Un Meurtrier sous mon toit Laffaire Lyle Keidel

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Un Meurtrier sous mon toit : L'affaire Lyle Keidel

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Personnes
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00:00 Pardon. Comment c'était d'être cet enfant?
00:08 Personne ne me l'a jamais demandé. Alors j'ai eu envie de vous le dire.
00:18 Je suis désolée.
00:21 Apparemment, ils pensent avoir des preuves et ils veulent m'inculper de meurtre.
00:39 Pendant des années, la vérité a été cachée. J'étais la seule personne à connaître cette
00:46 vérité. Il l'avait déjà tué. J'étais convaincue qu'il n'hésiterait pas à commencer pour se
00:52 protéger et pour préserver son secret. Ils parlent de choses qui se sont passées il y a 25 ou 30 ans.
00:58 Je ne sais pas. Ils n'ont pas encore pris mes empreintes ni ma photo, mais ils ne vont pas
01:02 tarder à le faire. Je compatis avec les personnes qui doivent garder de lourds secrets comme je
01:09 l'ai fait. Ne vous laissez pas ranger par le secret. Parlez-en. Révélez votre secret.
01:16 *Musique de tension*
01:18 *Musique de tension*
01:46 *Musique de tension*
01:48 C'est mon père à Noël. En regardant cette photo, on peut la trouver touchante. Mais
02:07 moi, je vois dans ses yeux le monstre qu'il était. Ça ne se voyait pas autant quand il
02:14 était jeune. Mais moi, je le vois au fond de ses yeux. Il a une ombre dans le regard.
02:20 Il s'en portait pour un rien. J'ai parfois du mal à croire qu'une personne aussi méchante ait pu
02:29 être mon père. Il n'avait aucune empathie, aucune limite, aucun respect. Comment décrire
02:40 quelqu'un d'aussi monstrueux que lui ? Quand j'étais petite, je croyais que tous les papas
03:03 battaient leurs femmes et leurs enfants. La colère de mon père était totalement imprévisible. Ça
03:15 pouvait durer des heures. Il râlait, il hurlait, il lançait des objets. Ma mère était formidable,
03:25 mais ce n'était pas une sainte. Parfois, elle intervenait de façon violente si c'était
03:31 nécessaire pour empêcher mon père de frapper ses enfants. Un jour, on était tous dans la
03:43 piscine. Ma grande sœur Suzanne, mon frère Greg, Kelly et moi. Les enfants, vous comprenez tout
03:52 ce que je fais pour cette famille ? Tout ce que je fais pour vous ? Mon père était en train de
03:58 nous dire qu'il allait quitter la maison, qu'ils allaient divorcer et qu'on n'aurait plus rien à
04:04 manger, plus aucun jouet, que notre mère ne pourrait pas s'occuper de nous. J'en ai assez
04:11 de vous, bande d'assistés. Il disait des choses que je ne comprenais pas. Il a traité de traînée,
04:17 de garce. On le suppliait tous de ne pas partir. S'il te plaît, ne t'en vas pas. Mais c'est comme
04:24 s'il prenait du plaisir à être méchant. Il était tordu. Vous et votre mère, vous pouvez bien
04:34 mourir de faim, je m'en fiche. Ma mère était dans la maison. Elle s'est approchée de la fenêtre et
04:40 elle a entendu mon père. Eugene, qu'est-ce que tu dis aux enfants ? Alors ma mère lui a crié de se
04:46 taire. Mais il continuait. Il y avait un petit poste de radio à côté de la fenêtre qui jouait
04:53 de la musique. Elle a pris la radio et elle lui a lancé. Il l'a reçu en plein sur le crâne.
05:00 Puis elle est venue nous rassurer. Elle nous a dit que tout irait bien, qu'on ne mourrait pas de
05:10 faim, que c'était une adulte, qu'elle avait un travail et qu'elle nous nourrirait, que tout
05:17 irait bien même si nos parents divorçaient. Quoi qu'il arrive, tout va bien se passer. Elle nous
05:27 a dit que ce n'était pas notre faute et elle nous a mis au lit. Il était furieux. Des soirées
05:35 comme ça, il y en avait déjà eu des centaines et des centaines avant. C'était normal pour moi,
05:44 comme si tous les parents se comportaient comme ça. Je crois que ma mère a demandé le divorce
05:54 parce qu'à force de tant de drames, elle en avait assez. Il fallait qu'elle sauve ses enfants,
06:02 il fallait qu'elle se sauve elle-même et c'était impossible tant que mon père faisait partie de
06:08 notre vie. Mon père a déménagé. Il s'est installé à 7 km de chez nous, dans la banlieue de Phoenix.
06:23 Ça a été une bouffée d'air frais. Une tranquillité nouvelle s'est installée dans notre maison quand
06:30 il est parti. Mais pendant le divorce, mon père a voulu récupérer la maison, la voiture et ses
06:40 quatre enfants. Mais pour ma mère, c'était hors de question. Elle n'allait pas renoncer à la
06:45 garde de ses quatre enfants. Ma mère avait rencontré quelqu'un. Le soir où le divorce a
06:55 été prononcé, elle a fait venir une babysitter chez nous. Mais mon père a débarqué. "Salut les
07:03 enfants, comment ça va ?" Il a demandé à la babysitter de rentrer chez elle. Il n'était pas
07:12 en colère, il ne lui a pas crié dessus. Il a été très poli avec elle. Alors elle est partie.
07:24 Mon père était chez nous quand ma mère est rentrée de son rendez-vous. "J'en peux plus,
07:30 reviens bon sang, j'ai pas terminé." Leur dispute m'a réveillée. Je suis sortie dans le couloir.
07:38 Mon père était en train de frapper ma mère. Mais elle continuait de lui dire "Va t'en ou j'appelle
07:49 la police." "Arrête Jean !" "Va t'en !" Elle hurlait. Leur dispute a dû réveiller Suzy. Je l'ai
07:59 vue arriver derrière moi. Je me souviens qu'elle m'a agrippé l'épaule. C'était un geste teinté de
08:08 peur. Elle voulait que je reste là et que je n'intervienne pas. Ma mère a remarqué notre
08:19 présence. Elle nous a crié de retourner nous coucher. "Suzy, Laurie, retournez dans votre
08:26 chambre." Elle a détourné son attention une seconde pour nous dire ça. Et mon père en a
08:34 profité pour lui décocher un crochet du droit qui aurait assommé un homme de son gabarit. En tombant,
08:43 elle s'est cogné la tête contre l'encadrement de la porte et elle a glissé jusqu'au sol.
08:48 Je croyais qu'elle dormait. J'ai cru que mon père avait fait s'endormir ma mère. À ce moment-là,
09:03 Suzy m'a prise avec elle et on est allé se cacher dans son placard. On s'est endormis
09:10 dans son placard. Ça nous arrivait souvent pendant leurs disputes. J'étais petite et naïve. À ce
09:22 moment-là, je pensais que c'était juste une nouvelle soirée de violence. Je me suis réveillée
09:38 dans la nuit. Suzanne dormait. Alors je suis sortie du placard sans faire de bruit et je me suis mise
09:45 à la recherche de ma mère. J'ai entendu du bruit dehors et j'ai vu ma mère allongée à côté de la
09:53 piscine. Elle avait l'air endormie. J'ai trouvé ça bizarre. J'ai vu mon père creuser un trou avec
10:03 une pelle. Je me souviens du bruit que faisait la pelle contre le sol. Ce bruit à chaque coup de
10:17 pelle. Je n'ai pas compris qu'elle était morte, ni que mon père allait l'enterrer là. Mon père
10:37 était concentré sur ce qu'il faisait et il n'a pas remarqué ma présence. C'est très perturbant,
10:51 quand on a cinq ans, de voir sa mère dormir dans le jardin et son père creuser un trou.
10:59 J'ai confondu le sommeil avec la mort. Je n'avais jamais été confrontée à la mort avant. Ma sœur
11:10 m'a rejointe de nouveau et tout doucement, en silence, elle m'a prise par l'épaule pour me
11:18 faire rentrer dans la maison et elle a fermé la porte sans faire de bruit. On n'a jamais parlé
11:30 de ce qu'on avait vu ce soir-là. Jamais. On s'est réveillés le lendemain matin et ma mère avait
11:42 disparu. Il y avait un rectangle de terre retourné dans le jardin, là où mon père avait enterré
11:48 ma mère. Après cette nuit-là, mon père a dit à qui voulait l'entendre que ma mère s'était enfuie
11:57 avec un homme et qu'elle lui avait laissé leurs quatre enfants à élever. Tout le monde l'a cru.
12:06 Mais moi, je savais que ma mère ne s'était pas enfuie. Je savais qu'elle était enterrée dans
12:14 le jardin. La vie a continué pendant un moment. Tout semblait se poursuivre sans sa présence.
12:32 Mais certaines choses me rappelaient son souvenir. Au moment du dîner, je me souvenais que ma mère
12:41 n'était plus là. Elle ne préparait plus à manger. Elle ne faisait plus la vaisselle. Elle ne me
12:51 demandait plus de nettoyer mon assiette. Quand j'avais trois ou quatre ans, ma tortue touchée
12:58 avait hiberné. Et ma mère m'avait expliqué que parfois, les animaux creusent un trou pour
13:04 aller y dormir. Alors j'étais persuadée que ma mère était dans un trou et que comme ma tortue,
13:13 elle dormait. Il m'est arrivé plusieurs fois de dire à haute voix, "Il faut qu'on aille réveiller
13:22 maman pour qu'elle mange avec nous." "Mais maman?" Ça mettait mon père en colère. Il me lançait un
13:34 de ses regards. Ça commençait toujours comme ça. Il se retournait et il me fusillait du regard.
13:41 Alors je savais, c'était comme regarder le diable. Suzanne me sortait de là. Elle m'emmenait avec
13:53 elle pour détourner mon attention. Il ne faut pas oublier qu'on était les seuls à connaître son
14:04 secret. Kelly et Greg n'avaient pas vu ma mère se faire tuer. Ils ne savaient pas. Ils croyaient
14:14 l'histoire que mon père avait racontée à tout le monde, que ma mère nous avait abandonnés. Mais
14:19 Suzanne était assez grande pour savoir que sa mère était morte et qu'il fallait qu'elle nous
14:24 protège. Elle savait qu'à chaque fois que j'en parlais, je me mettais en danger. Alors elle
14:33 faisait en sorte de m'éloigner pour que j'arrête de parler.
14:37 Un jour, une dalle de béton est apparue dans le jardin, au-dessus de ma mère. Il a dit à tout
15:00 le monde qu'il allait construire un cabanon, mais il ne l'a jamais fait. J'étais de plus en plus
15:08 désespérée. Comment allait-elle pouvoir ressortir avec une chape de béton au-dessus d'elle ? Je
15:14 crois que mon père craignait que je sache la vérité. Il ne voulait pas que je parte. Il
15:20 commençait à avoir peur. Je crois que mon père avait besoin de faire quelque chose pour que je
15:26 me taise. Il était tard, tout le monde dormait. Je me souviens que Suzanne a traversé la chambre,
15:41 l'air terrifié. "Laurie, réveille-toi !" Elle voulait qu'on se réveille. Elle nous criait de
15:50 nous lever. Il y avait de la fumée dans la chambre et il faisait très chaud. Elle nous a réveillés,
15:59 mes deux sœurs étaient derrière moi et mon frère Greg était derrière elles. La fumée était
16:08 tellement chaude et tellement épaisse que je n'arrivais plus à respirer ni à marcher. Alors
16:14 j'ai rampé. J'étais en train de ramper dans le couloir quand les flammes ont fait un bond en
16:21 dessous de moi. Je me suis retrouvée projetée en arrière et brûlée sur tout l'avant de mon corps.
16:26 J'avais les bras brûlés. Entre la douleur et la chaleur, je suis tombée à l'arrière. Je
16:38 suis tombée sur mes deux sœurs et ma sœur. Oh mince ! Je suis désolée, ça va me faire pleurer.
16:51 Je me souviens de la sensation de son corps allongé sur le mien. J'étais brûlée,
17:03 j'avais terriblement mal. C'était apaisant de la sentir contre moi. Elle m'a prise dans ses bras
17:19 et elle m'a dit qu'elle m'aimait. Plusieurs fois. Je t'aime, je ne t'abandonnerai jamais.
17:27 C'était la plus intime et la plus belle déclaration d'amour qu'on m'ait jamais faite.
17:47 On a entendu les camions de pompiers arriver au loin. Elle m'a dit, écoute,
17:57 les pompiers vont venir nous chercher. Ça va aller, ils arrivent. Et elle m'a redit qu'elle
18:06 m'aimait. Et on est morte. Elle me tenait dans ses bras. Il y avait deux grands muriers dans le
18:16 jardin. Ils ont étendu nos quatre petits corps sous les muriers et ils ont essayé de nous réanimer.
18:24 À chaque fois que je faisais un arrêt cardiaque ou que je mourrais, c'était comme si je me
18:35 retrouvais à côté des pompiers. Je regardais mon corps. C'était comme regarder un film dans
18:42 lequel on joue. Et lorsqu'ils m'ont réanimée, j'ai eu mal. Très mal.
18:50 La conversation des adultes. Mon frère Greg a sauté par la fenêtre. Les voisins l'ont
19:03 enveloppé dans une couverture, puis l'ont éloigné de la maison. Il n'a pas été brûlé.
19:10 Ils ont dit que mes sœurs n'avaient pas survécu. Même après toutes ces années,
19:18 c'est encore douloureux. Et j'ai encore un profond sentiment de vide.
19:26 C'est une photo de ma sœur Kelly. C'est exactement comme ça que je me souviens d'elle. Regardez
19:42 ses taches de rousseur sur son nez. C'était une petite rouquine. Elle était adorable. Elle avait
19:49 un sacré tempérament. On partageait la même chambre. J'étais très proche d'elle. Elle était
19:58 derrière moi avec ma sœur Susan pendant l'incendie. Kelly est retournée dans la chambre qu'on partageait.
20:08 Elle a été retrouvée morte sur notre lit. Ça, c'est Susan. Je me souviens de cette chemise.
20:19 C'était une enfant adorable, une personne magnifique. Je ne sais pas si elle avait
20:27 déjà eu un petit copain, un amoureux. Elle était très fleur bleue. Avec le recul,
20:36 je comprends le fardeau qu'elle a dû porter. Savoir que son père était un meurtrier. Et
20:45 malgré tout, elle a tenté de nous protéger. Je suis sûre que ma mère aurait été très fière d'elle.
21:03 Quand je me suis réveillée, au départ, mon père n'était pas là. Je ne l'ai pas vu pendant un
21:10 moment. Une fois adulte, j'ai récupéré... C'est une photo de ma sœur Kelly. C'est exactement comme
21:21 ça que je me souviens d'elle. Regardez ces taches de rousseur sur son nez. C'était une petite
21:27 rouquine. Elle était adorable. Elle avait un sacré tempérament. On partageait la même chambre. J'étais
21:35 très proche d'elle. La maison a brûlé en janvier. Je crois que c'était le 11 avril. Mon père est
21:50 allé contre l'avis des médecins et il m'a fait sortir de l'hôpital. Je n'avais toujours pas de
21:55 peau. J'avais encore des bandages partout. J'avais encore besoin de soins. À ce moment-là, mon père
22:04 avait entrepris de reconstruire notre maison qui avait brûlé. Il avait déjà terminé deux pièces.
22:10 Le salon était devenu notre chambre. Mais où que l'on se trouve dans la maison, il y avait toujours
22:17 cette odeur de brûlée. Elle était partout. Je n'aimais pas ça. Je n'aimais pas l'odeur de la
22:26 mort. Mais c'était sa façon à lui de garder le contrôle sur les restes de ma mère. Il fallait
22:36 qu'il reste dans la maison. Une fois que la maison a été rénovée, ça m'a fait du bien d'être là-bas.
22:50 C'était là que ma sœur m'avait aimée. C'était là que j'avais tous mes souvenirs. Et c'était là
22:59 que ma mère se trouvait. Je m'asseyais avec elle. Et bizarrement, c'était réconfortant de pouvoir
23:07 m'asseoir sur sa tombe. C'est une photo de la maison après l'incendie. Ce n'est pas évident,
23:23 si on ne sait pas ce que c'est, de reconnaître cette image. Mais il s'agit de la cuisine.
23:32 Entre ce mur, on voit que les meubles ont été tellement brûlés et endommagés que l'évier a
23:42 fini par s'écrouler. Quand on a réaménagé, la cuisine et tout le reste étaient carbonisés.
23:51 Les murs avaient été détruits. Il n'y avait plus que des poutres calcinées au plafond. Cette odeur...
24:01 La nuit, on pouvait voir les étoiles là où le plafond de la maison avait brûlé.
24:07 Ce qui est fou dans cette photo, c'est qu'il y avait des enfants dans cette maison. Et c'est
24:19 mon père qui était le père de ces enfants. Mon père. C'est lui qui a allumé l'incendie. Il a
24:30 mis ces enfants dans ce piège mortel, délibérément. Cette photo est très parlante. C'est à partir de là
24:40 que j'ai cessé de garder le secret du meurtre de ma mère. Dans les années 60, mon père a acheté
24:59 deux stations-service indépendantes. Alors souvent, de jeunes hommes venaient avec leur voiture. C'est
25:08 dans l'une de ces stations-service que j'ai rencontré Michael. C'était un jeune homme gentil.
25:14 Mike est allé au Vietnam et Mike est mort au Vietnam. Il a été tué à la guerre. On m'a dit
25:23 qu'on allait assister à une cérémonie commémorative. Alors j'en ai déduit que c'était pour Mike. Je ne
25:32 savais pas ce qu'était une cérémonie commémorative. Je pensais que c'était comme une fête. Mais il
25:37 s'agissait de ces obsèques. Le corps de Mike était dans un cercueil. On aurait dit qu'il dormait,
25:43 tout comme ma mère. Et puis, ils ont voulu mettre le cercueil en terre. Je ne comprenais pas pourquoi
25:50 ils voulaient l'enterrer lui aussi pendant qu'il dormait. On devrait le réveiller. Il y avait une
25:59 dame. Elle m'a expliqué qu'il était mort et qu'il ne reviendrait pas. C'est à ce moment-là que j'ai
26:08 compris. Mike ne reviendrait pas et ma mère non plus. Ils étaient morts. Ça a été un moment
26:20 tragique pour moi. C'est à cet instant que j'ai compris que mon père avait tué ma mère. C'est
26:29 terrible pour un enfant. Je ne connaissais pas le mot meurtre. Mais je savais que si mon père
26:43 avait fait mourir ma mère et que personne n'était venu la chercher, qui viendrait me chercher si je
26:51 mourrais? J'étais terrorisée lorsque j'ai compris que mon père était un meurtrier. Dès que j'ai pris
27:08 la mesure de la situation dans laquelle je me trouvais, je n'ai plus dit un mot à qui que ce
27:14 soit. Je me contentais de répéter le mensonge que mon père m'avait raconté,
27:21 que ma mère nous avait abandonnés.
27:31 Mais un jour, mon père a acheté un bateau pour aller pêcher en pleine mer. Il me jetait à la
27:44 mer et il me disait de nager jusqu'à la plage. Nage, espèce de garce. Nage ou tu couleras.
27:54 Certains jours, on était tellement loin que je voyais à peine la plage. J'avais encore des
28:05 blessures de l'incendie, alors je nageais comme un petit chien. Si j'écartais les bras, ma peau
28:12 craquait et je me mettais à saigner. Comme je perdais du sang dans l'eau, les poissons venaient
28:23 me mordre. C'était effroyable. Souvent, c'était le courant qui finissait par me ramener sur la
28:39 plage avant que je puisse me relever sur le sable. Lorsque mon père revenait sur la plage,
28:49 il était toujours surpris de me voir. Il me disait "Ah, tu as réussi". En tant qu'adulte,
29:00 aujourd'hui je comprends, j'aurais pu me noyer. Ça aurait été facile à expliquer aux autorités.
29:06 J'ai dû nager comme ça jusqu'à la plage huit ou neuf fois. Après,
29:14 je refusais d'aller sur le bateau avec lui. En grandissant, je crois que mon père a fini
29:33 par se dire que j'avais oublié. Toute cette histoire a fini par disparaître. J'ai vécu
29:43 avec mon père jusqu'à mes 18 ans. Puis je me suis enfui et je ne voulais pas qu'il sache où je me
29:48 trouvais. Alors j'ai été choquée et terrifiée d'apprendre que mon père avait découvert où
29:57 j'avais emménagé. Encore aujourd'hui, j'ignore comment il m'a retrouvée. Mais un jour, il était
30:02 là. Je me souviens du jour où il est apparu. J'étais sur le point de sortir. Il était en
30:10 colère. Il m'a reproché de ne pas l'avoir appelé. Je ne tenais pas en place. J'étais terrifiée,
30:19 terrifiée qu'il m'ait retrouvée, terrifiée qu'il revienne. -Reviens ici, Laurie, je te parle.
30:25 Mon père apparaissait à différents moments, par ci, par là. Il savait que j'avais terriblement
30:34 peur de lui. S'il venait me voir comme ça, c'était pour me surveiller, pour faire peser
30:43 cette menace sur moi, pour que je ne révèle jamais le secret sur la mort de ma mère. Et ça a marché.
30:51 Avec le temps, je crois que mon père a repris le cours de sa vie. Il ne me surveillait plus
31:12 autant que lorsque j'étais plus jeune. J'ai commencé à vivre pleinement. J'ai fini le lycée,
31:23 je suis allée à la fac, j'ai fait différents boulots, je me suis mariée, j'ai acheté un cheval.
31:30 Une partie de moi était toujours prisonnière de cette peur, mais j'essayais de vivre ma vie. Un
31:41 jour, une magnifique jument s'apprêtait à avoir son poulain. Le petit est né, mais il ne voulait
31:47 pas sortir du placenta. Il ne pouvait pas respirer. La jument le savait. Ma jument savait que son bébé
31:58 devait respirer ou elle n'y survivrait pas. Alors ma jument s'est levée et elle s'est mise à pousser
32:08 son petit. Ça a déchiré le placenta. Elle serait morte pour ce petit. À ce moment-là, j'ai compris
32:21 au fond de moi, au plus profond de mon être, que ma mère m'avait aimée comme ça. Il fallait que
32:30 j'aille la récupérer. Je me suis assise sur la clôture et j'ai pleuré. Pardon, il fallait que j'y aille.
32:42 La disparition de ma mère a été considérée comme une disparition du jour où elle nous a quittés,
32:53 jusqu'à mes 31 ans, lorsque je suis allée voir la police. Un policier m'a reçu. J'avais rédigé
33:05 une courte déclaration. Je n'oublierai jamais le moment où je l'ai prise dans mes mains et où je
33:13 l'ai fait glisser sur le bureau pour la lui donner. Je leur ai dit ce qu'elle portait, comment elle
33:21 avait été tuée, où elle était enterrée et que son corps y était toujours. Je leur ai tout raconté.
33:30 Le policier était très surpris de la quantité de preuves que j'avais à apporter. Je lui ai demandé
33:38 s'il voulait que je la signe. J'ai sorti un stylo de mon sac à main, j'ai signé ma déclaration et
33:45 je l'ai lui rendue. J'étais terrifiée. Qu'est-ce qui allait se passer ? Mais j'étais tellement
33:54 soulagée de savoir qu'on allait peut-être m'aider. Un jour, mon grand frère m'a appelé. Le policier
34:12 était allé chez mon père pour l'interroger. Le policier avait dit à mon père que j'étais
34:18 allée voir la police pour leur apporter de nouveaux éléments. Et mon père, au cours d'un dîner,
34:26 n'a pas arrêté de dire que si je ne me taisais pas, il me réduirait au silence. J'étais le seul
34:35 témoin. J'étais la seule personne encore en vie à avoir assisté au meurtre de ma mère. J'étais
34:41 terrifiée. Je dormais avec un pistolet sous mon oreiller. Il avait déjà tué. J'étais convaincue
34:51 qu'il n'hésiterait pas à recommencer pour se protéger et pour préserver son secret.
35:07 Mon père avait vendu la maison de mon enfance quelques années avant que j'aille voir la
35:14 police. J'ai découvert que la maison avait été mise en location. Alors j'ai demandé à un agent
35:24 immobilier de négocier un contrat pour que je puisse acheter la maison de mon enfance. J'ai
35:30 appelé le policier pour lui dire que j'allais acheter la maison et récupérer le corps de ma mère.
35:35 Mais le policier m'a demandé au téléphone d'attendre 24 heures. Je lui ai dit que je
35:45 n'attendrai pas plus longtemps. Ils ont retrouvé le corps de ma mère ce jour-là.
35:51 Il y avait une partie de moi qui espérait que mes souvenirs seraient faussés,
35:59 que ça avait été un cauchemar. Mais tout ce que j'ai relaté a été confirmé. Je ne m'étais pas
36:11 trompée, pas même au sujet de la robe qu'elle portait ce soir-là. Il l'a étranglé avec des
36:18 bas et il a laissé les bas sur son corps quand il l'a enterré.
36:23 -Vous êtes inculpé de meurtre, d'accord? Le meurtre de Diane Keidel. C'est moi qui ai
36:36 déterré son corps aujourd'hui dans votre jardin. -Je ne comprends pas. Je ne sais rien de tout ça.
36:46 -Il a l'air très arrogant vu comme ça mais je le connais. Je vois qu'il a peur. Mon père ne
36:57 s'attendait pas à ça. Mon père pensait que le corps de ma mère était enterré sous une dalle de béton.
37:05 -Comment elle a pu être enterrée dans votre jardin? -Je ne sais pas. -Comment elle a pu être
37:11 enterrée dans votre jardin pendant que vous habitiez là-bas? -Je ne sais pas, je n'y
37:14 habitais pas à l'époque. -Comment ça? Bien sûr que si, vous y avez vécu dès le jour de sa disparition.
37:19 -Sur ces images, je vois son arrogance. Mon père croit encore qu'il va pouvoir s'en tirer. Il croit
37:29 encore que s'il appelle un avocat, il pourra reprendre le contrôle et qu'il s'en sortira.
37:35 C'était incroyable de me dire que j'allais pouvoir organiser des obsèques, que je pouvais
37:55 inhumer ma mère avec ses enfants. J'ai été submergée par tellement d'émotions différentes.
38:04 La joie, le chagrin, la peine, l'acceptation. Ça m'a permis en tant qu'adulte de faire le deuil
38:22 que je n'avais pas pu faire enfant. Savoir qu'elles étaient toutes réunies, que mes sœurs
38:30 étaient enfin avec ma mère, j'avais besoin de ça pour avancer. Les pompiers ont rouvert une
38:40 enquête sur l'incendie de la maison et ils ont fini par modifier les certificats de décès de
38:50 mes deux sœurs en indiquant incendie criminel et enfants assassinés. Mais mon père a seulement
38:59 été inculpé puis condamné pour le meurtre de ma mère. Les procureurs m'ont dit que si un jour il
39:06 y avait une chance qu'il soit libéré, il présenterait les accusations de meurtre de mes deux sœurs et
39:13 de tentatives de meurtre sur mon frère et moi. Mais au fond tout le monde sait que mes sœurs ont
39:21 été assassinées et ça me suffisait. Un, deux, trois.
39:40 La dernière fois que j'ai vu mon père c'était au tribunal le jour où il a été condamné. A chaque
39:48 fois qu'il a fait appel, on me prévenait par courrier. J'ai reçu ces lettres pendant plusieurs
39:55 années. Un jour j'ai reçu une lettre de la part du service de défense des victimes. On m'informait
40:04 qu'il était mort à l'hôpital et que je ne recevrai plus de courrier. Je n'avais jamais
40:13 vraiment pensé à la mort de mon père. Je n'y avais jamais pensé. Et j'ai pleuré. J'ai pleuré pour
40:27 son âme. J'ai pleuré parce qu'il est resté ce monstre jusqu'à sa mort. Mon père est mort sans
40:37 jamais avoir avoué la vérité. Il l'a emporté dans sa tombe. Je crois que l'on doit tous répondre
40:46 de ce que l'on fait sur cette terre. Et cela vaut aussi pour mon père. Il devra répondre de ses actes.
40:54 ♪ ♪ ♪

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