Aujourd'hui dans "Punchline", Laurence Ferrari et ses invités débattent de la spirale de violence qui gangrène la ville de Nîmes sur fond de trafic de drogue.
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00:00 - Pas vrai. - 18h15, on se retrouve en direct
00:02 sur Europe 1 et sur CNews, on est dans "Punchline".
00:04 On va évoquer avec le commissaire David Lebar,
00:06 ce qui nous fait le plaisir d'être là,
00:08 cette spirale de la violence qui concerne notamment Nîmes.
00:10 Il y a tant d'autres villes que l'on pourrait citer en exemple.
00:13 Mais là, c'est vrai que c'est extrêmement parlant.
00:15 Il y a eu une nouvelle fusillade
00:16 qui a éclaté dans la nuit de samedi à dimanche
00:18 dans la cité du Mas de Ming, faisant un blessé.
00:21 On peut entendre vraiment l'effroi, le désespoir
00:24 des habitants et des parents de ce jeune homme.
00:26 Reportage sur place de Thibault Marcheteau,
00:28 Fabrice Elsner et Sacha Roba.
00:30 Il est un peu plus de 2h du matin ici,
00:33 cité du Mas de Ming à Nîmes,
00:35 dans la nuit de samedi à dimanche,
00:36 alors qu'il se trouve à bord de sa voiture.
00:38 Un jeune homme de 26 ans est pris pour cible par les passagers
00:41 d'un véhicule qui s'arrête à sa hauteur.
00:43 Une fusillade éclate, l'homme est légèrement blessé, bouleversé.
00:47 La mère de la victime témoigne.
00:49 Ils ont garé la voiture devant.
00:50 Ils ont tiré derrière.
00:52 Et quand ils ont fait le demi-tour pour sortir,
00:56 ils l'ont visé, ils l'ont tiré sur lui.
01:00 Heureusement que la balle, elle était entre la carrosserie et le joint.
01:05 Vraiment, c'est le bon Dieu qui l'a sauvée.
01:09 Voilà.
01:13 Sous le choc, le jeune homme de 26 ans
01:16 aurait été visé, selon son avocat, par plusieurs tirs à la Kalachnikov.
01:20 C'est un jeune homme qui n'est pas connu par les services de police,
01:25 qui est un casier judiciaire absolument vierge.
01:27 Rien ne le relie à un monde de l'intérrogance
01:30 ou du trafic de drogue.
01:31 Ceux qui ont tiré et ont fait feu ont immédiatement pris la fuite.
01:35 On sait que le signalement du véhicule a été fait.
01:38 Si pour l'heure, les motifs de ces tirs ne sont pas encore connus,
01:42 à l'instar du quartier Pis-20 à Nîmes,
01:44 la cité de Mas-de-Mingues est également fortement touchée
01:47 par le trafic de drogue.
01:49 La victime, quant à elle, a décidé de déposer plainte
01:52 pour tentative d'homicide.
01:54 Commissaire Lebars, on a deux quartiers d'une ville
01:57 qui s'appelle Nîmes, qui n'arrêtent pas sur les règlements de comptes.
02:00 On a des victimes collatérales, qui n'ont rien à voir avec ça.
02:03 On pense au petit garçon de 10 ans qui a perdu la vie.
02:05 C'est un engordage que la police n'arrive pas à stopper ?
02:09 C'est une série noire, d'abord.
02:10 Heureusement que c'est pas comme ça tous les jours à Nîmes,
02:13 mais là, comme on dit dans le jargon, on est dans le dur.
02:16 Le préfet qui vient d'être nommé était le directeur de la police judiciaire
02:19 il y a encore quelques jours.
02:21 On peut déjà se rassurer sur le fait
02:23 qu'il y ait un spécialiste de ces questions-là.
02:25 Après, ce que je vois pas beaucoup dans les médias,
02:28 et on a ni les uns ni les autres l'analyse de ces enquêtes,
02:30 parce que, force est de constater qu'elles sont en cours
02:33 et il faut espérer que le secret permette d'identifier les auteurs,
02:35 mais on voit qu'il y a quand même pas mal de victimes collatérales
02:37 qui sont des victimes tout court, des gens qui sont pas du tout impliqués.
02:40 Je pense à ce militaire, d'ailleurs, qui était dans la voiture
02:43 avec le petit garçon qui est décédé,
02:44 qui d'ailleurs, j'ai lu aujourd'hui, a eu le courage
02:46 de retourner au travail tout de suite.
02:48 Quand on voit que des gens comme ça sont victimes
02:49 de ce type de règlement de comptes,
02:50 on peut quand même faire une petite analyse assez succincte
02:52 de ceux qui tirent.
02:54 On est sur du niveau primaire de la violence,
02:58 avec "je te tire dessus" parce qu'il y a eu ça précédemment,
03:02 les personnes visées sont pas les bonnes,
03:04 c'est des dommages collatéraux avec des gens qui n'ont rien fait
03:06 et qui n'ont rien demandé, et ça vous donne un peu l'analyse
03:08 du profil moyen de ceux qui ont des armes.
03:10 C'est très inquiétant.
03:11 - On parle de Kalachnikov, commissaire.
03:12 - Ça, c'est le problème numéro un dans le trafic de drogue.
03:16 Aujourd'hui, c'est la circulation des armes,
03:17 et d'ailleurs, c'est un des sujets sur lesquels,
03:19 il faut savoir aussi dire les choses,
03:21 on est assez faible, la police nationale,
03:23 parce qu'on n'a toujours pas une visibilité claire
03:25 sur d'où viennent les armes.
03:26 Il y a tellement de sources possibles
03:28 que c'est un sujet très compliqué.
03:29 La réalité, c'est qu'il y a des armes partout.
03:31 Il y a 15 ans, je disais le contraire,
03:32 on allait en perquisition, on en trouvait peu.
03:34 Aujourd'hui, les temps ont changé, il y en a partout.
03:36 N'importe quel crétin dans une cité
03:37 qui est un petit membre d'un réseau de trafic de drogue
03:40 peut s'emparer d'une Kalachnikov et aller arroser,
03:42 parce que c'est comme ça qu'ils font,
03:44 aller arroser dans un quartier pour faire peur.
03:46 Parce qu'en fait, le niveau numéro un du règlement de compte,
03:49 ce n'est pas de cibler éventuellement le concurrent
03:51 qui importe plus que vous, c'est d'aller montrer la force
03:54 et de s'en prendre à quelqu'un pour marquer les esprits.
03:56 En Seine-Saint-Denis, il faisait encore,
03:57 il y a quelques mois, quelques années, des "jambisations",
03:59 c'est-à-dire qu'ils faisaient, entre guillemets,
04:01 les "forts tirs en bas",
04:02 des techniques empruntées à la mafia.
04:04 Vous savez, on vise une jambe,
04:05 on a quelqu'un qui clodique, ça marque les esprits,
04:07 et en même temps, on ne tue pas,
04:09 ce qui fait que pénalement, on n'est pas éligible
04:11 à l'homicide volontaire ou à l'assassinat.
04:13 Tout ça est relatif, parce que viser une jambe,
04:15 quand vous touchez une artère, vous tuez.
04:16 - À la Kalachnikov. - À la Kalachnikov.
04:17 En plus, il y a des munitions qui font des ravages.
04:20 Ce qui est très inquiétant, et moi, c'est mon regard de policier,
04:23 mais peut-être que je me trompe,
04:24 mais il y a des victimes collatérales,
04:25 je pense que le niveau des auteurs de tir
04:27 est un niveau primaire,
04:29 petit trafiquant orgueilleux qui veut montrer la force,
04:31 c'est en même temps les plus dangereux,
04:32 parce qu'ils n'ont aucun niveau de réflexion,
04:34 ils sont capables de passer à l'action à n'importe quel moment,
04:36 donc c'est extrêmement dur à jubuler.
04:38 Et puis après, il y a le sujet de ce trafic de drogue
04:41 qui est une pieuvre gigantesque avec des tentacules multiples.
04:44 Les annonces de Gérald Darmanin que j'ai suivies de près
04:46 sont importantes, parce qu'il a fait à la fois le court terme,
04:48 le quotidien, la visibilité et le long terme,
04:51 mais il y a tant d'autres sujets.
04:52 Les armes, l'argent.
04:53 Moi, je trouve qu'il y a quand même une faiblesse
04:55 dans le discours politique, ce n'est pas une leçon,
04:57 parce que je n'ai pas moi-même la solution,
04:59 mais c'est quand même le niveau international.
05:00 Qu'est-ce qu'on fait de l'approvisionnement du cannabis
05:04 quand on sait que 80 % de la production mondiale
05:06 vient du Maroc ?
05:07 Et est-ce qu'il n'y a pas un aspect législatif à revoir
05:09 pour passer des livraisons surveillées
05:11 qui sont, entre nous, soit dit, extrêmement contraintes ?
05:13 Il y a d'ailleurs une affaire qui va être audencée bientôt
05:16 aux Assises, qui avait mis en cause l'octrice,
05:17 le fils des stupéfiants et son chef.
05:19 Est-ce qu'il ne faut pas finalement se donner les moyens
05:21 d'aller prendre plus à la source et de donner plus les moyens,
05:24 faire des livraisons contrôlées, accompagnées ?
05:26 C'est un sujet de réflexion globale,
05:28 mais si on attend des policiers sur le terrain, excusez-moi,
05:30 de résoudre ces problèmes de trafic de drogue,
05:32 on en a pour des générations, avant de tarir le problème.
05:36 J'ai encore une petite question sur les armes,
05:37 avant de passer la parole à l'avocat.
05:38 Quand vous êtes venu sur les émeutes urbaines,
05:41 vous nous avez dit que ces armes de guerre,
05:43 les vrais dealers ne les ont pas données aux jeunes
05:45 pour qu'ils attaquent la police.
05:46 Or, ils s'en servent entre eux, pour les règlements de comptes.
05:49 Là, ils les sortent, les armes de guerre.
05:51 Il y a eu quelques exhibitions pendant les émeutes
05:53 de la démonstration de force tirée dans les caméras
05:55 de vidéo-protection, etc.
05:56 Ils n'ont pas tiré à l'arme de guerre sur les policiers.
05:58 Moi, je faisais partie des très inquiets, des pessimistes
06:01 qui redoutaient que ça arrive.
06:02 C'est, encore une fois, l'analyse qu'il faut avoir
06:05 pour différencier les tenants des trafics
06:08 et ceux qui commettent les violences urbaines.
06:09 Ce ne sont pas les mêmes personnes,
06:10 ce ne sont pas les mêmes générations,
06:11 ce ne sont pas les mêmes motivations, fort heureusement.
06:14 Et il faut espérer que tout ça reste cantonné
06:17 à violences urbaines, jeunes qui s'en prennent,
06:19 au bien de tout le monde, y compris ceux de leurs propres voisins
06:21 et ceux qui tiennent le trafic.
06:23 Mais ces armes-là, à un moment, elles sont tellement en nombre,
06:25 elles sont stockées aussi dans des parties communes,
06:27 dans des appartements réserves, dans des appartements nourris.
06:29 Ces armes-là, le danger, c'est qu'aujourd'hui,
06:31 il y en a tellement qu'elles vont finir par arriver
06:32 entre les mauvaises mains, entre ceux qui, finalement,
06:34 sont capables du pire.
06:36 Donc c'est un vrai sujet de réflexion
06:38 pour nos actions policières.
06:39 Maître Bovis, on a le sentiment, encore une fois,
06:41 d'une impuissance face aux trafics de drogue.
06:44 David Lebarth parlait d'une faiblesse
06:47 dans le discours politique,
06:48 mais j'employerais même d'ailleurs le terme de lâcheté,
06:50 puisque certains responsables politiques,
06:52 et on le voit, vous avez évoqué le cas du jeune Nahel,
06:54 évidemment, sans presse, de parler à la presse
06:57 et de partir dans des tribunes lorsqu'il s'agit de s'attaquer
07:00 à l'État ou de s'attaquer à des symboles,
07:02 ou du moins à la police, en disant que la police tue,
07:05 mais en revanche, lorsqu'il s'agit de s'attaquer
07:07 à des vrais combats, là, sur le trafic de drogue,
07:09 qui fait des morts directes, mais aussi indirectes,
07:12 par le trafic et donc par les consommateurs,
07:14 là, les responsables politiques, on ne les entend plus.
07:17 Mais comme d'ailleurs certaines personnalités.
07:19 On a toujours certaines personnalités,
07:20 c'est toujours les mêmes, vous savez, qui arrivent...
07:22 - Certains acteurs. - Certains acteurs,
07:24 certains sportifs professionnels qui viennent sur les réseaux sociaux
07:26 se répandre de leur bonne morale pour dire que, justement,
07:29 la police tue, que l'État ne fait rien pour les jeunes, etc.
07:33 Mais lorsqu'il s'agit, justement, de parler à ces jeunes
07:35 qui sont embarqués dans des trafics de drogue,
07:38 parce que vous savez, le trafic de drogue aujourd'hui,
07:40 donc on a les narcos, les pseudo-narcos,
07:42 mais aussi, après, on a des jeunes qui sont recrutés
07:44 pour faire le gai, pour faire des petits boulots.
07:47 - 8-10 ans, même. - 8-10 ans.
07:49 Alors, quand je dis "petits boulots", attention,
07:51 "petits boulots sur la taille", mais très bien rémunérés,
07:53 puisqu'ils arrivent comme ça à les attraper.
07:54 Là, en revanche, ces personnalités, on ne les entend plus.
07:57 On ne les entend pas, et c'est là où je parle de lâcheté.
07:59 Parce que quand il s'agit, justement, de s'attaquer à un vrai morceau,
08:01 quand je ne veux pas dire "vrai morceau",
08:03 en tout cas un sujet conséquent,
08:04 là, on recule et on ne fait rien.
08:07 On est totalement d'accord. Louis Dragonel ?
08:08 Non, mais je suis d'accord avec ce que vous venez de dire.
08:11 Je pense qu'il faut rappeler davantage que tous les jeunes
08:14 qui sont tentés par une implication dans le trafic de drogue,
08:17 leur avenir, il est extrêmement simple.
08:18 Soit ils terminent en prison, soit ils finissent tués
08:22 avant l'âge auquel on doit mourir, normalement.
08:24 L'avenir est quand même extrêmement limité.
08:27 La notion d'appât du gain, dont on parle beaucoup,
08:30 elle est à très court terme.
08:31 Et puis, dans une vie compliquée,
08:33 où vous êtes complètement dépendant du trafic de drogue,
08:36 vous pouvez...
08:37 Cet argent, vous ne pouvez pas en faire grand-chose.
08:39 La deuxième chose, qui est très importante,
08:41 c'est ce que vous avez évoqué tout à l'heure, David Lebars,
08:43 c'est sur le volet international.
08:44 En fait, le trafic de drogue auquel on est confronté aujourd'hui
08:47 n'a rien à voir avec celui des années 80-90.
08:50 Déjà, la drogue en elle-même n'a rien à voir.
08:52 Maintenant, c'est des quantités énormes de cocaïne.
08:55 Quand on voit ce qui s'est passé juste avant l'été,
08:57 où il y avait des balleaux de cocaïne
08:58 qui débarquaient sur les côtes,
09:00 la côte d'Opale, en Normandie, dans le Cotentin.
09:03 - C'était pas des balleaux... - On les retrouvait sur la plage.
09:05 Oui, c'était pas des balleaux de 5 kilos.
09:07 Parfois, il y a eu un arrivage de 1 250 kilos de cocaïne.
09:11 Je sais pas si vous vous rendez compte
09:12 des proportions que ça prend.
09:14 Et en fait, la difficulté, c'est que...
09:17 Oui, à très court terme, c'est important d'envoyer du bleu,
09:20 de faire des opérations de police,
09:21 mais ça, c'est pas la solution structurelle.
09:24 De manière structurelle, il faut s'attaquer,
09:27 mais en fait, on doit se battre contre une armée
09:29 qui n'a pas vraiment de visage, qui n'a pas de capital,
09:32 qui n'a pas de gouvernement et qui est extrêmement structurée.
09:35 Vous voyez, ça va parler, je pense, à très peu de gens,
09:37 l'Angrande Ghetta. Est-ce que ça vous parle ?
09:39 - Oui, c'est une mafia italienne. - C'est une mafia italienne
09:42 qui pèse entre 4,5 et 5 % du PIB italien.
09:46 Et eux, ils sont capables, en fait,
09:48 d'acheminer de manière extrêmement sécurisée
09:50 tout le trafic de drogue, une grande partie du trafic de cocaïne,
09:52 entre Bogotá, en passant par l'Afrique de l'Ouest,
09:55 et ensuite, ils utilisent les flux de migrants
09:57 pour arriver en Italie, où se trouve, en Calabre,
10:01 en Italie, le siège de l'Angrande Ghetta.
10:03 Et ensuite, c'est cette cocaïne qui arrive
10:05 et qui est injectée partout en France et en Europe.
10:08 Et je pense qu'en fait, ce qu'il faut,
10:10 c'est mener des vraies opérations, pas uniquement de police,
10:13 mais d'entente internationale, d'investigation internationale,
10:16 pour mettre à bas toutes ces mafias
10:19 qui ont un pouvoir considérable.
10:20 C'est le dernier à le dire,
10:22 qu'il fallait une initiative au niveau international.
10:24 Visiblement, ça ne fonctionne pas, David Lebarth.
10:26 - Il y en a un, pourtant. - Oui, mais...
10:28 Mais c'est compliqué.
10:29 C'est pas assez consulaire que sur le trafic de drogue.
10:31 - J'ai pas entendu... - Pour avoir une vision objective,
10:33 on peut regarder certains pays, ce qui a été tenté par le passé.
10:36 Il y a eu des échecs retentissants sur le trafic international.
10:40 C'est extrêmement compliqué.
10:41 Il y a eu des retournements d'agents infiltrés
10:43 qui ont été retournés par les pays producteurs.
10:45 Il y a eu des tentatives militaires avec des bombardements.
10:48 Donc, le vrai sujet, je crois,
10:50 c'est peut-être plutôt quand même sur la capacité
10:53 de donner juridiquement aux services de police,
10:56 pas que français, d'ailleurs,
10:57 parce que c'est un sujet européen international,
10:58 il faut raisonner "européen", ce qui va être déjà plus compliqué,
11:01 c'est quasiment d'aller dans la provocation.
11:04 C'est-à-dire, on sait qui vend, on sait où ça se vend,
11:06 on sait à peu près comment ça peut se faire,
11:08 et de faire en sorte de saisir avant que ça arrive,
11:10 c'est-à-dire d'aller provoquer.
11:12 Alors, ce terme-là est un peu provocant,
11:13 pour le coup, c'est le cas de le dire, ou peut-être choquant,
11:15 parce qu'aujourd'hui, on parle de livraison surveillée,
11:17 je veux dire, dès que vous avez, je vais simplifier,
11:19 un policier qui remballe un ballon de cocaïne
11:21 ou qui sera au volant d'un camion,
11:22 on est au-delà de la livraison surveillée,
11:23 on est dans le trafic, et on a des mises en examen
11:25 de nos policiers qui pourraient se livrer,
11:27 je dirais, à cet écart qui serait commis.
11:29 Ce qu'il faut savoir, c'est ce qu'on veut.
11:31 Si on sait que la cocaïne est produite à tel endroit,
11:33 que le cannabis est produit à tel endroit,
11:34 si on veut se donner les moyens d'en saisir plus,
11:36 si on en saisit plus, on va quand même tarer un peu plus la source.
11:38 Puis après, l'autre sujet, qui est un sujet de fond,
11:41 et qui est un sujet français,
11:42 j'en reviendrai sur la consommation, bien sûr,
11:44 on n'entend plus jamais parler de prévention,
11:47 très peu, on parle de répression, de police, de sanctions,
11:49 puis il y a le sujet de l'argent.
11:50 L'argent de la drogue, quand on est policier,
11:53 y compris à des niveaux intermédiaires,
11:54 on sait maintenant ce que font les trafiquants de l'argent.
11:56 Cet argent-là n'est pas suffisamment pisté et traqué,
11:58 il n'y a rien qui rend plus dingue un trafiquant
12:00 que de se faire piquer son argent.
12:01 C'est pire pour lui que de se faire piquer sa drogue.
12:03 L'argent, aller taper au portefeuille,
12:05 et là, taper au portefeuille, le suivi des flux financiers,
12:08 c'est encore un sujet sur lequel on peut largement progresser.
12:10 Cela dit, sur les moyens, vous avez tout à fait raison.
12:12 Tout à l'heure, vous parliez du trafic de drogue
12:14 dans les années 80-90,
12:15 mais on l'était déjà à l'échelle internationale,
12:16 on se souvient de la French Connection,
12:18 avec notamment un juge à qui on avait donné beaucoup de moyens,
12:20 qui a connu une fin tragique,
12:21 mais le juge Michel avec qui on a donné beaucoup de moyens,
12:23 et qui a réussi à taper un grand coup quand même en France,
12:26 notamment à Marseille, sur les réseaux de trafic de drogue
12:28 et à l'international.
12:29 Donc on voit bien, effectivement, et vous avez raison,
12:30 que lorsqu'on arrive à donner,
12:32 et ça relève du courage politique,
12:34 à donner des moyens à la justice,
12:35 mais au couple police-justice,
12:38 on arrive non pas à résoudre le problème,
12:39 mais du moins à freiner considérablement
12:41 le trafic de drogue.
12:42 Après, effectivement, c'est un problème européen,
12:44 puisqu'il faut que la France agisse de concert avec ses voisins.
12:46 Il faut des moyens techniques considérables.
12:48 Quand on voit le niveau de technologie utilisé
12:51 par les trafiquants de drogue,
12:53 ils utilisent des drones sous-marins, par exemple,
12:54 qui traversent le détroit de Gibraltar.
12:57 Ça veut dire qu'en fait, il faut faire de la lutte anti-sous-marine
12:59 avec des sonars, des détecteurs.
13:02 Je donne juste cet exemple
13:04 pour mesurer à quel point, en fait,
13:06 aujourd'hui, la police doit s'adapter technologiquement
13:09 au niveau très avancé des trafiquants,
13:12 qui, comme ils brassent énormément d'argent,
13:15 pour eux, c'est rien du tout d'acheter un drone sous-marin.
13:17 - Éric Rebelle. - Oui, c'est ça, le sujet.
13:18 On redémarre la saison comme on l'a terminée.
13:20 Oui, bien sûr, mais ce qui est très inquiétant,
13:22 c'est que la France est devenue un point d'entrée formidable.
13:25 Les trafiquants, les narco-trafiquants,
13:26 considèrent que notre marché n'est pas encore à maturité.
13:28 C'est un point formidable d'entrée dans toute l'Europe.
13:30 Donc ça, c'est un vrai, vrai sujet.
13:32 Et pour compléter ce que disait le commissaire,
13:35 c'est que si on veut taper au portefeuille,
13:37 il y a, au-delà des collaborations inter-État-policière,
13:40 il y a un vrai sujet.
13:41 C'est celle de la liste des paradis fiscaux
13:43 qui s'adonne au recyclage de l'argent sale,
13:46 notamment de la drogue.
13:47 Or, on sait que certains paradis fiscaux,
13:49 un peu partout dans le monde, le font.
13:52 Très bien, donc si les États veulent vraiment
13:54 s'attaquer au commerce international,
13:56 je vous rappelle la déclaration de la procureure de la République
13:59 de Paris, qui avait dit, attention,
14:01 maintenant, les narcotrafiquants vont s'attaquer à l'État,
14:03 aux représentants de l'État,
14:04 un peu ce qui s'est passé aux Pays-Bas.
14:06 - En Belgique. - Ou en Belgique, pardon.
14:08 Donc il y a un vrai sujet.
14:10 Que fait-on sur la liste noire des paradis fiscaux
14:13 avec cet argent qui transite bien par quelques lessiveuses ?
14:16 Ça, c'est un sujet.
14:17 Un dernier mot, commissaire Lebas.
14:19 Ce que vous dites, c'est que les policiers,
14:20 on peut en mettre tant qu'on veut,
14:21 en réalité, on est absolument inondés par la drogue.
14:25 Il y a une forme, encore une fois, vous n'y arriverez pas ?
14:28 Tout seul, en tout cas ?
14:29 Non, mais j'aime pas les discours pessimistes.
14:31 On n'y arrivera pas tout seul.
14:33 C'est pas un sujet de police du quotidien.
14:35 - Il faut, évidemment... - Parce que les habitants
14:37 - en peuvent plus. - Mais voilà.
14:38 Le sujet numéro un, c'est que les habitants,
14:40 le minimum, c'est qu'ils puissent se dire
14:41 qu'ils peuvent aller dans leur quartier
14:42 sans prendre des balles perdues.
14:43 Ça, c'est la présence policière.
14:45 C'est notre organisation interne, police, gendarmerie.
14:47 Ça, c'est un sujet sur lequel il faut qu'on se remette en question.
14:50 Les annonces de renforts de Gérald Darmanin sont logiques.
14:52 Il faut le faire.
14:53 Et puis après, il faut peut-être regarder
14:55 un peu plus finement la cartographie
14:56 pour voir qu'aujourd'hui, une ville moyenne
14:58 qui était autrefois tranquille ne l'est plus
15:00 et ouvrir les yeux sur la réalité.
15:02 Le trafic, là, on parle de Nîmes.
15:03 On n'est même plus, je dirais, dans les arrières
15:05 du trafic de Marseille.
15:06 On a des villes qui sont aujourd'hui complètement gangrénées.
15:08 Donc ça, c'est un sujet.
15:09 Après, le sujet du consommateur, encore une fois,
15:12 c'est pas tant le montant de l'amende
15:13 que la facilité de taper au portefeuille du consommateur.
15:16 Il y a tellement de procès, de procédures pénales lourdes.
15:19 Je vous avais parlé de l'amende forfaitaire délictuelle,
15:21 mais quand vous tombez sur un mineur, déjà, ça s'adapte pas.
15:24 S'il n'a pas sa carte d'identité, ça ne s'adapte pas.
15:26 S'il refuse de signer, ça ne s'adapte pas.
15:27 Il faut donner des moyens simplifiés aux policiers
15:29 pour dégoûter le client.
15:31 La politique là-dessus n'a pas tort.
15:32 Tant qu'il y aura autant de clients, on est le pays européen.
15:35 Éric Revelle disait qu'on n'est pas à maturité.
15:36 On est quand même le pays européen
15:37 où on consomme le plus de drogue.
15:38 Donc qu'est-ce que c'est de ne pas être à maturité
15:40 si on n'est pas encore au niveau maximal ?
15:41 Donc on ne peut pas faire l'économie
15:43 de taper sur le consommateur.
15:45 Quand j'étais chef de districte de Saint-Denis,
15:46 on avait mis des dispositifs pour écoeurer le client.
15:48 Quand le client est écoeuré, il ne vient plus.
15:50 S'il sait qu'il va être saturé...
15:51 - Il va être écoeuré, il va être contrôlé.
15:52 - Il y a trop de flics, il sort du quai de la gare
15:54 avec son morceau de chit, il se fait taper au portefeuille.
15:56 Sauf qu'aujourd'hui, ils ont trouvé la parade, ils livrent.
15:57 Donc de toute façon, les trafiquants ont de l'argent,
16:00 ont de l'ingéniosité, certains sont très astucieux et s'adaptent.
16:03 Donc tout ça, c'est un jeu du chat et de la souris
16:05 qui est extrêmement complexe.
16:06 - Un tout dernier moment.
16:07 - Oui, contrôler les consommateurs, c'est extrêmement difficile.
16:09 Vous n'allez pas faire débarquer chez les consommateurs
16:11 directement, parce qu'aujourd'hui, la drogue se consomme
16:13 dans les appartements, des policiers dans les appartements
16:15 pour contrôler, ça relève de l'imaginaire.
16:17 Donc contrôler les consommateurs, ça me paraît très compliqué.
16:19 - En tout cas, les normaliser quand on les voit.
16:20 - Il faudrait davantage de contrôle, peut-être,
16:22 pour taper sur les consommateurs.
16:24 Après, sur les effectifs de police,
16:26 je ne sais pas si vraiment ça résoudrait le problème,
16:28 tant l'autorité est défiée aujourd'hui
16:30 et que la police n'incarne plus l'autorité.
16:32 Du moins, on le voit d'ailleurs sur d'autres...
16:34 Un autre sujet, mais très rapidement,
16:36 sur les refus d'obtempérer.
16:37 Il y a une multitude de refus d'obtempérer
16:38 parce que, justement, la police, la gendarmerie
16:40 n'incarne plus l'autorité.
16:42 Et donc, pour le trafic de drogue, malheureusement,
16:43 c'est le même souci, c'est que tant que la police
16:45 ne retrouvera pas cette autorité,
16:47 elle ne parviendra pas, je pense, à résoudre ce fléau.