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C'est l'histoire d'un homme qui découvre dans le pain qu'il mange au petit déjeuner un nez...Retrouvez toutes les chroniques de Hippolyte Girardot dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-d-hippolyte-girardot

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😹
Amusant
Transcription
00:00 C'est l'histoire d'un homme qui découvre dans le pain qu'il mange au petit déjeuner, un nez.
00:04 Un nez, oui, un appendice nasal.
00:07 Mais d'où ce nez est là ? D'où qui naît ce nez ?
00:10 Et le pire, c'est qu'il reconnaît le nez.
00:13 Il le connaît, il l'a déjà vu sur le visage de quelqu'un, c'est sûr.
00:17 Pour ça, Ivan Yakolevitch a du nez, c'est sûr.
00:21 Ivan Yakolevitch, c'est étrange.
00:23 Ne manque-t-il pas le nom de famille ?
00:25 Alors que son enseigne de coiffeur barbier s'efface peu à peu, le nom de Ivan Yakolevitch
00:30 a déjà disparu.
00:31 Ivan Yakolevitch se sent coupable, car si ce nez est là, seul et sans visage, c'est
00:36 peut-être qu'il l'a coupé.
00:37 Oui, ces temps-ci, quand il rase, Ivan Yakolevitch blesse, érafle, écorche, bref, il perd la
00:44 main.
00:45 Et qui perd la main peut couper un nez, on connaît.
00:47 Et puis ça lui revient.
00:48 Oui, c'est le nez de Kovalev qu'il rase le mercredi et le dimanche.
00:52 Gogol écrit "Ivan Yakolevitch était complètement abasourdi.
00:56 Il réfléchissait, il réfléchissait et ne savait à quoi réfléchir".
01:00 Alors, voilà une phrase magnifique qu'on souligne au feutre quand on a 17 ans en découvrant,
01:06 outre le mystère féminin, les auteurs russes du 19ème siècle, mal lavés, illuminés,
01:10 visionnaires, lyriques et d'ailleurs tout à fait adaptés à notre temps moderne.
01:14 Gogol était à la fois ukrainien et russe, suivant les conquêtes militaires, ce qui
01:18 est très slave.
01:19 Slave-tude dont la devise pourrait être "demain sera pire qu'aujourd'hui alors buvons".
01:24 Ce nez coupé est une trouvaille.
01:28 A l'instar de Kafka, réinventant l'idée de la différence avec sa fameuse métamorphose,
01:32 Gogol, dans son génie, réinvente l'idée de l'identité.
01:35 Car qu'est-ce qu'un visage s'en est ? Que dirait Obélix de Cléopâtre ? Que saurait
01:39 déclamer Cyrano ? Que deviendrait l'évidence sans ce nez au milieu de la figure ?
01:43 Le génie de Gogol, disciple de Bouchkine, qui est l'inventeur lui de la littérature
01:48 russe, c'est de poursuivre la logique.
01:50 Le barbier décide de se débarrasser de ce nez.
01:52 Et discrètement.
01:53 Manquerait plus qu'il tombe nez à nez avec un policier.
01:56 Alors il le y jette dans le fleuve Neva.
01:58 On dit d'ailleurs à Saint-Pétersbourg "ce qui va à la Neva va".
02:02 Néanmoins, et ça sans jeu de mots, le premier chapitre s'arrête au moment même où un
02:05 policier qu'il a vu faire essaie adroitement de tirer les verres du nez à Ivan Nikolévitch.
02:10 Fin du premier chapitre.
02:11 Le deuxième chapitre s'ouvre sur le personnage de Kovalev, celui dont le nez s'est retrouvé
02:16 dans le pain.
02:17 Kovalev est un fonctionnaire très imbut de sa personne et sans son nez, il est comme
02:20 un bobo sans sabot, un facho sans fâcherie.
02:22 Et le voilà qui tombe nez à nez avec son nez.
02:25 Gogol écrit "le voici, mon nez, en uniforme brodé d'or, avec un grand collet montant,
02:31 en pantalon de peau de chamois et une épée aux côtés.
02:34 Au chapeau à plumes, on pouvait reconnaître qu'il était du grade de conseiller d'état".
02:38 Stupéfaction de voir son nez et stupeur de voir son grade au-dessus de Kovalev.
02:43 Son nez, si l'on peut dire, le dépassait d'une tête.
02:46 Donc je vais vous laisser découvrir ce chef-d'oeuvre du réalisme fantastique.
02:51 C'est une très bonne introduction à l'œuvre de Gogol qui elle-même est immense et magnifique.
02:55 C'est drôle et pertinent, c'est burlesque et satirique, c'est mystérieux et hilarant.
03:00 Franchement, ce serait dommage que ça vous passe sous le nez.
03:03 *Rires*
03:04 - Hippolyte Girardot, merci beaucoup.
03:06 Donc le nez de Nicolas Gogol, qui est un auteur que Juliette a déjà chroniqué pour un autre
03:10 ouvrage.
03:11 - "Les âmes mortes".
03:12 - Voilà, un autre classique.
03:13 Et vous avez donc ce point commun avec Juliette.
03:16 Vous l'avez lu quand pour la première fois ?
03:18 - J'avais 16 ans, donc ça remonte au XVIIIe, au VIIe siècle.
03:23 - Vous avez laissé un si bon souvenir.
03:25 - Oui, parce que c'est très compliqué le réalisme fantastique pour que ça marche.
03:28 En France, c'est pas du tout aimé.
03:29 Il y a Marcel Aimé, mais très peu d'eux.
03:31 En fait, on n'y croit pas beaucoup.
03:32 Et Gogol le fait sur un mode totalement naturel, ce qui fait qu'on rentre dans un monde parallèle
03:38 sans s'en rendre compte.
03:39 Evidemment, ce qui moi me séduit au-delà de tout.
03:41 - Ça a été joué au théâtre récemment, il y avait un acteur qui jouait le nez.
03:44 Et c'est assez rigolo évidemment.
03:46 Ben oui c'est rigolo en plus.

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