01:50 enfoirés et de la vie publique en mai 2016.
01:01:58 Puisqu'il y a eu une polémique dans laquelle je n'entre pas.
01:02:01 Mais je pense qu'il a été un petit peu blessé de cette polémique.
01:02:04 Il faisait déjà presque 10 ans qu'il était quasiment dans le
01:02:08 silence le plus complet, qu'il était retiré du showbiz.
01:02:13 Mais il animait encore les enfoirés et le show des enfoirés.
01:02:16 À partir de mai 2016.
01:02:18 Il démissionne des enfoirés et là, vraiment, il n'y est plus
01:02:22 pour personne et il disparaît absolument.
01:02:24 Donc, c'était déjà il y a quelques années.
01:02:27 On était en mai 2016.
01:02:30 Rocard est mort en juillet 2016.
01:02:33 Évidemment, les deux événements ne sont pas liés, mais je crois
01:02:38 que c'est un symbole important.
01:02:39 Et 2016, je crois, dans l'histoire de la social-démocratie
01:02:45 française, restera comme une année charnière avant la
01:02:49 renaissance que nous attendons tous.
01:02:50 Je voudrais revenir sur la figure de la masculinité incarnée par
01:03:10 Jean-Jacques Goldman.
01:03:11 Vous avez évoqué le fait qu'il n'y avait pas une seule blague,
01:03:15 une seule blague misogyne dans les chansons de Goldman.
01:03:19 Est ce que vous considérez que ça peut expliquer aussi certaines
01:03:23 critiques ou même la façon dont on l'a repoussé?
01:03:27 C'est cette masculinité qu'il a incarnée et qui n'était pas du
01:03:31 tout dans l'ère du temps à l'époque et qui était peut être
01:03:34 même un peu d'ordre précurseur par rapport à ce qu'on vit
01:03:38 aujourd'hui.
01:03:39 J'en suis convaincu.
01:03:40 Vous l'avez très bien exprimé et j'en suis convaincu.
01:03:44 Je pense que Goldman a subi des attaques misogynes pour deux
01:03:49 raisons.
01:03:50 La première, c'est qu'il était dans ses chansons, en quelque
01:03:56 sorte, l'allié des femmes.
01:03:58 Alors, on ne le dirait pas comme ça.
01:04:00 En tout cas, on ne le disait pas comme ça à l'époque, mais il
01:04:04 s'est mis dans la peau de très nombreuses femmes dans ses chansons.
01:04:08 Il a aussi composé énormément pour des femmes.
01:04:12 Il a ses chansons, parle des femmes à de nombreuses époques de
01:04:15 leur vie, l'adolescence ou l'amour, la rupture amoureuse,
01:04:22 la grossesse, la solitude.
01:04:23 Il a écrit pour les femmes et il suffit de comparer trois chansons
01:04:29 de la même époque.
01:04:30 La chanson de Jean-Jacques Goldman, elle a fait un bébé
01:04:33 toute seule.
01:04:34 La chanson de Cookie Dingler, être une femme libérée et cette
01:04:38 chanson de Michel Sardou dont je parlais, être une femme.
01:04:42 Et au fond, c'est un peu le même thème.
01:04:45 En gros, pour Michel Sardou, c'est Femmes des années 80,
01:04:49 pardon, qui s'appelle Être une femme.
01:04:52 Bref, vous me corrigerez, mais le refrain, c'est bien sûr
01:04:56 Femmes des années 80.
01:04:57 Et donc, c'est le même thème.
01:04:59 Mais quand vous regardez, quand vous faites des lectures un peu
01:05:02 thématiques de ces trois chansons, Jean-Jacques Goldman, il est
01:05:04 dans une forme de respect, d'empathie.
01:05:07 Il parle d'une famille monoparentale dirigée par une femme.
01:05:11 Et il est dans une forme vraiment de compréhension, de proximité.
01:05:15 La chanson de Cookie Dingler et de Sardou, c'est des formes de
01:05:20 galéja, de plus ou moins misogyne ou en tout cas caustique,
01:05:26 plus ou moins drôle.
01:05:27 Je préfère Cookie Dingler à Michel Sardou.
01:05:31 C'est quand même très, très différent dans la tonalité.
01:05:34 Et puis, bien sûr, le public de Jean-Jacques Goldman était
01:05:39 massivement composé d'adolescentes, comme je l'ai dit.
01:05:43 Et le deuxième aspect, c'est la masculinité de Jean-Jacques
01:05:47 Goldman.
01:05:47 Et c'est autre chose.
01:05:48 La masculinité de Jean-Jacques Goldman, c'est une masculinité
01:05:51 vulnérable, fragile.
01:05:55 Le sentiment de solitude et de mal-être est partout.
01:05:58 Ce qui fait ce qui est d'ailleurs un hommage de Jean-Jacques
01:06:01 Goldman à son maître Michel Berger, qui a exactement les
01:06:05 mêmes thèmes.
01:06:06 Le sentiment de solitude, le sentiment du décalage,
01:06:09 le sentiment de mal-être est donc une masculinité très juive,
01:06:14 achekénèse d'ailleurs, un télo un peu dissidente, illégitime.
01:06:20 Et ça, c'est très Goldmanien, précisément.
01:06:22 Le fait que Jean-Jacques Goldman ait été attaqué en tant que
01:06:27 chanteur à minettes ou en tant que, par exemple, je ne sais plus
01:06:32 quel journaliste, parlait d'une voix qui s'étrangle dans les aigus.
01:06:36 Bon, ça, c'est typiquement une sous-entendue misogyne parce
01:06:42 que Balavoine, on n'a jamais dit ça de Balavoine, alors que du
01:06:45 point de vue des mégahertz, je pense que c'est à peu près la
01:06:47 même chose entre Goldman et Balavoine.
01:06:51 Mais précisément, quelqu'un comme Balavoine, il est dans une
01:06:54 masculinité qui est beaucoup plus virile et même hyper virile.
01:06:57 Balavoine, c'est quelqu'un qui avait des blousons de cuir,
01:07:01 qui dénonçait, qui critiquait Mitterrand quand il fallait le
01:07:05 faire.
01:07:05 C'est quelqu'un qui avait un rôle beaucoup plus fort et on pourrait
01:07:10 décliner tous les rôles de cette scène rock française qui
01:07:14 exude la testostérone.
01:07:16 Vous avez Johnny que tout le monde caractérisait comme le
01:07:20 taulier.
01:07:21 Mon cher Renaud était aussi dans une forme de virilité un peu
01:07:26 cuir et moto.
01:07:28 Balavoine, j'en ai dit un mot.
01:07:30 On a tous été un peu dans une forme de sexualité, un peu de
01:07:35 la drague plus ou moins légère vis-à-vis des femmes.
01:07:38 Mais Jean-Jacques Goldman, c'est tout le contraire.
01:07:39 Et ça, je trouve ça intéressant aussi pour ce qui est de
01:07:43 l'histoire culturelle.
01:07:44 Comment vous expliquer comment on pourrait expliquer le paradoxe
01:07:48 suivant apparemment Goldman, c'est encore la personnalité
01:07:52 préférée des Français et depuis 20 ans.
01:07:54 Comment expliquer le paradoxe entre ça et l'invisibilité
01:08:00 totale de ce qu'il représente dans le corps social français
01:08:04 tel qu'il nous l'est restitué, tel que moi, je le ressens.
01:08:08 Et puis, je ne suis pas le seul.
01:08:09 On est très éloigné, me semble-t-il.
01:08:10 Enfin, la France me semble super éloignée de l'idéal
01:08:13 goldmanien.
01:08:14 C'est pour moi, ce n'est pas un paradoxe parce que si on analyse
01:08:19 rapidement la popularité de Goldman, il y a d'abord le fait
01:08:24 qu'il a écrit la playlist de nos vies.
01:08:26 Bon, ça, je l'ai dit dix fois dans dix interviews, mais je crois
01:08:29 que c'est vrai.
01:08:30 Il a un peu écrit de très nombreuses chansons, nous parle,
01:08:35 accompagne nos vies, nos moments d'amour, d'amitié, de rupture
01:08:40 et même jusqu'au deuil, puisqu'il y a des chansons de Goldman
01:08:42 qui sont passées aux obsèques de très nombreuses Françaises
01:08:45 et Français.
01:08:45 Donc, il y a ce caractère, ce côté un petit peu artistique.
01:08:50 Il y a aussi l'engagement politico-social de Goldman à
01:08:54 travers les restos du coeur, à travers ce que j'ai dit de la
01:08:57 social-démocratie, la réciprocité, la solidarité, etc.
01:09:01 Et il y a aussi le troisième aspect de sa popularité.
01:09:05 C'est ce que j'évoquais tout à l'heure sous les traits de la
01:09:08 morale Goldman.
01:09:09 Et dans cette morale Goldman, il y a la discrétion,
01:09:12 l'invisibilité.
01:09:13 Et donc, ce n'est pas du tout un paradoxe.
01:09:16 Le fait même qu'il ait maintenant disparu, qu'il soit
01:09:19 invisible et même furtif, furtif au sens de Alain Damasio,
01:09:24 il est à la fois invisible, disparu, furtif.
01:09:27 Je crois que ça participe de sa popularité parce que ce que
01:09:32 beaucoup ne supportent plus, c'est l'ultra visibilité à
01:09:36 travers les télés, les réseaux sociaux, la chasse aux likes,
01:09:40 aux followers, le fait que beaucoup d'artistes sont dans
01:09:44 une espèce d'hypervisibilité.
01:09:47 Et ça, c'est épuisant.
01:09:49 On est dans une société qui, à cet égard, est épuisante.
01:09:54 Et je ne vous parle pas des disputes que j'ai avec mes
01:09:57 filles qui passent leur temps sur les réseaux sociaux et que
01:09:59 ça me rend malade.
01:10:00 Bon, c'est une autre histoire et pardon de vous en parler.
01:10:02 Mais on est dans cette société là.
01:10:04 Et donc, qu'un homme comme Jean-Jacques Goldman, qui n'a
01:10:08 plus rien, qui n'a plus rien à démontrer à personne et qui,
01:10:11 lui, n'a pas un seul fan club, n'a pas un seul compte Instagram
01:10:15 ni Twitter et qui, au contraire, dans la disparition la plus
01:10:18 épaisse, la plus complète, la plus intègre.
01:10:21 Je crois que ça fait partie de sa popularité extrêmement.
01:10:24 Vous avez parlé de votre proximité comme celle de Goldman
01:10:40 avec la social démocratie et vous avez évoqué comme
01:10:45 sociodémocrate Jospin et Rocard.
01:10:49 Et vous n'avez pas parlé d'un autre social démocrate qui
01:10:53 s'appelait François Mitterrand.
01:10:54 Est ce que vous pouvez nous parler de votre relation avec
01:10:59 l'intéressé et celle de celle de Goldman avec François Mitterrand?
01:11:06 Alors, il est temps que je dise publiquement ce que je pense
01:11:09 de François Mitterrand.
01:11:10 Je pense que François Mitterrand n'est pas un social démocrate,
01:11:13 mais plutôt un homme de droite.
01:11:14 On le sait par son parcours sous Vichy.
01:11:18 Ensuite, en tant que ministre de la Quatrième République et
01:11:24 l'attitude qu'il a eue vis à vis des indépendantistes algériens
01:11:27 dont il a envoyé de nombreux à la guillotine, ou en tout cas,
01:11:32 il n'a rien fait pour leur éviter la guillotine.
01:11:34 Et puis ensuite, son attitude de président de la République a des
01:11:43 aspects d'homme de gauche, bien sûr, mais aussi des aspects
01:11:46 de droite, notamment le cynisme.
01:11:48 Et je ne parle pas, bien sûr, des toutes les affaires et tous
01:11:52 les scandales qui ont entaché son deuxième septennat.
01:11:55 C'est très exactement ce que Jean-Jacques Goldman pensait
01:11:58 de François Mitterrand.
01:11:59 C'est pour ça que ça m'embête d'être à ce point là,
01:12:01 à la remorque de Jean-Jacques Goldman.
01:12:03 Mais Jean-Jacques Goldman a dit publiquement, je cite en tant
01:12:07 comme de gauche, je me flatte de ne jamais avoir voté
01:12:11 pour François Mitterrand.
01:12:12 Voilà ce qu'a dit Jean-Jacques Goldman, parce que Jean-Jacques
01:12:14 Goldman est intégralement un homme de la deuxième gauche au sens
01:12:18 de Rocart, de Jospin et les gens de la deuxième gauche,
01:12:22 c'est à dire les Rocardiens, les vrais Rocardiens, ceux qui
01:12:26 regrettent Rocard, les Rocardiens ont pleuré en mai 1981,
01:12:34 parce qu'ils ont compris ce que c'était que Mitterrand justement.
01:12:38 Et beaucoup de Rocardiens, j'en ai parlé avec eux, ont pleuré
01:12:41 en mai 81, mais ce n'était pas les larmes de ceux qui étaient
01:12:45 à la place de la Bastille.
01:12:46 Pardon de vous dire les choses un petit peu de manière trop vive,
01:12:49 cher monsieur.
01:12:50 Mais après tout, on est ici pour se dire la vérité.
01:12:52 Il y a encore une autre question.
01:13:03 Alors, moi, je connais assez peu Jean-Jacques Goldman,
01:13:14 je suis un peu connu, c'est plutôt Renaud ou Gainsbourg ou autre.
01:13:16 Je pense qu'il est de plus en plus apprécié aussi parce que c'est
01:13:21 sans doute un grand musicien.
01:13:22 Je ne sais pas si dans votre livre, que je n'ai pas encore lu,
01:13:27 cet aspect-là est développé parce qu'en fait, il a aussi beaucoup
01:13:31 écrit et beaucoup composé, beaucoup arrangé pour de nombreux
01:13:35 artistes.
01:13:36 Et donc, il a un soutien finalement de plus en plus vif,
01:13:40 sans doute qui va émerger.
01:13:41 Beaucoup lui doivent beaucoup de choses dans leur carrière,
01:13:44 je pense.
01:13:45 Oui, vous avez tout à fait raison.
01:13:47 Je pense que c'est très bien dit.
01:13:48 Beaucoup lui doivent beaucoup.
01:13:49 Exactement.
01:13:50 Je pense que vous avez tout à fait raison.
01:13:52 Et Jean-Jacques Goldman, quand il chante son premier tube,
01:13:56 non pas Sister Jane en 1975, parce que ce n'est pas lui qui
01:13:59 écrit ni les paroles ni la musique, mais son premier tube,
01:14:02 Parole et musique, Il suffira d'un signe, en 1981.
01:14:06 Quand il devient Jean-Jacques Goldman véritablement, quand il
01:14:11 devient cette star, il démode brutalement toute la variété
01:14:17 des années 70, c'est-à-dire que le son Goldman, ce qu'il y aura
01:14:20 ensuite, Il suffira d'un signe, quand la musique est bonne,
01:14:23 Comme toi, Long is the road, et puis toute l'épopée des années
01:14:27 80, le son Goldman démode immédiatement la variété à la
01:14:32 papa des shows des Carpentiers dans les années 70.
01:14:36 Et ça, c'est parce qu'il fait la synthèse entre le rock anglophone,
01:14:43 le blues, la chanson à texte à la française, le swing de Michel
01:14:48 Berger et cette synthèse.
01:14:50 Génial à sa manière, devient le son Goldman.
01:14:55 Et aujourd'hui, quand on écoute une chanson de Goldman chantée
01:14:58 par lui ou par d'autres, que ce soit du Céline Dion, du Khaled,
01:15:03 du Patrick Fiori ou du Johnny Hallyday, on reconnaît
01:15:08 immédiatement à la troisième mesure, j'allais dire à la
01:15:11 première mesure du Jean-Jacques Goldman.
01:15:14 Donc, du point de vue de la musique, son génie, c'est celui
01:15:18 de la synthèse.
01:15:19 Je ne sais pas si véritablement il invente un genre nouveau,
01:15:22 mais on peut dire qu'il invente à la limite le pop rock à la
01:15:25 française avec une capacité de synthèse qui vraiment là est
01:15:28 absolument remarquable.
01:15:32 Et en effet, beaucoup lui doivent beaucoup de la même manière
01:15:37 que beaucoup doivent beaucoup à Mylène Farmer, qui est un peu
01:15:41 son équivalent pop du point de vue féminin.
01:15:45 Et il y a aussi quelque chose qui me touche chez Goldman de
01:15:49 manière peut être plus intime, c'est le côté musical et un
01:15:53 peu klezmer.
01:15:54 Je crois qu'il y a chez Jean-Jacques Goldman un peu de
01:15:57 musicaux juifs et yiddish qu'on entend de manière incontestable
01:16:02 dans Comme toi, où là, véritablement, il y a carrément
01:16:05 un solo de violon de cigane, comme dans une autre chanson,
01:16:08 un petit peu plus tardive et moins connue, comme qui
01:16:12 s'appelle Natasha.
01:16:13 Et ça, c'est là où on est vraiment complètement dans
01:16:16 l'histoire des Goldman.
01:16:18 J'en profite pour rendre hommage à mon éditeur Maurice Hollander,
01:16:21 qui a signé mon contrat à propos de ce livre, mais qui est mort
01:16:26 trop tôt pour le livre.
01:16:27 J'en suis triste.
01:16:28 Je voudrais lui rendre hommage pour tout ce que je lui dois,
01:16:31 bien sûr, des six livres que j'ai fait avec lui dans sa collection
01:16:35 La librairie du XXIe siècle.
01:16:37 Je sais que je sais pour en avoir parlé avec lui, que Maurice
01:16:42 Hollander était très touché par ce musical juif et yiddish de
01:16:49 son enfance, avec des stars peut être injustement oubliées
01:16:52 aujourd'hui, comme René Lebas ou Francis Le Marc, qui sont non
01:16:58 seulement des chanteurs juifs, mais aussi des orphelins de la
01:17:02 Shoah, comme ou en tout cas des enfants de la Shoah, comme
01:17:07 plus tard Barbara ou Gainsbourg lui même.
01:17:11 Donc là, je crois qu'il y a vraiment une filiation juive,
01:17:13 mais au sens musical.
01:17:15 Et c'est aussi ça que j'ai voulu dire dans mon livre Goldman
01:17:21 pour rendre hommage à cette culture juive et yiddish qui a
01:17:25 réussi à irriguer la culture de l'État-nation qu'est la France.
01:17:30 Merci beaucoup.
01:17:34 On s'arrête là.
01:17:36 On se retrouve.
01:17:38 Vous sortez en haut du petit escalier et vous pourrez vous
01:17:42 faire dédicacer, signer le livre, comme on dit, par Yvan.
01:17:45 Merci beaucoup Yvan.
01:17:46 (Applaudissements)