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Quelle stratégie pour sortir le Niger du sous-développement ? Faut-il armer les civils face aux jihadistes qui sévissent au Sahel ? Assimi Goïta doit-il se présenter à la présidentielle au Mali ? L’intégralité de l’interview accordée par le président du Niger à Jeune Afrique à retrouver en vidéo.
Plus d'informations à retrouver ici : https://www.jeuneafrique.com/1444605/politique/mohamed-bazoum-armer-les-civils-pour-combattre-les-terroristes-est-une-tragique-erreur/

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Transcription
00:00 "La France est un pays de l'Occident"
00:05 Mauritanie, Mali, Guinée, Burkina, Tchad, Soudan,
00:10 autant de pays de cette vaste zone qui sont dirigés par des militaires.
00:14 Vous ne vous sentez pas un peu seul, un peu fragile face à cette vague kaki ?
00:21 Oui, notre région malheureusement est une région difficile.
00:27 Et les États peuvent être victimes de ces difficultés.
00:33 Ce qu'on observe clairement à travers tout le Sahel,
00:38 c'est que les groupes djihadistes ne semblent pas en débandade.
00:42 Ils encerclent des villes, ils attaquent des camps militaires,
00:45 ils tentent des embuscades meurtrières, on l'a vu, notamment en Burkina.
00:48 Ils montent des opérations parfois avec 500 hommes.
00:51 Comment est-ce que vous expliquez ce fait-là ?
00:54 Ça c'est un des effets du coup d'État, en effet.
00:59 Que l'armée soit affaiblie, les groupes terroristes en ont profité.
01:04 Est-ce qu'ils montent des opérations plus vigoureuses, plus sophistiquées,
01:12 avec plus d'hommes ? Je ne suis même pas sûr, s'agissant de Burkina.
01:18 Dans la région de Menaka, au Mali, l'EIGS s'est beaucoup renforcée.
01:25 Le départ de Barkhane peut expliquer en partie ce phénomène.
01:33 Mais ils se sont surtout ravitaillés en armes sur Yadaghali.
01:40 Sur le Jnim ?
01:42 Sur le Jnim, ils ont engagé cinq batailles majeures que le Jnim a perdues.
01:50 Il a perdu beaucoup d'hommes, comme l'EIGS, au Demeran.
01:55 Mais le Jnim a surtout perdu beaucoup de moyens.
01:59 Est-ce que ces deux mouvements recrutent Mali au Burkina de plus en plus de manière endogène,
02:06 au sein de la communauté, peu, le souvent d'ailleurs ?
02:09 Est-ce que c'est aussi le cas au Niger ?
02:11 C'est majoritairement les jeunes de la communauté peule qui sont dans l'EIGS.
02:16 Même si, du fait de leur victoire sur les mouvements armés du nord du Mali à partir de mars 2022,
02:24 ils ont un peu plus élargi la siète de leur base,
02:30 qui concerne de plus en plus les Touareg noirs aussi, et même des Daoussak.
02:36 Il y en avait un peu plus en nombre qu'il n'y en avait, encore qu'il y a toujours eu des Daoussak au sein de l'EIGS.
02:45 Ils ont été victimes de pillages très importants,
02:51 et l'activité terroriste s'est passablement criminalisée.
02:57 Il y a donc plus de motivation à y aller, un appel clair à partir de mars 2022.
03:06 Mais le terrorisme a à voir avec, je le dis souvent,
03:13 les effets de la désertification, du changement climatique.
03:18 L'activité pastorale n'est plus tout à fait aussi rentable qu'elle était.
03:25 Un jeune peuple qui jusqu'ici était derrière ce vache,
03:30 qui regardait passer des motos auxquelles il ne pouvait jamais aspirer,
03:35 du jour au lendemain, en allant dans ce mouvement-là,
03:40 possède une arme à feu, ce dont il n'avait jamais rêvé, possède une moto,
03:46 et est capable d'aller chez les voisins avec un fusil pour exiger qu'on paie de l'argent et qu'on le lui paie.
03:53 Cela développe un sentiment de fierté, un certain romantisme,
04:00 et là, c'était un des motifs aussi de l'adhésion de jeunes.
04:05 Ces jeunes-là, à l'origine, n'étaient pas des gens qui avaient une éducation religieuse.
04:12 La rhétorique religieuse est au niveau supérieur des chefs arabes, plus quelques lieutenants peuples.
04:21 Mais la base n'a rien à voir avec la religion.
04:26 Ce phénomène que vous décrivez est un phénomène qui existe également au Niger même.
04:33 Oui, les troupes de l'EIGS sont, pour plus de la moitié à mon avis, composées de jeunes du Niger.
04:45 Donc vous posez un très bon diagnostic.
04:48 Face à un ennemi qui vous est commun, M. le Président, vos voisins du Mali et du Burkina
04:53 ont choisi une solution qui est un peu celle du tout militaire, avec au Burkina notamment la levée en masse de volontaires civils, les VDP.
05:02 Est-ce qu'à votre avis, ce type de stratégie, je sais que ce n'est pas la vôtre, mais est-ce que ça peut être fonctionnel ?
05:08 Si c'était fonctionnel, cela aurait été notre option propre.
05:13 Ces terroristes sont plus forts que nos armées, ils sont plus aguerris que nos armées.
05:21 Les civils ne peuvent pas leur faire face.
05:23 Quand vous donnez des armes à des civils, vous êtes exposé à deux types de risques.
05:28 Le risque que ce soit une proie, que les terroristes viseraient délibérément avec des intentions cruelles.
05:39 Vous les exposez et cela devient de la chair à canon.
05:43 L'autre risque, c'est qu'ils ne sont pas militaires et vous n'avez aucune idée de leur moralité individuellement.
05:51 Vous donnez à des civils que vous ne connaissez pratiquement pas des armes et vous les lâchez dans la nature.
05:58 Ils peuvent en abuser. Malheureusement, aujourd'hui, on en voit les résultats.
06:03 Le Burkina est une chose, le Mali en est une autre.
06:07 Vous avez les mêmes adversaires, mais vous n'avez pas les mêmes alliés.
06:11 Les hommes de Wagner sont présents au Mali, ils ont des visées sur le Burkina.
06:16 Ils vous ont un peu dans le collimateur, si je puis dire.
06:19 Il y a même eu des campagnes de désinformation, d'intoxication qui vous ont visé.
06:23 Ils ont un projet, le PRIGOJIN, le projet LACTA, qui est un projet qui s'étend sur plusieurs pays du Sahel.
06:27 Est-ce que c'est une préoccupation pour vous ?
06:30 Oui, c'est une préoccupation, parce qu'à deux reprises, ils ont annoncé des coups d'État.
06:35 Ils essaient d'avoir des chevaux de Troie.
06:38 Nous avons dû arrêter un chef de parti politique que nous allons juger bientôt.
06:44 Nous connaissons les gens qu'ils veulent utiliser.
06:49 Je profite pour dire à ces gens-là que nous les avons à l'œil.
06:54 Vous étiez les plus engagés à vos côtés au Niger, c'est les États-Unis et la France.
06:59 Notamment, à une présence militaire qui s'articule autour de Niamey et au-delà,
07:05 avec la participation à l'opération Al Mahou.
07:08 Est-ce que ce n'est pas parfois perçu comme un risque, aux yeux de l'opinion,
07:13 d'apparaître comme trop dépendant de la France ? Est-ce que l'opinion nigérienne comprend ?
07:18 Les Nigériens qui m'ont élu et qui me font confiance jusqu'à preuve du contraire,
07:24 ils attendent de moi, d'abord, que je leur assure la sécurité.
07:30 C'est la première des choses qu'on me demande.
07:34 Les gens de villages qui sont victimes de terrorisme ne savent pas qu'il y a des Français ici au Niger,
07:40 ou des Américains ou des Russes. Ça peut leur importer de savoir qui c'est.
07:45 Lors de notre dernière interview il y a un an et demi, vous avez conseillé à Simi Goïta de ne pas se représenter, je me souviens.
07:53 Il ne semble pas vraiment vous avoir entendu. Est-ce que ce conseil, vous le lui redonneriez aujourd'hui encore ?
08:00 Oui, bien sûr, je vais le lui donner. C'est son engagement qu'il a pris.
08:05 C'est un officier. Je suis sûr qu'il sait que c'est son honneur.
08:13 Vous avez toujours considéré le Tchad comme un cas à part.
08:17 Est-ce que néanmoins vous formuleriez le même conseil à M'hamad Idris Dibi ?
08:24 Qu'il ne se présente pas. Il nous en avait fait la promesse.
08:29 Il me semble qu'ils ont organisé un forum. Ils ont levé cette mesure.
08:36 Je ne veux pas être plus Tchadien que les Tchadiens.
08:40 On revient rapidement à l'économique et sociale.
08:42 Je me suis livré à un petit comparatif des indicateurs sociaux entre le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad.
08:48 C'est au Niger que le taux de pauvreté est le plus élevé.
08:51 50% de la population gagne moins de 1,9$ par jour.
08:55 C'est au Niger que le PIB par habitant est le plus faible.
08:59 On est à moins de 600$. Et c'est au Niger, vous me parliez tout à l'heure,
09:03 que la croissance de la population est la plus élevée. On est à 3,7% par an.
09:08 De tous ces chiffres-là, il y en a un qui est déterminant.
09:14 C'est le 3,7% de croissance démographique. C'est lui qui explique tout le reste.
09:19 Quels que soient les efforts que nous pouvons mettre en œuvre,
09:23 à la fin, le nombre de personnes pauvres est le plus élevé.
09:29 Il faut s'attaquer à ce chiffre-là de la croissance démographique.
09:34 Par le biais du système éducatif, nous avons un taux de scolarisation qui est faible,
09:39 de l'ordre de 70%. Donc il y a 30% qui ne vont pas à l'école.
09:44 Ce que nous avons constaté, c'est que quand une fille quitte son village
09:48 pour aller dans un autre village fréquenter le collège,
09:51 elle ne dispose pas des commodités qui lui permettent de poursuivre sa scolarité.
09:57 Et le système la rejette. Elle décroche à l'âge de 12-13 ans.
10:03 Et dès qu'elle décroche du système scolaire, elle est donnée en mariage.
10:08 Vous avez 52% des filles dans la région de Zender qui sont mariées avant l'âge de 15 ans.
10:15 70% des filles sont mariées avant l'âge de 18 ans.
10:19 J'ai décidé d'ouvrir des internats dans les collèges ruraux
10:23 pour assurer aux filles les conditions nécessaires pour leur permettre de poursuivre leur scolarité,
10:31 à l'abri du mariage précoce et des accouchements précoces.
10:38 Alors, M. le Président, vous êtes maintenant pratiquement à mi-mandat ?
10:43 Oui, presque en tout cas.
10:45 Vous êtes satisfait de votre bilan ?
10:50 Écoutez, nous de savoir que nous avons un État qui tient et qui soit respecté,
10:58 c'est un motif de satisfaction.
11:01 Le territoire du Niger fait six fois le territoire du Burkina Faso.
11:06 Nous avons Boko Haram et la région de Difa.
11:10 Nous avons les menaces sur notre frontière dans la région de Maradi.
11:14 Le Burkina ou le Mali ne sont ni voisins de la Libye ni voisins du Nigeria.
11:21 Comme quoi, nous avons plus de vulnérabilité.
11:26 Donc, nous avons de motifs réels de considérer que nous nous en sortons pas mal,
11:34 rien que d'assurer la sécurité de notre territoire, d'assurer la pérennité de nos institutions
11:41 et de créer un cadre propice aux investissements.
11:47 Les Nigériens attendaient beaucoup de vous sur la lutte anticorruption aussi.
11:51 Le plus grand facteur de déstabilisation des institutions, c'est la corruption et l'impunité.
11:58 Je suis implacable contre la corruption.
12:03 En ce moment, j'ai au moins 40 hauts cadres de l'administration de notre pays en prison.
12:10 Il n'y en a jamais eu cinq en même temps dans toute l'histoire du Niger.
12:16 Nous avons des directeurs d'entreprises, des directeurs de sociétés d'État qui sont en prison,
12:21 des responsables de banques qui sont en prison,
12:25 de hauts cadres du Trésor, de la douane, des impôts,
12:29 de hauts cadres de l'administration du ministère de l'Éducation nationale.
12:33 Et nous allons tous les traduire en justice.
12:38 Est-ce que vous pensez déjà à moitié de votre premier mandat ?
12:42 Est-ce que vous pensez déjà au second ? 2026, c'est après-demain.
12:46 Il nous faut travailler très fortement.
12:50 Si je choue, personne n'acceptera que je sois candidat.
12:55 Est-ce que vous êtes sûr de ne jamais succomber à l'ivresse du pouvoir vous-même ?
12:59 Non, je suis sûr que non.
13:02 Si je finis mon mandat et qu'il est terminé, il sera terminé, le premier mandat déjà.
13:08 Je vais me présenter dans des conditions où je vais favoriser
13:13 l'expression du suffrage libre du peuple nigérien qui fera son choix,
13:18 quel que soit le candidat.
13:21 Mais vous êtes toujours contre le troisième mandat. De toute façon, on n'y gère qu'un meilleur.
13:25 Ah oui, je suis contre le troisième mandat, en effet.
13:29 Je vous remercie, M. le Président.
13:31 Vous êtes bien.
13:33 [Musique]

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