• l’année dernière
Jaleh Bradea reçoit sur Envie d’Agir Clotilde Gilbert, directrice générale de Wake up Café et Christian, wakeur intervenant chez Wake up Café. L’association travaille pour donner une seconde chance aux détenus et ex-détenus de se réinsérer durablement dans la société. Les wakeurs sont accompagnés individuellement et collectivement, à temps plein, dans leur projet professionnel, mais aussi dans leur phase de reconstruction. Wake up Café lutte ainsi contre la récidive et l’isolement.

Le producteur de musique Mouloud Mansouri raconte ses interventions dans les prisons avec son association Fu-jo. Il organise des concerts dans le milieu carcérale avec d’autres artistes comme Fianso, Rim’k et Spri Noir. Mouloud Mansouri a même créé un album en collaboration avec les détenus.

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Transcription
00:00 ...
00:08 -Bonjour et bienvenue dans "Envie d'agir",
00:10 où je suis très heureuse d'accueillir aujourd'hui
00:13 Clothilde Gilbert et Christian. Bonjour à tous les deux.
00:17 -Bonjour, Jélée. -Merci d'être avec nous.
00:19 Clothilde, vous avez passé de nombreuses années en prison,
00:24 et pourtant, votre casier judiciaire est vierge,
00:27 mais parce que vous avez été aumônier de prison.
00:30 -Exactement.
00:31 -Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé ?
00:34 Vous avez vu pendant ces années quelque chose
00:36 qui vous a donné envie d'agir, c'est pour ça que vous êtes là.
00:40 Racontez-nous.
00:41 -En tant qu'aumônier de prison, on a les clés des cellules.
00:44 On rencontre les personnes directement dans leurs cellules.
00:47 J'ai été très marquée, au début de cette mission,
00:50 de voir que ces personnes étaient enfermées,
00:53 22h/24, dans 9 m2, à rien faire toute la journée.
00:56 Et assez vite, je me suis rendue compte
00:58 que toutes allaient sortir de prison,
01:00 et que, dehors, retrouver un rythme de vie,
01:03 c'était très compliqué.
01:04 Et avec une première rencontre d'Olivier,
01:07 avec qui on a créé une chorale en détention
01:10 et enregistré un disque dans la prison,
01:12 il a eu besoin d'un emploi, il a eu besoin d'un logement,
01:16 ce que j'ai pu trouver pour lui.
01:20 Et voilà.
01:21 Et aujourd'hui, Wake Up Café permet ça à de nombreuses personnes,
01:25 mais le début de l'histoire, c'est vraiment ça.
01:27 -Vous savez ce qui vous a donné, à titre personnel,
01:30 d'aller vers ce type d'engagement ?
01:32 Tout le monde ne devient pas aumônier ou visiteur de prison.
01:36 Qu'est-ce qui vous a, vous, poussée vers cette cause ?
01:39 -Je crois que le fond, ce qui m'intéresse dans la vie,
01:42 c'est les rencontres.
01:43 Je trouve qu'on avance bien les uns grâce aux autres,
01:46 dans la vie, et donc chaque rencontre
01:48 me permet de mieux avancer.
01:50 Et en prison, j'avais cette opportunité
01:52 d'avoir des rencontres authentiques.
01:55 Quand on est dans une cellule, on ne parle pas de la pluie,
01:58 on parle des choses qui touchent au coeur,
02:00 des grands sujets qui touchent notre humanité.
02:03 Et je crois que c'est le fond de cet engagement.
02:06 Ensuite, c'était un engagement de par ma foi,
02:10 puisque j'étais aumônier catholique.
02:12 Et voilà.
02:13 Et j'ai aimé cette rencontre,
02:15 de leur permettre de découvrir qu'ils valaient bien plus
02:18 que les actes qu'ils avaient commis.
02:21 -Ce qui est un super message,
02:22 c'est qu'on pourrait se dire qu'il n'y a pas de justice
02:25 si ceux qui ont déjà payé leur peine
02:27 ne peuvent pas avoir une vie la plus normale possible,
02:30 plan sortant.
02:32 C'est ce constat qui vous a fait créer
02:34 ce qu'on appelle le "Wake up Café",
02:36 avec un nom qui en dit long aussi.
02:38 -Wake up, c'est vrai que c'est dynamique,
02:41 et c'est un nom qui marque.
02:42 Ce qu'on demande à ceux qui veulent être accompagnés
02:45 par cette association, c'est de reprendre leur vie en main,
02:49 de se dire qu'ils veulent faire autre chose de la vie,
02:52 de se dire qu'ils veulent réussir une vie où ils auront une vie meilleure
02:56 et agir de manière positive dans la société.
02:58 Les "wakers" sont des réveilleurs les uns pour les autres.
03:02 -C'est ça. Ils se réveillent eux-mêmes
03:04 et aident d'autres à se réveiller.
03:06 C'est quoi, les chiffres, aujourd'hui ?
03:08 Vous vous avez accompagné combien de personnes ?
03:11 Quels sont les résultats obtenus ?
03:13 -En France, il y a 100 000 personnes
03:15 qui sortent de prison chaque année.
03:17 -C'est énorme. Merci de nous rappeler ces chiffres.
03:20 -Ces personnes-là,
03:22 elles vont être recondamnées dans l'année qui suit la sortie de prison.
03:26 33 % sont recondamnées dans l'année.
03:28 Ca passe jusqu'à 60 % dans les cinq ans.
03:30 C'est vraiment un sujet de société fort,
03:32 ce sujet de la récidive.
03:34 -Bien sûr.
03:35 -Avec l'accompagnement très rapproché que propose Wake Up Café,
03:39 on a accompagné depuis le début de l'association,
03:42 donc bientôt neuf ans,
03:44 plus de 1 500 personnes de manière très individuelle,
03:47 très rapprochée,
03:48 avec un parcours au quotidien jusqu'à ce qu'ils trouvent
03:51 une formation ou un emploi.
03:53 Et sur ces 1 500 personnes, on a un taux officiel
03:56 donné par la direction de la statistique
03:59 du ministère de la Justice
04:00 de seulement, même si c'est trop,
04:03 seulement 12,6 % sur l'ensemble des personnes
04:06 accompagnées par Wake Up Café depuis le début.
04:09 Chaque fois que je vais sur un site Wake Up Café,
04:11 on est présents dans huit villes en France,
04:14 un lieu où on les accueille à temps plein,
04:17 et on a un wakeur qui dit que si il avait connu Wake Up Café,
04:20 il n'allait jamais retourner en prison.
04:22 Donc ça pousse à agir.
04:24 -Bien sûr. On a la chance d'avoir avec nous
04:26 aujourd'hui Christian, qui est un wakeur.
04:29 Christian, racontez-nous votre histoire.
04:32 -Pour commencer, j'ai été incarcéré très jeune,
04:35 mineur à l'âge de 15 ans.
04:37 Ca a été, oui, effectivement, ma première incarcération.
04:41 Suite à ça, s'en est suivi une multitude d'incarcérations.
04:45 Justement pourquoi ?
04:46 C'est qu'à l'époque, lorsqu'on sortait de prison,
04:50 on était confronté directement à son ancien environnement.
04:53 Il n'y avait pas d'association de réinsertion.
04:56 Du coup, avec la tentation et le manque de moyens,
04:59 forcément, on était projeté dans ce qu'on a toujours su faire.
05:03 C'était facile de remettre une pièce dans le jukebox,
05:06 comme je dis tout le temps, et puis de recommencer.
05:09 -C'est un peu le serpent qui se mord la queue.
05:12 On vous ferme des portes,
05:14 du coup, les seules qui s'ouvrent, c'est celle qui était déjà là,
05:17 qui vous avait fait un peu plonger à 15 ans.
05:20 Vous aviez quel âge quand vous êtes ressorti de prison ?
05:23 -Un peu avant mes 18 ans, deux jours avant mes 18 ans.
05:26 -D'accord. Et donc, là, vous y êtes retourné.
05:29 -Oui. -Et puis, vous avez rencontré
05:32 Wake Up Café ? -Oui, enfin, quelques années après.
05:35 En fait, avant déjà ma rencontre à Wake Up Café,
05:37 j'ai eu le déclic, déjà, de vouloir me sortir de cette vie-là.
05:41 -Super. -Et j'ignorais ce qu'était Wake Up Café.
05:44 J'ai rencontré des intervenants qui sont venus me voir,
05:47 qui ont parlé du parcours de Wake Up Café.
05:50 J'étais un peu sceptique à l'idée.
05:52 -Après, on perd peut-être la confiance en la société.
05:55 -Exactement. Quand on a passé autant de temps en prison,
05:58 on est en colère contre la société.
06:00 On a l'impression qu'on n'a pas été donné notre chance.
06:03 Une sortie de prison, c'est compliqué à vivre.
06:06 -Parlez-moi de la création de cette relation de confiance.
06:09 Le job que vous faites, il n'est pas évident.
06:12 -Il est même très compliqué.
06:14 Ce qu'on fait, c'est déjà, de prime abord,
06:16 on essaie de baser la relation sur la vérité.
06:19 Donc, on leur dit, si tu te la racontes,
06:21 si tu nous la racontes, tu vas perdre ton temps,
06:24 on va perdre notre temps, t'es pas au bon endroit.
06:27 On met tout de suite ça sur la relation de confiance et de vérité.
06:31 Ils savent que tout ce qu'ils vont nous dire,
06:33 on va les croire et on le dit.
06:35 Du coup, ils sont d'abord assez étonnés
06:37 par cette proposition qui leur est faite.
06:40 Et puis, la confiance, ils ont beaucoup de ruptures
06:43 de confiance dans leur histoire.
06:45 Ils la donnent pas du jour au lendemain.
06:47 Ils apprennent petit à petit qu'à "Wake up Café",
06:50 ils vont avoir des gens en phase 2 qui vont pas juger,
06:53 mais qui vont être à leur côté, en accompagnement,
06:56 vraiment, sur une posture d'adulte à adulte.
06:58 C'est ton projet, c'est ton histoire.
07:01 Si t'as ton cap, tu veux plus jamais retourner en prison,
07:04 t'as la meilleure équipe pour y arriver.
07:06 C'est un peu le langage qu'on leur dit
07:08 et on est à leur côté sur l'ensemble de leur situation.
07:12 -Christian, vous faites quoi, alors ?
07:14 -Aujourd'hui, maintenant, je travaille
07:16 au sein de "Wake up Café".
07:18 J'ai intégré les équipes.
07:19 Du coup, je participe à la formation des équipes.
07:23 J'anime également des ateliers, des groupes de parole,
07:26 avec ceux qui viennent de sortir de prison.
07:29 -Du sport ? -Oui, je suis un passionné de sport.
07:31 Je donne également des cours de sport pour les plus motivés.
07:35 -C'est très important.
07:36 C'est une grande fierté d'avoir Christian avec nous
07:39 et d'ailleurs trois autres Wakers
07:41 qui, aujourd'hui, viennent former les équipes "Wake up Café".
07:45 Quand je leur dis que c'est important
07:47 que vous soyez fort, solide,
07:49 les Wakers vont venir taper dedans pour voir si c'est vrai.
07:52 Si vous vous présentez avec...
07:54 Ils vont pouvoir vraiment s'appuyer sur vous.
07:57 Ça a beaucoup plus de force quand c'est des Wakers qui disent...
08:00 Vous savez, nous, on sait assez vite
08:02 qu'il y en a qui sont en face de nous.
08:04 Et pour que vous soyez fiables, il faut que vous soyez forts.
08:08 -Je vous propose qu'on écoute ensemble,
08:11 dans l'univers de la musique, dont vous avez parlé un peu,
08:14 le message engagé de Mouloud Mansoury.
08:17 -C'est une photo d'un concert que j'ai fait avec Ninho
08:20 sur une tournée de prison.
08:22 Je fais pas mal de photos des artistes que je ramène en prison.
08:25 Cette journée, on avait vachement discuté.
08:28 Il avait appris que j'avais sorti un album en 2014,
08:31 "L'Astara Academy", et il m'avait dit
08:33 que je connaissais le port du pétancier par coeur,
08:35 il faut absolument que tu refasses un album comme ça.
08:38 J'ai dit que c'était trop dur de réunir autant d'artistes
08:41 sur un même projet, donc j'y retournerai pas.
08:44 On a bien discuté toute la journée, il m'a motivé.
08:47 Quelques mois après, je suis reparti sur le projet.
08:50 On a sorti "L'Astara Academy", saison 2,
08:52 avec plein d'artistes.
08:54 C'est ce que je fais toute l'année, depuis 15 ans,
08:57 ramener des gros artistes qui représentent les détenus.
09:00 On fait des ateliers, des albums,
09:02 on fait plein de projets autour de la culture hip-hop,
09:05 mais pas que.
09:06 On a des concerts cette année avec Mathieu Chédid,
09:09 avec Kali, avec plein d'artistes.
09:11 On fait rentrer une culture de qualité dans les prisons.
09:14 L'idée est venue avec mon vécu.
09:17 J'ai fait 10 ans de prison,
09:20 et pendant ces années-là, les concerts, ça m'a vachement manqué.
09:23 J'ai réussi à organiser des concerts,
09:26 car j'avais rencontré un directeur très ouvert.
09:28 J'ai organisé six concerts pendant que j'étais encore détenu.
09:31 Et à la sortie, j'ai monté mon association
09:34 pour pouvoir intervenir avec des moyens en détention.
09:39 Six mois après, j'ai organisé ma première tournée.
09:42 Sur un projet comme "L'Astara Academy",
09:44 on reste plus d'un an avec les détenus,
09:46 on continue de travailler avec eux.
09:48 Certains sont sortis en permission pour enregistrer des titres.
09:52 Là, c'est différent.
09:54 On construit avec eux un début de carrière,
09:57 on les met sur le devant de la scène, on leur donne une carte de visite.
10:00 Je pense qu'ils se rendent compte de la chance qu'ils ont,
10:04 en tout cas, j'espère.
10:05 Pendant tout le temps où tu travailles sur ces projets-là,
10:09 ton cerveau est concentré sur un truc intelligent
10:12 qui peut t'emmener ailleurs,
10:14 et qui peut te sortir de la délinquance,
10:18 mais qui te motive à sortir de ça.
10:20 On sait que la musique adoucit les mœurs.
10:23 Avec toute l'attention qu'il y a en détention,
10:26 il n'y a pas mieux que la musique pour faire du bien aux détenus.
10:30 -Merci, Mouloud Mansoury.
10:31 Comment vous réagissez à ce message ?
10:34 -Pour compléter ce que dit Mouloud,
10:36 c'est que pour sortir de la délinquance,
10:38 il y a besoin de travailler.
10:40 C'est vrai qu'on a créé le Quai Liberté,
10:43 un lieu où on embauche dès la sortie de prison
10:45 des personnes suivies par Wake Up Café.
10:49 Ça leur donne un salaire, ça leur évite de retourner vers ce qu'ils savent faire,
10:52 et ensuite, on les forme.
10:54 D'abord, on embauche, ensuite, on forme,
10:55 et c'est un lieu tremplin pour aller construire son projet professionnel.
10:59 -C'est génial. Et ce lien social qui est hyper nécessaire
11:02 pour revenir dans la société. -Indispensable.
11:05 -Et vous, Christian, vous avez une réaction
11:07 par rapport à ce que dit Mouloud ?
11:09 -Oui, un message très positif, très encourageant.
11:11 On le soutient, justement, pour son association.
11:15 Aujourd'hui, ce qui est bien, c'est ce genre d'association
11:18 comme Wake Up Café qui permet une réelle cassure
11:21 justement avec son ancien environnement
11:22 pour un retour au travail, un retour en société.
11:26 -Et c'est quoi, votre envie d'agir à tous les deux ?
11:28 Je vais commencer avec vous, Clotilde,
11:30 aller pour les cinq prochaines années ?
11:32 -C'est permettre au plus grand nombre de sortants de prison
11:36 de ne pas se retrouver tout seul à la sortie de prison,
11:38 en traînant sans savoir vraiment où aller,
11:42 et de pouvoir être accompagné avec des équipes formées
11:45 et d'avoir une vie meilleure pour la suite.
11:48 -Je le souhaite aussi, vraiment.
11:50 Et vous, Christian, vous aidez déjà au Wake Up Café,
11:53 donc c'est quoi votre envie d'agir ?
11:54 -Oui, continuer d'aider
11:56 pour que les détenus aient la prise de conscience, justement,
11:59 qu'il est temps de se réveiller,
12:01 et de, justement, continuer à chercher du travail
12:05 pour une bonne réinsertion, si je peux dire.
12:08 -Merci à tous les deux d'avoir été avec nous
12:11 pour ce beau sujet.
12:12 Je prendrai de vos nouvelles.
12:13 Je suis déjà allée, que liberté, prendre un verre.
12:16 -Génial, il a bien vu.
12:18 -Merci beaucoup.
12:20 -Et je vous rappelle aussi, effectivement,
12:22 qu'il y a une guinguette sur "Quelle liberté ?"
12:23 où on peut se rendre.
12:24 C'est la péniche de Wake Up Café, comme vous venez de dire,
12:27 qui est ouverte de mai à octobre.
12:29 L'occasion aussi pour vous, si vous avez envie,
12:32 d'aller à la rencontre des ex-détenus
12:34 et de, comme ça, changer le regard sur les choses,
12:36 parce que le changement de regard est aussi très important.
12:39 Si vous voulez aussi aller plus loin sur cette thématique,
12:42 je vous conseille ce livre
12:44 qui a été écrit par un "waker"
12:46 qui s'appelle "La moitié du chemin",
12:48 Dany le braqueur, aux éditions Wake Up.
12:51 Et puis n'oubliez pas non plus nos podcasts "Envie d'agir",
12:53 "L'histoire continue", qui sont toujours disponibles
12:55 sur les plateformes MyCanal, Apple, Deezer, Spotify.
13:00 Et puis on se retrouve très vite sur C8 pour plus d'envie d'agir.
13:03 Merci.

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