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Les riches, nouveaux boucs émissaires du « malheur » français ? Milliardaires traités de « vampires » par Marine Tondelier, secrétaire générale d'EELV, menacés de coupures d'électricité par la CGT, les riches et surtout les ultrariches sont plus que jamais la cible d'un discours populiste. Il suffit d'écouter les tirades d'un Jean-Luc Mélenchon pour qui les riches sont « responsables du malheur des pauvres » et visant Bernard Arnault, président de LVMH, d'un « nous avons, dans notre pays, la pire des offenses : le premier milliardaire du monde ».

C'est cette haine bien française que Le Point vous propose d'explorer avec Valérie Toranian, directrice de la rédaction du Point et Pascal Bruckner, essayiste et philosophe, auteur de La Sagesse de l'argent (Éditions Grasset, 2016).
#débats #LePoint #PascalBruckner #richesse

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Transcription
00:00 Merci chers amis, merci d'être avec nous aujourd'hui ce soir en compagnie de moi-même,
00:06 Valérie Thoregnon, directrice de la réduction du Point, et Pascal Bruckner,
00:10 que malheureusement vous ne voyez pas sur votre écran,
00:13 mais je peux vous garantir qu'il est avec nous, il est avec nous par la voix.
00:17 Pascal, est-ce que vous m'entendez ?
00:19 Là, je vous entends très bien Valérie.
00:22 Bon, c'est super. On a un petit problème technique, mais ce n'est pas grave.
00:25 Ça ne va certainement pas nous arrêter et nous empêcher d'avoir cette discussion.
00:29 Fructueuse, je l'espère.
00:31 Donc, je vais vous présenter déjà à tous nos amis abonnés qui sont aujourd'hui avec nous
00:38 et qui vont, je l'espère, vous poser beaucoup de questions.
00:41 Alors, Pascal Bruckner, vous êtes romancier, vous êtes essayiste, philosophe.
00:45 Je ne vous présente plus à nos lecteurs parce qu'ils ont la chance de vous lire régulièrement dans les colonnes du Point.
00:51 Et d'ailleurs, je recommande à ce propos la lecture d'un article absolument formidable
00:57 que vous avez fait dans un de nos récents numéros,
00:59 « La France et le conservatisme insurrectionnel, quand l'ultra-gauche et l'écologie sont les phares de la bien-pensance,
01:06 l'hypocrisie, le dispute à la malhonnêteté intellectuelle ».
01:09 Voilà, c'est tout, c'est tout Pascal Bruckner et c'est tout ce qu'on adore.
01:12 Alors, je voudrais dire que vous êtes l'auteur du Sacre des Pantoufles,
01:15 que je vais montrer immédiatement, voilà, ce livre qui est paru il y a quelques mois chez Grasset.
01:22 Vous expliquez dans ce livre la tendance lourde qui s'est amplifiée lors de la pandémie
01:28 du repli sur les pénates, sur notre espace personnel douillet, numérisé, connecté, antidote à toutes les menaces du monde.
01:36 Mais si vous êtes avec nous aujourd'hui, ce n'est pas tant pour parler de nos pantoufles, quoique,
01:42 mais c'est parce qu'il nous a semblé que vous étiez la personne la plus adéquate
01:46 pour parler de cette passion si française de la haine des riches.
01:49 Vous avez écrit en 2017 « La sagesse de l'argent », publié chez Grasset également,
01:55 où vous dites « Bien penser, c'est également apprendre à bien dépenser pour soi et pour autrui ».
02:00 En fait, votre livre, c'est une analyse en profondeur des ressorts de l'envie, de l'avarice, du don,
02:05 et vous dénoncez aussi la logique de la goinfrerie.
02:08 En fait, vous nous proposez quelque chose d'apaisé et d'assagi,
02:12 une réflexion autour de la richesse, de l'argent et des riches.
02:16 Eh bien, j'ai l'impression que dans notre pays, on en est bien loin,
02:18 parce que, comme vous le savez tous, il y a quelques semaines,
02:21 on a vu des syndicalistes attaquer le siège social de LVMH.
02:26 La haine dont est l'objet Bernard Arnault lui-même, le patron de LVMH, n'a pas de limite.
02:33 Et je voudrais citer, je ne peux pas m'en empêcher, Jean-Luc Mélenchon sur son compte Twitter,
02:38 « Nous avons dans notre pays la pire des offenses, le premier milliardaire du monde.
02:43 Oui, les riches sont responsables du malheur des pauvres.
02:46 Accumuler de l'argent, c'est immoral, puisque ce qui est accumulé, c'est ce qu'on a pris aux autres. »
02:51 Alors, ma première question est très simple, Pascal Bruckner.
02:55 D'où nous vient cette haine des riches ?
02:59 Alors, cette haine des riches, elle a plusieurs sources.
03:03 La toute première, c'est la tradition catholique.
03:08 Donc, le catholicisme se distingue par rapport aux autres branches du christianisme,
03:13 par rapport à l'islam et au judaïsme.
03:15 Par son inversion de l'argent, c'est la fameuse phrase du Christ,
03:19 « Il est plus difficile à un riche d'aller au paradis qu'à un chameau de passer par le chat d'une aiguille. »
03:24 Cette tradition est pleine d'anathèmes contre la richesse et d'éloges de la pauvreté.
03:33 C'est la fameuse phrase « Les derniers sur terre seront les premiers au paradis »,
03:38 qui étant en réalité une phrase très ambiguë, parce que c'est une manière de dire aux pauvres,
03:41 ne vous révoltez pas, puisque de toute façon, Dieu vous réserve le meilleur siège dans l'au-delà.
03:48 Mais le catholicisme romain façonne la France beaucoup plus qu'on ne le croit,
03:54 même si nous sommes aujourd'hui, globalement, une nation où le christianisme s'effondre,
04:00 la pratique chrétienne s'effondre, mais les passions chrétiennes restent très fortes.
04:04 Et j'en veux pour preuve le pape François, qui a été formé à la théologie de la libération.
04:11 Il est argentin et qui a repris une phrase d'un père de l'église du 5e siècle,
04:19 expliquant que l'argent c'était le fumier du diable.
04:22 C'est-à-dire que le mot diable doit être pris dans son sens classique, c'est ce qu'il divise.
04:26 L'argent c'est ce médium qui sépare l'homme de Dieu.
04:31 Et dans toutes les grandes utopies messianiques,
04:34 on rêve d'une société où les hommes seraient au présent les uns aux autres,
04:38 proches de Dieu, mais l'argent a introduit un ferment de division.
04:42 Et dans la tradition chrétienne, ce ferment sera en quelque sorte incarné
04:49 par la figure du juif, de l'usurier, de celui qui a consacré sa vie à l'argent.
04:55 Mais l'impact du catholicisme ne suffit pas à expliquer la haine française de l'argent,
05:06 parce que si vous allez en Italie ou en Espagne, un pays évidemment catholique,
05:11 vous n'avez pas du tout cette espèce de férocité que vous citiez par exemple Mélenchon.
05:19 Mélenchon qui est par ailleurs lui-même millionnaire,
05:22 puisque son patrimoine a été évalué à 1,4 million d'euros,
05:25 ce qui n'est pas mal pour un ennemi des riches, mais peu importe les contradictions.
05:30 Alors il y a un deuxième facteur en France, c'est la tradition aristocratique,
05:36 qui elle est très importante et qui explique aussi pourquoi nous méprisons le travail
05:44 et nous détestons l'argent.
05:46 J'ai retrouvé, si vous me permettez Valérie, de citer une phrase de Labrouillère,
05:51 donc écrivain de Pierre Gimbe.
05:54 – Avec plaisir.
05:56 – "Il y a des âmes sales, pétries de boue et d'ordure,
06:00 éprises du gain et de l'intérêt, comme les belles âmes le sont de la gloire et de la vertu.
06:05 De tels gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens,
06:08 ni peut-être des hommes, du point ils ont de l'argent."
06:12 C'est-à-dire que le royaume de l'avoir vous expulse du royaume de l'être.
06:17 Et il y a une chose qu'il faut comprendre, c'est que l'aristocratie française,
06:21 n'a pas comme l'aristocratie britannique entamé un processus de création industrielle.
06:28 L'aristocratie française a fait la guerre,
06:31 et puis elle a été en quelque sorte domestiquée par le roi Louis XIV,
06:36 qui a transformé les frondeurs en flatteurs, les guerriers en courtisans.
06:41 Et donc cette tradition est assez forte dans notre mépris du travail notamment.
06:46 Et puis le dernier point, c'est évidemment l'égalitarisme révolutionnaire de 1789,
06:53 où pour beaucoup d'agitateurs,
06:56 et d'ici-devant ce n'est pas simplement les aristocrates et les curés qu'il faut guillotiner,
07:01 mais c'est les agitateurs, c'est les riches, c'est les boursigoteurs.
07:04 Et ça c'est une tradition qui va alors devenir omniprésente,
07:11 et qu'on retrouve dans toute la littérature française jusqu'à aujourd'hui.
07:15 Alors justement, vous évoquez la littérature française,
07:19 est-ce que notre problème ne vient pas aussi,
07:23 paradoxalement ou pas, mais de nos grands esprits et des lumières,
07:26 en tout cas de notre cher Jean-Jacques Rousseau,
07:29 qui écrit dans ses confessions
07:31 « Aucun de mes goûts dominants ne consiste en choses qui s'achètent,
07:35 il ne me faut que des plaisirs purs, et l'argent les empoisonne tous. »
07:39 En fait, ma question, au-delà de ce que vous venez de citer,
07:42 c'est-à-dire bien sûr il y a cette racine catholique,
07:45 bien sûr il y a le mépris aristocratique et notre héritage révolutionnaire,
07:52 mais est-ce que tous nos philosophes, y compris les plus éclairés,
07:56 ont eu un rapport, j'allais dire, sain et apaisé avec la question de l'argent ?
08:01 Rousseau en tout cas, pas franchement ?
08:04 Non, pas du tout.
08:05 Rousseau est justement le père de nos insoumis, si j'ose dire,
08:10 et le père des écologistes aussi,
08:11 puisque c'est en fait celui qui a le mieux anticipé la modernité,
08:16 puisque son sentiment de la nature l'a poussé à s'éloigner des villes,
08:20 de la vie en société et de tout ce qui gâte la vie publique,
08:24 et notamment le goût de la fortune, le goût de l'argent et l'hypocrisie.
08:28 Il me semble que la France est déchirée entre deux tendances majoritaires,
08:35 mais qui sont représentées, vous avez raison,
08:37 d'une part par Rousseau et de l'autre par Voltaire.
08:39 Or Voltaire, c'est par excellence le bel esprit qui aime la vie mondaine.
08:45 Lorsque Rousseau lui envoie son traité sur l'inégalité,
08:50 Voltaire est absolument consterné,
08:53 et c'est lui qui explique alors que le supercru est chose très nécessaire,
08:57 et il conclut sa réponse à Rousseau par cette phrase,
09:02 "Quel idiot, s'il avait un bon lit, aurait couché dehors."
09:06 Et donc il me semble que l'opposition entre Rousseau et Voltaire
09:11 est très éclairante pour la France d'aujourd'hui,
09:14 parce que Rousseau c'est donc l'apôtre anticipé de la sobriété moderne,
09:21 de la simplicité, alliée à la vertu.
09:24 Si vous avez une vie simple, vous êtes forcément un être vertueux,
09:28 et pour Voltaire au contraire, il faut rouler en carrosse,
09:31 il faut avoir un hôtel particulier,
09:34 il faut croire dans les vertus du tout commerce,
09:36 qu'il s'élèvre comme le faisait Montesquieu.
09:39 Et chez Voltaire, évidemment, cet amour du confort et du bus,
09:44 n'empêche en rien les engagements, puisqu'il a pris de très grands risques
09:48 pour sauver un certain nombre de gens de l'arbitraire royal
09:52 ou d'absolutisme de l'Église.
09:54 Mais on a l'impression qu'en France, les sous-titres sont de Rousseau,
10:02 mais les affiches sont de Voltaire.
10:04 C'est-à-dire que quand vous regardez la République française,
10:07 le palais de l'Élysée est un palais princier,
10:12 et nos préfectures en province sont toutes des bâtiments royaux,
10:17 le mobilier est magnifique,
10:19 nous avons un goût du patrimoine qui est unique en Europe,
10:23 et en même temps, nous ne cessons de parler la langue de l'ascétisme,
10:29 de la privation bienheureuse,
10:32 et donc on a l'impression que les Français sont déchirés entre deux aspirations,
10:37 l'inspiration à un jansenisme proclamé,
10:40 mais qui est en quelque sorte contredit
10:42 par tout ce qui fait l'agrément de la vie moderne, le goût du confort,
10:47 le goût des soins gratuits, l'éducation gratuite,
10:51 les transports, les voyages,
10:53 ce qui fait que les Français sont à la fois des citoyens
10:56 qui se prétendent austères,
11:00 mais en même temps des consommateurs qui aiment
11:02 toutes les douceurs de la vie moderne.
11:06 Et c'est là évidemment que le bas blesse pour nous,
11:11 puisque nous vivons d'emblée,
11:13 que nous soyons de gauche ou de droite,
11:15 parce que je crois que ça n'a pas beaucoup d'importance,
11:17 nous vivons d'emblée dans une schizophrénie qui nous traverse à tout moment.
11:23 Alors justement, vous dites que l'on soit de gauche ou de droite,
11:26 a priori c'est très surprenant,
11:27 parce que nous le discours qu'on entend,
11:29 la radicalité qui est à l'œuvre en France aujourd'hui,
11:32 y compris dans l'exposition de toute cette extrême gauche
11:36 à travers la France insoumise et la dupesse,
11:39 on a l'impression qu'on nous redonne le récit de la révolution,
11:44 des sans-culottes, des aristocrates à la lanterne,
11:46 on va aller au château, on va mettre le feu à l'Elysée, etc.
11:51 On a l'impression que tout ça c'est quand même notre héritage révolutionnaire
11:53 qui prend le dessus.
11:55 Et vous, vous nous dites non,
11:56 cette haine des riches et de l'argent, elle peut aussi être à droite ?
12:00 Oui, bien sûr, elle est à droite aussi, moins bruyante.
12:05 Alors d'abord c'est vrai que la gauche vit sous le grand récit
12:09 de la révolution française et de la révolution bolchevique et de la résistance.
12:12 On l'a vu pendant ces quatre mois de grève
12:15 qui se sont achevés hier par une sorte de déconfiture syndicale.
12:20 On a vu, on reprenait la bataille du rail,
12:23 comme en 1941 contre les Allemands,
12:26 c'était donc le néo-bolcheviste et les sans-culottes.
12:30 Mais la droite a fait la part belle à la haine de l'argent.
12:34 Quand je vous cite une phrase de De Gaulle,
12:35 "Mon seul adversaire, celui de la France, n'a en aucune façon cessé d'être l'argent".
12:41 C'est en 69.
12:42 Et pour bien voir que cette haine de l'argent,
12:47 elle est équitablement partagée entre la droite et la gauche,
12:51 il faut se souvenir de deux penseurs
12:53 qui ont considérablement influencé les lettres françaises.
12:57 Le premier c'est Léon Blois au 19ème siècle,
13:01 un pamphlétaire catholique et antisémite
13:03 qui non seulement détestait l'argent,
13:06 mais souhaitait que les riches qu'il appelait des mangeurs de bourg
13:10 soient châtiés sur la place publique,
13:13 qu'on leur crève les yeux et qu'on les châtre,
13:16 pour qu'à leur tour ils ne prôneraient pas de monstres.
13:18 Donc c'est quand même assez radical comme programme.
13:21 Et je veux dire que Mélenchon de côté, c'est un enfant de cœur.
13:24 Et puis il y a un autre philosophe et écrivain beaucoup plus connu,
13:28 qui s'appelle Charles Péguy,
13:29 et c'est un chrétien fervent,
13:31 qui a par ailleurs des immenses vertus,
13:34 mais il pense lui que le monde moderne
13:38 a laissé l'argent seul face à Dieu,
13:40 et que cet argent a entraîné la prostitution universelle de toutes les choses.
13:45 Et Péguy, dans sa haine de l'argent,
13:47 ira jusqu'à demander aux ouvriers de refuser leur salaire
13:52 et d'être payés par un système de troc,
13:54 ce qui constitue un plaidoyer involontaire
13:57 pour le rétablissement de l'esclavage.
13:59 Et donc vous voyez que la droite par aillement
14:02 a cette espèce de pudeur et de dégoût de l'argent
14:05 qui fait que la France,
14:10 la France a vis-à-vis du vaut d'or
14:12 une attitude qui est très proche de l'hypocrisie.
14:15 Alors là, il y a cette phrase de Balzac,
14:17 parce que Balzac c'est quand même le grand écrivain d'argent.
14:20 – Ah oui, il lui fait parler de l'argent
14:22 et il lui fait dire des choses abominables.
14:24 Je vous écoute.
14:25 – Oui, oui, alors par exemple dans le "Père Couriot",
14:27 il y a cette phrase géniale qui fait dire à Vaucrin
14:29 "le secret des grandes fortunes sans cause apparente
14:32 est un crime oublié parce qu'il a été proprement fait".
14:36 Vous vous rendez compte cette phrase ?
14:38 Balzac qui était un monarchiste réactionnaire
14:40 a été évidemment célébré par Marx parce que c'est un génie,
14:44 parce qu'il a très bien compris le rôle capital
14:46 que l'argent allait jouer dans la vie des hommes et des femmes en France,
14:51 notamment avec ce caractère un peu hypocrite que je mentionnais.
14:57 Il y a cette autre phrase extraordinaire de la cousine bête
15:01 où une femme s'assied sur les genoux de son bienfaiteur
15:04 et lui dit "je t'aime comme un million".
15:06 Et où par exemple le fameux chapitre des "Illusions perdues"
15:10 "à combien l'amour revient aux vieillards".
15:13 Et donc quand on lit Balzac,
15:14 on a l'impression de comprendre tout du monde actuel
15:18 parce qu'il montre que l'argent est en réalité le flux souterrain
15:23 qui anime les passions humaines,
15:25 mais c'est un flux dont on ne peut pas parler ouvertement
15:28 parce qu'il est scandaleux, parce qu'il est honteux
15:31 et parce qu'il bafoue toutes les valeurs affichées
15:34 par la monarchie à son époque et par la république aujourd'hui.
15:38 Donc c'est le lien financier et étatien
15:43 qui est oni par toutes les classes de la société.
15:46 Puis il y a aussi, excusez-moi pour les citations,
15:48 mais elles sont tellement belles.
15:51 Mitterrand en 71 au congrès d'Épinay, il justige l'argent roi.
15:56 Le véritable ennemi, j'allais dire le seul,
15:58 puisque tout passe par lui, le véritable ennemi,
16:00 c'est le monopole, c'est un extensif
16:02 pour désigner les puissances de l'argent.
16:04 L'argent qui corrompt, l'argent qui achète, l'argent qui tue,
16:08 l'argent qui ruine et l'argent qui pourrit
16:09 jusqu'à la conscience des hommes.
16:11 C'est extraordinaire quand même.
16:13 Alors oui, François Hollande a repris ça d'une manière moins lyrique.
16:19 Quelques années après, en disant "notre ennemi, c'est la finance".
16:23 Oui, "notre ennemi, c'est la finance" et "je n'aime pas les riches",
16:25 je l'avoue, il a mis ça en public dans une émission.
16:29 "Je n'aime pas les riches", après il l'a regretté.
16:31 Mais alors, de quoi s'agit-il quand on est un homme politique ?
16:36 Il s'agit en quelque sorte d'une cérémonie,
16:40 c'est une figure de rhétorique.
16:44 Donc on commence par dire qu'on déteste l'argent, OK, c'est fait.
16:48 Puis ensuite, on s'accommode,
16:50 puisque la France est dans une économie de marché mondiale.
16:54 Elle est un partenaire important de la mondialisation capitaliste,
16:59 même si le niveau des dépenses de l'État est très élevé, 57 %,
17:05 malgré tout, la France reste une économie de marché.
17:07 Mais elle est, dans l'Europe occidentale,
17:11 l'un des rares pays qui n'est entré dans le capitalisme
17:15 qu'avec réticence et sur la pointe des pieds.
17:17 Parce que le capitalisme est dangereux, le capitalisme est mauvais.
17:23 Et là, on en a eu...
17:24 C'est là où la grève, les quatre derniers mois,
17:27 ont été absolument passionnants pour un sociologue ou pour un anthropologue,
17:32 c'est qu'on a eu une condensation en quelques semaines
17:35 de toute la relation des Français à l'argent, à la richesse,
17:39 mais aussi au succès.
17:41 Puisque si on déteste les riches, c'est qu'on estime, comme le disait Balzac,
17:44 que leur réussite n'est due qu'aux connivences, qu'aux...
17:49 – On aurait pu parler même sur un crime, il dit Balzac,
17:52 ça repose forcément sur un crime.
17:55 – Alors à l'époque de Balzac, c'est parfaitement compréhensible,
17:59 il faut bien comprendre que la Révolution française,
18:01 ça a été un gigantesque transfert de richesses,
18:05 notamment de l'Église vis-à-vis des particuliers,
18:10 puisque vous le savez l'Église à l'époque, c'était un immense...
18:15 Voilà, les évêques, les dachévêques, les couvents, les monastères
18:20 ont été expropriés, ce qui a permis à des gens de les racheter à bas prix.
18:26 Un peu toute proportion, regardez ce qui s'est passé
18:28 après la chute du mur en 1989 avec les oligarques en Russie,
18:32 et donc une nouvelle classe est née de propriétaires,
18:37 d'agiteurs, de boursicoteurs qui vont...
18:42 – On a une question d'un auditeur, je vous rappelle que tous les abonnés du Point
18:47 qui sont actuellement en train de nous écouter peuvent poser leur question,
18:51 et j'en ai une, une question de Jean, je vous la lis.
18:56 "Monsieur Mélenchon a honte pour la France de la richesse de Bernard Arnault,
19:00 mais lui-même disposant d'un patrimoine plus que confortable
19:03 sans avoir jamais réellement travaillé, a-t-il honte de lui-même ?"
19:07 Alors, est-ce que, et oui il dénonce, mais lui-même le sentiment de honte,
19:11 est-ce qu'il le ressent d'après vous, question psychologique ?
19:17 – Non, je ne crois pas parce que ce qu'il y a,
19:19 je ne sais pas quel est le gouvernement qui a contraint
19:21 les hommes politiques à avouer leur patrimoine,
19:24 et donc on s'est aperçu que beaucoup de gens de gauche
19:27 étaient en réalité assez fortunés.
19:29 Alors en principe, c'est vrai que l'argent n'empêche pas les convictions politiques,
19:33 on peut être un grand bourgeois et vouloir travailler à l'émancipation des travailleurs,
19:38 mais pour Mélenchon, évidemment, c'est plus gênant,
19:42 mais je ne crois pas qu'il a honte,
19:43 si Mélenchon était gagné par un sentiment tel que la honte,
19:46 il se serait tué depuis très longtemps.
19:48 Non, je crois que là-dessus, il n'y a pas d'inquiétude à avoir
19:52 pour son psychisme personnel,
19:54 puisque son ambition à lui me semble timide,
19:58 après avoir été un courtisan de François Mitterrand et de Lionel Jospin,
20:03 c'est maintenant de répandre le chaos
20:06 et si possible de jouer un rôle dans la vie politique française,
20:12 non pas à travers les urnes, puisque là il a été battu,
20:15 mais à travers la rue.
20:16 Et ce qui est très curieux chez Jean-Luc Mélenchon,
20:20 pour autant que je puisse faire une analyse sauvage,
20:22 c'est ce mélange de fureur et de dépression.
20:27 On sent que c'est un homme qui a vu le destin passer tout près de lui,
20:33 c'est vrai qu'il n'est pas passé loin du second tour
20:36 dans les dernières élections présidentielles,
20:38 mais il n'en a pas réussi.
20:40 Et là, on peut imaginer qu'il y aura bientôt chez lui
20:44 peut-être un accès mélancolique de voir que la Révolution
20:48 n'a pas réussi à triompher en France,
20:50 parce qu'en réalité, les Français ne sont pas révolutionnaires,
20:53 ils le sont en parole.
20:55 C'est un bolchevisme rhétorique.
20:59 Alors on veut bien casser toutes les infrastructures de l'État,
21:02 brûler des bus, des taxis, des banques, des compagnies d'assurance,
21:06 mais on est quand même content de recevoir son chèque
21:10 et d'être remboursé par la Sécurité sociale.
21:13 C'est ça notre schizophrénie,
21:16 et qu'on ne trouve pas chez nos voisins,
21:18 nos voisins européens, même dans les pays catholiques,
21:20 je le disais, il n'y a pas ça.
21:22 Il y a d'autres négroses aussi,
21:26 mais par exemple, le rapport aux belles voitures,
21:30 vous m'avez dit Valérie, juste une anecdote,
21:35 il y a deux mois, un soir où il y avait eu des émeutes,
21:38 je crois que c'est au mois de mai,
21:40 il y a eu des émeutes assez sérieuses,
21:42 on avait brûlé Plateau de la Nation, un policier avait été...
21:47 - Oui, il était blessé.
21:50 - Et dans ma rue, donc Rue Vieilles-du-Temps,
21:52 qui n'est pas un quartier prolétarien,
21:56 face à une broche, il y avait des manifestants
21:58 qui se rattrapaient le soir en hurlant
22:00 et en cassant quelques vitrines dans mon coin,
22:03 se mettent à hurler "Salopard, pas de Porsche ici,
22:07 retourne dans ton 16e ou ton 8e",
22:09 et je me suis dit "mais c'est quand même très étrange"
22:11 parce que le 3e arrondissement n'est pas un quartier de pauvres,
22:17 mais la simple vue d'un signe extérieur de richesse,
22:21 c'est-à-dire une Porsche, est perçue comme une insulte,
22:26 une espèce de sobriété obligatoire qu'il faudrait avoir,
22:31 au moins dans l'apparence.
22:33 Donc on peut imaginer que les gens très riches aujourd'hui
22:36 préfèrent rouler sur un vélo électrique ou en trottinette
22:39 pour ne pas être fustigés par des tempéraments radicatifs.
22:46 Et vous savez, quand j'étais jeune, j'habitais à Lyon,
22:51 la messe du dimanche était une vitrine sociologique
22:55 intéressante pour Josy Lyonnaise
22:58 puisque les gens riches venaient toujours habillés en gris
23:03 et dans une douche fraude.
23:04 Et donc ils donnaient à la quête exactement ce qu'il fallait,
23:09 ni plus ni moins que nécessaire.
23:11 Et un jour, quelqu'un les a suivis,
23:13 et évidemment, ils se retrouvaient ensuite dans leurs belles propriétés,
23:16 à l'abri des hauts murs, avec leur Maserati,
23:21 des domestiques, peut-être une belle Sierra Uniros.
23:25 Et là, c'est la grande différence entre la bourgeoisie française
23:28 et la bourgeoisie nord-américaine, par exemple.
23:30 Et c'est pour ça que je vous disais tout à l'heure
23:32 que la droite et la gauche partagent à égalité
23:35 les mêmes préjugés vis-à-vis de l'argent.
23:36 La bourgeoisie française se cache, se dissimule.
23:41 D'où, par exemple, le scandale d'un Nicolas Sarkozy
23:44 qui, au lendemain de son élection en mai 2007,
23:49 va sur le yacht de Vincent Bolloré.
23:50 Vous vous souvenez que ça avait provoqué un décollé.
23:54 Oui, alors qu'aux États-Unis, être riche,
23:58 c'est être un bon patriote et un bon chrétien,
24:01 puisqu'aux États-Unis, et ça c'est quand même
24:03 ce qui nous distingue fondamentalement du capitalisme anglo-saxon,
24:07 Dieu aime les riches et n'aime pas les pauvres.
24:10 Et c'est la fameuse phrase "Greed is good".
24:13 Donc la pupidité est une bonne chose,
24:16 mais nous pensons que la pupidité est un vice.
24:20 Et ce qui sépare l'Amérique de la France,
24:25 c'est que pour les Américains, le sexe est une chose à dissimuler,
24:29 une chose honteuse, générateur de désordre,
24:33 alors que la France, évidemment, a un rapport beaucoup plus...
24:36 avait en tout cas, jusqu'à mi-tout, un rapport beaucoup plus décontracté
24:40 à l'érotisme et à tous les mœurs qui en découlent,
24:46 alors que pour les États-Unis, le crime maximal, c'est la fidélité, c'est le...
24:52 Alors justement, ce qui nous rassemble peut-être tous,
24:56 qu'on soit de culture anglo-saxonne et protestante,
24:59 parce que dans ce que vous venez d'évoquer,
25:01 il y a évidemment la question du protestantisme,
25:04 où s'enrichir, c'est aussi pour redistribuer, donc c'est positif.
25:09 Mais il y a une question d'un de nos abonnés,
25:12 sur des riches très particuliers,
25:17 qui sont les footballeurs ou les artistes,
25:19 qui peuvent gagner des millions et des millions sans que jamais on le leur reproche.
25:23 Alors c'est une haine paradoxale, cette haine des riches,
25:25 parce qu'il y a quand même des gens qui sont exemptés.
25:27 Pourquoi les footballeurs ne sont jamais haïs, alors qu'ils sont tellement riches ?
25:32 C'est une très bonne question, et c'est vraiment...
25:35 Là encore, on touche à une contradiction française très forte.
25:39 Ceux qui sont haïs dans la richesse, ce sont les entrepreneurs,
25:44 parce que justement, ils ont mis le doigt dans le système,
25:48 ils ont mis le doigt dans le système capitaliste,
25:50 ils ont participé à l'exploitation de l'homme par l'homme,
25:53 ils ont des liens avec la bourse,
25:55 ils sont bien cotés sur les grands marchés,
25:57 alors qu'il y a dans l'enrichissement brutal des footballeurs,
26:02 ou des handballeurs, ou des sportifs,
26:05 quelque chose qui ressort de la chance,
26:07 quelque chose qui ressort du jeu.
26:09 C'est-à-dire qu'ils ont l'immense privilège de pouvoir courir très vite,
26:13 et d'avoir sans doute un certain génie de la tactique,
26:17 et de la stratégie sur le terrain,
26:21 mais ils échappent aux mécanismes monstrueux du grand capital.
26:27 Et donc on leur pardonne tout, y compris leur frasque.
26:33 Ils peuvent faire toutes sortes de...
26:37 Ils peuvent accomplir toutes sortes de transgressions,
26:40 ils peuvent changer de femme,
26:44 avoir toutes sortes de comportements qu'on juge aujourd'hui profondément immoraux,
26:49 mais à eux, tout leur sera pardonné.
26:52 Aux grands industriels, rien ne sera compensé,
26:58 parce que justement, ils emploient d'autres gens à leur service,
27:02 et qu'au fond, ce sont des créateurs de richesses,
27:06 alors que les footballeurs,
27:09 on vit simplement sur la richesse absolument inouïe de leur club,
27:12 mais ils sont dans le domaine du jeu, ils sont dans le domaine...
27:15 Il y a quelque chose qui est un peu...
27:18 - C'est peut-être ce qui nous donne du rêve aussi,
27:20 parce qu'ils nous font rêver, et que du coup, on leur pardonne beaucoup.
27:26 - Voilà, ils nous font rêver, et leurs dons sont des dons, au fond,
27:30 qui requièrent des aptitudes absolument inouïes,
27:32 des aptitudes physiques ou psychiques inouïes,
27:36 et nous ne savons pas, en quelque sorte,
27:38 reconnaître le talent des grands entrepreneurs,
27:41 c'est-à-dire des gens qui sont partis de rien,
27:43 qui venaient souvent de familles extrêmement modestes,
27:45 et qui, tout à coup, ont réussi à force de travail et d'application.
27:48 Je pense que dans la tolérance, l'indulgence que nous avons vis-à-vis des footballeurs,
27:55 notamment, il y a cette idée qu'ils sont arrivés au sommet de la gloire,
28:01 mais ils n'ont pas séché pendant des années sur des problèmes ardus,
28:07 ils n'ont pas été obligés d'aller à l'université,
28:10 ils ont réussi comme ça par la simple grâce de leur physique ou de leur talent,
28:15 et c'est ça qu'on admire.
28:17 C'est un peu comme le mythe du Kank, autrefois, le Kank, c'était le futur génie,
28:22 celui qui ratait tous ses examens parce qu'il allait réussir dans la vie.
28:25 Et là, les footballeurs, effectivement, donnent du rêve à soi,
28:29 et sont crédités, en quelque sorte, d'une qualité presque surhumaine.
28:39 – J'ai une autre question d'un de nos abonnés,
28:44 qui dit qu'il y a quand même un paradoxe,
28:47 c'est que finalement, ces entrepreneurs, ces capitalistes qui sont haïs,
28:52 c'est quand même aussi ceux qui créent de la valeur et qui créent des emplois.
28:55 Donc, en fait, d'un point de vue purement des classes populaires,
29:00 des classes moyennes qui ont besoin de travailler,
29:06 ça n'intervient pas du tout dans la réflexion qu'on peut avoir
29:10 autour de l'argent, du capital, de l'entreprise.
29:13 Est-ce que l'entreprise est vouée à la haine par essence,
29:17 ou est-ce qu'il y a quand même des nuances ?
29:20 Et on peut aussi, y compris quand on est un bon marxiste,
29:24 voir que l'entreprise, c'est aussi celle qui crée de l'emploi et qui fait vivre.
29:30 – Bien sûr, mais là, il y a à gauche un débat très intéressant, aujourd'hui.
29:36 Même dans une gauche un peu extrémiste,
29:38 c'est le débat Ruffin-Roussel d'un côté et Rousseau de l'autre.
29:43 C'est-à-dire que Sandrine Rousseau, c'est un peu l'héritière d'une gauche libertaire
29:47 qui pense que le travail est de droite et que seul le loisir épanouira l'être humain.
29:52 Donc, elle est l'héritière de la salle de gendre de Marx
29:55 qui écrivait "Le droit à la paresse".
29:56 Et puis, Fabien Roussel et François Ruffin sont, eux,
30:00 dans une tradition plus communiste et marxiste,
30:04 qui pensent que le travail émancipe l'homme, le transforme et transforme la société.
30:08 Donc, ils ne sont pas du tout pour ces appels à la bulle, si j'ose dire,
30:14 ou ces appels à se mettre les doigts de pied en éventail,
30:18 tout en attendant l'argent, éventuellement d'un revenu universel
30:21 qui serait versé par l'État.
30:24 Mais par quel miracle ?
30:25 C'est là justement ce que cette gauche qui ne veut plus travailler,
30:30 cette gauche du droit à la paresse, n'explique pas.
30:33 Et alors, l'entreprise, oui, continue à être vue
30:38 comme la manufacture au 19ème siècle.
30:41 C'est-à-dire que c'est le lieu de la pénibilité,
30:44 c'est le lieu de l'arrassement de l'homme par l'homme.
30:51 Vous savez, il y a un livre qui est paru en 1992
30:54 qui s'appelait "Souffrance en France" de Christophe Joncourt.
30:57 C'était un psychanalyste où il expliquait que dans certains bureaux,
31:01 dans certains ateliers, les conditions de travail
31:04 étaient semblables à celles des camps de concentration.
31:06 J'ai toujours trouvé cette métaphore un tout petit peu excessive.
31:10 Alors, il y a évidemment des lieux où le travail est difficile,
31:14 il y a des collègues de travail qui sont insupportables à fréquenter,
31:20 il y a des contre-maîtres difficiles,
31:22 mais le travail a quand même une qualité extraordinaire.
31:25 D'abord, il permet de gagner sa vie,
31:28 et puis il permet aussi de partager une expérience avec d'autres.
31:32 On connaît tous des grandes entreprises
31:34 où le projet collectif est exaltant.
31:39 Je ne sais pas, construire un avion,
31:42 construire un navire de croisière ou un navire de guerre,
31:47 tout cela, c'est quand même des projets intéressants
31:50 qui mobilisent des milliers d'hommes dans un but commun.
31:54 Et ce n'est pas simplement l'image un peu misérabiliste
31:58 de Zola dans Germinal ou dans La Sommoire.
32:02 Absolument.
32:02 Alors, justement, je voudrais rebondir sur quelque chose.
32:06 Emmanuel Macron, au début de son premier quinquennat,
32:10 il a en quelque sorte voulu réhabiliter l'argent
32:13 comme fruit du travail et du mérite.
32:17 Et on constate quelques années après que, plus que jamais,
32:20 encore plus qu'il y a cinq ans ou qu'il y a six ans,
32:23 l'argent est haït, comme il l'avait expliqué,
32:26 le travail également, on s'en est rendu compte ces derniers mois.
32:29 Et alors le mérite, il est totalement suspect.
32:31 Alors, est-ce que cela veut dire qu'Emmanuel Macron
32:34 s'est trompé sur son analyse de la société française ?
32:38 Est-ce que cette idée du travail et de la méritocratie,
32:40 elle n'est pas devenue totalement obsolète ?
32:43 Enfin, je mets le mot entre guillemets, mais quand même,
32:45 on voit que c'était une question
32:47 qui est fondamentalement remise en question.
32:50 Et est-ce que l'argent, comme fruit du mérite et du travail,
32:52 ne devient pas aussi quelque chose,
32:55 non seulement de haït, mais pire,
32:59 presque une valeur qui n'aurait plus lieu d'être,
33:04 enfin qui serait, elle aussi, dépassée,
33:06 comme si on avait soi-disant de nouvelles valeurs
33:09 qui allaient remplacer tout cela ?
33:12 Alors là, je pense qu'il faut être dialectique,
33:14 c'est-à-dire que c'est vrai qu'au sortir de ces quatre mois,
33:18 quand on parle avec des amis étrangers, notamment américains,
33:21 ils se demandent si les Français ne sont pas devenus fous.
33:23 Notre pays a été un peu la risée du monde extérieur,
33:26 puisque partout en Europe, vous savez, l'âge de la retraite,
33:29 c'est 65 minimum, voire 67 en Allemagne,
33:32 et quant aux États-Unis, il y a le projet maintenant de dire
33:34 que la retraite, ce sera le jour de la mort.
33:36 Les gens pourront travailler jusqu'au dernier souffle.
33:39 Mais en réalité, les Français sont là aussi très divisés.
33:43 Les mêmes qui hurlent contre le travail,
33:45 finalement, se résigneront à travailler jusqu'à 64 ans.
33:49 Ils seront très heureux de toucher peut-être un salaire meilleur
33:53 grâce à leur effort.
33:57 Alors, qu'est-ce qui pénalise la valeur travail
34:01 et même la valeur de mérite ?
34:03 Je crois que c'est une autre façon démocratique
34:06 qui a été très bien analysée, notamment par Stendhal.
34:09 Stendhal a expliqué dans ses carnets et dans ses romans,
34:13 un peu comme le fera Tocqueville ensuite,
34:17 que l'abolition des privilèges de l'aristocratie
34:20 a entraîné le déplacement de la jalousie
34:24 vis-à-vis de tous les citoyens.
34:27 Et Stendhal explique que la Révolution française
34:30 a libéré la jalousie, l'envie et la haine impuissante.
34:34 C'est-à-dire qu'à partir du moment où je constate,
34:37 si je pars du postulat que tous les hommes sont égaux,
34:40 si je constate que mon voisin a une vie plus agréable que la mienne,
34:45 passe de meilleures vacances que les miennes,
34:47 a un salaire un peu plus élevé que le mien,
34:49 je suis fondé à la jalousie et à l'envie.
34:54 Et au fond, l'envie est par excellence,
34:56 a toujours existé dans toutes les sociétés,
34:58 mais elle est en quelque sorte accrue
35:00 par les sociétés démocratiques égalitaires.
35:04 Puisque si tous les hommes sont égaux,
35:06 comment se fait-il que certains possèdent plus que d'autres,
35:09 que certains soient plus beaux que d'autres,
35:11 que certains soient en meilleure santé que d'autres,
35:13 que certains vivent plus longtemps que les autres, etc.
35:15 Et donc c'est le...
35:17 Absolument, en fait vous nous dites que quelque part,
35:20 cette promesse de l'égalité, elle a été...
35:24 C'est elle qui est devenue un fermant,
35:29 quelque chose qui a pourri complètement notre vision.
35:33 Puisque aujourd'hui,
35:35 on est obligé d'aller toujours dans une espèce de surenchère,
35:38 c'est-à-dire que si on nous promet l'égalité,
35:41 à partir du moment où on n'atteint pas l'égalité,
35:44 la moindre différence est inacceptable, voire intolérable.
35:47 Donc en fait, ce qu'on ne supporte pas,
35:49 ce que vous nous dites, c'est ce qu'on ne supporte pas,
35:50 ce n'est pas tant que l'autre ait de l'argent,
35:52 mais surtout qu'il en ait plus que moi.
35:55 Oui, c'est ça, voilà.
35:56 En réalité, les Français ne détestent pas l'argent,
35:58 mais ils détestent l'argent des autres.
36:00 En revanche, ils aiment beaucoup leur salaire,
36:02 et ils aimeraient que leur salaire grandisse,
36:04 ce qui est tout à fait normal, encore une fois, je ne condamne pas.
36:07 Mais c'est quand même ça le nœud du problème.
36:11 Et donc, l'égalitarisme explique la haine relative
36:19 qui a pu s'exprimer vis-à-vis du travail,
36:21 mais c'est surtout l'idée qu'il fallait travailler deux ans de plus
36:24 après les deux ans de Covid,
36:26 qui a, je crois, été le ferment de la rage.
36:30 Alors on peut s'interroger sur le bien-fondé temporel de cette réponse,
36:35 peut-être aurait-il fallu la faire au début,
36:38 ou la faire quelques années plus tard,
36:39 mais en tout cas, elle est passée.
36:41 Mais ça a quand même éclairé beaucoup de choses.
36:44 Et si vous me permettez, Valérie, dans le rapport aux riches,
36:48 il y a quelqu'un que je voudrais citer parce que c'est une personne exemplaire,
36:53 c'est une sociologue française qui s'appelle Monique-Vincent Charleau.
36:57 Et elle et son mari, pendant des années,
37:00 a publié des livres sur la vie des riches, sur la vie des bourgeois,
37:06 sur le ghetto et le Gotha.
37:09 Dans une intervention en 2020,
37:12 dans une émission de télévision qui s'appelait "Hold up",
37:15 Monique-Vincent Charleau a expliqué que le Covid avait été en réalité créé par les riches
37:20 pour encourager le Big Pharma.
37:24 Et ensuite, elle a précisé dans une interview
37:27 qu'en réalité, le but des riches,
37:30 c'est en quelque sorte de travailler à l'extermination des pauvres.
37:34 C'est une idée qu'on a déjà trouvée ailleurs.
37:39 C'est une idée intéressante, évidemment totalement complotiste.
37:44 Vous voyez, la haine des riches peut aller jusqu'à les soupçonner
37:47 de préparer un génocide des gens les plus démunis.
37:52 Et alors là, évidemment, on quitte le terrain de la raison,
37:56 on quitte même le terrain des passions
37:58 pour aller dans quelque chose qui relève de la démence.
38:05 Oui, de la démence.
38:06 Alors j'ai une autre question, c'est d'un de nos abonnés.
38:10 Est-ce que cette haine des riches peut-elle être réversible ou est-ce qu'elle est irréversible ?
38:18 Oui, je pense qu'elle est réversible.
38:20 C'est-à-dire que, oui, je pense qu'à partir du moment où les gens gagnent de l'argent
38:27 et qu'ils se rapprochent des conditions de vie des gens un peu plus fortunés qu'eux,
38:34 je pense qu'effectivement le dégoût du vaudeur peut tomber.
38:43 Vous savez, si on prend un exemple très concret,
38:47 regardez l'été dans les stations balnéaires.
38:52 Pensez par exemple à Saint-Tropez,
38:54 les lidéos qui sont dans le port de Saint-Tropez.
38:58 C'est une image que tout le monde connaît.
39:00 Face à ces bateaux magnifiques qui valent plusieurs centaines de millions,
39:04 on peut avoir deux attitudes.
39:06 La première, je ferai tout pour un jour m'en payer un.
39:09 Évidemment, c'est une ambition démesurée
39:12 et je pense que la personne qui se dit ça doit travailler beaucoup.
39:15 La deuxième, c'est scandaleux, c'est honteux
39:18 qu'on ose exhiber de tels signes extérieurs de richesse
39:23 et je serai pour la confiscation immédiate de ces yachts et leur restitution au peuple.
39:27 On peut aussi avoir vis-à-vis de la richesse une troisième attitude,
39:31 beaucoup plus distancée qu'était celle des anciens,
39:35 c'est-à-dire qu'il y a des gens riches qui sont obsédés par l'argent,
39:39 qui aiment gérer des masses financières énormes,
39:47 mais pour ma part, je ne les déteste ni ne les envie
39:50 parce que mon luxe personnel se situe ailleurs,
39:54 parce que je mets les richesses spirituelles au-dessus des richesses matérielles.
39:59 Et en fait, ce qui est très étonnant dans la haine des riches
40:03 manifestée par une certaine extrême gauche ou une certaine extrême droite,
40:08 parce qu'on retrouve ça aussi chez un certain nombre de militants du RN,
40:13 c'est en réalité cette haine de l'argent manifeste une impossibilité à s'arracher à ses sortilèges.
40:20 C'est-à-dire que la haine de l'argent, on sait bien que la haine c'est une autre version de l'amour,
40:26 au fond ils ne peuvent pas s'empêcher de penser à l'argent,
40:29 de le maudire jour et nuit, c'est une façon de ne jamais l'oublier.
40:34 Et ce qu'il faudrait dire peut-être très simplement,
40:39 c'est que l'un des privilèges, non pas de la fortune, mais de l'aisance,
40:47 Saint-Dietz disait que le travail intellectuel requérait une modeste aisance.
40:52 Je trouve que c'est une très belle formule.
40:55 L'un des privilèges de l'aisance, c'est que pendant le temps où on enjouit,
40:59 on oublie l'argent. Le privilège de l'argent quand on en a un peu,
41:07 c'est qu'au fond on peut penser à autre chose qu'à finir les fins de mois, qu'à boucler les semaines.
41:13 Et donc l'argent serait ce médium qui nous permet de l'oublier lui-même et de penser à autre chose.
41:22 Mais les contempteurs du fric, pour reprendre une expression qu'aime beaucoup Jean-Luc Mélenchon,
41:32 les contempteurs du fric, ils voulaient tous les expulser hors de France.
41:35 C'est que justement, ils ne voient que lui, ne pensent qu'à lui,
41:39 et ils n'arrivent pas à s'extirper de cette haine, fascination pour les plus riches.
41:48 Vous savez, au début du festival de Cannes, il y a eu un appel d'un certain nombre d'associations
41:54 pour abolir le festival de Cannes, en trouvant honteux que les actrices, les acteurs,
42:00 aillent sur des yachts ou aillent passer des soirées à Lédenrock, à quelques kilomètres de Cannes.
42:08 Mais là on retrouve exactement ce dont je parlais tout à l'heure,
42:14 c'est l'opposition entre Voltaire et Rousseau. Les rousseauistes voudraient un cinéma pauvre,
42:19 fait avec des bouts de ficelle, des moyens de fortune,
42:22 montrant des gens nécessiteux dans des conditions terribles.
42:27 Et puis le cinéma est une machine à nous faire rêver, comme le foot dont vous parliez tout à l'heure,
42:32 parce que justement le cinéma nous transporte dans des contrées.
42:36 Et personnellement, je ne suis pas du tout choqué que les acteurs et les actrices de cinéma
42:41 déploient un certain luxe au moins lorsqu'ils sont à Cannes, dans un festival mondial,
42:46 parce que la France, qui se vit comme une nation genséliste,
42:54 est aussi, par ailleurs, il ne faut pas oublier, la patrie de la mode et du luxe.
42:58 Et que c'est le luxe qui nous rend universellement sympathiques à toutes les élites du monde hongké.
43:04 Alors j'ai une question très intéressante d'un de nos abonnés, Armand.
43:10 La haine des riches se traduit aussi en France par une obsession pour une utilisation punitive de la fiscalité,
43:16 quitte à en oublier l'objectif premier de l'impôt, qui est de financer les tâches régaliennes de la puissance publique.
43:22 Oui, parce qu'à force de taxer les riches et de finalement leur rendre la vie impossible
43:28 et leur donner envie de partir, est-ce qu'on ne s'aborde pas ?
43:31 Est-ce qu'on ne coupe pas la branche sur laquelle on est assise en termes de nécessité d'investissement ?
43:39 Et Dieu sait si nous en avons besoin dans nos services publics.
43:44 Oui, alors je pense que ça a été ça la nouveauté de Macron.
43:47 En abolissant l'impôt sur la fortune, en le remplaçant par l'IFI, donc l'impôt immobilier,
43:53 il a voulu rapatrier les grandes fortunes en France et il a voulu favoriser l'investissement.
44:01 Et donc on a en France des économistes qui sont des fadas de l'impôt, je pense à Thomas Piketty,
44:06 qui lui voudrait que sur le modèle des États-Unis d'Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale,
44:13 et c'était quand même une situation exceptionnelle, l'impôt monte jusqu'à 90-95%.
44:18 Alors là, évidemment, on risque de décourager un certain nombre de jeunes gens qui veulent s'enrichir,
44:24 non pas par goût de l'argent, simplement par excitation d'inventer quelque chose de nouveau
44:30 et de fonder des start-up, mais alors je ne sais pas si vous avez vu bien sûr cette étude qui est sortie ces jours-ci
44:41 sur la progressivité de l'impôt.
44:43 Donc la gauche, une certaine gauche a souvent confondu l'impôt progressif et l'impôt punitif,
44:48 notamment au tout début du quinquennat de François Hollande,
44:52 où il a voulu tenir parole sur sa haine de la finance et des riches, où il a commencé par taxer,
44:57 puis tout d'un coup il a rétro-pédalé, il a rétrogradé et il a donc mis à frein son avidité d'imposition.
45:07 Mais il y a eu hier ou avant-hier une étude très intéressante sur ce que payent vraiment, véritablement les Français,
45:17 donc les 30% les plus riches, les 20% les plus riches, les 10% les plus riches,
45:22 et donc c'est un impôt progressif où le taux de taxation augmente au fur et à mesure
45:26 que vous gagnez plus, ceux qui gagnent 100 000, 130 000, 350 000 et puis au-delà d'un million,
45:32 et alors il y a le petit nombre de ceux qui gagnent plusieurs millions d'euros par an
45:44 et qui eux payent moins que les autres.
45:46 Et c'est là-dessus que porte évidemment la fureur de l'ultra-gauche,
45:50 que l'on peut, là, en tout cas on peut comprendre d'une certaine sorte l'incompréhension.
45:54 Je crois que ces hyper-riches, ces multimilliardaires sont entre 70 et 100 personnes.
46:02 Et alors les gens ne comprennent pas pourquoi ils paient moins proportionnellement à ceux qui gagnent
46:06 que ceux qui ont des rentrées de 100 000, 135 000, 350 000 ou un million.
46:13 Et donc il y a un débat là qui a lieu, qui est intéressant.
46:17 Vous savez que partout on demande un effort aux super-riches pour qu'ils participent à la cohésion nationale
46:25 et qu'ils permettent notamment de financer la transition écologique.
46:29 Mais là il y a un débat qui concerne les économistes.
46:34 Tant que la France reste une terre d'attractivité pour les entreprises étrangères,
46:41 je pense qu'effectivement nous pouvons considérer que l'impôt, qui en France est très bien collecté,
46:47 ce qui caractérise la France depuis le Moyen-Âge, c'est la capacité extraordinaire à collecter l'impôt,
46:54 et à ne jamais laisser une source de revenus endormie en quelque sorte.
47:00 Bercy est un tracker, je crois, assez bon.
47:05 J'ai une autre question qui va vous intéresser.
47:11 Cette haine des riches n'est-elle pas la conséquence de la perte des valeurs de l'effort et de l'excellence ?
47:16 Ces valeurs ont été abandonnées, entre autres, par le système éducatif.
47:21 Il y a une vraie question qui se pose aussi sur le corps enseignant.
47:25 Est-ce que le corps enseignant lui-même n'est pas travaillé à son insu de plein gré, j'allais dire,
47:32 par sa culture française et donc par la haine de l'argent ?
47:36 Et est-ce que ces efforts, cette valeur de l'effort et cette valeur de l'excellence,
47:42 le fait qu'on l'ait abandonnée, n'est pas aussi un problème ?
47:47 Oui, bien sûr.
47:48 Alors là, évidemment, nous sommes tous les héritiers de 68,
47:52 mais 68 a remis l'hédonisme au centre de la vie.
47:56 Alors ça a des aspects très positifs.
47:58 Personne ne voudrait revenir à la France gaullienne,
48:01 qui était quand même une France corsetée et triquée.
48:03 Mais ce qui a commencé à triompher dans toutes les réformes de l'éducation,
48:08 à partir de 1969 et jusqu'à aujourd'hui,
48:11 c'est quand même une certaine méfiance pour l'excellence, pour le travail.
48:16 Et c'est à partir de ce moment-là que le souffle-son s'est porté sur les résultats de la scolarité.
48:27 Et on voit bien qu'aujourd'hui, vous parliez tout à l'heure de la crise du mérite.
48:30 Cette crise du mérite d'ailleurs est aussi très forte aux États-Unis,
48:33 puisque il y a des philosophes qui la remettent en question.
48:36 Mais c'est cette idée que finalement le contrat social repose sur une supercherie.
48:42 Et la supercherie consiste à faire croire aux enfants des classes populaires,
48:48 ou des classes défavorisées, ou des quartiers,
48:50 que s'ils travaillent, ils réussiront,
48:52 et qu'ils pourront un jour grimper les échelons de la société.
48:58 Et ce que nous disent certaines élites, tout cela est une duperie.
49:06 Seules les transfuges de classe exceptionnellement peuvent réussir.
49:11 Ce sont des transfuges, c'est-à-dire ce sont des gens qui ont pu échapper
49:14 miraculeusement à la malédiction sociale.
49:17 Et Pierre Bourdieu disait lui-même qu'il était une exception à son propre système.
49:22 Parce qu'il avait réussi, et que son exemple était un mauvais exemple,
49:26 car la majorité des Français, nés pauvres, resteront pauvres,
49:30 et resteront soumis à une inexorable fatalité.
49:33 Et donc cette suspicion mise sur le mérite d'excellence et de travail,
49:39 qui a été favorisée par toutes sortes de réformes de l'éducation nationale,
49:43 est évidemment tout à fait préjudiciable à l'ascension sociale des classes défavorisées.
49:49 Et aujourd'hui, vous savez, si l'on en prend les statistiques,
49:52 l'éducation nationale est une machine à reproduire les inégalités.
49:58 Absolument, oui, absolument.
50:00 Et alors j'ai une autre question, parce que le temps qui nous est imparti se réduit.
50:06 Développer une culture d'entreprise française semblable à une aventure collective,
50:10 à l'opposé du self-made man américain,
50:13 ne pourrait-elle pas être une solution à notre exception culturelle,
50:16 via plus d'actionnariats salariés, je vais y arriver,
50:21 et d'intéressement, par exemple ?
50:23 En fait, notre abonné est en train de réfléchir à des solutions
50:27 qui pourraient faire changer les mentalités.
50:29 Qu'est-ce que vous en pensez ?
50:31 Je pense que c'est la solution.
50:34 D'abord, il y a plusieurs facteurs qu'il faut prendre en compte.
50:37 Toute une partie de la jeunesse française est éduquée,
50:41 grâce notamment à Erasmus, par faire des stages à l'étranger.
50:44 Et donc la France arrache cette espèce d'obsession narcissique pour elle-même
50:49 et s'inspire d'autres modèles.
50:51 Beaucoup de Français partent aux États-Unis, en Angleterre, en Inde, en Chine,
50:55 en Hollande, en Spondynavie, en Allemagne,
50:58 où l'entreprise est beaucoup plus valorisée.
51:03 Et le soupçon sur l'enrichissement n'est pas aussi fort qu'en France.
51:07 D'autre part, dans les banlieues,
51:11 où très souvent c'est la religion musulmane qui domine,
51:14 il n'y a pas du tout cette haine de l'argent
51:17 qu'ont les Français de culture catholique et notamment à gauche.
51:21 C'est-à-dire que dans l'islam,
51:23 et n'oublions pas que Mohammed était un marchand,
51:26 l'argent, comme dans le judaïsme, est un bienfait, une récompense de Dieu.
51:32 Et donc je pense que ces jeunes gens qui ont vécu dans la texte très lusaire
51:36 ou dans la difficulté,
51:37 n'ont pas du tout les préventions que nous avons, nous, vis-à-vis de l'argent.
51:43 Et donc ce sont des classes générationnelles
51:49 qui peuvent probablement impulser une culture d'entreprise.
51:53 Quant à l'intéressement, il faut toujours se souvenir
51:56 que le premier qui a voulu contrebalancer l'influence des partis communistes en France
52:01 et l'influence de l'idéologie d'artiste,
52:03 c'est le général de Gaulle avec la participation.
52:06 Et sur ce plan-là, effectivement, tout ce qui est...
52:11 Il n'a pas été suivi, et puis le référendum qu'il a perdu,
52:14 c'était aussi un peu justement une réflexion en profondeur,
52:17 à la fois sur la décentralisation, la participation,
52:20 et là, il n'a pas été suivi.
52:22 Mais je pense que les Français n'étaient pas mûrs
52:23 parce qu'ils étaient enivrés par une parole révolutionnaire.
52:27 Mais aujourd'hui, la parole révolutionnaire
52:29 qui a été ravivée pendant ces quatre mois de grève et de délire collectif,
52:36 est aussi contrebalancée par des intérêts bien compris.
52:39 En réalité, ce qu'on voit très bien, regardez l'exemple de la RATP.
52:43 Vous savez que c'est Jean Castex qui a pris la tête de la RATP,
52:46 or il l'a pris de façon très intelligente il y a quelques mois
52:51 en expliquant aux conducteurs et aux employés
52:54 que s'ils cessaient de faire grève, ils auraient des avantages financiers.
52:57 Moi, je pense qu'il n'y a pas de malaise au travail
53:00 qui ne soit durablement adouci par une augmentation financière,
53:05 par une amélioration des conditions de vie.
53:07 Et donc, même les plus ardents des révolutionnaires,
53:10 même les ennemis les plus farouches du système capitaliste
53:14 comprennent qu'à l'approche des vacances et dans leur intérêt,
53:19 eh bien, avoir un bon salaire, c'est aussi une manière d'avoir une vie meilleure
53:23 et d'assurer à leurs enfants un avenir peut-être plus brillant.
53:27 Vous voyez, il y a quand même une chose extraordinaire,
53:30 c'est que nous sommes en France tiraillés entre deux sacralités.
53:34 Il y a la sacralité de la grève et de la manifestation,
53:36 c'est un droit, quasiment c'est le droit d'homme absolu,
53:41 en tout cas c'est ce qu'on a entendu cet hiver.
53:43 Puis, il y a une autre sacralité dont on parle assez peu, c'est les vacances.
53:46 Là, tout va s'arrêter, là on rentre dans quatre mois,
53:49 on va pouvoir circuler, prendre l'avion, mettre de l'essence dans sa voiture.
53:54 Et puis, les grèves, évidemment, vont reprendre en septembre.
53:58 Donc, nos deux sacrés, en quelque sorte, heurtent l'un l'autre.
54:03 Et au fond, l'amour des vacances peut très bien aller aussi
54:06 avec le culte de l'entreprise, le culte du travail bien fait,
54:11 car les vacances ce sont aussi des récompenses d'une année bien remplie.
54:16 Donc, je pense que tout n'est pas perdu.
54:19 Oui, tout n'est pas perdu.
54:21 En tout cas, il y a quelque chose qui va dans votre sens,
54:23 c'est qu'il y a un sondage de l'IFOP pour Le Point
54:27 qui montrait que le rapport des Français avec l'argent était en train de changer
54:31 et que 83% des personnes interrogées l'associent au plaisir,
54:35 c'était 8 points de plus qu'en 1998,
54:38 et 68% à l'épanouissement, 9 points de plus qu'en 1998.
54:42 Mais il y avait un petit bémol, c'était quand même 70% des sympathisants
54:49 de la France insoumise l'associent à l'injustice et 55% à la corruption.
54:55 Donc, ça fait partie de cette schizophrénie dont nous voyons
54:59 notre rapport paradoxal à la fin.
55:02 Oui, on n'est pas sortis d'auberge.
55:04 Vous savez, quand François Hollande disait "je l'avoue, je n'aime pas les riches,
55:07 je n'aime pas les riches", ce qu'il aurait dû dire c'est "je n'aime pas la pauvreté".
55:11 Alors, notre véritable ennemi à tous, c'est la pauvreté.
55:13 C'est la pauvreté qui plonge l'homme dans le dénuement,
55:17 dans l'obligation de calculer au jour le jour,
55:20 de se priver de tous les bonheurs de la vie.
55:23 Et c'est ça un programme de gauche,
55:24 c'est un programme d'éradication de la pauvreté.
55:27 Mais nous, on préfère punir les riches plutôt qu'enrichir les pauvres.
55:31 C'est là où la pensée d'extrême gauche est extrêmement faible à mon avis.
55:36 Et je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle
55:38 avec ce qu'on peut constater aussi dans l'éducation,
55:41 où finalement, on préfère bloquer peut-être ceux qui sont les plus méritants
55:47 ou les plus doués, pour créer une homogénéité dans des classes
55:51 et donner un sentiment, je dis bien un sentiment, une illusion d'égalité.
55:55 C'est-à-dire, il ne faut pas que les plus forts prennent trop le dessus
55:59 parce que ça serait marqué cruellement les plus faibles.
56:04 En fait, c'est un système, j'allais dire, complètement absurde et fou,
56:09 qui ne va pas dans le sens de la méritocratie.
56:13 Non, pas du tout.
56:14 Je me souviens que Benoît Armand voulait pénaliser les enfants
56:19 qui venaient de bonnes familles.
56:20 Quand il a été un bref ministre de l'Éducation,
56:23 il voulait créer un délit d'initiés pour les enfants qui venaient de bonnes familles
56:28 parce que ça leur donnait un avantage comparatif sur les autres.
56:30 Au lieu de demander aux enfants qui étaient moins brillants
56:39 d'aligner leur comportement sur les meilleurs
56:42 et donc de rivaliser dans l'excellence,
56:44 on demandait aux excellents de se rabaisser au niveau des médiocres
56:47 pour surtout ne pas les heurter et ne pas les humilier.
56:52 Donc, c'est une…
56:54 J'ai un abonné qui demande,
56:56 est-ce que vous ne pensez pas qu'il faudrait donner des cours d'économie
57:00 dans toutes les sections du lycée ?
57:02 J'ai envie de rajouter, oui, mais enfin avec quel professeur
57:05 parce que ça dépend ce qu'on va leur enseigner.
57:08 Oui, absolument. Non seulement il faut donner…
57:10 C'est vrai que les Français sont assez incompétents en matière d'économie,
57:13 mais je pense qu'il faudrait dans les familles et à l'école
57:16 de donner des cours sur l'argent,
57:19 c'est-à-dire à quoi sert l'argent,
57:21 comment gérer son argent,
57:23 comment équilibrer un budget, comment ne pas dépenser plus,
57:26 comment s'endetter de façon raisonnable
57:28 sans mettre en péril la vie de ses proches ou sa propre vie
57:32 parce que nous voyons bien que la crise du sur-endettement en France,
57:37 ça existe partout.
57:38 Mais je pense qu'effectivement un cours d'argent
57:43 dès les petites classes serait très utile
57:45 pour apprendre aux enfants à gérer leurs économies,
57:48 à ne pas casser leurs tirelires
57:50 et à s'intéresser à ces mécanismes qui sont en fait assez fascinants.
57:55 Et la finance n'est pas une limite à la civilisation
57:59 car je ne connais pas de grande civilisation
58:01 qui ne soit pas étayée sur une richesse matérielle importante.
58:06 Absolument.
58:07 Écoutez, Pascal Bruckner, en tout cas merci
58:09 pour cette discussion absolument passionnante.
58:12 Je retiens que nous sommes une nation à la fois névrosée sur l'argent,
58:16 travaillée par ces vieux démons,
58:18 schizophrénique, mais qu'en même temps il y a beaucoup d'espoir
58:22 parce que nous avons le sens du plaisir bien français,
58:26 le sens des vacances bien français
58:28 et que tout ça va peut-être nous aider à évoluer dans nos mentalités.
58:32 Je remercie tous les abonnés, les lecteurs du Point qui étaient avec nous aujourd'hui.
58:36 Je voudrais rappeler votre ouvrage, Pascal Bruckner, le dernier,
58:39 qui s'appelle "Le sacre des pantoufles, du renoncement au monde".
58:44 Encore merci à tous et merci à vous, Pascal Bruckner.
58:49 Je vous laisse peut-être le mot de la fin.
58:51 Ça n'a pas marché, mais bon, ce n'est pas grave.
58:53 Oui, mais ce n'est pas grave.
58:55 Je pense que nos lecteurs, à travers leurs questions,
59:00 ont été extrêmement intéressés par cette discussion.
59:03 La prochaine fois, on vous verra, promis, tout sera parfait.
59:08 En tout cas, merci à tous et merci infiniment à vous, Pascal Bruckner.
59:12 Merci Valérie. Effectivement, la France est un pays où il faut vivre malgré tout.
59:17 Oui, absolument. Merci beaucoup.
59:20 Merci. Au revoir.

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