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La France s'apprête à quitter le Niger, son dernier allié au Sahel : un ultime camouflet pour Paris, déjà chassé du Mali et du Burkina Faso, et une page qui se tourne après une décennie d'intervention militaire antijihadiste dans la région. Décryptage de la situation avec Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements jihadistes et Stéphane Ballong, rédacteur en chef Afrique à France 24.
#France #Niger #militaires

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Transcription
00:00 Au Niger, d'abord, les autorités ne cachent pas leur joie.
00:03 Les poutchistes célèbrent ce qu'ils appellent une nouvelle étape vers la souveraineté de leur pays.
00:08 Allusion à l'annonce hier soir d'Emmanuel Macron, à savoir le retrait des troupes françaises d'ici à la fin de l'année
00:14 et le départ de l'ambassadeur Sylvain Hitté.
00:17 Bonjour Stéphane Ballong.
00:18 Bonjour Roi Simnas.
00:20 On va revenir avec vous sur cette information donnée hier, un peu au détour d'une question, un peu l'air de rien.
00:25 On va commencer avec vous Stéphane. Après deux mois de bras de fer avec la jante du Niger, Macron a-t-il cédé ?
00:32 Il a cédé, mais en même temps c'est un scénario qui était couru d'avance.
00:37 Parce que quand vous voyez les conditions sur place, il était évident qu'on allait en arriver.
00:43 Là, sur place, on a un ambassadeur qui a reclus dans l'ancêtre de l'ambassade avec des difficultés d'approvisionnement,
00:51 de sérieuses difficultés. Il ne peut pas avoir de la nourriture, pas d'eau, pas de carburant pour alimenter ses groupes électrogènes.
00:59 Donc la situation était devenue intenable.
01:02 Et puis quand vous regardez du côté des partenaires de la France, on ne peut pas dire que la France était vraiment soutenue dans sa position.
01:11 Les Américains ont opté pour une autre stratégie.
01:14 La CEDAO que la France dit soutenir se retrouve elle-même dans une impasse.
01:20 Qui menace une intervention militaire.
01:21 Qui menace une intervention militaire.
01:23 Intervention militaire qui est devenue très hypothétique.
01:25 Donc on s'attendait à ce type de décision.
01:29 La question c'était quand est-ce qu'elle allait tomber en réalité.
01:33 Position intenable.
01:35 Oui, intenable parce que la France déjà ne voulait pas agir toute seule.
01:37 Elle aurait pu agir militairement toute seule.
01:39 Mais elle n'a pas voulu agir toute seule pour soutenir le président Bassoum dès les premières heures du coup d'État.
01:45 Pour créer une coalition sur laquelle la France pourrait éventuellement s'appuyer.
01:49 Donc avec à la tête de cette coalition la CEDAO, le président Tsunobu.
01:53 Qui lui était très, on va dire, martial dans ses premières déclarations.
01:58 Mais une fois on a vu que le président Tsunobu n'était plus très partant pour des considérations internes.
02:04 Parce que monter au créneau pour libérer le président Bassoum ça va lui créer des problèmes internes chez lui.
02:11 Et du moment il a compris que si les alliés occidentaux dont les États-Unis et la France
02:16 n'ont pas soutenu même leur premier allié Bassoum, que lui-même peut-être n'allait pas être soutenu.
02:21 Donc les choses se sont délitées à partir de là.
02:25 Après il y a effectivement divergence entre la position américaine et la position française.
02:30 Où les Français ont appris dès le son passé au Mali et au Burkina.
02:34 Qu'en gros ça ne servait à rien de ménager les jantes.
02:37 Parce que finalement ils ont été mis dehors quand même.
02:39 Même avec le capitaine Traoré.
02:41 Jusqu'à la dernière semaine il y avait encore de l'aide militaire qui était activée etc.
02:45 Et la même semaine on avait envoyé un ministre d'État le voir.
02:48 Il a dénoncé les accords de défense la même semaine, appelé les forces spéciales à quitter le pays.
02:52 Donc en gros les Français avaient compris la leçon.
02:54 Sauf que les Américains là font les mêmes erreurs que les Français ont fait au Mali avec le président Goïta.
03:02 Et qu'ils ont fait avec Dhamiba et Traoré au Burkina.
03:04 C'est-à-dire rester coûte que coûte, garder cette fameuse base de drones qui a coûté 100 millions de dollars.
03:09 Dans le cadre de la guerre contre les groupes djihadistes qui finalement n'occupent que les occidentaux aujourd'hui.
03:16 Les pouvoirs locaux sont occupés à se consolider eux-mêmes dans les pays concernés.
03:20 En tout cas Mali, Burkina et Niger.
03:21 Mais sur les Américains, restons peut-être sur les Américains.
03:23 Ils conservent donc 1000 soldats au Niger et ils actent finalement le changement de régime.
03:29 Pour quelle raison ? Pourquoi ils se démarquent autant de la France ?
03:31 Il y a une raison légale de prime abord.
03:33 C'est-à-dire que si les Américains avaient dit que c'était un coup d'état, légalement ils auraient été obligés de partir du Niger.
03:40 Et après avoir investi en 2019 100 millions dans cette base qui ne concerne pas vraiment le Niger,
03:45 mais qui concerne la Libye et qui rayonne sur la région, parce qu'on parle beaucoup de la France.
03:50 Mais l'apport militaire américain était indispensable à l'activité française.
03:53 Et il est aussi important que l'activité française.
03:56 L'Africom, c'est une grosse machine avec des moyens qui dépassent de loin les moyens investis par la France en Afrique.
04:02 Donc ils n'ont pas voulu abandonner cette base-là, encore une fois, dans le cadre de la guerre contre les mouvements djihadistes.
04:09 Ils espèrent en tout cas faire, on va dire politiquement, comme ils ont fait avec l'Égypte.
04:14 On a vu il y a un coup d'état en Égypte, le président Sisi est arrivé au pouvoir, les Américains l'ont ménagé, ils ont gardé leur place.
04:20 Ils espèrent faire la même chose au Niger, sauf qu'on oublie quelque chose, et je vais terminer là-dessus,
04:24 que le jour où les Américains ont annoncé la reprise des opérations au Niger, le 15 septembre,
04:29 c'était le jour où l'agent de ce réunion c'est avec les Russes à Bamako, avec les Burkinabés,
04:33 et l'annonce de l'alliance tripartite sous patronage russe, donc le jour même.
04:38 Donc si ce n'est un message politique, c'était assez clair quand même.
04:42 Sur l'ambassadeur, Stéphane, est-ce que la France aurait pu la jouer un peu plus finement
04:47 et rappeler l'ambassadeur pour consultation au lieu de le faire attendre pendant deux mois ?
04:52 Oui, alors, en diplomatie, de manière générale, qu'est-ce qu'on dit ?
04:57 On dit en général qu'il faut avoir une position de fermeté, mais c'est savoir manier la fermeté et la flexibilité.
05:02 On voit bien que dans le cas de la France, ça n'a pas été le cas.
05:05 On a gardé une position de fermeté du début jusqu'à la fin, y compris au moment où le Niger a tendu la perche.
05:12 Parce que si vous vous souvenez, la sortie du premier ministre nigérien nommé par l'adjointe,
05:18 je crois que c'est en début de ce mois, il a dit des choses.
05:21 Il a dit qu'il y avait des négociations entre militaires pour que la France se retire.
05:27 Il a dit même qu'il voudrait conserver une sorte de coopération avec la France,
05:34 pays avec lequel ils ont eu une grande histoire.
05:37 Ce sont les propos du premier ministre.
05:38 Donc il y avait une fenêtre à ce moment-là qui pouvait être saisie et fléchir un peu la position.
05:46 Et maintenir une sorte de dialogue.
05:48 Une sorte de dialogue et avancer dans cette crise.
05:51 Mais ça n'a pas été le cas.
05:52 Ça a été la fermeté jusqu'au bout.
05:54 Et là on voit bien que c'était compliqué.
05:56 Parce que la France aussi n'a pas voulu abandonner le président Bassoum.
05:58 Oui, c'est ce qu'a dit Emmanuel Macron.
06:00 Il l'a rassuré hier.
06:01 J'ai encore lu le président Bassoum au téléphone.
06:04 En fait, il fallait son aval en quelque sorte pour déclarer tout ça ?
06:08 Non.
06:09 Je pense après, on ne sait pas.
06:11 On n'est pas dans le secret des dieux non plus.
06:12 Mais la France a attendu jusqu'au bout qu'une alliance qui tienne la route puisse se former
06:18 pour sortir le président Bassoum de cette situation.
06:20 Cette alliance ne s'est pas formée.
06:22 Donc, tact, le président Macron a décidé finalement de prendre la décision sage
06:27 de rapatrier l'ambassadeur et d'annoncer le retrait du Niger.
06:31 On va se projeter un peu pour savoir quelle est la stratégie qui se décide maintenant pour la France.
06:36 Où vont aller ces soldats ?
06:38 Est-ce qu'ils vont être rapatriés vers le Tchad ?
06:41 Dernier maillon.
06:43 Plus ou moins faible encore au Sahel.
06:45 On a beaucoup dit que le Niger était le dernier.
06:46 Oui, c'est ça.
06:46 C'est avant-dernier, dernier maillon.
06:48 Je ne sais pas.
06:49 Je ne sais pas.
06:49 Mais en tout cas, l'articulation, on va dire, logistique qui s'est faite entre le Mali et le Niger,
06:54 on va dire, était simple à faire de par la proximité des dernières emprises françaises au Mali
07:00 avec le territoire nigérien et donc la base d'N'Djaména
07:04 et surtout les deux bases opérationnelles d'Aïrou et de Ouallam.
07:08 Il y a 1500 soldats français qui sont au Tchad.
07:10 Donc, Ouallam et Aïrou investis par les forces spéciales françaises,
07:13 il faut le rappeler, à la demande express du président Bassoum.
07:15 Vous savez, moi j'ai eu la discussion de lui poser la question à l'époque,
07:19 où est-ce que vous avez des besoins ?
07:20 Il m'a dit, nous on aimerait bien que ce soit Ouallam et Aïrou et c'est comme ça que ça s'est fait.
07:24 Donc, le lead était vraiment aux Nigériens, sous la présidence du président Bassoum
07:29 et pour la petite histoire, les drapeaux français n'étaient même pas levés
07:33 dans les emprises françaises au Niger, justement pour ne pas refaire les mêmes erreurs
07:37 qu'on a pu faire au Mali.
07:40 Après, pour revenir à votre question, est-ce qu'on va se rabattre au Tchad
07:43 ou est-ce que ça va complètement partir ?
07:45 La logique dirait, ça serait vraiment de partir en tout cas,
07:49 de ne pas laisser une présence aussi ostentatoire en tout cas,
07:53 dans un pays donné, parce que les risques sont quasiment identiques.
07:57 Ce serait la stratégie d'Emmanuel Macron, il l'avait évoqué, le retrait des forces libres d'Afrique.
08:03 Il l'a dit lui-même en début d'année, quand il présentait ce qu'on peut appeler
08:08 "nouvelle stratégie de la France en Afrique".
08:11 À l'époque, il parlait d'un retrait significatif, sinon d'un retrait définitif
08:16 de la présence militaire en France.
08:20 D'ailleurs, je suis étonné que la France n'ait pas saisi cette opportunité avec le Niger,
08:26 si on peut appeler ça opportunité, dès le début de la crise, pour dire
08:29 "voilà ce que nous avions annoncé, voilà ce que nous allons faire".
08:33 Puisque la question se pose maintenant, puisque les nouvelles autorités de fait,
08:36 pour utiliser les mots d'Emmanuel Macron dimanche, demandent que nous partions.
08:41 Eh bien nous avons prévu de partir, de quitter l'Afrique.
08:43 Nous allons le faire, nous allons le faire de manière ordonnée, comme il a dit hier.
08:48 Et la question qui se pose aujourd'hui, c'est-à-dire on le fait dans la contrainte,
08:51 est-ce que le délai qu'on se fixe, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année,
08:56 c'est-à-dire trois mois, est-ce que ce délai est suffisant pour rapatrier les troupes de manière ordonnée ?
09:03 Au Mali, je rappelle que l'opération, le rapatriement de Barkhane,
09:08 on parlait de 5 000 hommes à peu près, si je ne me trompe pas, a pris pratiquement une année.
09:14 Là on est sur 1500 personnes, mais il y a une question logistique qui se pose.
09:18 - Mais il y a beaucoup moins de moyens. Il y a beaucoup moins de moyens lourds en tout cas.
09:21 Il n'y a pas de transport de troupes, il n'y a pas de... voilà, c'est assez restreint.
09:26 Donc d'un côté il y a moins de matériel, il y a moins d'hommes,
09:29 mais d'autre côté la route sera beaucoup plus longue, qu'elle soit une route terrestre ou par voie aérienne.
09:35 - Une dernière question messieurs sur les conséquences de ce retrait pour le Niger.
09:40 Est-ce que le Niger va suivre la voie empruntée par le Mali, par le Burkina Faso,
09:45 c'est-à-dire des jeunes aux pouvoirs impuissants face à des groupes djihadistes ?
09:49 - Bah écoutez, en tout cas on a vu que l'expérience malienne a mené à ce qu'elle a mené,
09:53 donc avec Wagner, avec les groupes djihadistes qui étendent leur rayonnement territorial et leur emprise politique,
09:59 il faut le dire en ce qui concerne Al-Qaïda, et rayonnement militaire pour ce qui est de l'État islamique.
10:05 On a une carte sur laquelle on peut voir ça peut-être.
10:08 Au Burkina c'est pareil parce que la solution tout militaire ne marche pas,
10:12 ça fait que renforcer les recrutements chez les djihadistes et additionner les morts et les exactions vis-à-vis des civils,
10:18 que ça soit des djihadistes, disons-le, ou des forces armées, ou des milices supplétives locales, ou étrangères comme Wagner.
10:24 Donc au Niger on ne sait pas encore comment ça va s'articuler,
10:27 mais le fait du moment où l'apport militaire, en tout cas français, par les airs et par les forces spéciales n'est plus là,
10:33 ça va donner plus de latence aux groupes djihadistes et on l'a vu dès le coup d'État.
10:38 Tous les canaux de discussion avec Al-Qaïda qu'avait entrepris Basoum étaient coupés.
10:42 Donc dès qu'on a vu ça, on a vu Al-Qaïda monter au créneau et faire de plus en plus d'attaques,
10:47 pas dans le cadre, c'est-à-dire en ciblant évidemment les forces de sécurité,
10:50 mais surtout dans le cadre de la guerre avec l'État islamique où chacun veut marquer son territoire,
10:54 comme au Mali, comme au Burkina.
10:56 Et le plus grand risque aujourd'hui c'est qu'un couloir soit ouvert entre le Nigeria et le Niger,
11:01 donc entre le Lakhchad et le Sahel, ce qui a déjà été le cas début 2022.
11:06 Si ça s'ouvre réellement avec un apport humain important vers le Sahel, là ça sera une autre paire de manches.
11:12 Et paradoxalement au Sahel, l'État islamique n'arrive pas à prendre le dessus sur Al-Qaïda
11:16 et de descendre dans les pays du Golfe de Guinée.
11:18 Si cet apport lui arrive depuis le Lakhchad, ça sera une autre paire de manches même pour les pays du Golfe de Guinée.
11:24 Voilà.
11:25 Stéphane peut-être un dernier mot ?
11:26 Je n'aurais pas dit mieux, mais je saisis l'occasion pour rectifier une confusion tout à l'heure dans ma chronique précédente sur les chiffres.
11:33 Ce qu'il faut retenir, c'est qu'au-delà de l'augmentation du nombre d'attaques, on parle du nombre de morts aussi.
11:40 Et le Niger était jusqu'ici le pays préservé qui enregistrait le plus faible nombre de morts sur la zone.
11:50 Donc la question aujourd'hui c'est un chiffre qu'il faut suivre.
11:53 Qu'est-ce que ça va donner dans les semaines, dans les mois ?
11:55 C'est tout à fait vrai, mais à cause de la politique multidimensionnelle du gouvernement Ovazoun.
12:00 C'est-à-dire négocier, démilitariser et recours à la force armée.
12:04 Merci beaucoup.

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