Baromètre #StOpE 2023 : pour 8 femmes sur 10, les attitudes et décisions sexistes sont régulières au travail. Un constat inchangé depuis deux ans et aujourd’hui partagé par toutes les générations : Brigitte Grésy, experte des questions de sexisme au travail, est l'invitée de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-jeudi-15-juin-2023-8505988
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00:00 Il est 6h19, à présent nous allons faire un état des lieux du sexisme ordinaire au
00:04 travail en France, avec les résultats d'une enquête que nous vous dévoilons ce matin
00:08 et qui porte sur près de 90 000 personnes.
00:11 Ce baromètre est établi par le collectif Stop qui réunit 200 entreprises, des sociétés
00:16 qui se sont engagées à lutter contre le sexisme ordinaire.
00:19 Bonjour Brigitte Grésy, vous êtes partenaire de ce collectif depuis le début et on vous
00:24 connaît aussi parce que vous avez présidé le Haut Conseil à l'égalité entre les
00:27 femmes et les hommes entre 2019 et 2022.
00:30 La première édition de ce baromètre c'était il y a deux ans et aujourd'hui quand je vois
00:34 les résultats que vous m'avez envoyés, ce sont les mêmes.
00:37 Pour 8 femmes sur 10, les attitudes, les décisions sexistes sont régulières au travail donc
00:43 ça ne bouge pas, il n'y a aucune amélioration ?
00:44 Le sexisme ne faiblit pas en entreprise.
00:47 Il y a quand même quelques petites lueurs d'espoir qu'on va évoquer mais c'est un
00:51 peu ça notre étonnement et notre déception relative.
00:55 C'est-à-dire qu'on avait quand même 200 entreprises, grandes entreprises, avec une
01:00 population puisqu'il y a une sorte de 76% de cadres.
01:04 C'est pour ça qu'on a cette consultation auprès de 90 000 salariés qu'on met en
01:08 regard d'un sondage avec 1000 personnes dans les entreprises de plus de 200 pour voir
01:12 précisément les écarts et rectifier lorsqu'il y a des choses qui sont vraiment difficiles
01:18 à comparer.
01:19 Donc on était étonnés, on a quand même des chiffres près de plus de 80% des femmes
01:24 ont ressenti des phénomènes de sexisme, 90% d'entre elles estiment que ça a impacté
01:31 leur sentiment de confiance en elles et de compétence.
01:33 Autrement dit des chiffres lourds, 90% estiment qu'elles connaissent plus d'inégalités
01:39 professionnelles que les hommes.
01:40 Donc ça, ça ne bouge pas.
01:42 Ça ne bouge pas d'ailleurs même depuis 2013 où au Conseil supérieur de l'égalité
01:46 professionnelle on avait fait une enquête et c'était à peu près ces mêmes chiffres.
01:48 Ça ne bouge pas alors que depuis lors il y a eu MeToo, qu'il y a quand même eu le
01:54 droit avec des innovations juridiques sur l'outrage sexiste, l'agissement sexiste,
02:00 etc.
02:01 Et pourtant, donc on a l'impression que le sexisme est terriblement enquisté dans les
02:09 organisations, les relations interpersonnelles.
02:11 Et pourtant il y a des espèces de notes d'espoir puisque parmi les salariés, il y a des salariés
02:18 qui sont dans le collectif, et bien on a près de la moitié des femmes qui disent
02:24 néanmoins avoir vu des changements.
02:27 Beaucoup disent qu'ils essayent de se comporter de façon à éviter des comportements sexistes.
02:35 Les salariés sont deux fois plus formés dans ces organisations au sexisme que les
02:40 autres.
02:41 Donc on a quand même des écarts, je dirais de ressenti des salariés dans ces grandes
02:47 entreprises.
02:48 Mais de quoi parle-t-on exactement Brigitte Grézy ? C'est quoi le sexisme ordinaire ?
02:51 Pourquoi vous mettez ce mot ordinaire ? C'est quoi la différence entre le sexisme et le
02:54 sexisme ordinaire ?
02:55 Alors le sexisme c'est une idéologie qui érige la supériorité d'un sexe par rapport
02:59 à l'autre.
03:00 Et ça peut passer du sexisme ordinaire au harcèlement sexuel, agression sexuelle, viol,
03:04 toutes les violences sexistes et sexuelles.
03:06 Le sexisme ordinaire c'est en fait le terreau de base, c'est-à-dire tous ces gestes, ces
03:12 mots, ces mots qui l'air de rien, de façon insidieuse, sauvenoise, délégitime, disqualifient
03:19 les femmes dans le monde du travail.
03:21 Alors on a des exemples, les blagues sexistes, « mais t'es blonde ou quoi ? », les
03:26 blagues sur le management, « mais t'as pas des épaules assez larges ? », les blagues
03:30 sur la maternité, « ah bah dis donc, tu vas encore prendre trois mois de vacances
03:33 ? », « non mais attends, avec tous tes enfants tu vas pas aller en Chine ? », etc.
03:39 On a toute une série de manifestations du sexisme et on l'appelle ordinaire parce
03:46 que c'est un sexisme quotidien qui parfois ne se voit pas.
03:50 Et ce qui est intéressant dans cette enquête c'est qu'on a 80% de femmes qui disent
03:54 l'avoir ressenti, mais c'est toujours pareil dans les enquêtes de ressenti.
03:58 On se demande si en fait il y en a beaucoup qui ont ressenti des choses qu'elles ne
04:04 ressentaient pas avant parce qu'on a mis le doigt sur des choses.
04:07 C'est pour ça que les chiffres restent élevés aujourd'hui.
04:10 Voilà, moi je pense qu'il y a ce biais-là.
04:12 Est-ce qu'il y a des hommes aussi qui sont confrontés au sexisme ?
04:15 Alors oui, il y a un sexisme à l'égard des hommes, mais c'est jamais symétrique.
04:18 Par exemple, un éducateur de jeunes enfants arrive dans une école, ils sont 4% d'éducateurs
04:24 de jeunes enfants, au bout de 3 ans, 4 ans, ils deviennent très souvent directeurs d'école.
04:28 Il y a une forme de sexisme, et double toujours, pour les femmes comme pour les hommes.
04:33 Il y a le sexisme de l'humiliation, t'es une femmelette, par métonymie, avec la dévalorisation
04:39 des femmes.
04:40 Et puis il y a le sexisme de l'injonction, fais ceci, fais cela, sois un homme, ne pleure
04:44 pas.
04:45 Donc il y a ces deux formes-là qui les encadrent, mais les conséquences sur leur travail, sur
04:53 leur bien-être n'ont strictement rien à voir.
04:55 Et pour les auteurs des faits, est-ce qu'on entend encore dans les entreprises « oh ça
04:59 va, on ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire, oh ça va c'était une blague,
05:02 faut pas le mal le prendre, c'était pour rigoler ». On entend encore ça ?
05:06 Oui, alors moi ce que je trouve très intéressant, c'est qu'en fait on a 4 foyers où le sexisme
05:13 est totalement enquisté.
05:14 C'est évidemment dans l'aptitude de management des femmes, c'est vraiment la zone obscure,
05:20 avec en plus tout ce mythe du leadership au féminin, où on essaie d'essentialiser
05:24 des compétences des femmes qui sont douces, sympathiques, etc.
05:27 Mais qui en fait les conduit à des injonctions.
05:31 On a tout ce qui concerne la maternité, on a tout ce qui concerne les inégalités professionnelles,
05:38 et puis tout ce qui concerne les incivilités quotidiennes, la fausse séduction, les blagues,
05:45 les incivilités en réunion quand on coupe la parole, les injonctions paradoxales.
05:50 « Tu vas y aller comme un homme, mais tu restes une femme », etc.
05:53 Donc ça, si vous voulez, on a ces 4 lieux très forts.
05:56 Et en même temps, on a, et c'est ça qui m'inquiète, on a deux populations cibles
06:03 qui posent problème.
06:04 Les jeunes, femmes et hommes, et les hommes d'une façon générale.
06:11 Parce que dans le même temps ils disent à 50% et un peu plus « oui, oui, quand même
06:16 on reconnaît le sexisme », mais dans le même temps ils disent « bon, c'est bon,
06:19 on ne peut plus rien dire ». Et il y a la montée de ce que j'appelle une « gender fatigue ».
06:23 Et quand une personne en est victime, que lui conseillez-vous de faire ? Est-ce qu'il
06:26 faut en parler à des collègues, à son supérieur si ce n'est pas celui qui est l'auteur
06:30 du sexisme ? Est-ce qu'il faut, je ne sais pas, si on nous fait une blague complètement
06:33 déplacée, est-ce qu'il faut répondre par une autre blague ? Comment on fait ?
06:36 Les recettes magiques, ça n'existe pas.
06:38 D'abord parce que le seuil de tolérance au sexisme est extrêmement différent suivant
06:42 les individus.
06:43 Que d'autre part, on ne répond pas de la même façon à notre supérieur hiérarchique
06:47 qui vous fait une blague sexiste et à un collègue qu'on connaît très bien.
06:51 Donc l'humour est une arme fatale, extraordinaire, mais qui peut être fatale justement parce
06:56 qu'on se rend compte que pour beaucoup de femmes, le coût de la dénonciation est plus
07:00 lourd que le coût de l'acceptation.
07:02 Et c'est pour ça qu'elles sont souvent dans le déni, l'euphémisation, « mais
07:05 non, mais ce n'est pas grave ».
07:06 Parce qu'elles ont peur de se faire saquer, c'est ça, si elles le dénoncent.
07:08 Absolument.
07:09 Et donc, que répondre ? Moi je dis qu'on ne laisse rien passer.
07:13 Mais il faut apprendre à formaliser, à consolider ce que l'on a ressenti, pour pas réagir
07:21 dans le tac au tac, c'est-à-dire l'effet « boobrang », c'est toi qui te dis,
07:24 c'est toi qui y es, parce que là on est toujours perdant.
07:26 Mais en même temps, formaliser pour pouvoir élaborer autour de ce qui est une agression.
07:32 Voilà, et une agression et une infraction, c'est important de le rappeler aussi, c'est
07:35 inscrit dans le Code du Travail et dans le Code pénal.
07:37 Absolument.
07:38 L'agissement sexiste est inscrit dans le Code du Travail et dans le Code pénal, on
07:42 a l'outrage sexiste, alors c'est un peu différent, c'est dans les espaces publics,
07:46 et puis on a cette nouvelle définition du harcèlement sexuel qui comprend des actes
07:51 et des comportements à connotation sexiste et sexuelle.
07:53 Mais le contentieux sur ce sujet est quasiment inexistant.
07:57 Il n'y a pas de plainte, jamais ?
07:58 Les plaintes c'est très compliqué, parce qu'en fait les femmes peuvent parler à
08:03 la cellule d'écoute, elles peuvent parler à leur DRH, mais il y a beaucoup, beaucoup,
08:07 beaucoup de barrières et de peur.
08:09 Et donc aujourd'hui, on aurait besoin d'une jurisprudence sur le sexisme.
08:14 Voilà, et ce baromètre va peut-être libérer la parole aussi.
08:16 Merci Brigitte Grézy d'être venue ce matin pour nous présenter ce baromètre qui est
08:20 établi par le collectif Stop, ça s'écrit avec un E à la fin.
08:23 [Musique]