Chocs du monde - Putsch au Niger : une menace pour la France et l'Europe ?

  • l’année dernière
Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", Édouard Chanot reçoit Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, au Congo et au Sénégal, auteur de l'ouvrage "Le Grand Livre de l'Afrique" (éd. Eyrolles, 2022).
Un mois après le coup d’Etat des militaires à Niamey, la situation reste tendue autour du Niger. La Cédéao exige du général Tiani, l’homme fort du putsch, le retour de l’ordre constitutionnel et la libération du président déchu Mohammed Bazoum, jouant encore la carte diplomatique mais menaçant d'intervenir militairement. La région retient son souffle, alors que les militaires de Niamey sont soutenus par ceux au pouvoir au Burkina Faso et au Mali. Les grandes puissances ne sont pas non plus en reste, alors que les Etats-Unis et la France disposent encore de troupes dans le pays. Une présence dénoncée avec virulence par la population locale, qui semble soutenir ses nouvelles autorités, brandissant de surcroît des drapeaux russes. Dans un pays et dans une région en crise, frappés par le terrorisme, tout semble pouvoir basculer. Mais pas seulement, alors que le monde est déjà bouleversé par le conflit ukrainien.

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00:00 [Générique]
00:22 Bonsoir à tous, je suis ravi de vous retrouver ce soir pour la rentrée de Chocs du Monde,
00:26 le magazine des crises et de la prospective internationale de TV Liberté.
00:31 Vous le savez, une crise a éclaté le 28 juillet dernier à Niamey au Niger
00:36 avec le renversement du président Bassoum par l'armée.
00:40 Et depuis près d'un mois, la tension ne semble pas redescendre
00:44 entre les poutchistes et la CDAO, la communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest
00:49 qui veut rétablir le président.
00:51 Alors, nous redécouvrons les crises en Afrique, dans l'ancien empire colonial français,
00:57 dans l'espace francophone actuel, et une crise qui menace pas seulement l'équilibre subsaharien
01:02 alors que le contexte mondial est déjà largement déstabilisé
01:06 en raison de la crise en Ukraine, de la guerre en Ukraine.
01:09 Et c'est donc clairement que la situation au Niger peut impacter celle en France.
01:15 Alors, pour comprendre la situation, nous accueillons Nicolas Norman,
01:18 monsieur l'ambassadeur, bonsoir.
01:21 Bonsoir.
01:22 Et merci d'avoir répondu présent à l'appel de Chocs du Monde.
01:26 Vous êtes ancien ambassadeur de France en Afrique, dans plusieurs États d'Afrique,
01:30 notamment au Mali, au Congo, Brazaville et au Sénégal, le moins que l'on puisse dire.
01:34 C'est que vous connaissez ce continent, sa politique, ses sociétés méconnues en France et en Europe.
01:40 Et vous avez d'ailleurs publié un ouvrage indispensable,
01:43 "Le Grand Livre de l'Afrique" en 2022 aux éditions Erol.
01:46 D'ailleurs, je vais vous citer, "On ne peut plus ignorer l'Afrique", disiez-vous,
01:50 c'est au sud du Sahara que se joue la démographie, la croissance mondiale de demain
01:54 ou bien les drames humanitaires et écologiques de l'avenir.
01:57 C'était l'accroche de votre livre.
01:59 Mais en vous lisant, on a le sentiment que c'est aussi ce qui se joue,
02:02 ce qui se trame, plus particulièrement aujourd'hui, cet été, avec la crise au Niger.
02:07 Monsieur l'ambassadeur, est-ce cela ?
02:10 Oui, la crise actuelle au Niger est symptomatique d'une déstabilisation
02:19 d'une partie de l'Afrique de l'Ouest, la partie Sahel,
02:22 puisqu'il y a eu six coups d'État depuis 2020 dans quatre pays du Sahel
02:30 et qui sont dus à une crise, dont on va parler après, si vous voulez,
02:34 qui est une crise multidimensionnelle.
02:37 Toute l'Afrique n'est pas concernée par cette déstabilisation, heureusement.
02:41 Il y a des parties de l'Afrique qui se portent assez bien,
02:44 il y a des parties de l'Afrique, certains pays, qui sont en crise durable
02:49 depuis pas mal d'années.
02:51 Merci monsieur l'ambassadeur pour ce résumé très condensé,
02:57 qui résume en effet la crise actuelle.
02:59 Pour en revenir au fait, je vous propose un petit tour de l'actualité au Niger
03:04 et dans les pays de la CDAO.
03:06 Un mois après le coup d'État des militaires à Niamey,
03:09 la situation reste tendue autour du Niger.
03:12 La CDAO a refusé le 21 août l'idée d'une transition de trois ans
03:15 proposée par le général Tiani, l'homme fort du putsch,
03:18 les pays d'Afrique de l'Ouest exigeant en effet le retour de l'ordre constitutionnel
03:22 et gardant sur la table l'option de l'intervention militaire.
03:25 La date de celle-ci aurait même déjà été fixée.
03:28 La région retient son souffle alors que les militaires de Niamey
03:31 sont soutenus par ceux au pouvoir au Burkina Faso et au Mali voisin.
03:35 Les grandes puissances ne sont pas non plus en reste
03:37 alors que les États-Unis et la France disposent encore de troupes dans le pays.
03:41 Une présence dénoncée avec virulence par la population locale
03:44 qui soutient ces nouvelles autorités.
03:47 Dans un pays et dans une région en crise frappée par le terrorisme,
03:50 tout semble pouvoir basculer.
03:52 Alors pour l'heure, comme nous l'avons compris,
03:58 la CDAO n'est pas encore intervenue mais conserve sur la table l'option militaire.
04:03 L'Union africaine est assez divisée,
04:06 elle est en désaccord avec l'option militaire.
04:10 Et l'Algérie voisine aussi, d'ailleurs nous venons d'apprendre
04:12 à l'heure où nous enregistrons que l'Algérie vient d'envoyer
04:16 une médiation dans trois pays de la CDAO, au Nigeria, au Bénin et au Ghana.
04:20 Il faut savoir que l'Algérie partage 1000 km de frontière avec le Niger.
04:25 Nous pouvons voir sur cette carte réalisée par Choc du Monde,
04:29 cette carte de la région et de la CDAO,
04:31 que la crise en touche en effet de nombreux pays.
04:35 La CDAO réclame la libération de Mohamed Bazoum.
04:38 Ses troupes sont à la fois déployées et en attente.
04:41 On ne sait d'ailleurs pas trop ce que cela signifie.
04:43 Nicolas Normand, vous êtes diplomate, donc je présuppose un peu votre réponse,
04:47 mais l'intervention militaire de la CDAO est-elle, selon vous,
04:51 excessivement risquée à l'heure actuelle ou tout à fait nécessaire ?
04:55 Alors, l'intervention militaire de la CDAO
05:01 est une option qui a été présentée par la CDAO.
05:06 Ils disent qu'ils sont prêts militairement à intervenir,
05:10 mais qu'ils voudraient quand même privilégier la négociation.
05:15 Donc il y a deux options, une négociation qui se poursuit,
05:18 ou bien une option militaire.
05:21 L'option militaire, elle n'est pas très crédible
05:24 pour des raisons techniques et militaires.
05:27 Parce que soit c'est une opération
05:30 pour libérer le président Bazoum pris en otage,
05:34 et c'est très risqué parce que libérer un otage entouré de militaires,
05:39 c'est une opération que la CDAO n'est pas en mesure d'assurer victorieusement.
05:45 Ou bien c'est une invasion plus classique du pays
05:49 pour faire pression sur les autorités putschistes.
05:53 Et à ce moment-là, c'est également une option risquée
05:57 parce que la population sera poussée en avant par les putschistes
06:02 pour être un bouclier humain au nom de la défense de la patrie.
06:07 Et donc ça risque aussi de ne pas fonctionner.
06:09 Donc l'option militaire, c'est un épouvantable.
06:13 Il semble que beaucoup de gens y croient encore,
06:16 mais personnellement je n'y crois pas beaucoup.
06:20 Donc la CDAO va essayer de poursuivre la négociation.
06:24 C'est ça qui va se produire.
06:26 La négociation, au début il n'y en avait pas du tout.
06:29 La CDAO se voyait dans l'impossibilité de discuter avec le général Tiani, putschiste.
06:38 Mais le général Tiani a fait de petites ouvertures récemment.
06:42 Il a reçu une délégation de la CDAO
06:45 et il a annoncé une toute petite ouverture aussi
06:48 qui était qu'il n'allait pas rester indéfiniment au pouvoir,
06:53 mais qu'il resterait trois ans au pouvoir.
06:56 Donc une transition assez courte.
06:59 Sur le modèle copié sur ce qu'ont dit les putschistes
07:04 avant au Mali et au Burkina Faso.
07:08 Et donc la CDAO va très probablement renoncer à l'option militaire
07:16 en disant qu'ils ont obtenu quelques concessions.
07:21 Probablement que le président Bassoum finira par être libéré
07:25 à condition qu'il parte à l'étranger en exil.
07:28 Et la CDAO présentera ceci comme une concession,
07:33 même si ce n'est pas une vraie concession.
07:37 – Alors vous dites en effet que la CDAO n'a pas les moyens d'intervenir.
07:41 La France a-t-elle le besoin d'intervenir ?
07:44 Certaines rumeurs ont en effet circulé sur le fait qu'une demande
07:47 avait déjà été formulée par certains militaires au Niger
07:50 avant que ceux-ci deviennent à leur tour putschistes.
07:53 La France a été bousculée dans la région du Sud-Sahel, du Mali, du Burkina.
08:00 Faut-il envisager une intervention française
08:02 ou est-ce totalement absurde à l'heure actuelle ?
08:05 – Alors il ne faut pas envisager d'intervention française actuellement.
08:10 C'était possible en second plan sans être vise dans les quelques heures
08:16 qui ont suivi le renversement du président Bassoum
08:19 et à condition que l'armée nigérienne elle-même intervienne avec un soutien français.
08:26 L'armée nigérienne ayant finalement le lendemain du putsch, le 27 juillet,
08:30 elle a rallié les putschistes, elle a soutenu les putschistes
08:34 et donc une intervention militaire française est devenue impossible.
08:38 La France n'est plus le pays qui est le gendarme de l'Afrique.
08:43 Cette période est révolue et c'est une bonne chose.
08:46 Il n'est pas possible à la France d'intervenir dans les affaires intérieures
08:50 des pays africains aujourd'hui.
08:52 Ça serait contre-productif, tout le monde condamnerait son intervention.
08:57 – Totalement contre-productif, vous dites donc que ce serait clairement une ingérence.
09:04 La crise au Niger c'est aussi, semble-t-il,
09:06 mais vous me corrigerez peut-être M. l'ambassadeur,
09:07 un affrontement entre deux modèles, des démocraties plus ou moins occidentalisées
09:12 et des gouvernements militaires au Niger maintenant, au Mali, au Burkina.
09:16 Vous évoquez d'ailleurs le défi des démocraties africaines dans votre ouvrage
09:20 que nous avons évoqué dans l'introduction.
09:23 Avec cette crise au Niger, devons-nous y voir une crise de la démocratie africaine
09:28 ou selon des critiques, des régimes plus ou moins, pardonnez-moi l'expression,
09:32 fantoches, installés par des Occidentaux, en tout cas selon certains critiques ?
09:38 – Alors c'est effectivement une crise de la démocratie.
09:43 Il se trouve que le président Fadloum, au Niger,
09:46 était le meilleur chef d'État dans la région du Sahel
09:51 parce qu'il avait trouvé certaines solutions aux questions sécuritaires.
09:56 Le nombre d'attentats djihadistes avait diminué assez fortement
10:01 et la situation économique était en voie de s'améliorer.
10:05 Cela étant, c'est un pays très pauvre, en situation très difficile, un pays enclavé,
10:13 et la majorité de la population n'a pas d'emploi et est mécontente de sa situation.
10:20 Et donc le président Bassoum, quelles que soient ses qualités,
10:24 qui était réel, c'était un bon président, de l'avis général pratiquement,
10:30 n'a pas la baguette magique pour résoudre tous les problèmes de la population rapidement.
10:36 Et donc une partie de la population, notamment la population urbaine des jeunes,
10:41 la moyenne d'âge de ce pays est de 14 ans, moins de 15 ans.
10:46 Donc une majorité de ces jeunes n'ont pas de perspective d'emploi et d'insertion dans la société.
10:53 Et donc ils sont mécontents de leur sort, de leur situation.
10:56 Et donc ils se rebellent contre le régime, démocratie ou pas, n'est-ce pas ?
11:01 Ils sont pour le changement en tant que tel, ils veulent que ça change.
11:05 Ils pensent qu'il faut essayer les putschistes,
11:11 il faut essayer un nouveau régime chaque fois, le plus rapidement possible,
11:15 chaque nouveau régime promettant d'améliorer leur situation.
11:19 Et donc ces jeunes souhaitent le changement pour le changement
11:23 parce qu'ils espèrent que ça va apporter une amélioration à leur situation.
11:28 – Donc vous évoquez l'état d'esprit de cette population très jeune,
11:34 un grand affrontement semble se jouer,
11:36 et on a l'impression que cette population a déjà choisi son camp,
11:40 un grand affrontement semble se jouer au Niger,
11:42 c'est aussi pour cela que la situation est grave.
11:44 La France et l'Occident s'opposent en Afrique à de nouvelles puissances émergentes,
11:48 la Chine, la Russie, et nous avons bien sûr vu des drapeaux russes
11:52 dans les manifestations, manifestations anti-françaises,
11:55 dont nous reparlerons à Niamey.
11:57 Monsieur l'ambassadeur, comment jugez-vous la posture des concurrents occidentaux au Niger ?
12:03 Faut-il s'inquiéter de leur ingérence éventuelle ?
12:07 – Écoutez, à mon avis, il ne faut pas beaucoup s'inquiéter de cela
12:12 malgré tout ce qu'on raconte,
12:15 parce que la population du Niger, je vous l'ai dit, est en situation de crise.
12:21 Donc elle accuse les autorités,
12:23 quelles que soient les autorités pratiquement,
12:26 et elle accuse les partenaires de ces autorités.
12:29 Les partenaires, ce sont les pays occidentaux, c'est la France.
12:32 Donc la France sert de prémissaire.
12:35 Par conséquent, la Russie exploite cette opportunité
12:39 pour développer une propagande anti-occidentale et anti-française.
12:45 Je dirais que c'est de bonne guerre à la limite,
12:47 puisque nous sommes querelles, en dispute avec la Russie depuis 2014,
12:53 depuis l'annexion de la Crimée,
12:55 puis depuis l'année dernière avec l'agression russe sur l'Ukraine.
13:00 Et donc la Russie cherche un peu à sortir de son relatif isolement diplomatique
13:06 en prétendant qu'elle combat l'Occident
13:10 et qu'elle est dans le camp des victimes de l'Occident
13:16 qui seraient les pays africains.
13:17 Donc c'est une propagande assez grossière,
13:20 mais une partie de la jeunesse qui suit les réseaux sociaux
13:28 est sensible à la propagande russe.
13:31 Maintenant cette propagande russe est temporaire.
13:33 La Russie ne peut pas s'installer dans des pays qui n'ont pas beaucoup de ressources.
13:38 La Russie n'a pas les moyens d'aider ces pays.
13:42 Donc la Russie les utilise, les instrumentalise contre les pays occidentaux.
13:48 Mais ils ne vont pas tomber dans le camp de la Russie.
13:51 La guerre froide d'autrefois est terminée, n'est-ce pas ?
13:55 Simplement ils utilisent les pays dans une propagande anti-occidentale.
14:00 Ils cherchent à créer des nuisances pour les pays occidentaux.
14:04 Mais ils n'apportent rien d'utile et de positif aux pays africains en crise.
14:12 – Vous avez évoqué l'opinion de la jeunesse africaine,
14:15 de la population du Niger,
14:18 qui accuse souvent la France de colonialisme et de pillage des ressources,
14:22 ce qui est une musique lancinante plus largement
14:25 parmi les populations subsahariennes depuis quelques années.
14:28 Selon vous, M. l'Ambassadeur, la France peut-elle encore gagner les cœurs et les esprits
14:33 ou est-elle désormais contrainte à des combats, disons d'arrière-garde sur le continent ?
14:40 – Alors, c'est une question difficile, n'est-ce pas ?
14:44 La France a perdu assez largement les cœurs et les esprits dans de nombreux pays du Sahel.
14:51 Pourquoi ? C'est assez simple à comprendre.
14:53 C'est que ces pays ne sont pas sortis de leur crise économique,
14:57 ils ne se sont pas développés
14:59 et donc ils pensent que l'aide au développement français et européenne est inefficace
15:04 et donc ils doutent un peu de la sincérité des pays européens à vouloir les aider.
15:11 Ils mettent en cause l'aide apportée
15:14 parce que cette aide ne les a pas sortis de leurs difficultés.
15:17 Même chose pour l'aide militaire, n'est-ce pas ?
15:20 Les djihadistes et l'insécurité a augmenté malgré l'aide militaire de Barkhane,
15:28 l'aide militaire occidentale, française en particulier et européenne aussi.
15:33 Et donc ils accusent tous ceux qui les aident d'être coupables de leurs difficultés.
15:40 Alors maintenant, ils vont voir que les Russes n'ont pas de solution non plus.
15:45 Donc dans quelques années, il est probable qu'ils vont se retourner vers la France de nouveau
15:50 parce que la France et l'Europe sont les seuls pays qui peuvent les aider concrètement, n'est-ce pas ?
15:57 Et qui ont le souhait de les aider.
15:59 Et donc je pense que la crise actuelle de désamour ou de sentiments anti-français
16:07 est relativement passagère.
16:09 Mais ça va durer quelques années, je pense, au maximum
16:12 et que d'ici deux ou trois ans, je pense que les gouvernements anti-français actuels au Mali,
16:19 au Burkina Faso et probablement au Niger vont changer de politique étrangère
16:27 et vont chercher de nouveau à se rapprocher de la France et de l'Europe.
16:33 Alors très concrètement, la France a éventuellement des intérêts très prosaïques au Niger.
16:37 Le Niger est riche en uranium.
16:39 C'est Orano qui exploite l'uranium du pays, EDF,
16:44 ayant besoin de 8 000 tonnes d'uranium naturel par an pour ses 18 centrales.
16:49 Bon, 20% a été importé au Niger sur la dernière décennie.
16:53 Et les Nigériens accusent la France concrètement de ne pas en voir la couleur, enfin le résultat.
16:58 Le système actuel, pardonnez-moi une question très à brûle pourpoint,
17:02 est-il comme le disent les habitants, un système d'exploitation qui pénalise les plus pauvres ?
17:08 Ou y a-t-il une voie alternative qui pourrait satisfaire à la fois la France et les populations locales ?
17:16 Alors cette idée de pillage et d'exploitation concernant l'uranium
17:22 exploité par la société Orano, société française, ex Areva, est fausse évidemment.
17:28 Le contrat est correct, l'uranium est payé au prix international en tenant compte des frais d'exploitation.
17:37 Donc il n'y a pas de pillage.
17:38 Au contraire, le Niger a besoin qu'Orano ouvre de nouvelles mines, augmente son activité.
17:46 Et ceci est indépendant de la politique.
17:48 Je pense que même si le gouvernement du Niger devient clairement antifrançais,
17:53 dans les mois qui viennent, n'est-ce pas,
17:56 eh bien ils chercheront à garder Orano parce qu'ils ont besoin d'exporter leur uranium.
18:02 Et ce n'est pas facile de trouver d'autres sociétés prêtes à investir au Niger.
18:08 Le seul risque, ce n'est pas le sentiment antifrançais ou la politique antifrançaise,
18:15 le seul risque pour le Niger, ce sont les djihadistes.
18:20 C'est le fait que le territoire du Niger risque d'être hors contrôle du gouvernement nigérien.
18:26 Et le reste, le territoire du Niger risque d'être contrôlé par des terroristes
18:32 et des mouvements djihadistes affiliés à l'État islamique ou à Al-Qaïda.
18:37 Et à ce moment-là, l'exploitation de l'uranium du Niger sera en péril.
18:41 Personne n'aura envie d'aller exploiter l'uranium du Niger si ce scénario se produit.
18:47 Et ce scénario est malheureusement devenu assez probable.
18:51 Et donc le risque n'est pas de nature diplomatique.
18:55 Le risque est de nature sécuritaire.
19:00 Si les groupes terroristes s'emparent des régions dans lesquelles est exploité l'uranium,
19:05 personne n'exploitera l'uranium et donc le Niger perdra les recettes venant de l'uranium
19:13 et le Niger s'appauvrira.
19:15 Mais la principale ressource du Niger, ce n'est pas maintenant l'uranium,
19:18 c'est le pétrole qui est exploité par la Chine.
19:22 Mais là aussi, ça devrait commencer normalement à l'automne.
19:27 Il y a un oléoduc qui a été construit par la Chine qui va du Niger au Bénin.
19:32 Et cet oléoduc doit entrer en fonction au mois de septembre-octobre.
19:38 Mais si la situation continue de se dégrader, les Chinois vont perdre cet investissement.
19:44 Ils ont investi près de 5 milliards de dollars pour construire cet oléoduc.
19:48 Donc les Chinois seront beaucoup plus menacés que les Français sur le plan économique au Niger.
19:54 Je rappelle que pour l'uranium, le Niger fournit seulement 4% de la production mondiale.
19:59 4%, donc très peu.
20:01 Le principal producteur d'uranium dans le monde, c'est le Kazakhstan,
20:05 avec l'Australie, l'Ouzbékistan, le Canada.
20:08 Et donc la France n'a pas absolument besoin de l'uranium du Niger.
20:13 D'où, si on perd l'uranium du Niger à cause des djihadistes,
20:18 eh bien ce n'est pas une catastrophe pour la France.
20:20 C'est une catastrophe pour le Niger, mais pas pour la France.
20:23 Le regard de la France, justement, semble évoluer vis-à-vis de l'Afrique subsaharienne.
20:31 Nous le disions, la France a perdu sa place dans un certain nombre de pays.
20:36 Mais plus largement, monsieur l'ambassadeur, avons-nous perdu une compréhension de l'Afrique ?
20:42 D'ailleurs, je note qu'au passage, le canard enchaîné, début août,
20:44 a relevé qu'Emmanuel Macron avait taclé Bernard Rémier, le patron de la DGSE,
20:50 en déclarant "après le Mali, le Niger, ça fait beaucoup".
20:53 Y a-t-il un manque aujourd'hui ou des erreurs en France, voire même à l'Élysée ?
20:58 Je ne pense pas qu'il y ait eu des erreurs de la DGSE,
21:04 parce que d'abord, on était prêt à intervenir juste après le coup d'été.
21:08 C'est le président Bassem qui n'a pas voulu d'intervention militaire de l'armée aidée par la France.
21:16 Quant à prévoir le coup d'état, ça ne sert à rien.
21:20 Si on avait prévu, en lisant les pensées du général Tiani quelques jours avant,
21:27 on n'aurait pas pu empêcher le général Tiani de faire son coup d'état.
21:32 Donc on savait que la situation était fragile,
21:35 mais c'est au président du Niger de gérer cette situation.
21:38 Ce n'est pas à la France de gérer de loin une situation dangereuse
21:44 où il y a des risques de coups d'état.
21:47 On ne peut pas empêcher des coups d'état par le renseignement, simplement.
21:51 Alors maintenant, la France n'est pas attachée,
21:58 elle n'a pas d'intérêt très important dans cette région du Sahel.
22:02 On est dans cette région du Sahel pour deux raisons, n'est-ce pas ?
22:07 Empêcher l'extension du terrorisme international.
22:11 Il se trouve que le Sahel a pris un peu le relais du Moyen-Orient
22:15 et est devenu aujourd'hui le foyer principal du développement du terrorisme international.
22:21 Lorsque les pays africains nous demandent une aide,
22:24 c'est normal que la France cherche à aider, à apaiser cette situation sécuritaire,
22:31 parce qu'il peut y avoir des retombées sur l'Europe et sur la France.
22:35 Pour l'instant, il n'y en a pas, il faut le reconnaître.
22:37 Il y a des retombées venant du Moyen-Orient,
22:39 il y a eu du terrorisme en France d'inspiration du Moyen-Orient,
22:43 il n'y en a jamais eu d'inspiration du Sahel.
22:46 Mais en quelques années, si le Sahel devient une zone de trouble très importante
22:52 et si Daesh, l'État islamique, parvient à s'installer véritablement au Sahel,
22:58 il y aura un risque pour l'Europe.
23:00 Donc l'Europe et la France sont intéressées à la stabilité du Sahel.
23:04 Il y a aussi un autre risque, ce sont des flux migratoires, n'est-ce pas ?
23:08 Mais en général, la population du Sahel est trop pauvre pour émigrer.
23:14 Pour émigrer, il faut quand même des ressources.
23:17 Et les gens sont vraiment très pauvres, c'est la région la plus pauvre du monde.
23:21 Et donc le risque migratoire, il est plus pour les États de la région,
23:24 notamment la Côte d'Ivoire, le Sénégal et les Côtiers, que pour la France.
23:31 Mais enfin, il faut quand même aussi éviter une catastrophe humanitaire.
23:35 Voilà, maintenant les risques économiques sont très faibles.
23:38 Les pays de cette région représentent très peu pour l'économie française.
23:44 Les 14 pays francophones ou les 14 pays membres de la zone franc
23:48 font moins de 1% du commerce extérieur de la France, n'est-ce pas ?
23:54 Vous avez évoqué, M. l'Ambassadeur, les pensées du général Tiani.
23:57 Même si nous les avions eues sous la main,
23:59 il leur était impossible, selon vous, d'empêcher le coup d'État.
24:02 Volkow-Turc, le haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme,
24:05 a fustigé un putsch pris sur un coup de tête.
24:08 Je vous demande cela, enfin je parle de cela parce qu'il semblerait que…
24:11 En fait, le Niger concentre l'hémo de l'Afrique,
24:14 alors démographique notamment, vous avez esquissé la question.
24:17 La population du Niger est de 25 millions d'habitants et pourrait atteindre,
24:21 même si c'est un scénario quand même difficile à envisager,
24:24 en raison de flux migratoires, 80 millions de personnes en 2050.
24:29 Les militaires ne semblent pas avoir un projet politique viable.
24:32 Comment pourraient-ils briser le cycle infernal du pays
24:36 et empêcher une contagion régionale que vous venez d'évoquer ?
24:40 Ont-ils les cartes en main, selon vous ?
24:44 Ils n'ont pas les cartes en main.
24:46 Le général Tiani n'a aucune carte en main
24:50 parce qu'il est en train de se couper de tous les partenaires du Niger.
24:54 Le président Bazoum avait des cartes en main.
24:56 C'était un homme très lucide, très énergique et très pragmatique.
25:01 Il avait compris que le Niger ne pouvait pas s'en sortir
25:04 sans une aide très importante de ses partenaires.
25:07 Une aide économique, une aide financière et une aide militaire.
25:13 L'Union européenne, avec un mécanisme qui s'appelle la facilité européenne de paix,
25:20 payait le rééquipement, armes et munitions, de l'armée du Niger.
25:26 L'aide européenne est plus importante que l'aide française dans ces pays africains.
25:31 L'aide française est assez importante, mais moins que l'aide européenne.
25:35 Donc si le Niger se coupe de ses principaux partenaires,
25:39 c'est une catastrophe parce qu'à ce moment-là,
25:43 il y a un apprentissement général, un mécanisme général.
25:47 Les djihadistes vont recruter de plus en plus de jeunes dans les zones rurales
25:51 et les djihadistes gagnent du terrain.
25:54 Ça a déjà commencé, n'est-ce pas ?
25:56 La seule solution, c'était une aide internationale très importante à ce pays très fragile.
26:01 Le général Tiani se coupe de tout cela.
26:04 Mais le général Tiani, le poutchiste, n'a pas de projet politique.
26:09 Il défend un intérêt personnel dans cette affaire, c'est tout à fait clair.
26:13 Et il n'a aucun moyen véritable d'aider son pays à se sortir de ses difficultés.
26:20 Mais ce n'est même pas son projet. Son projet, je vous l'ai dit, c'est un projet personnel.
26:24 C'est un homme qui s'est beaucoup enrichi dans ses fonctions,
26:28 qui tient à garder sa fortune, qui tient à garder ses réseaux.
26:33 Et donc, il a fait un poutch parce que ses intérêts personnels étaient menacés.
26:40 Le président Bazoun commençait à lui demander des comptes.
26:44 Jusqu'à présent, le général Tiani, qui était le chef de la garde présidentielle,
26:48 était payé tous les mois selon ce qu'il demandait.
26:51 C'était le système prévu par le prédécesseur du président Bazoun, le président Issoufou.
26:58 Et le président Bazoun a voulu mettre de l'ordre dans ce système et empêcher la corruption.
27:04 Et en fait, le président Bazoun, en ayant une politique de rigueur,
27:09 a gêné un certain nombre de personnes qui se sont ralliées au poutch, n'est-ce pas ?
27:14 Un certain nombre de militaires profitaient du laxisme du système, d'une certaine corruption.
27:20 Et le président Bazoun a voulu stopper ça et a voulu développer un pays
27:26 avec un certain état de droit et une aide internationale.
27:30 Et ceci dérange un certain nombre d'intérêts privés qui sont derrière les poutchis.
27:36 – Eh bien, un poutch pour des intérêts personnels menacés,
27:39 Nicolas Normand, monsieur l'ambassadeur, ce sera le mot de la fin.
27:42 Merci beaucoup pour vos avis, pour vos opinions, pour ces éclairages.
27:47 Je remercie aussi les téléspectateurs de TV Liberté.
27:50 N'oubliez pas surtout de partager et d'aimer cette vidéo
27:54 et de parler de choc du monde autour de vous,
27:56 le nouveau magazine des crises et de la prospective internationale de TVL.
28:00 Bonne soirée à tous.
28:02 [Générique]

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