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A l'occasion de l'Université syndicale d'été qui s'est tenue du 29 au 31 août 2023, un échange a eu lieu entre Pierre Rosanvallon (sociologue et professeur émérite au Collège de France) et les responsables CFDT .

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00:00:00 On ouvre cette université d'été avec Pierre qui était avec nous le 21 juin.
00:00:10 Donc à chaque fois on dit on ne vous présente plus mais quand même on peut rappeler que vous êtes professeur honoraire au Collège de France.
00:00:16 Vous avez été, alors ça me fait plaisir de le dire, vous avez été rédacteur en chef de CFDT Magazine.
00:00:22 Voilà, qui ne s'appelait pas CFDT Magazine et donc vous êtes un compagnon de route de la CFDT depuis très très longtemps.
00:00:31 Donc beaucoup de personnes dans la salle vous ont lu. Vous avez en effet des dizaines d'ouvrages à votre actif.
00:00:38 On vous a entendu, rencontré et donc aujourd'hui on va revenir avec vous sur cette période de conflit liée à la réforme des retraites mais dans un esprit différent.
00:00:51 Donc on ne va pas refaire le film mais comme le disait Luc on va essayer de tirer les filles et les enseignements.
00:00:59 Donc on a à peu près pour vous donner une idée une demi-heure d'échange et ensuite une heure ouverte à vos questions.
00:01:09 Donc voilà, vous aurez tout le temps de poser vos questions à Pierre.
00:01:16 Donc depuis le 21 juin, l'été passé, marqué début juillet par plusieurs jours d'émeutes urbaines à la suite de la mort du jeune Nahel.
00:01:27 Là encore un mouvement de colère et de protestation.
00:01:31 D'où ma première question. Au-delà du mouvement contre la réforme des retraites, quel regard portez-vous sur ces mouvements de colère qui secouent la société ?
00:01:40 Donc les émeutes mais aussi les manifestations autour des questions climatiques, contre les projets de méga-vaccines par exemple.
00:01:48 Qu'est-ce que cela dit de notre société ? Quelle lecture et aussi quelle analyse vous en faites ?
00:01:55 C'est difficile de résumer en deux mots tout un ensemble de mouvements sociaux qui ne se ressemblent pas forcément.
00:02:06 Je crois qu'en ce qui concerne les questions liées à l'environnement, aux manifestations qui ont eu lieu cet été,
00:02:15 là le fait fondamental et très frappant, c'est que la centralité prise par ces questions ne se traduit pas par des décisions dans l'immédiat.
00:02:28 Il y a une sorte de rupture entre l'intelligence abstraite de cette question, de l'environnement, de l'urgence climatique que tout le monde ressent,
00:02:38 et puis cette difficulté à la mettre en œuvre quotidiennement.
00:02:44 Et au fond les mouvements de colère et de protestation qu'ont eu un certain nombre de manifestants, notamment à propos des bassines, c'est cela.
00:02:52 C'est-à-dire qu'il faut agir tout de suite. Et là il faut réfléchir aux raisons pour lesquelles il y a ce décalage qui reste extrêmement important
00:03:04 et qui produit une sorte d'aveuglement, disons.
00:03:08 Et je crois qu'on n'a pas assez réfléchi à cette espèce de mépris de fait du long terme, pour deux raisons.
00:03:17 Pour la première raison, c'est que la démocratie ne veut pas préempter l'avenir.
00:03:22 L'histoire de la démocratie, c'est de se libérer des chaînes du passé et que chacun puisse inventer l'avenir.
00:03:28 Et donc réfléchir sur l'environnement, c'est au contraire.
00:03:32 Prendre au sérieux le long terme dès maintenant, c'est-à-dire prendre la parole au nom des générations qui ne sont pas encore nées.
00:03:40 Donc ça pose des problèmes un petit peu nouveaux dans les démocraties. Et pour l'instant, ils n'ont pas été résolus.
00:03:47 Alors je crois que ce n'est pas forcément le cœur de la réflexion CFDT, mais c'est une réflexion pour tout le monde aujourd'hui
00:03:54 que de voir cette incapacité à transformer la conscience abstraite des problèmes en action quotidienne.
00:04:04 - Alors ça veut dire que ces colères qui s'expriment dans plein de niveaux différents, vous ne voulez pas en faire une colère générale.
00:04:14 Il faut serrer ces colères.
00:04:16 - Oui, en tout cas, il y a des points communs. Il y a un certain type de point commun.
00:04:22 Là, je voulais montrer la spécificité de ce qui était lié aux questions sur l'environnement.
00:04:28 Car il y a cette sorte d'aveuglement pratique vis-à-vis du long terme.
00:04:36 Et que c'est une question qu'elle, l'humanité, a réfléchie depuis longtemps.
00:04:40 Quand on voit que c'est Colbert qui a mis en place une ordonnance sur les forêts, c'est parce que Colbert disait
00:04:47 "Gérer des forêts, c'est gérer avec un siècle d'avance".
00:04:51 Et parce qu'on pensait qu'il fallait un siècle d'avance pour avoir des beaux arbres.
00:04:56 Et qu'avec ces beaux arbres, on puisse construire des beaux bateaux pour la marine royale.
00:05:02 Donc ça veut dire qu'il y avait des personnes qui avaient le souci considéré comme il fallait s'occuper au présent de ce qui allait arriver dans un siècle.
00:05:11 Alors j'ai abordé cette question-là sans la développer aujourd'hui, mais elle me semble absolument essentielle.
00:05:19 Qui sont aujourd'hui les avocats du long terme réellement ?
00:05:23 Les avocats du long terme qui pèsent dans le présent.
00:05:26 Parce qu'il y a beaucoup de prophètes du long terme.
00:05:28 Mais entre le prophète et l'acteur, il y a une très grande différence.
00:05:32 Et nous vivons ce divorce entre les prophètes et les acteurs.
00:05:37 Pour moi c'est une réflexion qui est au cœur même, au sens même de la question écologique.
00:05:45 Alors si on revient quand même à cette colère qui s'est exprimée pendant ces mois de printemps contre la réforme des retraites,
00:05:52 est-ce qu'on pourrait... comment l'expliquer cette colère ?
00:05:57 Et j'aimerais peut-être faire le lien avec ce que vous appelez les épreuves.
00:06:04 C'est-à-dire, ces colères sont l'expression de quelles épreuves ?
00:06:08 Là, je pense qu'on se tourne vers les mouvements sociaux, je dirais récents.
00:06:13 S'il y a un point commun entre eux, c'est la révolte contre les actions sur le présent
00:06:23 qui sont des actions menées au nom de réalités macroéconomiques abstraites.
00:06:29 C'est une révolte contre l'abstraction.
00:06:33 Pour qu'on ne parle pas simplement, on a appelé ça la question des propositions paramétriques.
00:06:41 Mais qu'est-ce qu'il y a derrière ce refus de parler de paramètres ?
00:06:45 C'est pas qu'il ne faut pas envisager des paramètres macroéconomiques.
00:06:49 C'est qu'on ne voit pas les réalités du travail et on ne voit pas surtout les différences qui sont à l'oeuvre.
00:06:57 Chacun se révolte quand il a le sentiment qu'il y a un écart entre une règle générale
00:07:04 ou bien une façon abstraite de poser les questions
00:07:08 et puis la réalité sensible de ce qu'il vit.
00:07:12 Alors ça c'est un point commun entre beaucoup de choses.
00:07:17 Il n'y a rien de commun entre le mouvement des gilets jaunes et le mouvement sur les retraites.
00:07:23 Le mouvement sur les retraites, les syndicats ont été au premier plan.
00:07:26 C'est un mouvement bien organisé, bien coordonné.
00:07:29 Rien de tel avec les gilets jaunes où c'était d'abord un mouvement qui ne se traduisait pas par des manifestations.
00:07:36 Qui dit manifestation dit marcher vers un but.
00:07:39 Marcher vers un but avec des pancartes.
00:07:43 Les gilets jaunes, ils étaient en quelque sorte immobiles sur un rond-point.
00:07:47 Donc c'était par leur forme, ils étaient très différents.
00:07:51 Mais il y avait un point commun.
00:07:53 Ce point commun, c'est un certain nombre de personnes qui avaient le sentiment que des réformes portant sur le prix de l'essence, par exemple,
00:08:01 ne tenaient pas compte d'un certain nombre de spécificités qui étaient les leurs.
00:08:06 Et donc c'est en quelque sorte un procès de l'abstraction politique.
00:08:12 Et d'un mépris de leur situation.
00:08:15 Oui, parce que le mépris se définit par le fait qu'on ne tient pas pour important la réalité vécue par les gens.
00:08:25 Le mépris c'est regarder les personnes comme des abstractions.
00:08:30 Le mépris c'est de ne pas voir les vies réelles dans ce qui se passe.
00:08:37 Et c'est pour cela que j'ai parlé de ces épreuves en disant qu'on ne comprend pas simplement la société à partir des statistiques.
00:08:46 On ne comprend pas simplement la société à partir de réalité globale.
00:08:51 On comprend la société quand on l'appréhende à partir du vécu.
00:08:57 Quand on l'appréhende pas simplement à partir des statistiques de chômage mais de la réalité du travail.
00:09:02 Quand on l'appréhende non pas simplement à partir d'un équilibre macroéconomique des retraites,
00:09:08 mais à partir des différences qui concernent la façon dont chacun a eu un certain type de carrière,
00:09:16 avec de la pénibilité, avec des carrières hachées, etc.
00:09:20 Et donc je crois que la révolte c'est une révolte contre le gouvernement de l'abstraction.
00:09:26 Contre le gouvernement d'en haut d'un certain point de vue.
00:09:30 Et bien sûr qu'il faut tenir compte des équilibres macroéconomiques.
00:09:34 Mais gouverner aujourd'hui en gouvernant d'en haut et en ne parlant pas le langage des réalités vécues,
00:09:42 c'est se condamner à l'inefficacité et c'est augmenter à chaque fois la coupure entre le monde politique et la société.
00:09:52 Et cette coupure, on sait bien qui en tire les marrons du feu.
00:09:55 Et du coup, alors, quelle réponse apporter ?
00:09:58 Alors, est-ce qu'on a suffisamment...
00:10:02 Alors pour ceux qui n'ont pas lu le livre de... ou pas encore lu le livre de Pierre "Les épreuves de la vie",
00:10:09 c'est une façon d'appréhender les questions par différents types d'épreuves.
00:10:16 Est-ce que vous pouvez quand même détailler, parce que je pense que ça donnera aussi des clés de compréhension,
00:10:20 ces épreuves, donc l'épreuve d'incertitude...
00:10:23 Oui, c'est-à-dire que si on veut appréhender la façon dynamique de la société,
00:10:27 il faut l'appréhender à partir de ce que vivent les individus.
00:10:32 Et faire du commun, c'est vivre les mêmes difficultés ensemble.
00:10:37 Et j'insistais sur le fait qu'il y a trois grands types d'épreuves.
00:10:42 L'épreuve de l'injustice, l'épreuve du mépris et puis l'épreuve de l'incertitude.
00:10:50 L'épreuve de l'incertitude, c'est celle de savoir qu'est-ce qui va se passer dans l'avenir.
00:10:56 Or, on peut dire que le mouvement ouvrier, il a été l'agent central de la réduction de l'incertitude sociale.
00:11:07 Comment ? En organisant de façon collective le contrat de travail.
00:11:12 En organisant aussi la sécurité sociale.
00:11:16 C'est-à-dire qu'en réduisant les aléas de la vie.
00:11:20 C'est-à-dire que si on est malade, si on est invalide, si on est accidenté,
00:11:25 eh bien on peut surmonter tout un certain nombre d'épreuves.
00:11:29 Or, aujourd'hui, l'État Providence a été organisé pour surmonter tout ce type d'épreuves classiques.
00:11:36 Et il continue à jouer son rôle, bien sûr.
00:11:38 Mais il y a tout un ensemble d'autres épreuves, aujourd'hui plus individuelles,
00:11:44 et qui ne sont pas prises en compte.
00:11:45 On a parlé, par exemple, des épreuves via l'autonomie.
00:11:48 Mais toutes les épreuves qui sont liées à des carrières hachées.
00:11:51 Toutes les épreuves aussi qui sont liées à des formes de harcèlement sur le lieu de travail.
00:11:57 Tout ça, ça crée de l'incertitude, ça crée de la douleur dans la vie.
00:12:03 Et ça n'est pas encore pris en charge avec autant d'efficacité que ces autres modalités de réduction de l'incertitude.
00:12:12 Et au fond, le progrès social, c'est tout de même réduire l'incertitude dans la vie des individus.
00:12:17 Surtout à un moment où certains se font, en quelque sorte, les apôtres et les prophètes de l'incertitude comme le moteur de la vie.
00:12:27 L'ancien vice-président du Medef, qui était Denis Kessler, avait fait toute une théorie du risque en disant "la vie, c'est le risque".
00:12:36 Et donc l'état Providence, il avait même été juste à dire que la bonne société était une société qui mettrait à bas tous les acquis sociaux de 1945.
00:12:47 Parce que, disait-il, ils réduisent le risque de la vie des gens.
00:12:51 Or le risque, c'est l'innovation, le risque c'est la vie entrepreneuriale.
00:12:56 Non, la vie sociale, c'est aussi bien sûr permettre l'invention, mais réduire les risques d'accident de la vie.
00:13:03 Donc ça, c'est un premier type d'épreuve qu'on a commencé à savoir domestiquer.
00:13:11 Mais il y a des nouveaux types d'incertitudes qui arrivent.
00:13:14 Ne serait-ce que par exemple les incertitudes climatiques, c'est un certain type d'incertitude.
00:13:18 Je parlais des incertitudes qui pèsent de plus en plus, psychologiques par exemple.
00:13:22 La vie des personnes est moins sûre. Bon, il n'y a pas d'assurance contre le divorce, c'est pas possible.
00:13:28 Mais on sait que divorcer veut dire changer radicalement pendant un certain nombre d'années son rapport à son budget,
00:13:37 à la façon d'équilibrer les comptes. Donc ce premier type d'épreuve est essentiel.
00:13:42 Et ça, c'est un objet de l'action sociale.
00:13:45 Et l'a été, je dirais, depuis les origines du syndicalisme et du mouvement ouvrier.
00:13:49 Et il continue à l'être, mais il doit s'étendre, se réinventer, se développer sous des modalités nouvelles.
00:13:56 Le deuxième type d'épreuve, qui me semble aussi décisif, c'est ce que j'appelais les épreuves de l'injustice.
00:14:04 Mais l'injustice définie par le fait qu'il y a une règle générale qui ne tient pas compte de ce que je vis.
00:14:12 L'injustice, c'est la politique du rabot. L'injustice, c'est la politique qui oublie la vie réelle des gens.
00:14:22 Et donc, ça, le syndicalisme aussi, il était un outil à la fois, on peut dire, d'essayer d'éliminer,
00:14:32 de créer du commun à travers des conventions collectives, par exemple.
00:14:36 Mais en même temps, de prendre en charge aussi ce que sont des réalités locales,
00:14:42 des réalités plus individuelles, des réalités liées à certaines professions.
00:14:46 Le syndicalisme, il a toujours marché sur ses deux jambes.
00:14:49 Aujourd'hui, la politique économique, elle ne tient pas compte de cette autre dimension de l'injustice
00:14:56 et qui sont ressenties très fortement, sont ressenties aussi fortement comme des injustices,
00:15:02 ce qui est de l'ordre des discriminations.
00:15:05 La discrimination, pourquoi ? Elles sont vécues plus difficilement aujourd'hui.
00:15:10 Parce que être discriminé, c'est un double déni d'individualité.
00:15:17 Être discriminé, c'est dire, on refuse de prendre en compte ce que ma spécificité de couleur de peau, par exemple,
00:15:26 ce qu'elle induit comme difficulté.
00:15:30 Donc, on refuse de le prendre en compte.
00:15:33 Et de l'autre côté, on veut m'assigner à ma spécificité.
00:15:37 Alors que moi, je voudrais être un individu comme les autres, on m'assigne à ma spécificité, ma couleur de peau.
00:15:42 Donc, les discriminations, elles sont au cœur, aujourd'hui aussi, de la vie sociale,
00:15:48 parce que l'invention, je dirais, de la construction de chacun comme individu,
00:15:54 implique qu'on puisse être reconnu comme singulier.
00:15:58 Singulier et en même temps, d'être quelconque.
00:16:02 Chacun d'entre nous veut à la fois être quelqu'un, mais veut en même temps être quelconque.
00:16:08 Donc, ça, c'est un grand enjeu aussi, dans la vie sociale, que de prendre en compte ce type d'épreuves.
00:16:18 Et qui créent du commun, parce qu'on se reconnaît vivre ces épreuves en commun.
00:16:23 Et puis, le troisième type d'épreuves, c'est ce que j'ai appelé les épreuves du mépris.
00:16:28 Et les épreuves du mépris, elles sont aussi vécues très difficilement,
00:16:34 parce que le mépris, c'est dire d'un certain point de vue qu'on n'appartient pas à la même humanité.
00:16:40 Le mépris, c'est un déni d'appartenance, d'être semblable.
00:16:46 Et dans une société moderne, on veut à la fois être semblable et être singulier.
00:16:53 Donc, je crois qu'il y a une évolution des revendications sociales pour cela.
00:16:58 Parce qu'autrefois, on ne progressait que par le collectif.
00:17:03 C'est-à-dire qu'on progressait parce qu'il y avait des lois sociales, parce qu'il y avait des conventions collectives.
00:17:10 Cela existe toujours et cela doit se développer encore.
00:17:14 Mais on veut progresser aussi en étant reconnu dans sa spécificité.
00:17:18 Et cela, dans la trajectoire personnelle qu'on peut avoir, dans la façon dont on s'épanouit au travail.
00:17:25 C'est un rapport, par exemple, au travail qui est très différent.
00:17:29 Parce que c'est un rapport qui va mettre l'accent sur la fierté au travail.
00:17:34 Et pas simplement sur, je dirais, la rémunération.
00:17:38 Qui va prendre en compte aussi le droit à s'accomplir dans le travail.
00:17:44 Et donc, ces épreuves, elles dessinent aussi une nouvelle géographie, je dirais, de la protestation sociale.
00:17:53 Une nouvelle géographie du malaise social.
00:17:57 Et cela, évidemment, il reviendra peut-être quelques mots dans la discussion, c'est une question centrale pour le syndicalisme.
00:18:06 J'ajouterai une chose, c'est que ce n'est pas simplement dans les pays développés que ces questions-là se posent.
00:18:14 J'étais très frappé que très souvent, dans les pays africains ou dans les pays arabes, on a parlé des émeutes de la faim.
00:18:25 Parce que c'est un problème réel dans beaucoup de ces pays-là.
00:18:29 Mais quand on voit ce qui était au cœur des révolutions arabes, c'est les mots qui ont été clés, c'est les mots dignité, c'est les mots honneur, c'est les mots respect.
00:18:40 Donc, en même temps qu'il y avait des revendications économiques, il y avait ces revendications d'être considérés comme des personnes qui comptent.
00:18:51 Alors que c'était des régimes qui asservissent en quelque sorte les individus et qui les considèrent simplement comme une masse qui peut être corvéable, amercie dans un certain nombre de cas.
00:19:05 Donc, ces mouvements nous montrent qu'il y a un nouvel universalisme.
00:19:09 Cela veut dire que cette question de la dignité que vous soulevez, elle était présente aussi pendant le...
00:19:15 Elle était absolument centrale dans les mouvements sociaux récents.
00:19:22 Et cela montre qu'il y a un nouveau langage de la lutte sociale, un nouveau langage de la protestation.
00:19:30 Et que, au fond, c'est cela qui est au cœur de la démocratie.
00:19:36 On peut dire que la démocratie, c'est la capacité à mettre des mots sur ce que vivent les gens.
00:19:42 Et quand on met ces mots dignité, quand on met ces mots respect, et bien effectivement, ça entre en résonance avec ce que vivent les uns et les autres.
00:19:56 Alors justement, sur la démocratie, vous répondiez aux questions d'une journaliste au journal Le Monde en février.
00:20:06 Et vous lui disiez "le débat autour de la réforme des retraites est le signe d'un profond ébranlement de notre système démocratique".
00:20:14 Alors j'aurais bien aimé que vous nous expliquiez un petit peu ce que vous entendiez par "ébranlement de notre système démocratique".
00:20:22 Parce que la démocratie, c'est composé de deux choses.
00:20:26 La démocratie, c'est composé des institutions.
00:20:30 Et c'est composé, je dirais, de l'esprit de la démocratie aussi.
00:20:34 Or, dans toute la séquence qu'on a vécue, les institutions politiques ont parfaitement fonctionné.
00:20:39 Le 49-3 est tout à fait légitime.
00:20:42 Le Parlement marche.
00:20:44 On peut dire que les institutions fonctionnent.
00:20:47 Mais qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ?
00:20:49 C'est que la démocratie ne peut pas simplement s'appuyer sur ses institutions.
00:20:54 Elle doit s'appuyer aussi sur ce qui est plus invisible.
00:20:59 C'est-à-dire sur le fait qu'à côté de la légalité, par exemple, il y a la légitimité.
00:21:05 La légitimité, qu'est-ce que c'est ?
00:21:07 C'est qu'à côté de la régularité légale, c'est ça la légalité,
00:21:11 à côté de la régularité légale, la légitimité définit un rapport au bien commun.
00:21:19 En termes juridiques, on dirait qu'à un côté il y a le droit positif, la Constitution,
00:21:25 et de l'autre côté, le droit naturel, c'est le rapport au bien commun.
00:21:31 Et une société ne peut pas simplement vivre avec ses institutions formelles.
00:21:37 Elle doit aussi vivre avec ce qui consolide ses institutions.
00:21:41 On pourrait dire ses béquilles des institutions, ses prolongements des institutions.
00:21:46 Et la notion de légitimité, c'est cela.
00:21:50 Et si elle a été si employée, parce que le gouvernement a eu le tort de dire
00:21:57 "Nous procédons selon les règles, nous sommes légitimes."
00:22:00 Non, il a procédé selon les règles, donc son action était parfaitement légale.
00:22:07 Mais la légitimité, c'est autre chose, justement.
00:22:10 La légitimité, c'est tenir compte, donner le sentiment,
00:22:13 et tenir compte pratiquement du bien commun, de l'intérêt général.
00:22:18 Et donc, ça, c'était le mouvement syndical, il a exprimé cela en disant
00:22:24 "La démocratie ne se définit pas simplement par des institutions,
00:22:30 la démocratie se définit aussi, on peut dire, par tout un ensemble de fonctions."
00:22:36 La démocratie, ça veut dire que l'on accepte de discuter.
00:22:39 La démocratie, ça veut dire qu'on accepte de négocier.
00:22:42 La démocratie, ça veut dire que l'on est à l'écoute de ce que vivent les gens.
00:22:47 Donc la démocratie, c'est tout un ensemble de fonctions,
00:22:50 et qui sont, par exemple, pas simplement le fait d'être électeur.
00:22:55 C'est un grand théoricien anglais qui disait
00:22:58 "Le peuple ne règne pas simplement parce qu'il a la voix,
00:23:02 et la voix, c'est l'élection, mais la voix, c'est la protestation dans les manifestations,
00:23:07 c'est la prise de parole."
00:23:09 Mais il disait "Un organe démocratique, c'est aussi l'œil,
00:23:14 c'est avoir l'œil sur les pouvoirs, c'est les surveiller, c'est pouvoir les contrôler."
00:23:19 Et je crois que l'on voit aujourd'hui que ces autres façons,
00:23:24 on pourrait dire plus élargies, de comprendre la démocratie,
00:23:28 elles sont vitales.
00:23:29 Mais elles s'incarnent comment ? Parce que vous parliez d'institutions invisibles,
00:23:33 du coup invisibles, mais il faut quand même que ça s'incarne, et par exemple, d'empoir ?
00:23:37 Par exemple, si on voit la légitimité, il y a des institutions, par exemple,
00:23:42 il y a des institutions qui sont faites pour contrôler le pouvoir.
00:23:45 La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique,
00:23:48 elle a pour fonction de contrôler le pouvoir,
00:23:51 avec les situations de près de 20 000 personnes d'ailleurs en France.
00:23:57 Et aujourd'hui, un trait frappant, c'est que beaucoup de gouvernements,
00:24:01 et le gouvernement actuel en partie,
00:24:03 souhaitent réduire l'importance de ces institutions,
00:24:07 réduire l'importance du Conseil constitutionnel,
00:24:10 réduire l'importance des juges,
00:24:12 réduire l'importance de ces institutions indépendantes.
00:24:16 Or, ces institutions, elles tiennent leur légitimité,
00:24:20 non pas du vote, parce qu'elles ne sont pas élues,
00:24:23 mais elles tiennent leur légitimité du fait qu'elles sont au-delà des clivages politiques,
00:24:30 au service du bien commun et de l'intérêt général.
00:24:34 Donc, il y a des institutions qui sont dessinées pour ne pas être des institutions majoritaires,
00:24:41 parce que par définition, le principe majoritaire,
00:24:45 il organise la division de la société en deux, par définition.
00:24:48 Par définition, il y aura le camp des 51 et le camp des 49.
00:24:52 Et c'est nécessaire parce que, en démocratie, pour décider,
00:24:57 il y a un moment où il faut arrêter.
00:24:59 Et pour arrêter, trancher, c'est reconnaître que 51 est supérieur à 49.
00:25:05 Mais à côté de cette vie arithmétique de la démocratie, qui est indispensable,
00:25:11 il faut aussi cette vie élargie de la démocratie,
00:25:14 et cette vie des institutions, de ce type d'institutions indépendantes,
00:25:19 et qui est aussi la vie de la délibération, la vie de l'écoute, la vie de la prise de parole.
00:25:25 Et s'il y a une chose que ne me semble pas avoir compris le gouvernement
00:25:32 dans l'épisode des retraites, des manifestations, c'est bien cela.
00:25:42 Et le syndicalisme, justement, fait partie de ces agents qui répètent,
00:25:47 "Bah oui, nous aussi, nous sommes légitimes.
00:25:49 Et nous sommes légitimes pas simplement à partir de notre nombre d'adhérents,
00:25:54 nous sommes légitimes pas simplement parce qu'un décret de 1945
00:26:00 nous reconnaît comme représentatifs,
00:26:02 bien sûr nous sommes représentatifs parce que nous avons des adhérents,
00:26:06 nous représentons quantitativement quelque chose,
00:26:08 mais nous sommes légitimes aussi parce que nous sommes la parole du travail."
00:26:12 Alors on aura une autre partie sur le syndicalisme,
00:26:18 mais je voudrais quand même vous lire, je vais vous lire vous-même,
00:26:22 parce que c'est une phrase qui m'a beaucoup interpellée.
00:26:26 Alors je vais vous lire un petit bout de ce fameux livre,
00:26:29 donc "Les épreuves de la vie, comment comprendre autrement les Français".
00:26:34 "Le développement d'une démocratie plus forte et plus active,
00:26:38 avec des institutions renouvelées et plus ouvertes à l'intervention directe des citoyens,
00:26:43 ne peut cependant suffire pour faire face aux menaces d'humanité.
00:26:47 C'est en effet l'horizon même de la vie politique,
00:26:49 avec la nécessaire inscription de l'action dans la durée
00:26:52 et la redéfinition de son sujet,
00:26:54 avec le passage du citoyen national à l'individu humanité qui est en jeu.
00:26:58 Le problème étant que ces deux dimensions constituent le grand impensé
00:27:03 des théories de la démocratie et des dispositifs institutionnels qui lui donnent consistance.
00:27:09 La question est décisive car des régimes autoritaires
00:27:13 se présentent aujourd'hui comme mieux à même d'intégrer cette dimension.
00:27:17 Du coup, il y a une véritable menace que des partis autoritaires
00:27:27 aient des réponses à ces inquiétudes ou à ces colères ?
00:27:35 Oui, les populismes et les partis autoritaires pensent apporter une réponse
00:27:42 et c'est une réponse je dirais d'une identité collective de la fermeture.
00:27:47 Donc c'est une réponse imaginaire mais qui a sa force
00:27:53 parce qu'elle a une façon, on peut dire mécanique et minimaliste,
00:27:59 d'exprimer le « nous » collectif.
00:28:01 Et je pense que la démocratie, si la démocratie est fragilisée,
00:28:06 c'est aussi parce qu'on n'a pas assez trouvé les moyens
00:28:10 de réaffirmer un « nous » consistant.
00:28:14 Et ce « nous » consistant, ce n'est pas un « nous » d'exclusion
00:28:18 qu'il s'agit de construire, mais c'est un « nous » de production de valeurs communes.
00:28:25 C'est un « nous » justement qui peut peut-être se redéfinir
00:28:29 à partir de nouveaux éléments de langage.
00:28:33 Après tout, dans la démocratie française,
00:28:37 le terme scriptique « liberté, égalité, fraternité »,
00:28:40 il a été essentiel.
00:28:42 Mais je pense qu'il est aujourd'hui à préciser et à redéfinir.
00:28:48 On voit bien comment il y a des éléments qui tiennent au fait que
00:28:53 le désir d'égalité, il est très profond, mais le désir d'égalité,
00:28:57 c'est au-delà de l'égalité économique, c'est vivre en semblable,
00:29:01 d'être considéré comme également important dans la société.
00:29:05 Cette forme de mépris passe sous silence.
00:29:08 Or donc, il y a eu un sentiment, je dirais, pour l'égalité formelle,
00:29:14 mais il faut aussi développer ce nouveau sens de l'égalité,
00:29:18 de ce que Tocqueville appelait « faire une société de semblables »
00:29:22 où chacun compte pour quelque chose, est important pour les autres.
00:29:26 Et cela, le monde politique n'en a vraiment pas la préoccupation principale.
00:29:33 C'est pour cela aussi que je parlais de la nécessité d'introduire
00:29:37 comme des éléments clés du langage démocratique aussi,
00:29:42 la mise en avant du principe de dignité, du principe de respect, par exemple.
00:29:48 Et c'est pour cela que je vous citie un livre,
00:29:52 mais je viens de publier ce jour-ci un livre de Cynthia Fleury
00:29:55 sur la dignité, justement, en disant que beaucoup de gens
00:30:01 se rendent compte ou vivent des situations indignes,
00:30:04 quelles qu'elles soient, notamment des situations dans le travail,
00:30:07 et construire la dignité des personnes,
00:30:10 et ça c'est aujourd'hui un élément du langage démocratique
00:30:15 qui est, me semble-t-il, à valoriser.
00:30:18 Donc nous avons aussi un nouveau langage démocratique à inventer.
00:30:23 Et ça concerne évidemment aussi, au premier chef,
00:30:28 la question du travail, parce qu'elles sont travaillées,
00:30:31 elles sont mues, elles sont occupées par toutes ces préoccupations.
00:30:38 - Notre objet c'était de tirer un peu tous les fils
00:30:42 de ce mouvement du printemps, et notamment pour les syndicalistes.
00:30:48 Quelle leçon pour le syndicalisme ?
00:30:51 On a vu, avant ce mouvement, on avait un peu enterré les syndicats,
00:30:55 en disant qu'ils étaient à peu près morts-vivants,
00:30:58 finalement pas du tout, puisque c'était la force centrale du mouvement.
00:31:02 Donc comment capitaliser sur cette énergie, sur cette mobilisation ?
00:31:07 On voit quand même que la CFDT a eu,
00:31:11 enfin, ça a produit 40 000 adhésions nouvelles.
00:31:16 Donc quelle leçon pour le syndicalisme ? Comment rebondir ?
00:31:20 Et la journaliste Cécile Amard, dans son tout récent ouvrage
00:31:24 "La bataille des retraites", estime que le mouvement marque
00:31:27 le retour du collectif. Alors est-ce que vous partagez son point de vue ?
00:31:31 Est-ce que vous êtes sur le même optimisme, peut-être ?
00:31:35 - Je dirais en ce qui concerne le syndicalisme,
00:31:37 le syndicalisme a tout de même une existence institutionnelle
00:31:42 qui est restée constante.
00:31:45 Quand on dit que le syndicalisme était moins important,
00:31:49 c'est pas complètement exact, parce que même si le syndicalisme
00:31:53 avait perdu globalement des adhérents par rapport, je dirais,
00:31:57 à la fin des Trente Glorieuses, mais le syndicalisme,
00:32:00 il était toujours présent dans les conventions collectives.
00:32:03 Le syndicalisme, il était présent dans la conversation paritaire
00:32:07 à tout un ensemble de niveaux. Le syndicalisme, il était institutionnellement
00:32:11 toujours présent. Mais le syndicalisme, ce qu'il avait perdu, peut-être,
00:32:16 c'est sa centralité morale et sa centralité sociale.
00:32:21 Je dirais comme institution, le syndicalisme n'avait pas périclité.
00:32:27 Mais c'est comme sa centralité morale et sociale a retrouvé
00:32:33 une véritable importance. Il a retrouvé pourquoi ?
00:32:37 Il a retrouvé parce que le syndicalisme a montré qu'il était capable
00:32:41 de faire descendre des gens dans les rues, mais pas seulement.
00:32:44 Il a retrouvé parce que, justement, il apparaissait comme celui
00:32:49 qui disait la vérité sur ce que vivaient les gens.
00:32:54 Et donc, au fond, il n'y a pas eu de... Il y a toute une partie des gens
00:32:59 qui étaient dans les manifestations qui n'étaient pas syndiqués
00:33:02 et qui, d'une manière ou d'une autre, ont manifesté
00:33:07 parce qu'ils croyaient au mot d'ordre qu'il faut relever la tête
00:33:10 et qu'il faut qu'on prenne la parole. Et le syndicalisme a retrouvé,
00:33:15 pour moi, c'est le plus important, cette centralité sociale et morale
00:33:19 en étant celui qui est le porte-parole des réalités et pas simplement
00:33:25 l'acteur, je dirais, de l'institutionnel, ce qu'il est aussi
00:33:32 et ce qu'il n'a pour le coup jamais cessé d'être.
00:33:35 Et puis, surtout, le syndicalisme a retrouvé de la crédibilité, peut-être,
00:33:40 c'est la suite du feuilleton qui le dira, auprès des pouvoirs publics.
00:33:46 Parce que les pouvoirs publics sont ceux qui n'avaient pas pu toucher
00:33:50 au syndicalisme comme force institutionnelle reconnue,
00:33:55 mais qui avaient contribué à la démonétisation morale du syndicalisme.
00:34:01 Et ça, j'espère qu'un point d'arrêt aura pu être donné là.
00:34:07 Oui.
00:34:08 J'espère, oui.
00:34:11 Écoutez, on est pile dans les temps pour commencer l'échange avec vous.
00:34:18 Il y a des micros qui vont circuler.
00:34:21 Si vous voulez, on a un peu les flashs dans la figure,
00:34:25 mais si vous levez bien la main.
00:34:27 Ah, il y a une question.
00:34:46 Par contre, je ne vous vois pas.
00:34:48 Et est-ce que tu peux te présenter ?
00:34:52 Bonjour à toutes et à tous.
00:34:54 Donc Stéphanie Stoll, AFGA.
00:34:57 Monsieur Rosa Vallon, vous dites,
00:35:00 "La démocratie ne doit pas s'appuyer que sur ses institutions,
00:35:03 elle doit aussi s'appuyer sur sa légitimité."
00:35:06 Quand est-ce qu'on a basculé sur cette importance de la légitimité,
00:35:12 plus que sur ses institutions ?
00:35:14 À quel moment, dans nos dernières années, on a eu ce basculement ?
00:35:18 Parce que moi, personnellement, cette légitimité, elle a toujours été là,
00:35:22 mais elle n'a pas été aussi importante qu'aujourd'hui.
00:35:25 Quand est-ce qu'on a basculé vraiment sur le fait de dire
00:35:29 qu'en plus de ses institutions, la démocratie doit s'appuyer sur sa légitimité ?
00:35:33 Merci.
00:35:35 C'est dans des moments de crise que le terme de légitimité ressurgit.
00:35:39 Le mot "légitimité", il a ressurgi en Allemagne
00:35:43 quand on a vu arriver Hitler au pouvoir par les élections.
00:35:48 Alors à ce moment-là, on s'est dit,
00:35:50 "La démocratie ne peut pas simplement être la légalité,
00:35:55 puisque la légalité conduit à démolir la démocratie."
00:35:59 Donc là, c'était l'exemple le pire.
00:36:01 Mais c'est à ce moment-là que les Allemands se sont dit,
00:36:04 enfin certains Allemands, une partie minoritaire, hélas,
00:36:08 s'est dit que la démocratie allemande avait cette faiblesse,
00:36:13 qu'elle comptait sur les élections,
00:36:16 mais qu'elle n'était pas une démocratie qu'on a appelée en allemand
00:36:20 une démocratie combattante.
00:36:22 C'est-à-dire qu'au-delà de la démocratie électorale,
00:36:25 il faut qu'il y ait un régime soucieux de la liberté.
00:36:30 Donc le mot "légitimité", il apparaît dans les moments
00:36:35 de basculement ou de fragilité démocratique.
00:36:38 Celui, l'homme politique français, qui a le plus employé
00:36:42 cette référence à la légitimité, c'est De Gaulle.
00:36:44 Parce qu'il disait, Pétain, il peut dire qu'il a une forme
00:36:47 de légalité formelle, mais il ne représente pas la France,
00:36:51 il ne représente pas le combat français,
00:36:54 il ne représente pas l'esprit français.
00:36:56 Il lui dit, moi je suis l'incarnation de la légitimité,
00:36:59 et c'est le plus important, alors que Pétain
00:37:02 était l'incarnation de la légalité.
00:37:04 Et d'une manière générale, cette réflexion sur la légitimité,
00:37:08 elle revient quand il y a des périodes de crise ou de blocage.
00:37:11 Et à ce moment-là, on se dit, à côté des institutions,
00:37:14 il faut tout de même qu'il y ait cette référence aux valeurs,
00:37:17 et cette référence aux biens communs.
00:37:19 Alors, il y a plein de mains qui se lèvent.
00:37:25 Alors, monsieur devant, pardon.
00:37:27 Puis après, il y a une question par là-bas.
00:37:30 On va peut-être prendre deux questions, peut-être par deux.
00:37:34 Vas-y, tu te présentes.
00:37:36 Bonjour, Benjamin Vittel, Fédération Santé-Sociaux.
00:37:40 Disons que face à toutes ces ruptures, ces fissures
00:37:46 de l'incertitude, l'injustice, le mépris, les crises qu'on vient de vivre,
00:37:50 on vient de parler du collectif, du retour du collectif,
00:37:53 mais aussi, je dirais, dans la réponse auditive qu'on a entendue
00:37:58 sur tout ça, la nécessité de faire nation versus le vivre ensemble.
00:38:04 Moi, j'aimerais bien avoir votre avis sur cette nuance sémantique
00:38:08 qui a été apportée par le président de la République.
00:38:12 Oui, elle est sémantique.
00:38:19 Elle dit quelque chose d'important aussi.
00:38:22 C'est que la vraie définition de la nation, c'est les valeurs
00:38:28 qui permettent de vivre ensemble.
00:38:31 Et que la définition de la nation, c'est d'un certain point de vue
00:38:34 ce qui peut être considéré comme au-delà des divisions politiques.
00:38:39 C'est ce que l'on partage au-delà des divisions politiques.
00:38:45 Or, un des grands problèmes contemporains, c'est que les divisions
00:38:49 politiques ne sont plus simplement des divisions politiques.
00:38:52 C'est qu'elles sont des divisions plus fondamentales.
00:38:55 Si on regarde un pays comme les États-Unis, on peut avoir le sentiment
00:38:59 qu'aujourd'hui, il n'y a plus de nation américaine,
00:39:02 qu'il y a presque deux pays côte à côte.
00:39:05 Il y a un roman qui vient de paraître et qui décrit les États-Unis
00:39:09 après les États désunis.
00:39:11 C'est-à-dire qu'on a fait la sécession entre deux Amériques.
00:39:16 L'Amérique des côtes et puis l'Amérique du centre.
00:39:20 Et je crois que c'est ce qui menace aujourd'hui nos sociétés.
00:39:24 Ce qui menace aujourd'hui nos sociétés, c'est qu'il y ait des divisions
00:39:27 qui soient plus profondes simplement que les conflits politiques.
00:39:31 Et qu'il y soit des divisions fondamentales de valeur.
00:39:34 C'est comme ça que ça s'est vécu aux États-Unis.
00:39:37 Et qu'il y soit des divisions portant même sur le fait qu'on ne reconnaît
00:39:43 plus des vérités évidentes.
00:39:45 La Constitution américaine disait que la démocratie est fondée sur le fait
00:39:51 qu'on reconnaît ensemble des vérités évidentes.
00:39:55 Et bien, dans beaucoup de nos pays actuellement, il y a une crise de cela.
00:39:59 Alors quand c'est dans des régimes autoritaires, ils confisquent la vérité.
00:40:03 Donc c'est très simple.
00:40:05 Mais dans les démocraties, on voit ce mouvement et tout ce qu'on a appelé
00:40:09 la post-vérité, c'est un élément parmi d'autres.
00:40:13 Et je crois que ce n'est pas d'en haut que l'on peut résoudre ces questions-là.
00:40:19 On peut résoudre ces questions-là si le monde social et le monde politique
00:40:25 donnent le sentiment qu'on aide à produire de la reconnaissance.
00:40:31 Parce que les sociétés se divisent quand une partie d'entre elles pense
00:40:36 qu'elle n'est plus reconnue par les autres.
00:40:38 Et donc, si je peux dire, elle fait sécession d'une manière ou d'une autre.
00:40:44 Cette sécession, c'était à l'origine du mouvement ouvrier.
00:40:48 Le mouvement ouvrier à l'origine a fait sécession en disant
00:40:51 "on ne nous reconnaît plus dans la société".
00:40:54 Donc, on veut qu'on prenne conscience du fait qu'on n'est pas reconnu
00:41:01 dans la société. Et c'était le mouvement, en quelque sorte,
00:41:04 d'intégration dans la société et dans la nation.
00:41:08 Et ça, c'est à refaire d'une certaine façon, bien au-delà, je dirais,
00:41:13 d'une commodité sémantique qui viserait à opposer, faire nation
00:41:18 et vivre ensemble. Puisque je crois que sur le fond,
00:41:22 ça devrait dire la même chose.
00:41:24 - Alors, il y avait d'autres questions.
00:41:28 - Emmanuel Deletoile, Fédération Générale Agroalimentaire.
00:41:33 Ça reprend un peu, j'ai une question ennemie.
00:41:36 La première, vous avez parlé des discriminations.
00:41:39 Et je mettais un peu "discrimination" à côté d'assimilation
00:41:43 et droit individuel et sens collectif.
00:41:45 Et vous avez parlé du bien commun et de l'objectif commun.
00:41:48 On a connu la Troisième République, le New Deal.
00:41:52 Et puis, en gros, le communisme, vous parlez de la reconnaissance
00:41:54 des ouvriers. Il y avait le communisme et la religion.
00:41:57 Mais tout ça, finalement, s'arrangeait parce qu'il trouvait,
00:42:00 si je peux me permettre l'expression, un sens commun au bazar.
00:42:03 Et aujourd'hui, qu'est-ce qui peut donner un sens commun
00:42:07 pour que j'accepte que mes droits individuels soient quelque part
00:42:11 éventuellement un petit peu réduits, parce que je m'inscris
00:42:14 dans quelque chose que j'agrès. Et là, je vais un peu plus loin
00:42:17 que ce que vous venez de dire. Vous avez parlé de vérité.
00:42:20 On peut avoir des règles, des constitutions qui donnent
00:42:23 de la vérité, mais plutôt en sens de projet, dans l'engagement.
00:42:27 Quand on parle de "quelle démocratie", vous parlez beaucoup
00:42:32 de "comment". Mais est-ce qu'on va résoudre ce "comment"
00:42:36 si on ne parle pas du "pourquoi" et lequel "précède l'autre".
00:42:41 Si vous dites le "en même temps", vous serez mal vus.
00:42:44 Et puis, le tout petit impendice, vous avez introduit votre propos
00:42:49 sur la tristesse de l'immédiateté. Qu'est-ce que vous pensez
00:42:53 du parallèle avec la pauvreté du langage, qui finalement retire
00:42:57 le subjonctif, retire le futur, et qui fait que des gens
00:43:00 qu'on pense peut-être en colère, vous avez parlé des gilets jaunes,
00:43:03 mais peut-être qu'on peut le dire aussi sur le mouvement social parfois,
00:43:06 se retrouvent dans une situation où ils souffrent,
00:43:10 parce que l'appauvrissement du langage ne leur permet plus
00:43:14 de penser le futur, et finalement d'être dans un demain.
00:43:17 Et là, je pense à 1984 ou à Ray Bradbury, par exemple.
00:43:21 Je ne suis pas grégé de grammaire, donc je ne peux pas répondre
00:43:25 complètement à votre question. Mais j'ai essayé de donner
00:43:32 quelques éléments de langage qu'on pouvait commencer à utiliser.
00:43:37 Un langage devient un langage qui a un sens social
00:43:42 quand chacun peut se retrouver dans ce mot.
00:43:45 Après tout, la CFDT a eu ce mot autogestion qui a incarné
00:43:50 quelque chose. Aujourd'hui, il faut retrouver ces nouveaux éléments
00:43:54 de langage, et ce n'est pas à moi de les donner, même si j'ai indiqué
00:43:58 des choses comme dignité et respect. Et ça, c'est un travail,
00:44:02 je dirais, collectif, trouver des éléments de langage.
00:44:06 Parce que le langage, c'est ce qui permet à chacun de se situer
00:44:11 par rapport aux autres et de voir qu'il y a des mots qui le reconnaissent.
00:44:17 Et qui agrégerait un élan pour agir, c'est ça ?
00:44:24 Oui, tout à fait. Je pense qu'on ne peut pas simplement faire du commun
00:44:31 aujourd'hui avec des idées générales. Il faut faire du commun
00:44:36 en s'adressant à la sensibilité, en s'adressant à l'imagination,
00:44:41 en s'adressant à ce qui est vécu intérieurement.
00:44:45 On produit du commun quand on fait résonner des choses
00:44:49 à l'intérieur de chacun. Après tout, c'est ce qui se passe
00:44:53 dans des spectacles, c'est ce qui se passe dans du sport.
00:44:58 Et ça, je crois que dans le social, ça devrait être un petit peu
00:45:01 la même chose aussi.
00:45:03 Et c'est vrai que ce mot dignité, là, et je pense que ce sera intéressant
00:45:07 de lire Cynthia Fleury, en effet, peut rassembler.
00:45:12 Alors, Sonia ?
00:45:16 Ah, il y avait d'autres questions avant, pardon.
00:45:18 Oui, ça faisait une remarque.
00:45:20 Vas-y, vas-y. Et après, on passera la parole à Sonia.
00:45:23 Oui, donc je suis Manon, de la Protection sociale,
00:45:26 à la Confédération. Moi, j'avais envie de réagir sur la définition
00:45:30 que vous avez donnée de la démocratie, d'abord.
00:45:34 J'ai une définition que j'aime bien, qui dit que la démocratie,
00:45:38 c'est d'abord l'expression des passions collectives,
00:45:43 l'expression des passions individuelles qui vont se rationaliser
00:45:47 dans une rationalité qui va se concentrer en une seule et même idée.
00:45:53 Je l'aurai en phrase, je n'ai plus la phrase, ce que je stresse,
00:45:56 mais c'est une phrase de Simone Veil qui dit ça dans
00:45:59 "La suppression générale des partis politiques".
00:46:01 En gros, c'est des passions collectives nées la rationalité,
00:46:05 on va dire, individuelle, qui va s'exprimer au travers d'une démocratie.
00:46:10 Et je pense que c'est surtout ça, à la base, qui va légitimer,
00:46:12 après, derrière, la notion de voix collective et de faire ensemble,
00:46:19 de trouver un espace où chacun puisse s'exprimer,
00:46:23 qui soit plus large que simplement celui des institutions qu'on connaît.
00:46:27 Et c'est pour ça que, dans ce sens-là, je vois plutôt la légitimité,
00:46:30 aujourd'hui, pas comme un symptôme qui viendrait après la destruction
00:46:36 d'institutions, mais plutôt comme, justement, la justification
00:46:39 qui fait que les gens se sentent proches, se sentent dedans.
00:46:42 C'est pour ça qu'à l'époque, les gens étaient beaucoup plus syndiqués,
00:46:45 il y avait beaucoup plus d'adhérents, et ça permettait de se sentir proches.
00:46:50 Et c'est ça que je ressens, moi, comme aujourd'hui, comme problématique,
00:46:53 et qui empêche... Pardon, je fais réagir, là, je ne sais pas.
00:46:56 Je parle vite.
00:46:58 - On va laisser... Oui.
00:47:00 - Bref. Et du coup, je pense que... Je ne sais pas, j'aurais bien aimé
00:47:04 savoir ce que vous pensiez aussi par rapport au récit national.
00:47:07 On parle pas mal de récits, mais par rapport à la visibilité
00:47:12 et la polarisation du débat, je trouve que... Comment on fait
00:47:16 pour aussi exister dans l'horizon actuel, sachant qu'on n'est plus du tout
00:47:24 sur les mêmes médias qu'avant ? Et c'est ça aussi qui crée du problème
00:47:30 pour... Pardon, j'arrive.
00:47:32 - Et quand tu dis "on", c'est les syndicalistes ?
00:47:35 - Je pense que non. - Ou quand tu dis "on", c'est qui ?
00:47:37 - Non, je pense que justement, c'est la société en elle-même.
00:47:39 Et justement, je pense que ce qu'on voit aujourd'hui, c'est aussi
00:47:42 qu'en France, comme on fait des accords collectifs, on ne peut pas
00:47:47 imaginer qu'il y ait une adhésion individuelle de chaque personne
00:47:53 au syndicat, puisqu'en fait, on négocie pour tout le monde.
00:47:55 Donc du coup, ça crée une petite distance qui fait que les gens
00:47:58 ne s'emparent plus de l'action. Et en fait, du coup, ça fait...
00:48:02 A mes yeux, ça fait que l'engagement naît de l'action aussi.
00:48:09 Et les gens n'agissent plus parce qu'ils sont représentés.
00:48:12 - Alors, attends. Donc...
00:48:14 - Là... - Bon.
00:48:18 [Rires]
00:48:21 Il y a beaucoup de choses qui ont été dites.
00:48:23 Alors je rebondirai avec deux petites remarques.
00:48:26 Une petite remarque qu'il ne faut pas oublier, que l'idéal démocratique
00:48:30 a été historiquement un idéal d'unanimité.
00:48:34 Et on pensait que les démocraties seraient des régimes de l'unanimité.
00:48:40 Parce que si elles arrivent à vouloir définir, si elles arrivent à définir
00:48:48 le bien commun, ça devrait être des sociétés d'unanimité.
00:48:51 Et de fait, pour que ce soit des sociétés d'unanimité,
00:48:55 pendant la révolution française, par exemple, on interdisait
00:48:59 de porter candidat à une élection. Pourquoi ?
00:49:02 Parce que quand il y a des candidatures à une élection,
00:49:05 ça veut dire qu'il y a une compétition des ambitions.
00:49:08 Il y a une compétition des prétentions.
00:49:10 Et si la démocratie ne doit pas être la compétition des ambitions
00:49:14 et des prétentions, eh bien il faut qu'elle soit l'expression
00:49:18 d'un sentiment unanime.
00:49:20 Alors il y avait comment on fait des élections lorsqu'il n'y a pas de candidat ?
00:49:24 Eh bien la révolution française a répondu à la question.
00:49:26 Ça prend beaucoup de temps.
00:49:28 C'est-à-dire que pendant la révolution française,
00:49:31 on votait en assemblée.
00:49:34 Ce n'était pas un vote par un bulletin individuel.
00:49:36 En assemblée de 1000 personnes, qui devaient désigner un délégué
00:49:40 pour le niveau suivant.
00:49:41 Et bien quand 1000 personnes sont rassemblées,
00:49:43 que personne ne peut présider, sinon on demande à la personne
00:49:48 la plus âgée, on fait des tours de scrutin,
00:49:51 et bien en moyenne, ça met deux jours entiers
00:49:54 pour arriver à une personne.
00:49:56 Donc cet objectif d'unanimité, il était au cœur des démocraties,
00:50:02 et il est très difficile à réaliser.
00:50:04 Pourquoi ? Parce qu'on est dans une société de la division sociale.
00:50:07 L'idéal d'unanimité voudrait dire qu'il n'y a pas de lutte des classes.
00:50:12 L'idéal d'unanimité ne voudrait pas dire qu'il n'y a pas de conflits
00:50:16 pour la répartition.
00:50:17 Eh bien si, il y a des conflits, et donc il n'y a pas d'unanimité.
00:50:21 Donc la démocratie doit vivre malgré les conflits,
00:50:27 et elle doit en quelque sorte reconnaître les affrontements,
00:50:31 les luttes internes, et en même temps construire des éléments communs.
00:50:37 C'est ça en quelque sorte, toute la difficulté de la démocratie,
00:50:41 c'est qu'elle doit en quelque sorte reconnaître la division sociale.
00:50:45 Mais en même temps, s'inscrire dans un horizon qui est tout de même,
00:50:51 un horizon peut-être utopique, mais qui est l'horizon utopique
00:50:55 d'une société qui pourrait avoir surmonté ces divisions.
00:51:01 C'est la définition utopique de la démocratie,
00:51:05 qui était aussi bien celle de Marx que celle de beaucoup d'autres auteurs.
00:51:10 - Bon. Alors, Sonia, tu te présentes quand même pour ceux qui...
00:51:16 - Bonjour, Sonia Pacone, du Riora.
00:51:19 Alors justement, pour peut-être réagir à la question de l'horizon utopique,
00:51:23 vous avez évoqué la question de la transition écologique
00:51:27 et de l'urgence climatique.
00:51:28 La question que je me pose, c'est effectivement,
00:51:31 entre les individus et le collectif,
00:51:34 comment on construit une démocratie qui est porteuse de projets d'avenir,
00:51:38 et donc d'espoir et d'espérance,
00:51:40 alors même que, paradoxalement, on a vécu multiples crises.
00:51:44 Je pense à la crise sanitaire, je pense à d'autres crises,
00:51:47 je pense à la guerre en Ukraine, mais aussi à l'urgence climatique,
00:51:51 qui finalement nous met dans une situation presque de penser
00:51:54 la manière dont on va survivre, et non pas la manière dont on va vivre,
00:51:58 ce qui est peut-être un frein quand même à la construction du bien commun.
00:52:02 Donc ça, c'est une première réflexion.
00:52:03 Deuxième réflexion, vous avez évoqué la question
00:52:06 de le rôle des pouvoirs publics en France
00:52:09 sur la question de la crédibilité des syndicats.
00:52:12 Est-ce que vous avez observé chez nos voisins européens,
00:52:15 puisqu'on va entrer dans une séquence européenne
00:52:17 avec de forts enjeux démocratiques,
00:52:19 est-ce que vous avez repéré chez nos voisins des similitudes ou pas ?
00:52:23 Et s'ils n'ont pas été traversés par les mêmes difficultés, pourquoi ?
00:52:27 Et enfin, est-ce que pour vous,
00:52:29 le pacte du pouvoir du vivre est une illustration à ce niveau-là,
00:52:32 est-ce que pour vous, la société civile, plus largement,
00:52:35 peut être une réponse à la crise démocratique
00:52:38 que nous sommes en train de traverser ? Merci.
00:52:41 Je commencerai par répondre sur la question du syndicalisme.
00:52:46 La grande différence en Europe,
00:52:49 c'est la différence d'institutionnalisation du syndicalisme.
00:52:53 Il est plus ou moins fort selon les pays,
00:52:56 et il est certain qu'il y a des pays
00:52:58 où il est beaucoup plus institutionnalisé qu'en France.
00:53:01 Et puis il y a aussi une pratique qui existe dans un certain nombre de pays
00:53:04 du syndicalisme de fait obligatoire.
00:53:07 Si vous regardez le taux de syndicalisation en Belgique,
00:53:10 sans être inscrit dans les textes,
00:53:13 le syndicalisme en Belgique, il est gestionnaire de fait du social.
00:53:17 Si vous allez au siège de la CSC à Bruxelles,
00:53:20 vous verrez un siège ultra impressionnant.
00:53:23 Pourquoi ? Parce que c'est aussi le siège des mutuelles,
00:53:25 et c'est le siège de fait de la sécurité sociale.
00:53:28 Donc c'est le lien du syndicalisme aux institutions sociales
00:53:34 et aux institutions en général qui varient fortement.
00:53:38 Puis il y a des pays, comme les États-Unis,
00:53:40 où le syndicalisme est obligatoire
00:53:42 si le syndicat s'est imposé par un vote auprès des adhérents.
00:53:47 Donc je dirais la législation et l'institutionnalisation du syndicalisme
00:53:52 manifestent tout de même des différences encore importantes,
00:53:56 et vous savez, les débats qu'il y a eu en France,
00:53:59 il y a peut-être une quinzaine d'années, sur le chèque syndical, par exemple.
00:54:04 Donc sur ce plan-là, voilà ce que l'on peut dire.
00:54:09 Votre dernière question, pardonnez-moi.
00:54:11 Le pacte ?
00:54:13 Bien sûr que la société civile a peut-être quelque chose.
00:54:16 Et la société civile a peut-être quelque chose
00:54:19 si elle trouve aussi des nouveaux moyens de mise en forme,
00:54:26 des nouveaux moyens d'expression.
00:54:28 C'est un petit peu effectivement l'idée qu'il y a derrière le pacte de vivre.
00:54:32 Derrière l'idée du pacte de vivre, c'est l'idée que,
00:54:34 bien sûr, à la fois des organisations existantes,
00:54:37 mais peut-être des individus aussi,
00:54:40 peuvent trouver là une voie et une forme d'intervention
00:54:46 qui peut compter, qui en est à ses débuts pour le pacte de vivre,
00:54:51 mais qui peut avoir un avenir important.
00:54:56 Sur la première question...
00:55:04 Oui, mais ça, c'est la condition humaine.
00:55:06 La condition humaine, elle est entre le minimum de la survie
00:55:10 et le maximum, si je peux dire, de la vie accomplie.
00:55:15 Aujourd'hui, on voit que vraiment les deux,
00:55:18 on se déploie entre ces deux éléments,
00:55:23 avec cette seule différence que sur l'élément de survie,
00:55:28 la conscience théorique est forte,
00:55:30 mais l'action pratique, je le disais, est quand même étonnamment faible.
00:55:38 C'est dans ce différentiel-là qu'il y a cette colère,
00:55:41 comme vous l'expliquiez au tout début.
00:55:43 Alors je crois qu'il y a une question au fond, non ?
00:55:46 Tu te présentes ?
00:55:47 Cécilia Rapine, F3C.
00:55:49 Quand vous nous expliquez le mariage ou le fonctionnement de la démocratie
00:55:55 entre l'équilibre entre légitimité et l'égalité,
00:56:00 ça paraît évident et tellement simple.
00:56:03 Cependant, vous l'avez bien expliqué aussi,
00:56:05 ce n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui.
00:56:07 Donc comment nous, en tant que syndicalistes,
00:56:09 puisqu'on ne peut pas se poser autrement,
00:56:11 nous on peut agir pour réconcilier le politique
00:56:14 avec la légitimité aussi exprimée par les syndicalistes ?
00:56:18 Et par ailleurs, comment peut-on travailler aussi
00:56:22 avec l'irruption dans notre société de l'intelligence artificielle ?
00:56:28 Et de Barbie ?
00:56:30 Du syndicalisme à l'intelligence artificielle,
00:56:32 il y a un grand pas à faire.
00:56:35 Je ne vois pas encore la construction syndicale
00:56:38 de l'intelligence artificielle,
00:56:41 mais il est sûr que la légitimité du syndicat,
00:56:47 elle s'est accrue pendant la dernière période.
00:56:54 Mais pour qu'elle continue sur cette lancée,
00:56:56 effectivement, si le syndicat est représentatif,
00:57:00 veut dire si le syndicat être représentatif,
00:57:03 ne veut pas simplement dire avoir l'étiquette représentative.
00:57:07 Être représentatif veut dire
00:57:09 que l'on rend présent dans le débat public ce que vivent les gens.
00:57:13 Le mot "représenter" a ce double sens.
00:57:15 "Représenter" veut dire être le délégué de quelqu'un,
00:57:20 être son porte-parole.
00:57:22 Mais "représenter" veut dire rendre présent,
00:57:26 dans la vie publique, les réalités vécues.
00:57:29 Et ça, c'est aux origines même de l'idée représentative.
00:57:33 C'est un grand socialiste français Proudhon
00:57:39 qui a eu cette idée-là.
00:57:41 C'est dire le mouvement ouvrier
00:57:43 ne doit pas simplement compter sur la représentation
00:57:47 en tant que délégué,
00:57:48 mais il doit rendre présents les réalités du travail dans la société.
00:57:53 Et avant qu'il y ait le suffrage universel, par exemple,
00:57:56 dans les années 1840,
00:57:58 il y avait en France un mouvement très important
00:58:01 qu'on appelait de "poètes ouvriers".
00:58:03 De "poètes ouvriers".
00:58:05 C'est dire qu'il y avait beaucoup de petits poètes
00:58:08 qui publiaient des recueils sur 4-5 pages,
00:58:11 des petits trucs qui circulaient socialement beaucoup
00:58:14 et qui exprimaient la vie du travail de tous les jours.
00:58:17 Et il y avait une personne qui avait dit
00:58:22 "Ah, je vois que les ouvriers n'ont pas encore la représentation politique,
00:58:26 mais ils ont déjà la représentation poétique".
00:58:30 Ce qu'il voulait dire, c'est que par ces petits pamphlets,
00:58:34 par ces petits poèmes qui circulaient de quelques feuilles,
00:58:38 eh bien il y a toute une réalité sociale
00:58:41 qui est en quelque sorte le terreau sur lequel s'est développé le syndicalisme.
00:58:46 Et ça c'est une dimension très importante
00:58:50 de la fonction de représenter.
00:58:53 C'est cette fonction de pas simplement d'être le délégué,
00:58:57 pas simplement l'interprète,
00:58:59 mais être celui qui met sur la table les réalités vécues.
00:59:03 Les ancêtres de nos questionnaires aux adhérents.
00:59:09 Voilà.
00:59:10 Alors essayez de les formuler sous une forme poétique.
00:59:13 Les enquêtes flash, voilà, cherchez le mot.
00:59:17 Est-ce qu'il y a... alors, monsieur au milieu,
00:59:20 excuse-moi je ne connais pas ton prénom, tu te présentes s'il te plaît ?
00:59:23 Oui, Sylvain Massé, Fédération des services.
00:59:25 Alors pour en revenir sur le mouvement social,
00:59:28 est-ce qu'il n'y a pas, surtout dans l'expression des manifestants,
00:59:31 le constat qu'un contrat social a été rompu,
00:59:35 particulièrement sur les retraites ?
00:59:38 Question courte.
00:59:40 Oui, le contrat social sur les retraites
00:59:45 était de dire, au fond,
00:59:48 chacun va retrouver sa vie de travail dans sa retraite.
00:59:53 C'est ça l'idée.
00:59:54 Eh bien, ça n'était plus le cas.
00:59:56 Ça n'était plus le cas parce que la vie de travail,
00:59:59 elle s'est complexifiée.
01:00:01 La vie du travail, elle est devenue aussi plus différenciée.
01:00:07 Ce qui caractérisait très longtemps la condition ouvrière,
01:00:10 c'était quand même son homogénéité globale.
01:00:12 Maintenant, c'est l'hétérogénéité extrêmement forte.
01:00:16 L'hétérogénéité dans les carrières, dans le temps,
01:00:20 l'hétérogénéité des conditions de travail.
01:00:25 Et c'est cela, effectivement, le contrat social,
01:00:30 c'est que la réalité du monde social
01:00:34 est prise en compte dans les institutions.
01:00:36 Et le constat qu'on a fait, c'est qu'elle est progressivement
01:00:39 moins devenue prise en compte.
01:00:41 Et donc, il faut la reprendre en compte.
01:00:43 - Par ici, une question.
01:00:47 - Bonjour, Albert Corbel de la Fédération CFDT Défense.
01:00:51 Je veux revenir sur les notions de légitimité d'institution
01:00:54 pour aller vers l'avenir du syndicalisme
01:00:58 qui nous préoccupe au premier point.
01:01:00 Et c'est peut-être d'ailleurs une question
01:01:02 qui a plus ou moins été posée par ma voisine de derrière.
01:01:05 Mais quand même, comme j'y ai réfléchi,
01:01:07 je tiens à la poser.
01:01:09 Donc, on a, sur cette opposition
01:01:13 entre légitimité et légalité,
01:01:15 on a bien vu que notre pouvoir exécutif,
01:01:19 lui, se considérait comme légitime
01:01:21 en s'appuyant sur les élections.
01:01:23 Ça, c'est un point.
01:01:25 Et vous avez dit, et c'est un fait aussi,
01:01:29 que les organisations syndicales, donc la CFDT,
01:01:32 a gagné en crédibilité aux yeux des pouvoirs publics
01:01:35 à l'issue du mouvement contre la réforme des retraites.
01:01:39 Ce qui est assez paradoxal
01:01:41 par rapport à ce que vous avez dit aussi juste avant
01:01:44 sur cette volonté qu'a notre exécutif encore aujourd'hui
01:01:47 de passer une espèce de rouleau compresseur
01:01:50 sur les institutions de contrôle.
01:01:52 Donc, ma question est,
01:01:54 comment le syndicalisme, qui bénéficie pour l'instant,
01:01:58 est-ce que ce n'est pas uniquement à court terme
01:02:00 de ce mouvement,
01:02:02 comment va-t-il éviter d'être broyé aussi
01:02:05 en tant qu'institution de contrôle,
01:02:07 si on peut aussi la catégoriser comme ça,
01:02:10 par cette volonté de l'exécutif
01:02:12 de n'en faire qu'à sa tête,
01:02:14 en s'appuyant sur cette "légitimité"
01:02:16 qu'il s'octroie par les élections,
01:02:19 et en particulier les élections présidentielles ?
01:02:21 Merci.
01:02:22 Je dirais que le syndicalisme,
01:02:24 il a surtout regagné de la centralité.
01:02:26 Il a surtout regagné de la légitimité.
01:02:30 C'est clair d'un point de vue médiatique, par exemple.
01:02:36 Il faudrait faire une étude précise
01:02:39 sur les vocabulaires utilisés,
01:02:41 mais il est certain que l'attention médiatique
01:02:44 portée aux syndicalistes,
01:02:46 aux syndicats en général,
01:02:48 est devenue plus forte pendant cette période,
01:02:51 et que quelque chose en reste,
01:02:54 et pas simplement médiatiquement,
01:02:57 mais aussi, je dirais, dans la société.
01:02:59 Le syndicalisme est redevenu
01:03:04 une composante de la proximité,
01:03:08 et est revenu un acteur ressenti
01:03:11 comme un acteur de proximité.
01:03:13 Et de confiance.
01:03:14 Et de confiance dans la vie des gens.
01:03:16 Et de confiance au sens très précis,
01:03:19 où on définit la confiance en sociologie
01:03:22 en disant que c'est l'hypothèse
01:03:24 que l'on peut faire sur la conduite future d'une personne.
01:03:27 Et on voit bien que le syndicalisme,
01:03:30 par sa stabilité, si je puis dire,
01:03:33 par sa force,
01:03:36 apparaît comme celui sur lequel
01:03:39 on peut compter pour l'avenir.
01:03:41 Et là, il y a une différence certaine
01:03:43 entre le monde syndical et le monde politique.
01:03:45 C'est que le monde politique est un monde
01:03:48 qui est en permanence, je dirais,
01:03:50 soumis aux vagues de l'actualité,
01:03:56 soumis aux vagues des conflits internes
01:04:00 dans les différentes organisations,
01:04:03 des échéances internes.
01:04:05 Alors que le syndicalisme apparaît
01:04:07 avec plus de stabilité.
01:04:10 - De constance, oui.
01:04:11 Ce qui était démontré dans cette étude Cantart
01:04:15 qui est sortie fin juin, je crois,
01:04:17 et qui montrait à quel point le mouvement social
01:04:19 avait permis aux syndicats
01:04:22 de regagner en crédibilité auprès des salariés.
01:04:25 Est-ce qu'il y a d'autres questions dans la salle ?
01:04:29 Au fond.
01:04:31 - Jean-Marie Robert, Metalurgie.
01:04:33 Sans vouloir faire offense à Emmanuel Pira sur sa tenue,
01:04:37 j'ai bien compris ce que vous avez dit
01:04:38 sur les gilets jaunes.
01:04:40 Par contre, je pense qu'il y a quand même
01:04:43 un mouvement qu'on a un peu oublié,
01:04:44 qui était peut-être un peu récurseur,
01:04:46 c'est celui des Nuits debout.
01:04:48 Et j'avais un peu l'impression,
01:04:50 quand même, dans tous ces mouvements,
01:04:51 qu'on était un petit peu,
01:04:52 sans vouloir faire de galéjade,
01:04:53 dans les Nuits debout qui marchent, en définitive.
01:04:56 La question, c'est que la démocratie,
01:04:59 j'y crois, il n'y a pas de souci,
01:05:00 mais il faut interroger ça, à mon avis,
01:05:02 sur le sens de la démocratie directe
01:05:03 et la démocratie indirecte.
01:05:05 Et ce qui ne fait pas défaut aujourd'hui,
01:05:07 en définitive,
01:05:08 c'est l'organisation de la démocratie directe
01:05:11 ou d'étendre la démocratie directe
01:05:12 dans une démocratie qui se fait indirecte
01:05:14 par fonctionnement, en fait.
01:05:19 - Oui, je n'ai pas commenté Nuits debout.
01:05:21 Moi, j'ai souvent été...
01:05:23 Je n'habite pas loin de la place de la République,
01:05:25 donc j'y suis passé souvent,
01:05:27 quand ça avait lieu,
01:05:28 mais c'était quelques milliers de personnes.
01:05:30 Donc, c'était intéressant comme expérimentation,
01:05:34 mais ça n'a pas été quelque chose de masse.
01:05:37 Même s'il y a eu un certain nombre de répliques
01:05:39 dans d'autres villes,
01:05:41 ça a quand même été limité.
01:05:43 Mais ce que montraient des choses comme Nuits debout,
01:05:46 c'est justement,
01:05:48 que la démocratie se définit
01:05:50 par la mise en oeuvre collective
01:05:52 d'un certain nombre de fonctions.
01:05:54 Et que si tout le monde ne peut pas décider,
01:05:58 tout le monde peut discuter,
01:06:00 tout le monde peut délibérer,
01:06:02 tout le monde peut interpeller,
01:06:04 tout le monde peut interroger.
01:06:06 Et je crois que ce qu'il faut développer
01:06:09 et mettre en oeuvre davantage dans notre société,
01:06:13 ce sont ces fonctionnalités démocratiques.
01:06:16 La démocratie ne vit pas simplement
01:06:18 de la vitalité de ses institutions,
01:06:22 elle vit de la vitalité de ses fonctions.
01:06:25 Des fonctions qui sont des fonctions de contrôle,
01:06:28 qui sont des fonctions de discussion,
01:06:30 qui sont des fonctions d'enquête,
01:06:32 qui sont des fonctions de censure.
01:06:35 Il y a tout un ensemble de fonctions démocratiques
01:06:38 qu'on peut faire revivre parfois
01:06:41 avec des institutions ad hoc,
01:06:43 pour le contrôle par exemple,
01:06:45 mais qu'on peut faire vivre aussi
01:06:48 de façon plus décentralisée,
01:06:51 plus militante.
01:06:54 Après tout, la démocratie,
01:06:56 c'est aussi le type de société
01:06:58 dans laquelle chacun peut s'exprimer,
01:07:02 chacun peut se confronter avec d'autres,
01:07:05 chacun peut rentrer dans des formes de forums.
01:07:11 - Les conventions citoyennes par exemple ?
01:07:13 - Les conventions citoyennes,
01:07:15 il y a des tas de modalités expérimentales
01:07:18 que l'on peut développer.
01:07:20 Le plus grand danger pour la démocratie,
01:07:22 c'est de penser qu'il y a une recette de la démocratie.
01:07:25 Il n'y a pas une recette de la démocratie,
01:07:27 pour la raison très simple,
01:07:29 c'est que si la démocratie veut dire
01:07:31 l'expression de la volonté générale,
01:07:33 la volonté générale est problématique
01:07:35 dans son expression,
01:07:37 et que la décision collective
01:07:39 est toujours limitée.
01:07:41 Donc il faut démultiplier
01:07:45 les modalités de la démocratie
01:07:47 pour l'accomplir,
01:07:49 et non pas penser qu'il y aurait
01:07:51 une forme de démocratie magique
01:07:53 qui rétréterait tout, par exemple,
01:07:55 de faire des référendums tous les matins.
01:07:57 - Du coup, moi j'en ai une autre de question,
01:08:02 excusez-moi la salle.
01:08:04 Vous évoquez les différentes formes,
01:08:07 justement, Jean-Marie proposait
01:08:10 "Il y a une nuit debout",
01:08:12 il y a différentes formes des conventions citoyennes.
01:08:14 Est-ce que dans vos observations,
01:08:17 ailleurs, à l'étranger,
01:08:19 vous avez vu des expérimentations
01:08:21 ou des formes intéressantes
01:08:23 qui pourraient nous inspirer ?
01:08:25 - Si on regarde les conventions citoyennes,
01:08:27 elles ont d'abord été expérimentées ailleurs.
01:08:29 Par exemple, il y a eu aussi
01:08:31 des expériences de budget participatif
01:08:33 qui ont été très riches en Amérique latine.
01:08:35 Il y a eu des expériences
01:08:37 de conventions constitutionnelles en Islande.
01:08:39 Il y a eu des expériences récemment au Chili.
01:08:42 Alors, ce qui est intéressant aussi,
01:08:44 c'est de voir quand il y a des échecs.
01:08:47 D'avoir une bonne compréhension des échecs,
01:08:52 des expérimentations démocratiques,
01:08:54 est aussi important.
01:08:56 Par exemple, pourquoi l'expérience chilienne a échoué ?
01:09:00 Pourquoi l'expérience islandaise a plutôt réussi ?
01:09:04 Je crois qu'il faut regarder de près
01:09:08 non pas simplement la théorie
01:09:10 de ces expérimentations,
01:09:12 mais leur vie pratique.
01:09:14 Parfois, c'était des échecs,
01:09:16 parfois, c'était des succès.
01:09:18 De toute façon,
01:09:20 on ne va pas dire qu'il faut mettre partout
01:09:22 des conventions citoyennes,
01:09:24 que ça va être la réponse générale et définitive.
01:09:27 C'est une forme d'amélioration.
01:09:30 On sait, par exemple,
01:09:32 qu'un des défauts des conventions citoyennes,
01:09:34 c'est la difficulté qu'il y a
01:09:36 à communiquer dans toute la société
01:09:39 la démarche collective qu'ont fait une centaine de personnes,
01:09:43 qui ont passé ensemble quatre ou cinq week-ends,
01:09:47 qui sont informées,
01:09:49 qui se sont confrontées.
01:09:51 Donc, il y a 100 personnes
01:09:53 qui ont eu une expérience démocratique intense.
01:09:56 Et comment cette expérience démocratique intense,
01:09:58 on nous en donne le résultat,
01:10:00 mais comment la communiquer à d'autres ?
01:10:02 Ça, on n'a pas encore trouvé le moyen.
01:10:04 Et c'est ça qui est très important.
01:10:06 Parce que que 100 personnes aient progressé
01:10:08 sur la convention de fin de vie
01:10:10 ou sur le climat,
01:10:12 si le reste de la société ne suit pas,
01:10:14 c'est qu'à moitié,
01:10:17 c'est une contribution importante.
01:10:19 Mais moi, j'ai beaucoup discuté
01:10:21 avec les animateurs de ces différentes conventions,
01:10:24 et beaucoup de conventions à l'étranger,
01:10:26 et cette question-là, elle est décisive.
01:10:28 S'il n'y a pas d'appropriation sociale
01:10:31 de ces démarches,
01:10:33 et bien, elle reste très limitée, hélas.
01:10:35 Alors, il reste...
01:10:39 Alors... Ah, oui. Bonjour.
01:10:41 Je me lève et tu te présentes.
01:10:43 Oui, bonjour. Catherine Lomond,
01:10:45 de la Fédération Protection Sociale Travail-Emploi.
01:10:48 Je voulais revenir sur la démocratie,
01:10:52 et on nous fait entendre
01:10:56 qu'il y a un référendum
01:10:58 pour justement prendre peut-être le pouls
01:11:01 à la rentrée organisée par le gouvernement,
01:11:04 voir un référendum
01:11:06 à questionnaires choix multiples,
01:11:08 enfin...
01:11:10 Où la réponse serait assurée
01:11:12 d'être gagnée, entre guillemets.
01:11:14 Est-ce qu'on assiste pas
01:11:16 à un Canada dry un peu démocratique,
01:11:18 justement,
01:11:20 et qui risque de creuser encore plus
01:11:22 le sillon de la représentation ?
01:11:25 Oui, là, on peut pas encore employer cette expression,
01:11:28 parce qu'on est bien loin d'avoir une proposition.
01:11:30 C'est des coups de sonde
01:11:32 qui semblent lancer aujourd'hui,
01:11:34 mais un référendum QCM,
01:11:38 je ne le vois pas tellement
01:11:40 se mettre sur pied facilement,
01:11:42 d'un point de vue institutionnel,
01:11:44 et résoudre des questions.
01:11:46 Mais le fait que, quand on est en difficulté,
01:11:48 on pense tout de suite le référendum
01:11:50 comme le pouvoir du dernier mot,
01:11:52 est très dangereux.
01:11:54 Parce que le référendum
01:11:56 n'a de pleine application
01:11:58 que lorsque l'on peut
01:12:00 complètement intégrer institutionnellement son résultat.
01:12:04 Si on fait un référendum, par exemple,
01:12:06 qui a lieu souvent en Suisse,
01:12:08 si on fait un référendum
01:12:10 avec comme question
01:12:12 "Faut-il stopper l'immigration ?"
01:12:14 C'est un référendum
01:12:16 qu'on ne devrait pas poser. Pourquoi ?
01:12:18 Parce que si une majorité
01:12:20 obtient,
01:12:22 dit, se prononce,
01:12:24 pour stopper l'immigration.
01:12:26 Le problème, c'est stopper l'immigration,
01:12:28 mais alors les conventions qu'on a
01:12:30 avec les pays frontaliers,
01:12:32 mais alors,
01:12:34 avec le droit humanitaire
01:12:36 de gens qui sont dans la mer.
01:12:38 Donc, il n'y a pas de bon référendum
01:12:40 si la question posée
01:12:42 n'est pas susceptible
01:12:44 d'être traduite
01:12:46 en termes institutionnels précis.
01:12:48 C'est la raison pour laquelle
01:12:50 en Suisse, où il y a
01:12:52 beaucoup de référendums démagogiques
01:12:54 qui ont été lancés par Bocchère,
01:12:56 le leader d'extrême droite,
01:12:58 le Conseil fédéral dit "Bon, bien sûr, voilà."
01:13:00 Puisque c'est celui qui lance le référendum
01:13:02 qui pose la question.
01:13:04 Alors qu'il dit "Oui, effectivement,
01:13:06 une majorité de Suisses ont dit qu'ils étaient pour arrêter l'immigration.
01:13:08 Mais nous avons toutes les conventions frontalières,
01:13:10 par exemple,
01:13:12 est-ce qu'il faut les arrêter ?
01:13:14 Et comment on va faire ?"
01:13:16 Le leader fédéral dit "Pour cause
01:13:18 d'impossibilité
01:13:20 de traduction normative,
01:13:22 ce référendum ne peut pas être appliqué."
01:13:24 Donc, c'est une bonne leçon à retenir
01:13:26 des référendums en Suisse
01:13:28 et des questions
01:13:30 démagogiques, disons.
01:13:32 Et les préférendums ?
01:13:34 Les préférendums,
01:13:36 là, on pourrait très bien se contenter.
01:13:38 Un référendum, ça coûte très cher à organiser.
01:13:40 Donc, pour 80 millions d'euros,
01:13:42 on pourrait faire la fortune
01:13:44 d'avoir beaucoup d'institutions de sondage
01:13:46 qui poseraient des questions à tous les Français.
01:13:48 - Écoutez, peut-être que c'est
01:13:50 très dense.
01:13:52 Une dernière question, et puis après,
01:13:54 voilà, le temps
01:13:56 qu'on mûrisse la réflexion.
01:13:58 - Aurélie Gyssia, une responsable du service
01:14:00 Économie et Société à la Confédération.
01:14:02 En introduction,
01:14:04 Emmanuel a abordé
01:14:06 la question des émeutes
01:14:08 dont vous avez dit
01:14:10 "On ne peut pas tout mélanger".
01:14:12 Moi, j'aimerais bien vous entendre
01:14:14 votre analyse sur ce qu'il s'est passé
01:14:16 à l'été
01:14:18 dans la suite
01:14:20 du décès
01:14:22 de Naël
01:14:24 et les émeutes qui s'en sont suivies.
01:14:26 - Il y a deux choses très différentes
01:14:30 parce qu'il y a eu
01:14:32 des mouvements d'émeutes, justement,
01:14:34 et le simple fait d'employer le mot "émeute"
01:14:36 n'est pas celui
01:14:38 de mouvements sociaux.
01:14:40 Il y a eu
01:14:42 la réalité
01:14:44 d'émeutes, mais derrière
01:14:46 et des émeutes qui ont été
01:14:48 très différentes,
01:14:50 entre des endroits
01:14:52 où on a pillé des banques,
01:14:54 enfin pillé,
01:14:56 fracassé des ventures de banque,
01:14:58 et celles où on a pillé
01:15:00 des petits commerces ou vandalisé
01:15:02 des mairies,
01:15:04 des bibliothèques et des écoles,
01:15:06 il y a des grandes différences.
01:15:08 Le mouvement qui consiste d'ailleurs
01:15:10 à vandaliser des équipements publics
01:15:12 n'est pas nouveau.
01:15:14 Il a été étudié spécialement
01:15:16 par des sociologues, pourquoi on brûle
01:15:18 des bibliothèques, pourquoi on brûle
01:15:20 des écoles. Et la conclusion,
01:15:22 c'est que si
01:15:24 ces institutions ont été
01:15:26 attaquées, c'est qu'elles sont
01:15:28 perçues comme ces institutions
01:15:30 qui finalement n'ont pas aidé
01:15:32 les gens à sortir de leurs conditions
01:15:34 et de leurs difficultés.
01:15:36 C'est en quelque sorte un geste de dépit
01:15:38 envers les institutions
01:15:40 qui n'ont pas tenu
01:15:42 leur promesse d'un certain
01:15:44 point de vue.
01:15:46 Et c'est bien ce qu'il y a
01:15:48 derrière,
01:15:50 je veux dire à ce moment-là,
01:15:52 s'il y a un mouvement social derrière
01:15:54 l'émeute, l'émeute ayant
01:15:56 sa spécificité, l'émeute
01:15:58 que disait déjà Victor Hugo, n'est pas
01:16:00 l'insurrection, l'insurrection étant le mouvement
01:16:02 social.
01:16:04 Eh bien, c'est justement
01:16:06 le mouvement qui exprime
01:16:08 le fait qu'il y a
01:16:10 un fonctionnement
01:16:12 de la police, par exemple,
01:16:14 qui est jugé
01:16:16 discriminatoire,
01:16:18 qu'il y a un mouvement
01:16:20 qui, tout de même,
01:16:22 exprime d'une manière ou d'une autre
01:16:24 un racisme
01:16:26 de la société envers
01:16:28 un certain nombre de
01:16:30 personnes.
01:16:32 Et là, effectivement,
01:16:34 apparaissent
01:16:36 derrière l'émeute
01:16:38 tout un ensemble de questions
01:16:40 de la vie
01:16:42 sociale française qui n'ont
01:16:44 pas été résolues
01:16:46 et qui sont
01:16:48 absolument
01:16:50 essentielles.
01:16:52 Donc là,
01:16:54 c'était déjà le cas dans
01:16:56 d'autres moments.
01:16:58 Voilà, ça s'est passé,
01:17:00 on referme la parenthèse,
01:17:02 mais elle va se rouvrir, d'une manière
01:17:04 ou d'une autre,
01:17:06 régulièrement. Et elle
01:17:08 concerne tout de même toute une partie
01:17:10 de la population, toute une partie
01:17:12 de la population française.
01:17:14 Et malgré tous les discours
01:17:16 sur la mixité sociale, malgré
01:17:18 tous les discours sur
01:17:20 l'aide,
01:17:22 je dirais, à
01:17:24 l'égalité des chances, eh bien, on constate
01:17:26 que non. Ça, c'est le symbole, je
01:17:28 dirais, de l'échec de ces principes
01:17:30 républicains fondamentaux.
01:17:32 Donc là, il y a
01:17:34 un symbole d'un échec
01:17:36 radical du
01:17:38 monde
01:17:40 social-démocratique.
01:17:42 Et d'ailleurs, un sociologue
01:17:44 qui est spécialisé des questions
01:17:46 disait, c'est pas
01:17:48 simplement un échec des politiques
01:17:50 de la ville, c'est un échec des politiques publiques
01:17:52 en général.
01:17:54 Oui, bien sûr, c'est un échec
01:17:56 de la démocratie française, plus largement.
01:17:58 C'est un échec
01:18:00 de, je dirais,
01:18:02 des institutions républicaines
01:18:04 dans leur totalité.
01:18:06 Les politiques de la ville
01:18:08 n'étant qu'un élément parmi d'autres.
01:18:10 On a bien vu que les politiques de la ville,
01:18:12 elles ont réussi. C'est ça
01:18:14 le paradoxe. L'argent
01:18:16 qui était déversé est considérable
01:18:18 et elles ont réussi. Le nombre
01:18:20 de réhabilitations de logements,
01:18:22 par exemple, a été absolument
01:18:24 considérable. Mais
01:18:26 cette politique de la ville n'a pas changé
01:18:28 les politiques
01:18:30 des institutions
01:18:32 publiques vis-à-vis de leurs habitants.
01:18:34 C'est ça. Le
01:18:36 bâti a été révolutionné
01:18:38 mais les morts
01:18:40 ne l'ont pas été.
01:18:42 Écoutez, si plus
01:18:44 aucune question...
01:18:46 Écoutez, je vous propose,
01:18:50 en fait, c'est dense, donc on va
01:18:52 réfléchir. Je vous conseille vraiment
01:18:54 la lecture du
01:18:56 livre de Pierre "Les épreuves
01:18:58 de la vie". C'est très éclairant.
01:19:00 Le livre de Cynthia Fleury
01:19:02 qui est sorti vendredi
01:19:04 et à ce propos, il y a un très
01:19:06 bel... il y a deux très beaux interviews de
01:19:08 Cynthia Fleury, l'un dans Télérama, l'autre
01:19:10 dans Le Monde, hier soir, qui vont bien
01:19:12 compléter
01:19:14 nos échanges. Voilà. Merci Pierre.
01:19:16 *Applaudissements*
01:19:18 [SILENCE]

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