Orthographe : faut-il sanctionner les élèves ?

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##LA_CONFRONTATION-2023-07-11##
Transcript
00:00 Il est 11h04, faute d'orthographe, faute de français, nous en parlons ce matin sur l'antenne de Sud Radio.
00:08 Je fais très attention à ce que je dis, je veux pas se quebondre.
00:11 Elisabeth Alain Moreno est avec nous, secrétaire générale du syndicat de l'éducation UNE-ÇA.
00:16 Bonjour. Bonjour, merci d'être là.
00:18 Xavier-Laurent Salvador, agrégé de Lettres Modernes. Bonjour. Bonjour.
00:23 Merci d'être avec nous. Merci à vous.
00:24 Bernard Fripia, coach en orthographe.
00:27 Il va être content les Québécois de se faire un coach.
00:30 Comment diriez-vous ?
00:32 Formateur, c'est pas mal. Pour les Québécois, il vaut mieux formateur.
00:37 Mais pour nous aussi. Pour nous aussi, pour les Belges aussi.
00:41 Aussi, oui.
00:42 Le langue française.
00:44 Absolument.
00:45 Et puis nous nous passons un petit coup de fil à Aurore Ponsonné qui est linguiste,
00:50 auteure du bled "Les 100 fautes à ne plus faire" que vous connaissez aussi, évidemment.
00:55 Qui sera avec nous par téléphone tout à l'heure.
00:58 Nous allons parler d'orthographe, de faute de français.
01:00 Pourquoi ? Parce que le ministre de l'éducation nationale s'est exprimé dimanche.
01:05 Il veut améliorer l'orthographe des élèves et il va lancer, dit-il, un vaste chantier.
01:11 Nous verrons. Qu'a-t-il dit ?
01:13 À partir d'un certain niveau de langue trop problématique,
01:17 la copie pourrait ne pas dépasser une certaine note.
01:20 Il parle évidemment niveau de langue problématique.
01:23 Il parle de faute d'orthographe et de faute de français.
01:27 Est-ce que vous pensez qu'il faut, à partir d'un niveau de langue trop problématique,
01:36 sanctionner les élèves ?
01:39 Alors, vous commencez. Dites-moi.
01:42 C'est un sujet qui n'est pas nouveau puisque ça fait quand même des années qu'on entend
01:48 "nos élèves sont de moins en moins bons en orthographe".
01:51 - On entend, c'est la réalité.
01:53 - Mais je pense qu'il n'y a aucun enseignant aujourd'hui qui pense ou qui dit le contraire
01:57 sur le fait qu'il y a un nombre de fautes importantes d'orthographe dans les produits des écrits des élèves.
02:04 - Dans les copies ?
02:05 - Tout à fait. Après, on est aussi dans une société où l'écrit et l'orthographe n'ont plus la même place.
02:12 Il faut le prendre en compte. Les exigences aussi du monde professionnel ne sont pas les mêmes.
02:16 Après, c'est quand même regrettable de démarrer, en tout cas d'annoncer un vaste chantier sur un travail
02:23 à faire sur l'orthographe en commençant par le mot "sanction".
02:27 C'est un petit peu ça qui interpelle et qui est dérangeant.
02:30 C'est-à-dire que quand on veut apprendre à un enfant à nager, quel que soit son âge,
02:36 on ne commence pas à vérifier s'il coule et puis à le sanctionner parce qu'il coule.
02:40 Il y a quand même une mise en place d'un dispositif d'accompagnement par rapport à l'orthographe aux élèves à étranger.
02:48 - Vous pensez que ce chantier doit être ouvert ou pas ?
02:50 - C'est une question...
02:51 - Je vous pose franchement la question.
02:52 - Il a déjà été ouvert, puisque sous Jean-Michel Blanquer en 2020, on a eu un plan français-mathématiques qui est en cours.
02:58 - Il a été ouvert, mais sans grande efficacité apparemment.
03:00 - Il est en cours.
03:01 - Nous verrons, oui.
03:02 - Il est en cours. Et puis ce sont des élèves qui ne sont pas encore au bac.
03:06 - Bon, alors je vous pose une autre question. Est-ce que vous pensez que ce chantier doit être ouvert ?
03:12 - Sur l'annonce de notre ministre ?
03:16 - Non, sur l'orthographe et sur les fautes de français. Est-ce que ce chantier doit être ouvert ?
03:21 - Moi je pense qu'il doit surtout être approfondi dans le sens où les enseignants font déjà leur métier d'accompagnement au français à l'orthographe
03:29 et que par contre leur donner davantage le temps et les moyens de le faire, oui, si on appelle ça un chantier qui doit être ouvert, oui.
03:34 - Est-ce qu'il est indispensable, alors je vous pose encore une autre question, est-ce qu'il est indispensable d'améliorer l'orthographe des élèves français ?
03:41 - Bien sûr que c'est indispensable.
03:43 - C'est indispensable ?
03:44 - Mais bien sûr.
03:45 - C'est indispensable ?
03:46 - Évidemment que c'est indispensable.
03:47 - Xavier Laurent Salvador.
03:48 - Absolument. Non seulement c'est indispensable, mais je crois que c'est un chantier qui doit évidemment être ouvert.
03:52 Je pense qu'effectivement la majorité de nos collègues est évidemment sur cette ligne-là.
03:56 Je crois que finalement ce que j'entends de ce que vous dites, c'est que finalement, un vrai problème ici, c'est la caporalisation de l'éducation nationale.
04:03 Ça fait bien 30 ans aujourd'hui qu'on a stérilisé les enseignements de langue et d'orthographe dans l'éducation nationale,
04:09 sans tenir compte de ce que disaient les enseignants dans les classes,
04:12 et aujourd'hui voilà un ministre qui nous dit comment noter, comment sanctionner, et quoi enseigner.
04:20 Moi j'ai un peu l'impression aujourd'hui, si vous voulez, que d'un ministre qui devrait être au service, étymologiquement, de son administration,
04:27 on en arrive à quelque chose qu'on avait déjà observé au moment de la modification du Conseil des Sages de la Réalité,
04:31 à une espèce de reprise en main ou de recaporalisation qui ne sert à rien.
04:35 - Oui, d'accord, je suis bien d'accord. Mais aujourd'hui, la réalité des faits, dans les copies, lorsque vous êtes examinateur d'une copie de Bac,
04:43 que vous voyez une copie truffée de faute d'orthographe, vous baissez la note ?
04:47 - Moi j'ai été, bien sûr.
04:49 - Vous baissez la note ? Est-ce que les enseignants, correcteurs, baissent la note ?
04:55 - Moi j'enseigne à l'université, j'ai la chance de pouvoir intégrer dans mes évaluations la prise en compte de la qualité de la copie.
05:01 J'ai été formateur...
05:03 - Donc vous baissez la note sur certaines copies ?
05:05 - Bien sûr, et j'attends pas l'ordre d'un ministre.
05:07 - Est-ce qu'il faut le faire au Bac ?
05:09 - Ça me semble évident, non ?
05:10 - C'est une sanction !
05:11 - C'est une sanction, c'est une évaluation, c'est une évaluation.
05:14 - C'est une sanction, pardon ?
05:16 - On est bien d'accord.
05:17 - Bon, alors vous reprochez au ministre ce que vous faites ?
05:20 - Absolument pas. Je reproche au ministre d'aboutir en fin de chaîne...
05:24 - Il faut comprendre.
05:25 - ... d'aboutir à la fin d'un processus, une espèce de reprise en main,
05:29 alors qu'en réalité, je pense que bien beaucoup de nos collègues seraient déjà sur cette ligne-là si on les avait laissés faire depuis 30 ans.
05:35 - Mais oui, c'est ce qu'on appelle une mise en situation de l'incompétence.
05:38 - Vous contestez une réalité. Bernard Fripia, est-ce qu'il est important de sanctionner...
05:43 - Ben...
05:44 - Vous contestez une réalité, puisque vous baissez les notes.
05:47 - Mais moi...
05:48 - C'est une sanction, vous sanctionnez les élèves.
05:50 - J'ai été au jury du CAPES, en grammaire.
05:53 - Ouais.
05:54 - J'ai mis zéro à un étudiant.
05:55 - Et pourquoi ?
05:56 - Parce qu'en grammaire, à l'oral, le candidat confondait verbe, adjectif, nom...
06:01 - Ah, c'est embêtant.
06:02 - Le type est dans une confusion incroyable. Il a été recruté.
06:04 - Ouais. Mais vous avez mis zéro quand même.
06:06 - Ah, moi j'ai fait le rapport.
06:07 - Vous avez sanctionné, vous.
06:08 - Bien sûr, je suis pas dingue.
06:09 - Bon d'accord, il a été recruté parce qu'on manque de personnel, mais ça c'est autre chose.
06:12 Oui, mais vous avez sanctionné.
06:14 Comprenez ce que je veux dire, c'est vous contestez la sanction, mais vous sanctionnez.
06:17 - Ah non, je la conteste pas.
06:18 - Ah bon, vous ne la contestez pas. Vous la contestez.
06:21 - C'est surtout parce que l'annonce, elle démarre par la sanction,
06:24 et qu'on peut sanctionner quand en amont, on a mis en place un dispositif d'accompagnement
06:30 à la fois des élèves et des personnels, parce que là, aujourd'hui, les personnels, collèges et lycées,
06:34 n'ont pas la consigne de sanctionner l'orthographe quand on évalue de l'histoire géographique,
06:38 quand on évalue une autre discipline.
06:40 - Mais ils le font.
06:41 - Non, ils le... ça n'est pas...
06:42 - Certains le font, d'autres non.
06:43 - Oui, mais la consigne, ça n'est pas de faire porter l'évaluation et de sanctionner par rapport à l'orthographe.
06:48 Par contre, si on change la règle, parce qu'on considère qu'on doit absolument
06:53 refamiliariser nos élèves avec l'orthographe, parce que c'est une exigence importante,
06:58 non seulement pour mettre du sens, aussi, parce que l'orthographe, elle fait sens,
07:01 ça veut dire qu'on a averti à la fois personnel et à la fois élève,
07:05 et que tout le monde se met dans cette disposition-là.
07:07 Ça change beaucoup la sanction.
07:09 - En fait, Papendia, en fond, c'est une porte ouverte, si j'ai bien compris.
07:12 Bon, Bernard Fulpia.
07:14 - Déjà, c'est marrant, parce que donc, on peut avoir zéro au CAPES et être engagé quand même.
07:21 On va peut-être supprimer le CAPES, parce qu'on ne peut pas faire moins.
07:24 On ne sait pas comment on fait pour le rater.
07:26 Non, mais moi, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi...
07:29 Que le ministre dise ça, pourquoi pas...
07:31 - Je ne vois pas pourquoi ça fait débat, d'ailleurs.
07:34 - Ce n'est même pas ça, mais c'est pas...
07:36 - On fait débat, on organise débat, mais franchement...
07:38 - À la limite, qu'on dise aux profs de français d'essayer d'améliorer,
07:42 la manière de le faire, c'est aux profs de décider.
07:46 C'est quand même un peu un gag.
07:48 On dit aux profs, voilà, vous devez sanctionner dans les normes.
07:51 Mais ça dépend.
07:52 Alors, au niveau du BACS national, je ne sais pas.
07:55 Mais vous êtes devant une classe, et bien ça dépend.
07:58 Il y a des élèves, si vous les sanctionnez sur l'orthographe,
08:01 vous savez que ça va les motiver, donc à la limite, vous le faites.
08:04 Vous avez un autre élève, vous savez que ça va plutôt l'angoisser,
08:07 le déstabiliser, qu'il faut utiliser une autre méthode.
08:09 C'est aux profs, c'est le type qui est devant sa classe qui doit décider.
08:14 - Oui, mais une copie, une copie c'est anonyme.
08:17 Lorsqu'il y a un correcteur, le correcteur a devant lui des copies anonymes.
08:20 - Mais une copie... Oui, mais là, alors ça dépend de la matière.
08:24 Je suis désolé, si c'est un examen d'histoire ou de géographie,
08:28 l'orthographe ne doit pas jouer.
08:30 - Ah bon ? Si, si ? Et pourquoi ?
08:32 - Parce qu'une copie d'histoire juge votre niveau en histoire.
08:35 - Ah ben c'est trop facile.
08:37 - Mais non, attendez, imaginez, en mathématiques,
08:40 vous faites des fautes d'orthographe, on vous retire.
08:42 Alors, si on vous retire un demi-point, tout le monde s'en foutra.
08:45 Donc pour que ça marque, il faut retirer 2-3 points.
08:47 Mais, alors ça veut dire que votre niveau en mathématiques a baissé.
08:51 Imaginez qu'on décide que les copies de maths où il y a des fautes d'orthographe,
08:56 qu'on retire 3 points.
08:57 Et ben dans 2 ans, vous ferez une émission,
08:59 comme quoi le niveau en mathématiques des étudiants a vachement baissé.
09:03 Mais non, une copie de maths, ça juge les maths.
09:06 Que vous mettiez zéro à un type qui parle en grammaire, c'est...
09:09 - En histoire géographique, il faut quand même écrire français.
09:12 - Non mais attendez...
09:13 - Il faut essayer de ne pas faire de fautes d'orthographe.
09:15 - Ah ouais, mais il y a deux choses.
09:16 Il y a être compris et l'orthographe. C'est différent.
09:19 C'est-à-dire, si vous faites des phrases...
09:21 - Mais vous, qui êtes un défenseur de l'orthographe,
09:22 je ne pensais pas que vous étiez sur cette liberté-là.
09:26 - Oui, mais il faut améliorer l'orthographe.
09:29 Mais ce n'est pas en sanctionnant...
09:30 Enfin, ce n'est pas dans une copie qui ne traite pas du français.
09:33 En français, oui, mais pas en histoire.
09:36 - Xavier Laurent Salvador ?
09:37 - Oui, je pense qu'on se trompe sur ce que c'est que l'orthographe.
09:39 L'orthographe, c'est une civilité.
09:41 Quand un étudiant me rend une copie, pardon,
09:44 mais moi, il pénètre mon esprit pendant au moins 20, 20, 20, 25 minutes.
09:48 Et moi, j'exige d'un étudiant, quelle que soit la discipline dans laquelle il rédige,
09:52 qu'il pénètre mon esprit avec un minimum de respect
09:56 et un minimum de propreté intellectuelle.
09:58 Il veut que je m'intéresse à lui,
10:00 c'est à lui de se présenter pour que je m'intéresse à lui.
10:02 Et l'orthographe, c'est avant tout le témoignage de cette civilité-là,
10:05 que ce soit en histoire, évidemment, ou en mathématiques.
10:08 Et lorsque nous formons nos étudiants à l'université,
10:10 on espère qu'ils sortent de l'université avec ce corset mental qui leur impose
10:14 de bien rentrer dans l'esprit de leur école.
10:16 - Est-ce qu'il y a dans l'orthographe une notion d'effort, de travail,
10:19 de mérite, d'exigence ?
10:21 D'exigence !
10:22 J'oublie le mérite, le travail,
10:24 parce que c'est connoté dès qu'on parle de mérite et de travail.
10:26 Je parle d'exigence.
10:28 - Non mais la personne qui fait une faute d'orthographe,
10:30 c'est parce qu'elle est ignorante.
10:32 Il y a l'action de Gilles et la manière dont vous la réceptionnez.
10:36 Vous, à la limite, moi normalement je ne fais pas de fautes, ou très peu.
10:40 Mais si je vous envoie un texte où il y a plein de fautes,
10:43 c'est clair que soit je vais vous faire balter, ce qui est possible,
10:46 soit éventuellement...
10:47 - Vous vous moquez de lui !
10:48 - Voilà !
10:49 - Vous vous moquez de Xavier-Laurent Salvador !
10:51 - Ou je le taquine !
10:52 - C'est pas possible !
10:53 - Non mais c'est pour rigoler !
10:54 - On en est là, on en est là ce matin !
10:55 - Ou je le taquine !
10:56 Mais un étudiant qui fait des fautes, c'est parce qu'il ignore,
10:59 il ne veut pas vous vexer.
11:01 Simplement, il ignore l'orthographe.
11:03 - Quand on voit qu'il ignore l'orthographe, c'est ennuyeux !
11:06 - Et alors dans ce cas-là, on met des cours d'orthographe à l'université !
11:09 - Mais on l'a fait !
11:10 - Et là, on sanctionne avec un examen, etc.
11:13 Mais c'est un examen particulier !
11:15 - Est-ce que vous vous rendez compte qu'on a même créé l'idée à l'université
11:17 d'instaurer une année zéro pour faire de la remédiation en lettres pour les étudiants ?
11:21 Moi, j'ai été l'auteur d'un plan qualité licence dans mon université
11:24 pour valoriser les compétences orthographiques de nos étudiants
11:27 pour rattraper le niveau à la sortie des collèges et des lycées.
11:30 D'accord, mais vous comprendrez bien que dans cette logique-là,
11:32 on a le résultat de ce qu'on a vu peut-être depuis 20 ans,
11:35 c'est-à-dire une mise en situation d'incompétence des enseignants de lettres
11:39 dans les classes de collèges et lycées, où on leur a dit
11:41 "Vous devez valoriser le fond parce qu'en dissertation,
11:44 on parle du fond et pas de l'orthographe.
11:46 En histoire, on parle du fond et pas de l'orthographe."
11:48 Résultat, tout ça est devenu une part congrue
11:50 qui a totalement disparu des enseignements.
11:52 Et voilà, 25 ans après, un ministre qui n'a peut-être pas forcément compris
11:55 tout ce qui se passait arrive en disant
11:57 "Vous auriez peut-être dû rehausser le niveau de l'orthographe
11:59 maintenant qu'on se rend compte que c'est un problème."
12:01 Il y a de quoi faire rager.
12:03 - Bon, alors, il est 11h16.
12:05 Je vais vous donner la parole, c'est promis,
12:06 parce que le débat est bien lancé.
12:08 Il est 11h16, merci.
12:10 Je suis obligé d'observer une petite pause publicitaire.
12:14 Et dans deux minutes, nous nous retrouvons.
12:16 Il est 11h19.
12:18 Allez, le débat est bien lancé
12:20 à propos de l'orthographe et du français.
12:24 Des fautes de français, parce qu'il n'y a pas que l'orthographe.
12:26 Il y a les mauvais accords,
12:28 il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'autres faiblesses
12:32 dans les copies, je dirais faiblesse,
12:35 dans les copies de nos étudiants,
12:37 ou de nos lycéens.
12:39 Elisabeth Alain Moreno,
12:41 vous avez entendu la petite passe d'armes
12:44 entre Bernard Fripia et Xavier-Laurent Salvador.
12:47 Qu'en pensez-vous ?
12:49 Moi je pense qu'il faut distinguer les différents types de fautes faites par les élèves.
12:52 Il y a effectivement des élèves,
12:54 quand on leur dit "là on va t'enlever des points",
12:57 on voit que la vigilance, l'effort est différent.
13:00 Parce que ce sont des élèves qui, depuis toujours,
13:02 ont côtoyé l'écrit, ont côtoyé la lecture,
13:05 et baissent un petit peu la garde, je vais dire,
13:09 quand ils sont évalués sur autre chose.
13:11 Et se remettent à faire attention.
13:13 Tout à fait. Par contre, et c'est pas forcément la majorité,
13:15 mais il y a un grand nombre d'élèves qui ne côtoient l'orthographe qu'à l'école.
13:18 Et donc, si on ne donne pas les moyens à l'école,
13:21 le temps possible, à travers aussi la formation des enseignants,
13:25 de pouvoir travailler l'orthographe,
13:27 parce que je suis d'accord, les enseignants connaissent les méthodes,
13:30 après ils veulent du temps pour aussi échanger,
13:32 parce qu'il y a des méthodes, il faut aussi dédramatiser des fois l'orthographe,
13:35 il faut aussi un petit peu décomplexer,
13:37 il y a des sous-formes de jeux,
13:39 il y a des choses qui sont vraiment très sympathiques à faire
13:42 avec les élèves dès le plus jeune âge,
13:44 mais par contre, ça nécessite du temps,
13:46 ça nécessite aussi d'avoir des petits groupes,
13:48 et on en revient toujours à la même chose,
13:50 c'est-à-dire qu'une annonce, pour faire le buzz,
13:53 sur un sujet qui n'est pas petit et qui a de l'importance,
13:56 ça balaie toute la mise en œuvre derrière qu'il y a.
14:00 Parce que je voudrais revenir aussi sur un autre point,
14:02 c'est, vous y avez fait référence, monsieur Bourdin,
14:06 sur la confidentialité des copies, sur l'anonymat.
14:09 Comment fait-on pour des élèves qui ont des handicaps,
14:14 des élèves à besoin d'éducatif particulier,
14:16 qui ont de la dysorthographie,
14:19 comment on fait au bac ?
14:21 Aujourd'hui, il n'était pas sanctionné justement
14:23 parce qu'il n'y avait pas cette...
14:25 il va falloir le prendre en compte, et quid de l'anonymat ?
14:27 C'est-à-dire qu'il y a des solutions,
14:29 il y a des choses à discuter, mais en tout cas,
14:31 de nouveau, balancer une annonce comme ça,
14:34 sans derrière la mise en œuvre ou la prise en compte réellement
14:37 du métier et de l'élève, ça questionne.
14:40 - Je comprends Elisabeth Alain-Moreno,
14:41 mais aujourd'hui, la copie est anonyme,
14:44 et il y a des correcteurs qui enlèvent des points
14:46 quand il y a trop de fautes d'orthographe dans une copie ?
14:48 - Ce n'est pas la consigne qui est donnée
14:50 quand on corrige un baccalauréat.
14:52 - Ce n'est pas la consigne qui est donnée
14:53 par l'éducation nationale, par l'inspection ?
14:56 - Bien sûr que non, je crois que depuis des années, l'inspection...
14:58 - Mais est-ce que des correcteurs le font ?
15:00 - C'est une question de chance.
15:01 - Est-ce que des correcteurs le font ?
15:02 Donc c'est une question de chance.
15:03 - Ça dépend du correcteur de la copie.
15:05 - Est-ce qu'il y a une équité parfaite
15:06 dans la correction de Macron ?
15:07 - Non, mais il n'y aura jamais une équité.
15:09 - Voilà, c'est ça, la régression c'est aussi celle-ci.
15:11 - C'est ridicule.
15:12 Alors, j'ai vu quand même que, évidemment,
15:14 le monde politique s'est emparé tout de suite
15:17 de cette déclaration.
15:18 J'ai vu que, par exemple, il y avait des députés
15:21 et des filles qui parlent de répression.
15:23 Là, c'est un peu...
15:25 L'orthographe a un privilège bourgeois blanc.
15:28 (rires)
15:29 - Pourquoi vous rigolez ?
15:30 C'est vrai, j'ai entendu ça.
15:31 - Oui, bien sûr, mais on l'avait dit.
15:32 - C'est un privilège bourgeois et blanc, l'orthographe ?
15:35 - On l'avait dénoncé dans l'observatoire
15:37 du décolonialisme dès le début.
15:38 Il y a un aphorisme qui s'est mis en place
15:40 depuis quelques années qui consiste à dire que
15:41 coloniser c'est mal,
15:43 mais éduquer c'est coloniser les esprits,
15:45 donc éduquer c'est mal.
15:47 Et on arrive aujourd'hui au bout de cette logique,
15:50 cette espèce de roue à cliquets
15:51 qui est en train de s'installer
15:52 et qui est en train d'exercer une pression folle
15:55 sur des gens qui sont justement les garants de l'orthographe
15:57 et qui sont les garants de cette civilité
16:00 que représente l'orthographe.
16:01 Et là c'est le médiéviste qui parle
16:03 pour en arriver à dire qu'effectivement,
16:05 aujourd'hui, toute forme d'exigence
16:07 dans la relation à autrui, c'est une civilité.
16:10 - C'est une oppression.
16:11 L'exigence devient une oppression.
16:13 - Devient une oppression à dénoncer.
16:14 - Ça n'a rien à voir avec la couleur de la peau,
16:16 c'est n'importe quoi ce truc-là.
16:17 Là, moi j'ai fait une web-série...
16:19 - Oui, mais c'est défendu par des députés LFI, pardon.
16:23 Clémence Guettet et Alma Dufour.
16:25 - J'ai fait une web-série,
16:27 croyez-moi, elle est regardée au Sénégal
16:29 et dans les pays de l'Afrique francophone,
16:31 et à mon avis, ils ne sont pas blancs.
16:33 Enfin, je veux dire, c'est n'importe quoi,
16:35 ça n'a rien à voir.
16:36 Quel est le rapport entre l'orthographe
16:38 et la couleur de la peau ?
16:40 On est dans le surréalisme.
16:41 - Non, mais ces gens-là vous répondront
16:42 que la race est une race mentale.
16:44 Là-dessus, on a toute une littérature
16:45 qui a été développée par beaucoup de gens
16:46 qui vous diront que la blanchité n'est évidemment
16:48 pas un critère dynamique, mais un critère mental.
16:50 Et donc à partir de là, vous avez toutes les dérives
16:52 auxquelles on assiste depuis des années
16:53 qui consistent à dire que si on est au Sénégal,
16:55 qu'on n'est pas blanc de peau,
16:56 mais qu'on s'intéresse à l'orthographe,
16:57 c'est que finalement, au fond de soi,
16:58 on est un blanc, etc.
17:00 - Mais il ne faut pas apprécier si vous leur dites ça.
17:02 - Mais c'est ce qui est dit par les coloniaux.
17:04 - On trouve des cocos qui disent des bêtises
17:06 et puis on reprend les bêtises.
17:08 - On a intérêt à donner toutes les chances
17:12 à nos élèves de réussir à l'orthographe.
17:15 Déjà, c'est assurer l'égalité des droits.
17:17 - Vous défendez cette exigence.
17:20 - Mais bien sûr, et je vais vous dire pourquoi.
17:22 - Pourquoi ?
17:23 - J'ai parlé tout à l'heure de dysorthographie
17:25 et de handicap réel par certaines déficiences des élèves.
17:29 Mais pour tous les élèves sans exception,
17:32 avoir des grosses difficultés en orthographe,
17:34 c'est un handicap social aujourd'hui.
17:36 Quand je dis l'orthographe fait sens,
17:38 quand à un moment, on ne comprend pas ce qu'on lit
17:41 parce qu'il y a aussi écrire,
17:42 mais il y a aussi la lecture.
17:44 Et quand on ne met pas de sens
17:46 parce que l'orthographe, on ne la maîtrise pas,
17:48 ça veut dire qu'on n'accède pas au sens de ce qu'on lit
17:50 et c'est une discrimination entre nos élèves
17:54 qui s'impose et donc il y a des élèves
17:56 qui n'ont pas accès à tout.
17:58 Et ça, c'est une inégalité de droit.
18:01 - Vous, je ne sais pas si vous êtes à droite ou à gauche,
18:04 là vous êtes à gauche, vous êtes l'une ça.
18:06 - Je suis à gauche, je confirme.
18:08 - Bon, vous êtes à gauche, vous comprenez ces remarques de gauche
18:11 venues de la gauche sur l'orthographe
18:13 qui seraient une oppression, une répression ?
18:19 - Je pense que c'est une réponse buzz,
18:21 une annonce buzz, tout simplement.
18:23 Après, je ne partage pas, je ne partage absolument pas
18:26 pour les raisons que je viens de vous donner.
18:28 C'est-à-dire que l'exigence en orthographe,
18:31 elle est nécessaire pour l'intérêt de chacun des élèves
18:35 et futurs citoyens de la société.
18:37 Par contre, l'exigence, elle doit être accompagnée
18:41 dès le plus jeune âge.
18:42 - Bien, il est 11h26, petite pause, et nous poursuivons.
18:46 - Bien, il est 11h29, nous poursuivons,
18:48 nous parlons d'orthographe, nous parlons de syntaxe,
18:51 de grammaire, sur l'antenne de Sud Radio,
18:56 et se joint à nous Aurore Ponsonnet,
18:59 qui est linguiste, auteure du "Bled",
19:00 les sans faute à ne plus faire.
19:02 Aurore Ponsonnet, bonjour.
19:03 - Bonjour.
19:04 - Merci d'être avec nous.
19:05 Alors, exigence, l'orthographe doit être une exigence ?
19:10 - Oui, et alors il faut distinguer aussi
19:12 l'orthographe grammaticale et l'orthographe lexicale.
19:16 L'orthographe grammaticale est importante
19:18 parce qu'elle permet d'apporter des nuances,
19:20 et moi je suis pour un apprentissage de la grammaire
19:23 tout au long de la scolarité,
19:25 parce qu'on a tendance à faire de la grammaire en primaire,
19:27 un peu au collège, et la grammaire essentielle à l'orthographe.
19:32 Et donc pour cette orthographe grammaticale,
19:34 il faut revoir les termes essentiels,
19:36 se remettre à niveau chaque année.
19:38 Moi, je serais pour une formation des enseignants
19:40 et des élèves à cette grammaire
19:42 qui va leur servir de repère,
19:44 qui va être un outil pour la vie.
19:46 Et on peut s'améliorer à tout âge en orthographe,
19:49 en revoyant tout ça tous les ans.
19:51 Moi, je serais pour qu'on fasse ça tous les ans.
19:53 - Oui, mais, Aurore Ponsonnet,
19:57 quelle est l'importance de l'orthographe aujourd'hui
20:01 dans notre monde, alors que nous disposons
20:04 de correcteurs automatiques,
20:06 et alors que les jeunes sont sur leur smartphone
20:11 et évidemment, s'envoient des messages
20:14 sans faire attention à l'orthographe ?
20:17 - Alors, l'orthographe pose problème à beaucoup de gens,
20:20 et pas seulement aux jeunes,
20:22 mais moi je sors des adultes, depuis des années,
20:25 je suis formatrice pour adultes,
20:27 et à tout âge, ils se posent des questions,
20:29 ils veulent revoir les bases,
20:31 et on améliore son orthographe à tous les âges.
20:34 Donc, il n'y a pas que les jeunes qui utilisent,
20:36 qui écrivent beaucoup sur les réseaux sociaux.
20:38 - C'est vrai.
20:39 - Ce que je dis souvent, c'est que l'ennemi de l'orthographe,
20:41 c'est la vitesse.
20:42 Donc, c'est le fait d'écrire très très vite,
20:44 de vouloir répondre très vite,
20:46 d'avoir 150 courriels à écrire dans une journée,
20:48 c'est ça qui fait qu'on peut moins se relire,
20:51 moins faire attention,
20:53 et il y a plein de choses à faire autour de l'orthographe
20:57 et de la remise à niveau,
20:59 qui peut-être a été un peu mis de côté,
21:02 parce que, je ne sais pas si vous le savez,
21:04 mais on a perdu 800 heures d'enseignement
21:07 consacrées à l'orthographe et à la grammaire
21:09 tout au long de la scolarité.
21:11 En quelques décennies, on a perdu ces 800 heures
21:13 parce qu'on fait d'autres matières,
21:15 on apprend d'autres langues,
21:17 on a ajouté plein de matières,
21:19 donc c'est très intéressant,
21:20 on fait plus de travail à l'oral avec les élèves.
21:23 Donc, cet orthographe qui est complexe,
21:25 qui n'a pas été réformé réellement depuis 1878,
21:29 il faudrait aussi questionner cet orthographe,
21:33 il faudrait aussi la critiquer,
21:35 parce qu'on parle du niveau en orthographe,
21:37 de l'enseignement de l'orthographe,
21:38 mais on ne parle pas de la complexité de l'orthographe
21:40 qui pourrait être simplifiée.
21:41 Moi, je suis très favorable à une simplification d'orthographe,
21:44 et je pense que ça réglerait pas mal de problèmes.
21:48 - Quelques exemples de simplification,
21:51 Aurore Ponçonnet ?
21:52 - Alors, moi j'ai plein d'idées.
21:54 - Alors, allez-y, allez-y.
21:55 - Alors, il y a des choses un peu absurdes,
21:58 mais je dirais, on peut commencer par un exemple
22:00 sur l'écriture des nombres.
22:02 Vous savez peut-être que 80.1S,
22:05 puisqu'il y a 4 x 20,
22:07 et quand on ajoute un adjectif numéral comme 10,
22:10 90, hop, il n'y a plus de S à 20.
22:13 Donc, quand on veut faire comprendre en disant aux élèves
22:16 "c'est logique",
22:17 non, ça n'est pas logique.
22:19 Il y a des choses qui ne sont pas logiques.
22:22 Après, l'accord des participes passés,
22:24 c'est d'une complexité sans nom,
22:26 il y aurait des choses à simplifier.
22:28 - Vous pensez que c'est si complexe que cela,
22:31 l'accord des participes passés ?
22:33 - Oui, et je peux vous assurer,
22:36 bon, moi je suis une ancienne orthophoniste,
22:38 donc j'ai vu beaucoup de dyslexiques dysorthographiques,
22:41 pour eux c'était impossible, voilà.
22:43 Et maintenant, je forme des adultes
22:45 qui ne sont pas forcément dyslexiques dysorthographiques,
22:49 mais qui ont de grosses difficultés,
22:51 des lacunes, et qui bataillent,
22:54 parce que pour eux,
22:56 dans le milieu professionnel,
22:58 c'est très très difficile d'avoir un mauvais niveau en orthographe,
23:01 en fait, parce qu'ils se sentent jugés en permanence.
23:04 Sur les réseaux sociaux, quelqu'un écrit
23:06 et laisse une erreur sur un accord du participe passé,
23:09 on lui répond tout de suite "t'es nul",
23:11 "va t'acheter un Becherel",
23:13 "ne t'exprime pas si tu ne sais pas écrire",
23:15 on passe son temps, enfin on passe tous notre temps,
23:18 à juger tous les gens, dès qu'ils ouvrent la bouche,
23:20 dès qu'ils écrivent quelque chose,
23:22 et ça c'est vraiment problématique,
23:24 alors que la complexité est réelle.
23:26 Moi je peux vous dire que j'essaye de simplifier l'orthographe,
23:29 j'ai créé une méthode de grammaire simplifiée,
23:31 et là je suis face à des personnes qui me disent
23:35 "mais pourquoi ?", "mais quel est le but de cette règle ?"
23:38 "est-ce que ça change vraiment le sens ?"
23:40 et je suis confrontée à ça tous les jours, tous les jours, tous les jours.
23:43 On me dit "mais à quoi ça sert ?"
23:45 Et il y a des choses qui ne servent à rien.
23:48 - Merci Aurore Ponsonnet,
23:50 linguiste, auteur du Bled,
23:52 elle est sans faute à ne plus faire,
23:54 est-ce qu'il faut réformer l'orthographe ?
23:57 Transformer l'orthographe ?
23:59 Simplifier l'orthographe ?
24:01 - Alors il y a deux choses.
24:03 D'abord il ne faut pas simplifier les participes passés,
24:06 parce que ça donne des nuances.
24:08 Par exemple, alors si tu es d'accord c'est tordu,
24:10 mais c'est une gymnastique intellectuelle qui vaut la peine,
24:12 moi je l'enseigne et tout le monde comprend.
24:14 Si elle s'est vue couper la route,
24:16 si vous mettez un E, elle est responsable de l'accident,
24:19 elle s'est vue en train de couper la route à quelqu'un,
24:21 et si vous ne mettez pas de E, c'est quelqu'un qui lui a coupé la route.
24:24 Bon ben c'est des nuances, il y a moyen de jongler.
24:26 Ça peut être très marrant les participes,
24:28 et en plus on ne peut pas les simplifier,
24:30 ça va être le bordel.
24:32 Vous ne direz pas "elle s'est offerte une glace",
24:34 vous direz "elle s'est offerte une glace".
24:36 Alors c'est compliqué, mais on ne peut pas le simplifier.
24:38 Et l'orthographe d'usage aurait été pour il y a 30 ans.
24:41 Par exemple c'est vrai, charrette deux R, chariot un seul,
24:44 sauf que maintenant le correcteur le voit.
24:46 Alors c'est presque sadique,
24:48 parce que la réforme de 90 c'était ça.
24:50 Ils changeaient les R de charrette, le I de...
24:54 C'était sadique, parce que tant que...
24:57 Je ne sais pas, en 1975,
24:59 quand vous faisiez une faute, il fallait retaper tout le truc.
25:02 Maintenant, quand vous oubliez un R, l'ordinateur vous le souligne.
25:05 Alors maintenant que ça ne vous embête pas,
25:07 "Ah bon, on va le simplifier."
25:09 Non, on ne simplifie pas l'orthographe.
25:11 Au niveau de l'orthographe d'usage, c'est inutile,
25:13 parce que l'ordinateur le voit,
25:15 après on l'étudie pour une dictée, c'est autre chose,
25:17 mais l'ordinateur le voit.
25:19 Moi aussi, je donne cours à des adultes,
25:21 ils n'ont pas de problème avec les R de charrette.
25:23 L'ordinateur le voit.
25:25 Et les participes passés, ça met des nuances,
25:27 et c'est à réforme.
25:29 - L'orthographe d'un mot, c'est une chose,
25:33 les accords, autre chose.
25:35 - Oui, mais par exemple, en 90,
25:38 "fait + infinitif" est toujours invariable.
25:41 Et ils ont rajouté "laissé".
25:43 "Laissé + infinitif" est toujours invariable.
25:45 Ecoutez, moi dans mes stages,
25:47 je vois les participes passés, ça me met une journée.
25:49 Les stagiaires le dominent,
25:51 ils y arrivent,
25:53 et ils font avec le pronominal,
25:55 le pronominal suivi d'un infinitif, ils le font.
25:57 Mais par contre, dès que je m'ai fait dans un exercice,
26:00 une fois sur deux, ils l'ont oublié.
26:02 Et alors du coup,
26:04 quelque part, c'est là qu'ils se trompent,
26:06 parce qu'ils continuent le raisonnement.
26:08 Donc en mettant "laissé" comme exception,
26:10 vous faites une faute, vous leur faites faire une faute.
26:12 - Xavier Laurent,
26:14 vous enseignez l'ancien français à l'université.
26:16 Alors il n'y a pas d'orthographe pour l'ancien français.
26:18 Vous croyez vraiment qu'aujourd'hui, lire "chrétien de Troyes"
26:20 dans le français de 1250, pour nos étudiants,
26:22 c'est plus facile parce qu'il n'y a pas de règles ?
26:24 Évidemment que non.
26:26 On arrive dans un système où on confond l'orthographe
26:28 et la langue. Ce n'est pas parce qu'on va simplifier l'orthographe
26:30 qu'on va changer la façon de parler des gens.
26:32 L'orthographe est une codification,
26:34 d'ailleurs qui a été inventée par Geoffroy Tory
26:36 dans un ouvrage qui s'appelle "Chanflerie"
26:38 aux alentours des 1480,
26:40 pour marquer la juste orthographe de Jésus-Christ
26:42 qui mélangeait l'hébreu et le grec.
26:44 Et ça prouve, dès le début,
26:46 que l'orthographe
26:48 est un système de codification comme une règle.
26:50 On dit que c'est compliqué,
26:52 mais c'est une règle de civilité. Vous croyez que pour nos étudiants,
26:54 c'est plus facile de jouer à Fortnite ?
26:56 Vous connaissez les règles du jeu d'échecs ?
26:58 La règle manifeste simplement
27:00 le désir de rentrer dans un système
27:02 complexe et de manifester la maîtrise.
27:04 Encore heureux qu'on puisse offrir
27:06 à nos élèves et à nos étudiants
27:08 un outil pour démontrer
27:10 qu'ils sont intérieurement bien construits.
27:12 Et l'orthographe est l'outil
27:14 universel qui permet
27:16 à tous les francophones de manifester
27:18 qu'ils possèdent les mêmes règles
27:20 qu'ont fait la culture française.
27:22 - Donc vous défendez
27:24 l'orthographe et vous défendez
27:26 la grammaire. - Complètement.
27:28 - J'ai même lu que la grammaire
27:30 était fasciste.
27:32 J'ai même lu ça.
27:34 J'ai même lu que la syntaxe
27:36 était totalitaire.
27:38 - Coloniser les esprits. Mais on en revient toujours à cette idée-là.
27:40 - On nous amène quoi ?
27:42 - Mais je lis tout.
27:44 - Oui, mais c'est ça le problème.
27:46 Maintenant avec les mails, on lit toutes les conneries.
27:48 Mais à la limite, il y a 30 ans
27:50 vous auriez été dans un bistrot, vous auriez payé
27:52 3 verres de vin rouge
27:54 et vous seriez tombé sur un type qui lâchait des conneries comme ça.
27:56 - En l'occurrence c'est Genette.
27:58 Il y a 30 ans c'était dans l'université qu'on disait ça.
28:00 - Mais à l'université on a...
28:02 - Oui, oui, bien sûr.
28:04 - On a des remarques là ?
28:06 - Aujourd'hui on en arrive à cette idée.
28:08 - C'est-à-dire qu'il faut déconstruire la langue ?
28:10 - Déconstruire la langue, bien sûr.
28:12 Vous avez des linguistes aujourd'hui qui défendent l'idée que la langue leur appartient.
28:14 Que la langue, on en revient à une idée médiévale
28:16 d'une langue
28:18 qui n'appartient qu'à ses locuteurs.
28:20 Ce qui est vrai.
28:22 La langue évolue grâce à ses locuteurs.
28:24 C'est pour ça que je vous dis qu'il ne faut pas confondre l'orthographe.
28:26 - Chacun utilise la langue comme il l'entend.
28:28 - C'est ce qu'on appelle un sociolecte ou un idiolecte.
28:30 Mais il ne faut pas confondre la langue et l'orthographe.
28:32 L'orthographe est un jeu qui n'a rien à voir avec la langue.
28:34 Moi en tant que linguiste, j'observe la langue.
28:36 Mais en tant que grammairien et en tant que pédagogue,
28:38 j'offre à mes étudiants et mes élèves
28:40 la possibilité de rivaliser avec les enfants de l'alsacienne.
28:42 - La langue c'est la route et l'orthographe c'est le code.
28:44 - Exactement.
28:46 Et c'est un code qu'on doit partager
28:48 pour permettre à des enfants qu'ils viennent
28:50 de Bondy, de Bobigny ou de l'alsacienne...
28:52 - Pour permettre de rouler tous ensemble sur la route.
28:54 - Mais oui, qu'on vienne de l'alsacienne comme les enfants de M. Ndiaye
28:56 ou qu'on vienne de Bondy, on partage le moyen
28:58 de montrer à nos recruteurs à venir
29:00 qu'on possède tous
29:02 le même outil technique
29:04 qui prouve qu'on est bien fait à l'intérieur.
29:06 Et il y a aujourd'hui un phénomène d'aristocratie
29:08 qui consiste à mépriser l'orthographe
29:10 et qui devient un phénomène de classe
29:12 parce que dans les classes
29:14 lycées privés et un peu huppés,
29:16 on continue bien évidemment à enseigner
29:18 à ses propres enfants la bonne orthographe
29:20 qui permet de montrer que soi-même on est très intelligent
29:22 tout en permettant aux enfants de pauvres de surtout
29:24 à continuer à s'enfermer
29:26 dans une grammaire qu'ils ne maîtrisent pas. Et on a stérilisé
29:28 l'éducation nationale en l'empêchant de faire
29:30 ce qu'elle savait faire, c'est-à-dire d'enseigner
29:32 à tous les enfants de France
29:34 la possibilité de maîtriser son code. On a
29:36 éradiqué le breton bretonnant en l'espace
29:38 d'une génération. En 25 ans c'était bouclé.
29:40 Et aujourd'hui on s'enferme avec
29:42 des enfants de l'école française
29:44 qui, au sortir de 7 ans, 8 ans,
29:46 10 ans dans une école, ne parlent pas
29:48 et n'écrivent pas le français. - Est-ce que vous pensez qu'on encourage la déconstruction
29:50 de l'orthographe
29:52 ou de la langue française même ?
29:54 - En tout cas, pour faire le lien avec la question sur la réforme
29:56 de l'orthographe, moi je ne suis pas linguiste, donc je ne vais pas
29:58 répondre directement. Par contre, ce que je peux constater
30:00 c'est que finalement c'est un débat
30:02 très vieux là aussi, et que
30:04 doivent être peu nombreuses ceux qui pensent qu'il faut réformer
30:06 puisqu'on ne l'a toujours pas fait. Et je trouve
30:08 qu'il y a une confusion en ne pas faire... - Mais réformer ça veut dire quoi ?
30:10 - C'est-à-dire, par exemple,
30:12 la simplification.
30:14 - Vous seriez favorable à une simplification, à une réforme
30:16 de l'orthographe ou de la grammaire ?
30:18 - Comme j'ai dit, je ne suis pas linguiste et je pense que ça ne résoudrait
30:20 pas le problème. Donc finalement, si ça ne résout pas
30:22 de problème, est-ce que c'est la bonne solution
30:24 ou la bonne problématique à se poser ?
30:26 Tout simplement parce que
30:28 le S à 80, c'est pas
30:30 celui-ci qui va nous faire mal aux yeux,
30:32 c'est pas celui-ci qui va mettre en difficulté
30:34 l'élève, même si on doit avoir l'exigence
30:36 pour qu'il puisse le mettre.
30:38 Mais par contre, confondre
30:40 la mer,
30:42 maman avec la mer,
30:44 l'océan, ça c'est
30:46 des fautes que les
30:48 enseignants voient dans des copies
30:50 de terminal qui font mal
30:52 aux yeux et qui inquiètent.
30:54 Ce sont ces fautes-là et c'est pas une simplification
30:56 de l'orthographe qui va résoudre
30:58 cette difficulté-là. - Oui, je comprends. Qui va changer quelque chose.
31:00 - C'est pour ça qu'il ne faut pas se tromper de débat. - Oui, mais certains pensent que ça n'a
31:02 aucune importance. - Que la faute
31:04 d'orthographe. - Mais certains, maintenant,
31:06 dans l'éducation nationale, pensent
31:08 pardon, mais oui, Bernard Fripia,
31:10 ça existe, tiens, c'est vrai ou pas ?
31:12 - Bien sûr que c'est vrai. - Que ça n'a plus aucune importance
31:14 et que l'orthographe et la grammaire,
31:16 finalement, il faut la liberté
31:18 totale, c'est-à-dire qu'on écrit
31:20 comme on veut. - Notre collègue l'a
31:22 dit tout à l'heure, les 800 heures qu'on a perdu sur l'enseignement...
31:24 - Oui, parce qu'on ne comprend plus quand on écrit comme on veut.
31:26 - Mais... - Ça, c'est un autre problème.
31:28 - Mais les 800 heures qu'on a perdu, ce que vous disiez au début,
31:30 monsieur, monsieur,
31:32 aujourd'hui, on en est arrivé à ce paradoxe
31:34 quand on enseigne la littérature en classe de langue,
31:36 eh bien, on nous explique depuis maintenant
31:38 20 ans qu'enseigner la littérature, ça n'est pas
31:40 enseigner l'orthographe ou la grammaire et donc on doit évaluer
31:42 les enfants sur leur lecture de Molière
31:44 ou sur leur connaissance de la vie de Molière, mais surtout pas
31:46 sur leur orthographe pour l'exprimer.
31:48 Donc, en fait, l'orthographe est devenue la part
31:50 extrêmement congrue. - Non, mais il faut les deux.
31:52 C'est-à-dire que,
31:54 je ne sais pas, je ne suis pas à l'éducation nationale,
31:56 puis j'ai fait ça en Belgique,
31:58 c'était à l'époque du
32:00 deuxième millénaire, donc le même millénaire
32:02 que Louis XIV, ça fait quelque chose quand même.
32:04 Mais le truc, c'est que
32:06 vous avez une copie, par exemple, sur Molière,
32:08 il y a un gosse, où je suis contre, c'est
32:10 qu'on ne mette qu'une seule note, mais qu'on mette une note
32:12 pour l'orthographe et une note pour le fond,
32:14 là je serais d'accord. Mais au moins
32:16 qu'on sache s'il connaît Molière, c'est ça qui est
32:18 important. Si on mélange les deux notes,
32:20 on va dire "Oh, il ne connaît rien à Molière, en fait, il a fait des fautes."
32:22 - Compréhension du texte,
32:24 mais ça existe déjà.
32:26 Il y a une part de la note qui est la
32:28 compréhension du texte.
32:30 - Non, après, moi, je suis
32:32 favorable, effectivement, à...
32:34 C'est important, à un moment, qu'on puisse
32:36 dissocier les deux types d'apprentissage,
32:38 parce que l'élève lui-même, il doit avoir conscience,
32:40 à un moment, de l'orthographe
32:42 et de là où est-ce qu'il a fait ses erreurs
32:44 et de ne pas les mélanger avec une faute de compréhension
32:46 d'un texte, d'une histoire. Par contre,
32:48 il y a des moments
32:50 où on doit travailler que l'orthographe,
32:52 parce que, justement, pour cette
32:54 conscience-là, et après,
32:56 rien n'empêche, et on a même tout
32:58 intérêt, parce que dans toutes les autres
33:00 disciplines, de toute façon, on en fait toujours
33:02 de la langue et de l'orthographe, puisque c'est le
33:04 vecteur de toutes les autres disciplines.
33:06 Moi, je suis professeure des écoles, j'ai eu pendant longtemps
33:08 des CP, et l'orthographe,
33:10 on l'a fait tout le temps, dans toutes les matières,
33:12 même quand on va à un EPS. - Alors, on va en parler, justement.
33:14 On va en parler de l'enseignement
33:16 à l'école élémentaire,
33:18 qui est là, c'est le
33:20 creuset, l'endroit où on apprend
33:22 l'orthographe. On va en parler
33:24 à 11h43, à tout de suite. - Il est 11h46.
33:27 Est-ce qu'aujourd'hui, je me tourne
33:29 vers vous, Elisabeth Alain Moreno, puisque
33:31 vous êtes enseignante.
33:33 Enseignante en école élémentaire.
33:35 Est-ce qu'aujourd'hui,
33:37 on apprend encore correctement l'orthographe
33:39 à l'école élémentaire, à l'école primaire ?
33:42 - Alors, les personnels souhaitent
33:44 que oui, ils font tout pour que ce soit le cas.
33:46 Par contre, les politiques éducatives
33:48 de ces dernières années, le nombre de
33:50 réformes incessantes
33:52 d'un coup une méthode, un coup une autre,
33:54 et on n'a pas... - Ah oui, c'est vrai. - Et je ne rentrerai
33:56 surtout pas dans l'apprentissage de la lecture
33:58 avec toutes les méthodes, parce que là aussi,
34:00 ça renvoie quand même une image très
34:02 négative d'une école qui ne saurait pas où elle va,
34:04 alors que les personnels savent très bien
34:06 ce qu'ils doivent aller. Par contre, ils demandent
34:08 d'avoir du temps, comme je disais, de la formation.
34:10 Mais les personnels, oui, eux, ils savent très bien
34:12 qu'on a intérêt à enseigner l'orthographe
34:14 et ils savent très bien comment le faire. Par contre,
34:16 l'école, par la succession
34:18 de réformes
34:20 permanentes et de tout et son contraire,
34:22 a fait perdre à tout le monde
34:24 le cap de ce que c'était enseigner l'orthographe.
34:26 - Mais alors, quel est le cap à suivre ?
34:28 - Dès le plus jeune âge,
34:30 côtoyer l'écrit, et ça, c'est ce que
34:32 fait l'école, c'est capital, parce que,
34:34 comme je l'ai dit, il y a des élèves qui nous côtoient...
34:36 - Vous me dites que c'est ce que fait l'école, mais c'est ce que l'école
34:38 abandonnait aussi. Alors, c'est ce que vous faites, vous enseignez.
34:40 - L'école, non seulement, elle n'a pas
34:42 eu les moyens, ces dernières
34:44 années, pour le faire correctement par rapport
34:46 à des exigences de la société
34:48 qui ont été levées à ce niveau-là,
34:50 et c'est surtout que quand on
34:52 cumule
34:54 un changement permanent
34:56 de méthode, où on renvoie cette image-là,
34:58 on donne aussi quand même
35:00 à l'opinion publique une image de l'école
35:02 qui ne fait pas son boulot.
35:04 - Donc, vous dites qu'il faut une méthode.
35:06 Et sans tenir à la méthode,
35:08 non ? Bernard Fribiad dit non.
35:10 - Non, alors je ne comprends pas.
35:12 - Il ne faut pas une méthode, il faut une exigence,
35:14 ça c'est sûr, par contre,
35:16 les méthodes pour apprendre l'orthographe,
35:18 comme je l'ai dit, il y en a plusieurs,
35:20 et c'est bien le... - Elles sont toutes bonnes,
35:22 ou il y en a de meilleures que d'autres ?
35:24 - Mais c'est comme quand on enseigne des mathématiques
35:26 ou d'autres disciplines, chaque enseignant est
35:28 un professionnel qui connaît son métier,
35:30 et qui, en fonction des élèves qu'il a,
35:32 des difficultés qu'il a, j'ai dit précédemment
35:34 qu'il y avait des élèves qui côtoyaient
35:36 l'écrit, pour lesquels c'était juste un petit peu
35:38 l'exigence qu'il devait avoir envers eux-mêmes.
35:40 D'autres, c'est parce qu'ils ont
35:42 besoin d'avoir une culture de l'écrit
35:44 parce qu'ils ne l'ont pas eu suffisamment
35:46 précédemment, et donc la méthode, elle ne peut pas être
35:48 la même quand on a des difficultés qui sont différentes,
35:50 elle ne peut pas. - Bernard Fribiad.
35:52 - Je vais jouer le double belge, mais c'est quand même
35:54 incroyable. Vous êtes professeur
35:56 au Pays Basque, dans le Neuf-Cube,
35:58 en Alsace,
36:00 à Lille, dans ses
36:02 amendements d'10 ans, et la manière dont
36:04 vous allez enseigner la lecture aux gosses
36:06 est décidée à Paris,
36:08 elle est la même pour tout le monde,
36:10 c'est décidée à Paris par un type qui n'a même
36:12 probablement plus vu d'étudiants depuis des années.
36:14 - Je vous arrête deux secondes, parce que là, vous allez
36:16 pas faire plaisir à ma voisine de gauche.
36:18 - C'est aux profs de décider. - Autonomie
36:20 des établissements. - Des profs,
36:22 mais non pas des établissements, des profs.
36:24 - Mais la liberté pédagogique est déjà
36:26 constitutive du métier, quand même.
36:28 - C'est aux profs de décider.
36:30 - Le programme
36:32 qui fixe un cap, qui relève
36:34 de l'inspection générale, absolument.
36:36 - Et qui doit être national, pour assurer l'égalité à tous.
36:38 - C'est-à-dire que les paliers à franchir sont ceux des
36:40 cycles, et il faut absolument qu'ils soient communs,
36:42 justement pour permettre à nos élèves du Neuf-Cube, comme vous
36:44 disiez, d'aller tous ensemble vers
36:46 le même objectif, et les moyens
36:48 d'y arriver relèvent de la liberté pédagogique
36:50 de l'enseignant. Et ça, on n'y peut rien, parce que la liberté
36:52 académique pour les professeurs de fac, la liberté pédagogique
36:54 pour les professeurs du secondaire.
36:56 Et c'est ce en quoi, tout à l'heure, je vous parlais, de la caporalisation
36:58 de l'éducation nationale, où on voit
37:00 un ministre arriver, disant
37:02 "Voilà ce qu'il faut faire maintenant, quand vous corrigez vos copies."
37:04 Il y a là quelque chose qui, à mon avis,
37:06 vous voyez, les trois types
37:08 d'enseignants, vous voyez, Lino Ventura dans la Gifle,
37:10 Patrick Bruel dans
37:12 Prof, et puis Depardieu dans
37:14 Les Cités, etc.
37:16 Lino Ventura dans la Gifle, on lui dit pas
37:18 comment il doit corriger, et on lui dit pas
37:20 ce qu'il doit corriger.
37:22 Aujourd'hui, on arrive dans une situation où,
37:24 effectivement, on aimerait que ce soit Paris
37:26 qui dise ce qu'on doit évaluer, combien de points
37:28 on doit mettre, et de quelle façon on y arrive. C'est pas comme ça
37:30 que ça marche. - Donc, plus d'autonomie
37:32 laissée aux enseignants,
37:34 et plus d'autonomie laissée aux établissements.
37:36 - Mais non, aux enseignants,
37:38 les établissements. - Dans l'éducation nationale,
37:40 aux établissements aussi, pour choisir leurs
37:42 enseignants. - Et puis, je vais même plus loin,
37:44 le prof va changer
37:46 de méthode suivant la classe qu'il a.
37:48 Suivant la classe, suivant les
37:50 élèves que vous avez, le prof va adapter
37:52 cette méthode. C'est comme le coup, on me demande
37:54 combien de fois est-ce que vous êtes pour ou contre la méthode globale.
37:56 Mais on s'en fout. C'est le prof
37:58 qui doit imprimer la formation,
38:00 le prof doit être capable d'enseigner
38:02 la globale, la syllabique et la semi-globale.
38:04 Il doit connaître les trois. - Mais comment ?
38:06 - Mais après, le but, c'est que les gosses
38:08 écrivent. Et à la limite, si tout d'un coup
38:10 vous sentez, d'autant plus
38:12 que si vous obligez un prof, dans un sens
38:14 comme dans l'autre, à utiliser une méthode
38:16 qu'il n'aime pas, il va l'enseigner mal.
38:18 Donc, c'est ça.
38:20 Laissez-le faire comme il veut.
38:22 Après, on juge le résultat.
38:24 - Oui, mais alors,
38:26 l'orthographe, on y fait attention
38:28 les enseignants à l'école
38:30 élémentaire, au collège et au lycée.
38:32 On fait encore attention à l'orthographe.
38:34 Est-ce que les enseignants ont le
38:36 temps ou la volonté
38:38 d'être attentifs
38:40 à la qualité orthographique des copies ?
38:42 - Mais on l'a sorti des grilles
38:44 d'évaluation et des programmes pour le second cycle.
38:46 Donc, en fait, même si les enseignants sont
38:48 sensibles, de toute façon,
38:50 on les a stérilisés. On leur a dit
38:52 "n'en tenez pas compte".
38:54 - Pourquoi ça a été une...
38:56 Pourquoi il y a quelques années, ça a été
38:58 une mode ?
39:00 - Je ne sais pas si c'est une mode, je laisserai ma collègue en parler.
39:02 C'est une façon d'intégrer...
39:04 - Pourquoi ? - Moi, je pense qu'effectivement
39:06 chaque ministre qui passe
39:08 peut marquer aussi sa trace.
39:10 Ce qui nous vaut d'avoir à chaque fois
39:12 des changements de cap, comme je le disais.
39:14 Après, il y a eu sans doute une école
39:16 à un moment, et là quand je parle, c'est l'institution,
39:18 qui a cherché comment
39:20 est-ce que les programmes devaient s'adapter à une société
39:22 qui bouge beaucoup, qui évolue beaucoup,
39:24 qui est en permanence en mutation.
39:26 Mais à un moment, il faut qu'on arrive à trouver cette
39:28 régulation et à s'adapter vraiment
39:30 à la société, aux exigences. Et là, le constat
39:32 qu'on fait aujourd'hui, parce que c'est important les états
39:34 des lieux, le constat qu'on fait aujourd'hui, c'est
39:36 qu'effectivement, on a intérêt à remettre
39:38 de l'exigence en orthographe.
39:40 Les personnels, je l'ai dit, ils la connaissent,
39:42 ils n'ont pas perdu la motivation d'évaluer
39:44 l'orthographe. Peut-être qu'ils l'ont perdue, parce qu'à force
39:46 de voir des fautes, effectivement, mais tout simplement,
39:48 c'est qu'ils avaient surtout la consigne d'évaluer ou pas.
39:50 Et c'est plutôt cette question-là qu'il faut se poser.
39:52 Et après, pour répondre à ce que vous disiez
39:54 sur liberté pédagogique,
39:56 oui, ça c'est important.
39:58 Confiance aux équipes, c'est même capital.
40:00 Par contre, c'est indépendant
40:02 de recruter
40:04 les enseignants
40:06 de façon indépendante d'un territoire
40:08 à l'autre, parce que là, on retomberait
40:10 dans l'inéquité. Parce que de la même façon
40:12 qu'un programme doit être national pour assurer
40:14 le même service public d'éducation
40:16 à chaque élève, un recrutement
40:18 de même niveau de chaque enseignant,
40:20 c'est pour les mêmes enjeux.
40:22 - Oui, alors là,
40:24 vous êtes d'accord
40:26 des directives qui viennent de Paris,
40:30 vous êtes d'accord
40:32 pour certaines choses, pour l'enseignement,
40:34 si j'ai bien compris, vous n'êtes pas d'accord...
40:36 - Et ça s'explique.
40:38 Il y a un vrai danger au recrutement
40:40 local. Moi, il y a dix ans, j'aurais
40:42 pensé comme vous, en disant "il faut que les établissements
40:44 pilotent eux-mêmes leur recrutement".
40:46 Il y a un danger qui nous guette aujourd'hui, c'est l'école communautaire.
40:48 C'est la communautarisation des écoles
40:50 publiques. C'est-à-dire de se retrouver
40:52 dans des bassins de recrutement, où, pour
40:54 faciliter l'intégration de certaines
40:56 populations, on recruterait des enseignants
40:58 qui seraient uniquement issus des communautés locales.
41:00 Et donc là, on arriverait à des disparités
41:02 dans l'éducation, la formation, et même
41:04 dans les programmes, qui rendraient certaines situations
41:06 ingérables. Les États-Unis ont suivi cette voie pendant longtemps,
41:08 en recrutant uniquement les enseignants
41:10 de certaines communautés,
41:12 dans des écoles, au milieu des communautés.
41:14 L'école républicaine, elle s'est formée
41:16 des élites républicaines. Elle s'est pas
41:18 formée des élites d'autres... - Ça, on est d'accord.
41:20 - Oui, mais justement. Donc le problème, c'est qu'elle s'est pas
41:22 formée des élites communautaires.
41:24 Et là, on mettrait doublement les établissements
41:26 en situation d'incompétence. En demandant
41:28 aux écoles, mettons,
41:30 je ne sais pas, moi, des certains bassins de recrutement,
41:32 d'être uniquement tournées vers ça.
41:34 - Oui, oui, oui.
41:36 - C'est dangereux. - C'est des concours nationaux,
41:38 le recrutement, non ? - Le recrutement,
41:40 oui. Mais est-ce que, recrutement des enseignants,
41:42 est-ce que, lorsqu'on passe
41:44 ces concours nationaux, tout à l'heure, Bernard Freypierre
41:46 nous en parlait, est-ce que... - Pas des professeurs
41:48 de l'école. - Est-ce qu'on fait attention
41:50 à l'orthographe, ou pas ? On pénalise les copies ?
41:52 Je ne sais pas, moi. Au CAPES,
41:54 ou... - Bah, lui, il met zéro,
41:56 et on est quand même engagés. - Il met zéro,
41:58 il met zéro, et non, c'est vrai.
42:00 - Pour avoir échangé avec
42:02 des correcteurs du CRPE, le concours
42:04 de recrutement des professeurs des écoles,
42:06 il est effectivement noté
42:08 qu'il y a un nombre
42:10 de fautes plus importants
42:12 dans les...
42:14 - Les copies. - Les copies
42:16 des candidats au concours,
42:18 mais on en revient à
42:20 une problématique qu'on connaît
42:22 que trop ces dernières années, c'est la crise
42:24 du recrutement de l'éducation nationale.
42:26 - Oui. - Et donc, forcément,
42:28 mais quand on a ce type,
42:30 c'est un cercle vicieux, quand on a ce type
42:32 d'annonce, comment est-ce qu'on peut
42:34 être un employeur qui vend le métier
42:36 et qui fait en vie ? Franchement, moi,
42:38 quand j'entends ça, j'ai pas envie de rentrer dans l'éducation nationale,
42:40 alors que c'est un métier que j'aime,
42:42 et que je conseillerais. Mais quand on
42:44 a un employeur qui dit ça,
42:46 ben, franchement, c'est pas vendeur.
42:48 - Et à quoi vous ajoutez, moi, les étudiants qu'on voit arriver
42:50 dans les formations aujourd'hui, MEF,
42:52 les bons étudiants, préfèrent nous dire
42:54 "je ne passerai pas les concours, je me ferai
42:56 recruter localement pour ne pas avoir à subir
42:58 les affres des premières années,
43:00 on vous envoie à 800 km, etc."
43:02 Et aujourd'hui, on préfère...
43:04 Alors qu'il y a 20 ans, une étudiante un peu
43:06 effacée se dirigeait vers le privé,
43:08 aujourd'hui, la brillante étudiante
43:10 qui sort de Cagne, qui réintègre
43:12 les cursus universitaires,
43:14 se destine à éviter le CAPES pour aller
43:16 vers, peut-être, l'enseignement privé et le recrutement local.
43:18 - Alors, nous allons terminer avec Bernard Fripiat,
43:20 et juste un petit dérapage,
43:23 si vous voulez bien, Bernard.
43:25 Quelle est la règle grammaticale la plus compliquée, selon vous ?
43:27 - Le pronominal, mon avis.
43:29 Le pronominal.
43:31 - Alors, le pronominal, expliquez-nous.
43:33 - Par exemple, c'est quand vous dites "je me, tu te, il se".
43:35 Alors, là, il y a une injustice
43:37 que mon voisin, évidemment, a remarqué,
43:39 c'est que les femmes font plus de fautes.
43:41 Parce que quand vous dites "je me suis rendu compte",
43:43 ben, on met un "u".
43:45 Qui c'est qui se demande tout le temps s'il faut un "e" ?
43:47 C'est pas nous, hein ! Donc, oui, méditez ça.
43:49 Et alors, le petit truc que je donne,
43:51 c'est de vous remplacer par "je le, je lui".
43:53 Quand c'est "je le", vous accordez,
43:55 vous n'accordez pas. Par exemple,
43:57 nous nous sommes téléphonés. Vous direz "je le téléphone"
43:59 ou "je lui téléphone" ?
44:01 Vous direz quoi ? "Je lui téléphone".
44:03 Eh ben, on met pas d'"s". Ils se sont regardés,
44:05 je le regarde, on met un "s".
44:07 Voilà, ça c'est le bon truc.
44:09 Vous vous remplacez par "je le, je lui", "je le t'accorde",
44:11 "je lui t'accorde pas".
44:13 - À laquelle je suis en train de penser, parce que là aussi, ce serait...
44:15 - Ne mêlons pas l'écriture inclusive à tout ça.
44:17 - Au niveau orthographique, c'est très compliqué aussi.
44:19 - Ça tue l'orthographe, l'écriture inclusive.
44:21 - Personne n'orthographie l'orthographie
44:23 de façon identique. Personne.
44:25 - Oui, c'est sûr. - Où est-ce qu'on met le point média
44:27 entre les deux consonnes ?
44:29 - C'est surtout pour chanter les chansons de Brassens.
44:31 - Moi, c'est ce qui m'inquiète.
44:33 - Cette chanson, "Tolmovenia".
44:35 - C'est ce qui m'inquiète avec la caporalisation du métier.
44:37 C'est que si on commence à accepter aujourd'hui
44:39 la correction de l'orthographe, demain, on nous demandera de corriger
44:41 des copies en écriture inclusive. Qu'est-ce qu'on dira ?
44:43 - Ah ben ça, c'est catastrophique.
44:45 - On a écrit un petit ouvrage qui s'appelle "Le sexe, c'est la langue"
44:47 que je vous recommande.
44:49 Merci à tous les trois.

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