• l’année dernière
Le lauréat du prix du Livre Inter 2021 Hugo Lindenberg publie son second roman : "La Nuit imaginaire” (Flammarion). "Ce prix m’a porté", explique l'écrivain. "Cela m’a donné envie et confiance dans le fait de continuer à écrire. J’étais plus serein dans l’écriture."

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Bonjour Hugo Lindenberg, vous êtes écrivain, vous avez remporté le prix du livre inter
00:04 en 2021 pour votre tout premier roman "Un jour ce sera vide" aux éditions Christian
00:09 Bourgois.
00:10 Et vous voilà de retour en librairie, en cette rentrée littéraire, avec "La nuit
00:14 imaginaire" aux éditions Flammarion.
00:16 Pour résumer en quelques mots, mais on y reviendra, on est dans la tête d'un jeune
00:19 homme d'une vingtaine d'années qui découvre que sa mère morte quand il avait 6 ans s'est
00:23 en réalité suicidé.
00:25 Et le bouquin raconte une double quête, la quête de la vérité sur l'histoire de
00:30 cette mère et en même temps la découverte du désir chez ce jeune homme, désir pour
00:34 les garçons qui vont peupler ces nuits parisiennes.
00:37 C'est donc un récit qui en permanence raconte à la fois le deuil, le chagrin, parallèlement
00:44 à la montée du désir, de la relation intime.
00:46 Vous vouliez entremêler ces deux sentiments qui sont a priori aux antipodes ?
00:51 Oui, exactement. Ce qui m'intéressait c'était ce souvenir que j'avais de la nuit à 20
00:57 ans, pas vraiment comme un moment mais plus comme un territoire, un territoire d'exploration,
01:03 de retrait, dans lequel on pouvait tenter des expériences nouvelles mais aussi prendre
01:09 un temps de retrait par rapport à la vie adulte qui s'annonce.
01:13 Et il y avait cette idée de ce drame de suicide de la mère du narrateur qui s'est suicidée
01:21 une nuit et de ce garçon qui, parce qu'il a dormi pendant cette nuit-là, décide de
01:28 rester éveillé et de multiplier les errances la nuit, comme pour recouvrir cet événement
01:33 mais aussi pouvoir l'approcher d'une autre manière.
01:36 Alors on va y revenir à cette nuit qui est dans le titre, qui est le cadre aussi de ce
01:41 récit.
01:42 Chagrin et désir en même temps, c'est vraiment assumé dans la voix du narrateur quand il
01:47 dit "il n'y a pas loin du chagrin au désir, je voudrais dans les bras de ma mère redevenir
01:51 le temps de l'acérer de toutes mes forces, l'enfant que je n'ai pas été, me consoler
01:54 de mes désirs dans notre étreinte, seul ce mouvement de balancier entre les corps des
01:58 garçons et le corps de ma mère me rendrait supportable l'adulte dont je prends le chemin".
02:03 C'est audacieux comme comparaison, comme jeu entre les sentiments ?
02:06 - C'est que j'ai l'impression que c'est aussi ça, devenir un adulte, il y a cette espèce
02:13 de moment transitionnel, je sais pas, de l'adolescence ou de la post-adolescence, mais où on peut
02:17 sans cesse naviguer de l'un à l'autre, redevenir un enfant, être un peu un adulte.
02:21 C'est ce que va faire par exemple le narrateur aussi avec ses amis, où parfois il a des
02:26 attitudes très enfantine par rapport à eux, puis tout à coup on devient très sérieux
02:29 parce qu'il y a des enjeux qui deviennent des enjeux d'adultes.
02:31 Et cette possibilité de passage de l'un à l'autre m'intéressait beaucoup.
02:36 - Et alors ce désir permanent, je disais, pour tous les garçons qu'il croise, dans
02:39 la rue, dans le train, dans le bus, il y a souvent cette description de cette attirance,
02:45 jusqu'à ce club du marais où le narrateur finit par échouer régulièrement, le hangar,
02:49 on sent qu'il tâtonne presque face à ce qui devient quasiment une obsession dans le récit.
02:54 - Oui mais c'est plus à mon avis une obsession de l'autre, une obsession de la rencontre
02:59 que quelque chose qui est propre au désir ou à la sexualité.
03:02 Le narrateur il est assez seul, en tout cas isolé dans son propre esprit, et ce qu'il
03:07 veut c'est un mouvement vers l'autre.
03:09 Alors ça va être vers les garçons, mais aussi il va aller à la rencontre des anciennes
03:12 amies de sa mère, dont il va découvrir l'existence en trouvant une photo.
03:15 Et ce qu'il veut c'est réussir à ce qu'il se passe quelque chose dans la rencontre
03:21 avec l'autre.
03:22 - Vous parliez de la nuit comme cadre du roman, en effet on le suit, ce jeune homme, dans les
03:27 rues de Paris, dans le marais, à un moment on est pris sur plusieurs pages dans un récit
03:30 assez haletant, une épopée nocturne, un peu poisseuse, une nuit de sexe, d'alcool,
03:35 d'un appartement à un autre, il se plonge vraiment là-dedans, c'est quasiment une
03:39 trance.
03:40 La nuit c'est l'autre personnage du roman ?
03:43 - Oui en tout cas c'est un moment, un espace, un territoire qui m'intéresse beaucoup,
03:49 qui m'a beaucoup intéressé.
03:50 Je trouve qu'il est très difficile de parler parce qu'on y plaque souvent des choses
03:54 très caricaturales, la nuit c'est la fête ou des choses comme ça.
03:57 Or je trouve que moi c'est un espace qui m'a permis d'inventer beaucoup de choses
04:01 et d'expérimenter beaucoup de choses et j'avais envie de rendre quelque chose de
04:05 ça et c'était aussi un espace dans lequel il peut exister au présent, c'est-à-dire
04:08 tout à coup être attentif à ce qu'il a, essayer d'observer les choses sans être
04:11 pris dans le flux des choses de la journée, de ses responsabilités, de l'université,
04:15 la fac en l'occurrence pour lui.
04:16 Et ça, ça m'intéressait beaucoup, de jouer avec ce moment-là.
04:19 - Et il y a parallèlement cette enquête entre guillemets sur sa mère, on ne va pas
04:23 tout raconter mais on devine, quelques bribes d'informations, un passé militant, des voyages
04:28 à l'étranger, ce groupe de femmes dont vous parliez, ses anciennes amies qui le retrouvent.
04:32 Ça demande quand même un effort au lecteur finalement, c'est quasiment au lecteur de
04:36 trouver la réponse sur qui était cette mère.
04:38 - Ah oui, oui, tout à fait, ce qui m'intéresse dans l'écriture, c'est pas tant de donner
04:42 des réponses qu'on se retrouve plongé dans le même état que le narrateur qui cherche
04:46 lui-même des réponses et comment finalement il ne va jamais vraiment en trouver et qu'il
04:50 va falloir se satisfaire de ça.
04:51 On a comme ça tous des fantômes, des histoires sur lesquelles on aimerait bien avoir plus
04:57 de précisions, souvent d'histoires familiales, mais on se rend compte au bout d'un moment
05:00 qu'il n'y aura jamais une réponse absolue, voilà la vérité, c'était ça, mais qu'il
05:04 y aura cette multitude de fictions qui sont portées par les personnes qu'on rencontre
05:08 et il va falloir faire son propre mélange de ça pour se raconter sa propre histoire.
05:11 - Donc le lecteur participe au récit de cette histoire.
05:15 Vous êtes assez dur d'ailleurs avec votre narrateur, ce jeune étudiant, vous n'en
05:18 êtes pas un personnage forcément très sympathique, à un moment il nous dit "tout le monde est
05:22 très préoccupé, je bois trop, je sèche la fac, je ne réponds jamais au téléphone,
05:26 je couche avec n'importe qui, la liste me fait sourire, je n'aurais jamais imaginé
05:29 devenir si cool".
05:31 En plus il est un peu cynique, c'est un peu un anti-héros votre personnage.
05:35 - C'est vrai que moi je n'ai pas beaucoup de sympathie pour les personnages sympathiques
05:39 en général, je préfère les personnages un peu plus complexes, un peu plus rêches
05:44 et puis j'avais souvenir que justement à l'âge qu'il a, dans la vingtaine, on n'est
05:50 pas toujours très tendre avec ses amis ou avec soi-même.
05:52 - Alors dans votre premier livre en 2020, le narrateur était un petit garçon, le temps
05:58 d'un été en Normandie, là on est sur un jeune adulte à une autre étape de sa vie
06:02 avec d'autres découvertes.
06:03 Est-ce qu'il y a volonté d'un continuum comme ça entre ces deux récits qui n'ont
06:07 a priori rien à voir mais avec ces deux étapes différentes ?
06:11 - Oui c'est ça, ces moments de transformation m'intéressent beaucoup, de périodes dont
06:18 on n'a pas forcément conscience sur le coup, ni d'ailleurs forcément après, mais
06:22 où on va changer le temps d'un été, là c'est le temps d'un hiver pour le narrateur
06:27 de La Nuit Imaginaire, et il va y avoir comme ça des petits événements, souvent des rencontres,
06:33 qui vont avoir un effet déterminant sur le reste de sa vie et c'est de revenir sur
06:36 ces minuscules moments de la vie qui vont avoir des effets durables sur la manière
06:45 dont on est.
06:46 - Avec un autre point commun aussi, c'est la figure de la mère, en l'occurrence de
06:49 la mère absente dans les deux histoires.
06:51 - Oui on a tous des motifs je pense qui nous poussent dans l'écriture et pour écrire,
06:58 et souvent j'ai l'impression que le désir d'écrire, ce qui pousse vers l'écriture
07:05 c'est la reprise d'un dialogue avec l'absent, en l'occurrence avec l'absente, et chez
07:09 moi je pense que c'est complètement déterminant dans mon désir d'écrire.
07:13 - Alors c'est de la fiction, mais est-ce qu'on va parfois dans vos récits sur de
07:17 l'auto-fiction ?
07:18 - Auto-fiction c'est pas un mot dans lequel je me reconnais forcément, mais autour de
07:26 motifs qui me sont personnels, d'aller explorer comme ça des choses qui sont de l'intimité,
07:33 de l'intériorité, oui.
07:35 - Vous avez écrit ce livre dans la foulée du premier je crois, en même temps que vous
07:39 receviez les prix, ce n'a pas été compliqué de gérer à la fois l'accueil, la promotion
07:45 du premier livre et de se replonger dans l'écriture de ce deuxième livre ?
07:48 - Je crois pas, c'est des espaces qui sont vraiment très différents, l'espace de la
07:53 vie et l'espace de l'écriture, c'est ce qui d'ailleurs fait toute la force de l'écriture,
07:59 et si ça a eu un effet c'était plutôt de me porter et de me donner envie et confiance
08:06 dans le fait de continuer à écrire.
08:07 - Alors c'était ma question justement, les retombées du prix inter pour vous en 2021,
08:13 ça n'a pas été un paralysant si je puis dire, au contraire ça a été plutôt encourageant.
08:18 - Ah oui tout à fait.
08:19 - Vous en avez, vous vous êtes trouvé plus légitime à écrire de nouveau puisque la
08:26 réception était bonne, comment vous l'avez vécu ?
08:28 - Non je crois pas qu'on doit être légitime ou pas à écrire, on écrit si on a le désir
08:32 de le faire mais en tout cas ça m'a permis de le faire avec un sentiment de… qui était
08:39 par rapport à l'écriture du premier, on a l'impression d'écrire et puis on sait
08:42 pas si on sera lu, on sait pas… bon là j'avais comme ça une idée d'une rencontre
08:48 qui était… j'étais plus serein dans l'écriture peut-être.
08:51 - Merci beaucoup Hugo Lindenberg, La nuit imaginaire c'est disponible aujourd'hui
08:56 en librairie chez Flammarion.
08:58 Merci.

Recommandations