Où est donc passé le cinéma qui accompagnait les luttes sociales ? Pour ce dernier épisode de la saison, on revient sur le rôle du 7ème art dans le mouvement social à travers l'histoire d'un film révolutionnaire maudit, qu'on a longtemps cru perdu : Soy Cuba. Qui sait ? Peut-être pourra-t-on en tirer quelques enseignements pour aujourd'hui ?
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Court métrageTranscription
00:00 Il n'y a pas un seul film qui montre des problèmes ouvriers ou étudiants tels qu'ils se passent aujourd'hui.
00:07 Il n'y en a pas un seul, qu'il soit fait par Forman, par moi, par Polanski, par François, il n'y en a pas.
00:13 Nous sommes en retard.
00:14 Vous parlez solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelu des gros plans !
00:22 Vous êtes des cons !
00:24 [Générique]
00:34 Quelle séquence quand même !
00:36 Les manifs massives et les un petit peu plus sauvages, les grèves, les actions, les travailleurs d'éther qui relèvent la tête partout et qui lâchent rien.
00:43 Une jeunesse mobilisée qui rentre dans la danse, ça a quel plaisir !
00:47 Et toutes ces images, les plus belles comme les plus terribles d'un peuple qui se soulève.
00:52 Alors c'est le moment pour cette dernière émission de la saison de se poser la question, il est où le cinéma là-dedans ?
00:58 Qu'est-ce qu'il peut faire et déjà, qu'est-ce qu'il fout ?
01:00 A part des tribunes dans l'I.B. qui arrivent tellement tard que même des gros influenceurs ont réagi avant,
01:05 on a des streamers qui soutiennent les caisses de grève, même parmi les plus mainstream.
01:09 Si vous plaignez les grèves, vous allez dans les liens au-dessus, vous donnez de l'argent pour la caisse de grève et je peux vous promettre que ça calme de fou.
01:16 Et à côté dans le ciné, on a qui à part Yvon Le Bolloc ?
01:20 Je parle en mon nom propre, mais il y a 70% des français qui pensent la même chose que moi
01:25 et qui aujourd'hui, ils sont prêts à voir la France cul par-dessus tête.
01:29 Heureusement, depuis que j'ai écrit ces lignes, comme vous le savez, il s'est passé ça.
01:33 Cette année, le pays a été traversé par une contestation historique, extrêmement puissante, unanime, de la réforme des retraites.
01:42 Alors que tout avait été mis en place pour que le mouvement social ne vienne pas déranger la croisette.
01:48 Dépêchez-vous de monter, je vais pas arriver à les contenir tous !
01:50 Voilà que Justine Trier sauve l'honneur en le faisant rentrer par la petite porte.
01:54 La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l'exception culturelle française.
02:01 Ça, c'est ce qu'on appelle une artiste consciente de son rôle.
02:05 Ce qui lui a valu des tombeaux de messages offusqués de la Macronie,
02:09 qui cache même plus sa vision terrifiante d'un monde de la culture aux ordres du pouvoir,
02:14 sous peine de se voir couper les vivres comme s'ils étaient propriétaires des subventions publiques.
02:18 "Remboursez nos invitations !"
02:21 Et je parle pas des artistes en général, de tous les travailleurs de la culture.
02:24 Eux, ils connaissent leur camp social et ils se mobilisent.
02:27 Je parle des grandes figures publiques.
02:29 À part des bourgeois qui chounent il y a longueur d'année qu'on peut plus rien dire,
02:32 on entend qui pour soutenir le mouvement social ?
02:34 Ils sont où les compagnons de route ?
02:36 Ils sont où nos Renoir ? Ils sont où nos nouveaux Piccoli ou Bebel, président de la CGT spectacle ?
02:40 Certains me diront "c'est pas le rôle des artistes, voyons !"
02:44 Parce que oui, certains ont une vision bien pauvre de l'art, en plus d'être d'énormes incultes.
02:49 "Dès sa création, en 1920, le Parti communiste français a développé une intense activité cinématographique
02:56 en impulsant la production, la réalisation et la diffusion de centaines de films.
03:02 Unique dans le champ politique français, le PCF peut être considéré comme le parti du cinéma."
03:08 Je rappelle que pendant un moment, la CGT produisait ses propres films et pas des petits trucs amateurs.
03:13 Bon, ils font toujours de l'image.
03:15 "Allô, monsieur le maire ? Il y a le peuple dans la rue, là.
03:18 Non, je veux dire la foule. Enfin bref, la CGT, quoi."
03:21 Bon, c'est bien, mais c'est pas la même cinématographie, quoi.
03:24 L'art est tout particulièrement un art populaire, comme le cinéma peut, je crois, un peu plus que ça.
03:29 Et c'est pas comme s'il n'y avait pas des précédents.
03:31 Comment filmer les luttes ? Comment filmer l'émancipation ?
03:34 Et pourquoi pas, comment filmer la révolution ?
03:36 Il se trouve qu'il y a des gens qui ont eu à se poser ces questions.
03:39 Alors aujourd'hui, je vais vous raconter une histoire.
03:42 Si vous aimez les histoires de films maudits, ça devrait vous plaire.
03:45 Et si vous vous sentez d'humeur révolutionnaire, encore plus.
03:48 "En fait, le film est resté très longtemps inexploité et invisible.
03:52 Il faut voir ce film. Et effectivement, quand on le voit et qu'on est réalisateur, c'est une nourriture de cinéma."
03:58 Et puis, qui sait, on pourrait peut-être en tirer quelque chose pour notre époque.
04:02 Laissez-moi vous emmener à...
04:05 Bon, en fait, je ne vous emmène pas littéralement là-bas, on n'a pas les moyens.
04:08 Mais si vous vous abonnez à l'humanité, qui sait, ils pourraient nous payer le voyage.
04:12 "Ah oui, oui, oui, oui, oui, oui !"
04:15 Vous n'êtes pas sans savoir qu'il s'est passé quelques petites bricoles sur cette charmante île des Caraïbes.
04:19 Comme à leur vilaine habitude, les Etats-Unis y soutenaient alors une dictature
04:23 qui leur permettait d'avoir la main sur les ressources et de s'enquiller morito sur morito dans les clubs locaux
04:28 sans être dérangés par un peuple réduit à la misère et à l'exploitation.
04:32 Un pays entier réduit à un club med fasciste pour gros touristes ricains,
04:36 mafieux à l'accent italien prononcé et agents de la CIA.
04:40 Charmant.
04:40 Étrangement, ces ingrats de Cubains, ça les a un peu saoulés et pouf, révolution.
04:45 Le type des cigares, le type des t-shirts, Nathalie Cardone, vous connaissez.
04:49 Et ça, les USA, ça ne leur a pas plu du tout.
04:52 D'autant que, vous voyez, c'est vraiment sous leur pif.
04:55 Pas question donc de les laisser respirer, alors c'était parti pour un véritable état de siège
04:59 et des embargos qui durent encore aujourd'hui.
05:02 Des débarquements foirés, des mercenaires de la United Fruit
05:05 et des centaines de tentatives d'assassinat sur Fidel Castro.
05:08 Bon, là, à Cuba, ils se disent, amitié terminée avec les USA,
05:26 maintenant, l'URSS est ma meilleure amie.
05:28 Quel rapport avec le cinéma ?
05:29 Eh bien, il faut comprendre qu'après la révolution, le but, c'était de garantir l'avenir du pays
05:33 et de le développer malgré le blocus dans un nouveau type d'économie.
05:37 Il faut, entre autres, se doter d'une toute nouvelle industrie cinématographique,
05:41 d'autant qu'on a depuis longtemps compris le pouvoir du 7ème art.
05:44 Alors, on accueille à bras ouverts tout un tas d'artistes amis,
05:47 venus du monde entier pour aider cette toute jeune révolution.
05:50 Et parmi eux, évidemment, des soviétiques.
05:53 C'est que eux, même si ça remontait, ils en connaissaient un rayon niveau révolutionnaire.
05:57 Un rayon niveau révolution autant qu'au niveau cinéma.
06:00 "Sergei Eisenstein était dans la recherche constante de l'efficacité de son médium sur le spectateur,
06:07 comme l'attestent ses innombrables écrits théoriques.
06:10 Et son obsession du calcul de la forme et de ses effets sur le spectateur
06:14 s'inscrit dans une volonté d'éduquer les masses."
06:17 De ce partenariat va naître un film "Soy Cuba".
06:20 Soy Cuba, donc tout simplement "Je suis Cuba", a une mission cruciale et pas évidente.
06:25 Comment raconter cette révolution ? Comment incarner à l'écran ses luttes ?
06:28 Quelles images lui donner pour la postérité, pour le peuple qui l'a fait,
06:32 et tant qu'à faire pour les peuples du monde entier ?
06:34 Ce qui est bien avec les révolutions, c'est que tout est à réinventer.
06:37 Par contre, ce qui est chiant, c'est qu'il faut tout réinventer.
06:40 Faut bien comprendre que les événements sont encore tout chauds,
06:42 contrairement à la guerre qui, elle, est bel et bien froide.
06:45 La fameuse crise des missiles, là où on a tous failli crever,
06:48 elle se produit en plein pendant les plus d'un an de tournage.
06:51 On avait donc envoyé un type du nom de Mikhail Kalatozov
06:54 et son équipe bien rodée de techniciens soviétiques.
06:57 Et Kalatozov, c'est pas n'importe qui.
06:59 Déjà parce que c'est un cinéaste chevronné, qui a un peu touché à tous les postes,
07:03 mais aussi il vient de l'économie.
07:04 Il a fait un tour à Hollywood et il a été au premier festival de Cannes,
07:08 où le cinéma soviétique avait fait sensation,
07:10 et a même eu une palme d'or en 58 pour "Quand passent les cigognes".
07:13 Il a carrément été ministre en charge de l'industrie du cinéma,
07:16 même si apparemment l'URSS a pas hyper suivi ses conseils.
07:20 Rappelez-vous qu'on produit ici dans une économie non marchande
07:23 et qu'on est face à un film ambitieux qui nécessite du temps, des moyens et un paquet de monde.
07:28 Donc le film lui-même s'inscrit dans le processus révolutionnaire.
07:31 C'est du genre mobiliser des foules de figurants
07:33 ou appeler Raoul pour demander quelques milliers de soldats.
07:36 Et Kalatozov aussi, c'est... c'est un ouf.
07:39 Il a développé une vision bien particulière du cinéma
07:42 à une époque d'effervescence suivant la révolution d'octobre,
07:45 où ça a débatté et expérimenté dans tous les sens.
07:48 Parce qu'il fallait tout révolutionner, y compris le cinéma.
07:51 Donc la question qui nous habite aujourd'hui, il y avait bien cogité.
07:54 S'il y a eu beaucoup d'écoles de pensée différentes,
07:56 un des principes qu'on peut retrouver dans ce cinéma soviétique des débuts,
07:59 c'est de casser les schémas dépassés.
08:01 Eisenstein, donc, en opposition à la fluidité de la structure du récit américain,
08:04 propose ce qu'il appelle le montage dialectique.
08:06 Et là, pour le coup, je cite directement Eric Dufour dans "La valeur d'un film" qui dit que
08:09 "C'est la même technique que dans le cinéma américain, mais utilisé autrement,
08:12 qui permet de faire advenir un montage organique,
08:14 qui transforme le contenu et fait même advenir un nouveau contenu.
08:16 Une vision marxiste de la société.
08:18 Ce nouveau contenu advient lorsque la série successive de gros plans
08:21 permet de donner une image, un visage, aux opprimés,
08:24 qui d'un seul coup décident de lutter.
08:26 La série intensive de gros plans, c'est la révolution qui naît."
08:28 Un seul héros, le peuple, donc,
08:30 principe qu'il va essayer de transposer au peuple cubain.
08:33 Mais entre temps, l'URSS avait bien changé,
08:35 la révolution s'était éloignée avec toute cette effervescence,
08:38 et les clubs de cinéastes pleins d'idées avaient été fermés
08:41 pour ne plus suivre que le dogme en place.
08:44 Mais Kalatozov, à Cuba, il va se lâcher.
08:46 Ce qui préfigure d'ailleurs un renouveau de l'expérimentation du cinéma soviétique.
08:50 "Kulitivchewski, qui m'attend."
08:53 Quand je dis "se lâcher", c'est que, sur le plan technique aussi,
08:56 le gars, c'est un ouf.
08:57 Lui et ses techniciens, tout particulièrement son opérateur-caméra
09:00 Sergei Ouroussevski,
09:02 ils font des dingueries absolument folles pour l'époque.
09:05 Sur place, ils bossent avec et forment les équipes locales.
09:08 Déjà, ça a donné quelques frictions.
09:10 Surtout à Cuba, ils trouvent que ça commence à être un peu trop slave tout ça,
09:13 alors on leur adjoint un co-scénariste du coin.
09:16 Maintenant que vous savez tout ça, comment décrire Soy Kuba ?
09:19 Et comment Soy Kuba met en image la Révolution ?
09:22 Déjà, qu'on soit très clair, vous l'aurez peut-être compris,
09:24 c'est carrément un film de propagande.
09:26 Il y a bien un enjeu idéologique et de soft power
09:29 à glorifier la Révolution cubaine et, de manière générale, les idées qu'elle représente.
09:33 Surtout quand on est littéralement assiégé par une puissance
09:36 qui a elle-même les plus gros outils de soft power au monde.
09:39 Comme on l'a dit, le film fait le choix de dépeindre non pas une figure héroïque,
09:43 mais bien le peuple, Cuba elle-même, d'où le titre, à travers des événements successifs.
09:48 Il met en perspective la vie des riches visiteurs dans la Havane pré-révolutionnaire
09:52 et le coût qui se cache derrière pour une population réduite aux labeurs,
09:55 à la misère et à l'oppression.
09:57 Suite à quoi on la voit se soulever jusqu'à être forcé de prendre les armes pour se libérer.
10:02 Et comme vous le voyez depuis tout à l'heure à l'image,
10:04 on n'est pas du tout dans une approche réaliste façon reportage.
10:08 Tout est iconisé à mort par les cadrages,
10:10 toujours très formels, très signifiants, voire symboliques.
10:13 La volonté là, c'est pas du tout de faire un docu,
10:16 mais bien un poème épique avec très peu de textes,
10:19 dont littéralement un poème qui rythme le film,
10:21 où c'est l'image qui raconte.
10:23 Et c'est pas peu dire.
10:24 Rendez-vous compte qu'on est en 1963 là.
10:27 Faut imaginer ce que c'est un tournage à ce moment là.
10:29 Les limitations techniques, rien que ce que pèse une caméra,
10:32 l'absence de numérique, tout ce que vous voulez.
10:34 Le film est notamment connu pour ses plans-séquences,
10:37 des scènes entières tournées d'une traite.
10:39 Rien que ça déjà, en fait ça implique des péloches
10:41 qui peuvent durer jusqu'à 5 minutes.
10:43 Il y a entre 3 et 4 plans-séquences qui sont historiques,
10:47 on va dire, c'est à dire que c'est des espèces de défis techniques,
10:51 de défis visuels, de défis esthétiques.
10:53 C'est ça qui est troublant dans ce film,
10:55 c'est comment la caméra est un personnage.
10:58 Idem pour l'usage de filtres et de certains effets de rendu.
11:01 Ils ont tourné avec des pellicules utilisées par l'armée
11:04 pour l'observation de la Lune.
11:05 Non mais prenez la scène de l'enterrement d'un étudiant
11:07 tué par la police, énorme climax du film.
11:10 Est-ce que vous vous rendez compte que pour faire ça,
11:12 il y a un caméraman avec un bordel super lourd,
11:15 et la Steadicam ça existe pas,
11:17 il fait son joli plan dans la rue,
11:19 là des types l'accrochent à une poulie,
11:21 le montent en l'air, dans un atelier de cigare
11:23 où d'autres types le réceptionnent et le décrochent,
11:26 lui il continue son joli mouvement jusqu'à la fenêtre et...
11:29 cut ! Eh ben non, pas cut, allons-y !
11:31 Il s'est fait réattacher à un autre dispositif,
11:34 et il vole au-dessus de la foule et...
11:36 Ok, j'arrête avec les trucs de nerd de la technique,
11:39 mais juste retenez que c'est dingo et que c'est qu'un exemple.
11:42 Pour vous dire, même des Scorsès quand ils l'ont vu,
11:44 au début ils arrivaient même pas à comprendre comment ils avaient fait.
11:47 Par exemple ça, regardez, alors hop, le groupe,
11:50 puis ça se balade et hop là on descend,
11:52 ok, ok, puis allez la caméra elle va dans la...
11:57 piscine ! Ok...
11:59 Mais quoi ?
12:00 Et puis vas-y qu'elle ressort et...
12:02 - T'as du dire que t'arrêtais !
12:03 - Oui, oui, pardon, mais dedans la piscine, vous savez comment ?
12:06 - On s'en fout !
12:07 - Non, ils ont mis la cam' dans un des trucs des sous-marins là.
12:10 - Super !
12:11 - Des périscopes !
12:12 - Mais enchaîne par pitié !
12:13 - En vrai, tout ça c'est pas juste pour la prouesse technique.
12:16 Y a une volonté conscientisée de comment raconter la lutte et l'émancipation.
12:20 Aller chercher au plus près tous ces visages
12:22 qui sont pour la plupart réellement ceux des Cubains qui avaient fait cette révolution.
12:26 S'en éloigner, prendre du recul pour montrer la foule, le peuple,
12:30 constitué de tous ces visages lorsqu'ils se rassemblent pour relever ensemble la tête.
12:34 Et cette caméra qui, littéralement, accompagne le mouvement social.
12:38 Alors évidemment, quand le film sort, c'est une étincelle.
12:41 Il inspire les femmes et les hommes du monde entier et déclenche la révolution internationale.
12:45 - Enfin ces sales porcs capitalistes vont payer leur crime, hein ?
12:49 Hein camarade ?
12:51 - Austin, c'est nous qui avons gagné.
12:53 - Oh, génial, super !
12:55 Vive le capitalisme alors !
12:57 - Non, évidemment, c'est pas du tout ce qui s'est passé.
12:59 Le tournage a été très long, très éprouvant et a bien dépassé son budget.
13:03 A l'arrivée, côté URSS, la hiérarchie le diffuse vite-oeuf et se dit
13:07 "Oula, c'est quoi ça ?" et puis boum, au placard.
13:10 On l'a dit, c'est l'URSS.
13:12 Les idéaux d'autogestion et les expérimentations révolutionnaires, c'était terminé,
13:16 repris en main par des appareils chic dont on se serait bien passé de la vie sur le cinoche.
13:20 Pour un film de propagande, c'est assez ironique.
13:22 Et côté Cubain...
13:27 - Le coup de couteau, je n'ai pas aimé.
13:29 - Le coup de couteau donne un ton épique, un ton poétique,
13:33 un ton qui, à ce moment-là, à moi, ne me semblait pas bien.
13:39 Le problème, c'est que Sony-Kuba, c'est surtout des soviétiques
13:42 qui essaient de raconter avec leur vision extérieure,
13:45 idéalisé et sans doute un peu à côté de la plaque.
13:48 Résultat, ça a plé moyen au point qu'on surnomme le film "Je ne suis pas Cuba".
13:53 - Le tempérament du Cubain n'est pas celui du soviétique.
14:00 Voilà, ce petit bout de péloche enterré.
14:03 Mais vous vous doutez bien que ce n'est pas un lost media,
14:05 sinon je n'aurais pas cette superbe édition restaurée de chez Potemkin
14:09 avec moult bonus fort intéressants, dont un docu réalisé sur le film des décennies après.
14:14 Et c'est pas un emplacement produit, je trouve ça cool.
14:17 Mais tant qu'on parle de ça, regardez ce qu'on a dans le décor maintenant.
14:20 Si vous ne connaissez pas la chaîne Vidéodrome, allez voir, c'est trop bien.
14:24 C'est une chaîne de cinéma hyper stylée, et dedans il y a du stop motion
14:27 et des collages à partir de vieux journaux.
14:30 Et ces collages, maintenant, on peut les acheter.
14:32 Donc déjà, ça soutient une créatrice, et le collage c'est de gauche, et c'est joli.
14:36 Parce qu'au final, il y a un twist.
14:38 La malédiction de Soy Kuba n'est pas aussi tragique qu'elle en a l'air.
14:42 Déjà, bien que le film n'est pas vraiment plus au cubain,
14:44 son expérience a servi de base à un véritable cinéma cubain.
14:48 Son scénariste, Enrique Pineda Barnett, deviendra même un des réalisateurs les plus populaires de Lille.
14:53 Aussi, il sera déterré plus tard par d'autres cinéastes.
14:56 Scorsese, Coppola, voilà, rien que ça.
14:59 Tellement halluciné par ce qu'il découvre, il décide de le ressortir en 1995,
15:03 avec cette fois un accueil critique enthousiaste.
15:06 Le visionnage marque à jamais leur façon de faire du cinéma.
15:09 On en trouve donc des traces dans leurs films, et sans doute d'autres.
15:12 [Musique]
15:22 Est-ce qu'on aurait les plans-séquences qui ont rendu célèbre Cuaron ou Iñárritu sans Soy Kuba ?
15:27 Je sais pas.
15:28 Et le clip de Dany Brillant à la Havane, là, en plans-séquences, comme par hasard ?
15:32 Le fait est que, même si ça a pris des décennies,
15:34 Soy Kuba est désormais bel et bien considéré comme un film incontournable.
15:38 Peut-être pas parmi le grand public, mais il y a fort à parier que ça soit un des films préférés de votre réalisateur préféré.
15:44 Ce qui s'est malheureusement un peu perdu en route, c'est l'idéal qu'il portait.
15:48 C'est la lutte, c'est l'émancipation.
15:50 [Musique]
16:11 Alors ouais, ils sont où les cinéastes organiques du mouvement social ?
16:15 Oui, on en a des engagés qui décrivent les conditions des exploités,
16:18 mais elle est où la joie, la glorification de l'émancipation, quand c'est pas tout simplement misérabiliste ?
16:24 Oui, en France, on a des Gilles Perret ou des François Ruffin qui mettent de la joie et de la beauté dans la lutte,
16:29 mais on reste surtout sur une logique de docu.
16:31 C'est ouf, parce qu'on voit bien qu'on a besoin d'images, d'imaginaires qui accompagnent nos luttes.
16:36 Regardez comment les gens se réapproprient toutes les représentations populaires,
16:39 même les trucs les plus mainstream, au sein même de ces luttes.
16:42 Là-dessus, il y a un super thread de Lex Tutor qui part de ces Chiliens qui font un Genki-Dama en manif.
16:47 Et pourtant, c'est Dragon Ball, quoi.
16:49 Et en même temps, l'idée de ce geste qu'on ferait tous ensemble pour réunir nos forces et vaincre un adversaire plus puissant,
16:55 évidemment que c'est parlant.
16:57 On a besoin de ces imaginaires et on en manque cruellement.
17:00 Pourtant, vous allez me dire que la lutte, c'est pas beau, c'est pas épique, c'est pas grandiose.
17:04 Alors on attend quoi ? Et ils ont quoi en face à proposer ?
17:07 Vous avez vu la pauvreté de leur imaginaire de parasite radicalisé sur LinkedIn ?
17:12 C'est juste la cojipe leur idéale.
17:14 Ça, et des flics partout. De la brutalité à tous les étages.
17:17 Ah ça, ça, ils adorent, ils aiment bien.
17:19 En même temps, vous voyez pourquoi ils se battent ?
17:21 Écraser la très grande majorité de la population, tout détruire, ce qu'on a construit de bien,
17:26 tout s'accaparer pour quelques parasites.
17:28 Vous vous rendez compte qu'on est face à des gens qui, quand ils font l'effort de sortir se battre,
17:33 c'est pour refuser des droits aux autres.
17:35 Désolé, mais ça fait pas rêver. En tout cas, ça devrait pas.
17:38 Alors que nous, on se bat pour le progrès, pour l'intérêt commun, pour nous toutes et tous.
17:42 Alors, il est grand temps de se reconstruire un imaginaire.
17:45 Pas en revenant à des trucs vintage, forcément, comme ceux du Kouba.
17:49 Moi, j'aime bien les compils des plus grands tubes de la commune,
17:52 par la chorale Nopasaran du club des profs à la retraite de la CNT, c'est complètement mon délire.
17:57 Mais c'est un imaginaire nostalgique, un peu muséifié.
18:00 Non, je parle de recréer des images qui viennent de nous,
18:03 qui nous ressemblent, qui nous touchent et qui nous portent,
18:06 y compris dans la diversité de notre camp social.
18:08 Alors, y en a qui trouvent que l'ambiance CGT, moustache merguez, c'est ringard.
18:12 D'autres qui trouvent que les techno-dance alternatiba, c'est cringe.
18:16 Que les batukades, c'est bobo. Et les fanfares, c'est un truc de beauf.
18:19 Que le hip-hop, c'est trop ci. Que la variété, trop ça.
18:23 Je vais vous faire une révélation.
18:25 Alors, attention, c'est totalement incroyable et révolutionnaire.
18:29 L'un n'empêche pas l'autre.
18:32 [Musique]
18:41 S'il y a bien une différence aujourd'hui, c'est qu'on a presque toutes et tous
18:44 une caméra dans la poche. Mais pas juste ça.
18:47 Les moyens de filmer se sont démocratisés.
18:49 Plus besoin de caler des objectifs de 10 tonnes dans des périscopes soviétiques
18:53 pour créer des images signifiantes, une cinématographie,
18:56 venant de vidéastes plus ou moins amateurs,
18:58 mais aussi de journalistes de terrain et des gens eux-mêmes.
19:01 - Mais c'est ça, vous voulez que je vienne sur camion, pourquoi faire ?
19:04 Je fais mon métier comme vous, monsieur.
19:06 Une cinématographie populaire, en quelque sorte,
19:09 contre l'hégémonie des images dominantes,
19:11 contre celle de ceux qui n'ont rien à offrir d'autre que des imaginaires
19:14 qui se tiennent sages.
19:16 Du plus divertissant au plus inquiétant, du plus dramatique au plus fun,
19:19 en se réappropriant des symboles, en en détournant d'autres
19:22 ou en en faisant naître de nouveaux.
19:24 Toutes sortes d'images, en fait, mais aussi de son, de musique,
19:27 de performances, de flux vidéo, de texte, de danse, de montage marrant.
19:31 - Donc, bon, c'est ce que j'ai dit, si j'avais dit...
19:38 De documentaires, de TikTok et d'art en général.
19:41 Cette poésie de l'émancipation que recherchait Kalatozov
19:44 pour être une force de création et non plus seulement de contestation,
19:48 pour recréer des imaginaires dont on a cruellement besoin.
19:51 Et pas que nous, puisque ces images inspirent le monde entier,
19:54 comme celles du monde entier nous inspirent et nous donnent de la force,
19:57 de la rage et de l'espoir.
19:59 - Comme si les images de mai 68 étaient encore celles de la nouvelle vague,
20:16 ceux qui ont vécu cet engagement l'ont fait avec en tête des plans
20:21 des films de Kodár ou de Truffaut.
20:24 (musique)
20:29 - Bonne année la ! - Bonne année !