L'interdiction de l'abaya est elle juridiquement possible ?

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00:00 matin de France Culture, Guillaume Erner.
00:02 Encore 7h14, la question du jour.
00:06 Bonjour Marguerite Caton.
00:07 Bonjour Guillaume Erner, bonjour à tous.
00:10 Aujourd'hui on est avec le juriste Bélig Nabli qui est venu nous dire ce matin si le
00:15 port de la baïa peut être interdit à l'école.
00:18 Bonjour Bélig Nabli.
00:19 Bonjour.
00:20 Vous êtes professeur de droit public à l'université Paris-Ast-Crétin et vous avez dirigé l'ouvrage
00:24 collectif « Laïcité de l'État et l'État de droit » paru chez Dalloz en 2019.
00:29 Dimanche soir, le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, s'est prononcé
00:33 au journal télévisé de TF1 sur le port de la baïa à l'école.
00:36 « J'ai décidé qu'on ne pourrait plus porter la baïa à l'école », a-t-il dit.
00:40 Alors un peu de mode pour commencer.
00:42 Bélig Nabli, qu'est-ce qu'une baïa ? En quoi ça se distingue d'une robe ou d'une veste longue ?
00:47 Alors c'est un vêtement qui est porté traditionnellement dans la région du Golfe Persie,
00:53 le Golfe Arabique, par les femmes et qui se distingue là pour le coup du khamis qui est
00:59 un autre vêtement qui est incriminé aujourd'hui mais qui est porté par les hommes.
01:03 C'est important aussi de le préciser.
01:05 Et le phénomène qui est constaté, c'est qu'il est de plus en plus porté en France
01:10 par des jeunes femmes, y compris au sein des établissements scolaires.
01:14 C'est une note des services de l'éducation nationale qui a notamment souligné ce phénomène de mode.
01:20 C'est donc pas un signe qui fait directement reconnaître la religion comme un foulard islamique,
01:25 une kippa ou une très grande croix telles que les énumères circulaires de 2004
01:30 qui précisent l'application de la loi sur le port de signes ou tenues religieuses à l'école.
01:34 Mais si on regarde la loi de 2004 elle-même, sa rédaction est très subtile.
01:39 Elle n'interdit pas les signes ou des tenues qui manifestent une appartenance religieuse
01:43 mais des signes ou des tenues par lesquels les élèves manifestent une appartenance religieuse,
01:48 par lesquels tout est dedans, bell'ignabli.
01:51 Un signe, tout signe peut-être un signal, c'est une question d'intention. Comment on en juge ?
01:55 C'est toute la difficulté, y compris pour le ministre.
01:58 Pourquoi ? Parce qu'il exprime une volonté politique très claire,
02:02 mais derrière cette volonté politique il y a une difficulté juridique pour lui
02:06 en ce sens où il ne pourra pas interdire de manière générale et absolue la baïa
02:12 dans la mesure où la baïa n'est pas visée explicitement par la loi de 2004
02:18 comme étant une tenue à caractère religieuse.
02:21 Donc il va devoir, à travers un texte particulier qu'on appelle une circulaire,
02:27 préciser en direction des chefs d'établissement, préciser en quoi une baïa
02:32 pourrait être considérée comme une tenue à caractère religieux par destination.
02:38 Comme on dit, c'est-à-dire que même si en soi ce vêtement a un caractère culturel,
02:44 du fait de sa perception, conception par celle qui le porte,
02:50 il pourrait être considéré comme ayant un caractère religieux auquel cas il peut être interdit.
02:57 C'est d'ailleurs dans ce même cadre de réflexion que le juge des référés du Conseil d'État avait validé,
03:02 on était en 2012, l'exclusion d'une élève vêtue d'une jupe longue sur son pantalon
03:07 et d'un bandana, ce n'était pas le problème de la tenue elle-même, c'était l'intention de l'élève, c'est ça ?
03:12 C'est ça, et c'est pourquoi derrière, encore une fois, l'expression de la volonté du ministre,
03:18 cette volonté devra être appliquée au cas par cas.
03:23 Très concrètement, c'est le signal que vient d'envoyer le ministre,
03:28 il y a une volonté politique affichée par le ministre de l'Éducation nationale,
03:33 mais en réalité, in concreto, comme on dit en pratique, au sein des établissements,
03:38 les chefs d'établissements qui auront à appliquer la future circulaire,
03:43 devront apprécier au cas par cas si précisément cette tenue, la baïa,
03:49 est portée dans une visée à caractère religieux.
03:55 Comment on apprécie cette conception ?
03:59 Si on jette un œil sur la jurisprudence,
04:04 qui ne s'est pas exprimée encore sur la baïa en tant que telle,
04:07 mais qui a pu, comme vous l'avez rappelé, apprécier la manière dont un bandana
04:12 pouvait être un vêtement qui pouvait être un moyen de contourner l'interdiction de la loi de 2004,
04:21 il s'agirait pour le chef d'établissement d'apprécier la manière dont l'élève
04:28 souhaite ou est prête à retirer ce vêtement.
04:33 Et si elle le refuse de manière systématique,
04:37 ce refus catégorique traduirait une conception dogmatique,
04:42 et donc à caractère religieux, de cette tenue.
04:45 C'est subtil. Comment le ministre peut interdire sinon cette baïa ?
04:49 Est-ce qu'il a d'autres biais que la loi sur la laïcité ?
04:52 Non. Déjà, il faut bien préciser qu'il est obligé de passer par la circulaire
04:59 parce que précisément il ne peut pas modifier la loi de 2004.
05:02 Il n'en a pas la compétence, comme on dit, et il faudrait modifier la loi de 2004
05:06 si on voulait en réalité interdire la baïa de manière générale et absolue,
05:11 de manière systématique.
05:13 Voilà la voie, en vérité, qu'il faudrait juridiquement suivre
05:17 pour interdire de manière générale et absolue la baïa.
05:22 Ce n'est pas la voie qui semble être suivie.
05:25 Et à partir de là, il va devoir, dans sa circulaire,
05:29 dans ce texte qui sera à destination des chefs d'établissement,
05:33 préciser un certain nombre d'éléments, d'appréciation,
05:37 des critères, d'une certaine manière,
05:40 qui pourront apprécier et appliquer les chefs d'établissement.
05:45 Alors la question qu'on peut se poser, c'est est-ce qu'il va notamment
05:49 donner des éléments sur la taille des abaya,
05:53 jusqu'à quelle taille une robe noire longue
05:58 pourrait glisser du statut de vêtement culturel à un vêtement cultuel ?
06:05 Est-ce que le règlement intérieur d'un établissement
06:08 peut poser des interdictions strictes ?
06:11 Pas d'abaya, pas de camis, pas de...
06:14 C'est possible ça dans un texte réglementaire, dans chaque établissement ?
06:18 Oui, mais pas de manière, encore une fois, générale et systématique,
06:23 tant que la loi 2004 ne sera pas modifiée.
06:26 Donc il faudra toujours, pour le chef d'établissement,
06:30 être obligé de prendre en considération les circonstances,
06:34 c'est-à-dire, notamment, si la jeune fille manifeste
06:40 une forme de prosélytisme, notamment en tentant de convaincre
06:45 d'autres élèves de porter ce vêtement,
06:48 ou, encore une fois, si elle refuse de le retirer de manière systématique,
06:52 y compris pour assurer un cours particulier,
06:57 un cours d'EPS, de sport, notamment.
07:00 Et ce refus pourrait être interprété comme, précisément,
07:05 un élément, un indice, tendant à considérer que l'abaya, là,
07:10 est portée dans sa dimension religieuse.
07:13 Donc, en fait, rien ne va changer, simplement,
07:15 les proviseurs sont poussés, par la déclaration du ministre,
07:18 à être très vigilants.
07:20 Exactement. Alors, rien ne va changer.
07:23 Il y a une manifestation de volonté.
07:26 Il y a l'expression de volonté politique, et ça c'est important pour le ministre,
07:30 c'est ce qui a finalement motivé sa prise de parole, sa déclaration.
07:34 Et il y a aussi, derrière cette volonté, un soutien qui est apporté aux chefs d'établissement,
07:39 qui, au jour d'aujourd'hui, sont confrontés à des cas,
07:44 ils peuvent se sentir relativement, pas abandonnés,
07:48 mais dans des situations un peu délicates.
07:53 Et là, ils ont reçu, finalement, de la part de leur supérieur hiérarchique,
07:58 puisque le ministre de l'Éducation nationale est aussi leur supérieur hiérarchique,
08:03 un soutien plutôt en faveur d'une interdiction.
08:07 Mais une interdiction qui ne pourra pas être, encore une fois, systématique.
08:12 Je vous remercie, Béling Nabli, professeur de droit public à l'Université de Paris-Créteil,
08:16 de toutes ces explications. La rédaction d'une circulaire, donc, qu'on va attendre avec impatience.

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