Nathanaël Bergèse, compositeur, pianiste, superviseur musical et enseignant, à ce sujet il ressent que ses élèves aspirent principalement à apprendre et à devenir des compositeurs accomplis, cherchant des techniques, une méthodologie et un savoir-faire. Il insiste sur l'importance d'une communication méthodique avec les réalisateurs, sachant quand proposer des idées et quand se retirer, tout en cultivant un dialogue équilibré. Il décrit sa propre approche comme un processus sur mesure et réfléchi, où il analyse l'image du film et collabore étroitement avec le réalisateur pour transmettre des émotions spécifiques à travers la musique. En évoquant l'avenir de la musique de film, Bergès exprime sa confiance en la capacité de l'industrie à s'adapter aux avancées technologiques, en mettant l'accent sur l'expérience unique et l'engagement collectif que le cinéma offre par rapport au visionnage à domicile.
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00:00 La radio du cinéma depuis le festival de Cannes avec une nouvelle rencontre autour de la musique de film.
00:05 Vous savez que c'est notre crédo, la musique à l'image.
00:09 Rencontre avec Nathanaël Berges. Bonjour.
00:11 Bonjour.
00:12 Compositeur, pianiste, superviseur musical, enseignant aussi.
00:17 D'ailleurs j'ai envie de commencer par ça.
00:19 Que viennent chercher les élèves ?
00:21 Qu'ont-ils dans la tête lorsqu'ils démarrent une saison avec toi ?
00:25 J'espère qu'ils ont beaucoup d'envie de devenir compositeur, d'en vivre.
00:34 C'est le cas pour la plupart.
00:35 Et puis je crois qu'ils ont surtout envie d'apprendre.
00:37 C'est-à-dire qu'ils se disent "je l'ai fait un petit peu chez moi,
00:40 mais je sens qu'il me manque des trucs pour...
00:43 j'arrive à quelque chose mais c'est pas satisfaisant, j'ai besoin d'outils, j'ai besoin de technique".
00:47 En vrai, on ne va pas leur apprendre à avoir de l'inspiration.
00:51 Je dirais que ça c'est leur problème, chacun se débrouille avec ses méthodes.
00:54 Par contre, leur donner de la technique, du savoir-faire, de la logique, de la méthodologie,
00:59 voilà, c'est ça qu'ils viennent chercher, j'espère qu'on leur apporte.
01:02 La méthodologie qui peut être différente évidemment d'un film à l'autre,
01:05 d'un réalisateur à l'autre.
01:07 Il faut leur apprendre aussi à s'adapter quelque part ?
01:10 Oui, alors le point est crucial.
01:13 C'est-à-dire que la méthodologie, c'est presque la méthodologie de comment on communique avec le réalisateur.
01:17 C'est un point hyper important.
01:19 C'est-à-dire à quel moment on intervient, qu'est-ce qu'on va demander,
01:22 qu'est-ce qu'on va proposer aussi, à quel moment on sait qu'il faut être force de proposition,
01:26 à quel moment il faut lâcher, parce qu'il faut aussi accepter des fois de laisser le réal avoir aussi ses inspirations.
01:33 C'est quand même son film aussi à la base.
01:36 Même si c'est un travail collectif, on leur apprend à dire, le réal a besoin de vous.
01:41 Vous avez besoin de lui, mais il a besoin de vous aussi.
01:43 On n'est pas là pour se placer en dessous, mais il faut trouver cette justesse de dialogue.
01:47 Donc on fait un peu de psychologie, d'écoute, de travail d'expression.
01:52 J'en ris, mais à la fois c'est tellement vrai dans le métier.
01:55 C'est-à-dire qu'il y a un savoir-faire technique et puis un savoir-faire humain finalement qui est hyper important.
01:59 Par exemple, toi, ta façon de travailler, c'est cette adaptation avec le film, avec l'image, avec le réalisateur, avec l'équipe.
02:06 Mais tu... alors je ne sais pas, on imagine un compositeur qui a plein de bribes de mélodies dans des tiroirs,
02:12 qui ressent "Ah tiens, celle-là, il irait bien avec ce film".
02:14 C'est ta façon de travailler ou tu...
02:17 Non, moi pas du tout. Moi je suis vraiment...
02:19 À l'instinct un peu ?
02:21 Non, je dirais en prêt-à-porter, c'est-à-dire pas de surmesure...
02:24 Enfin non, que du surmesure, je veux dire pas en prêt-à-porter.
02:27 C'est-à-dire vraiment un truc où on va prendre le temps de la réflexion avant la composition.
02:33 On passe beaucoup de temps en amont, beaucoup de temps à décortiquer l'image,
02:37 et décortiquer avec le réal, qu'est-ce qu'il veut nous raconter en fait à cet endroit-là.
02:42 Et se dire "Voilà, il veut raconter ça, il y a telle émotion,
02:45 on veut que le public soit dans cet esprit-là,
02:49 est-ce que la musique va apporter quelque chose ? Oui, non ?
02:51 Et puis si oui, par quel monde, par quel outil ?"
02:54 Moi je suis très... comme ça, dans un travail, je dirais finalement peu instinctif,
02:59 mais beaucoup de réflexion en amont, puis au moment où ça sort finalement,
03:02 on a tellement mûri le truc que je dirais que c'est plus facile.
03:06 Enfin, on essaye de se faciliter le travail.
03:07 Après, ça n'engage que moi comme méthodologien.
03:10 Tu... Quand tu vois un film, tu as cette déformation professionnelle,
03:13 d'être un peu omnibulé par la musique, ou pas ?
03:16 Carrément ! Mais je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas-là.
03:19 Non, en fait, quand je n'y pense pas, c'est que c'est en général super bien fait.
03:24 Enfin, c'est mon critère.
03:25 Après, quand c'est un peu vite, effectivement, à un moment tu te dis "Ah non, pourquoi il a fait ça ?
03:30 Oh, c'est trop dommage, oh, je n'aurais pas fait ça !"
03:32 Et là, quand c'est là, on a perdu le fil de l'émotion et du film, on n'est plus dans le film.
03:38 Tu es plus Alexandre Desplat que Neomuricone alors ?
03:41 Sans aucun doute !
03:44 Non, en plus, j'aime beaucoup la démarche de Desplat.
03:48 On a eu la chance d'échanger une fois et c'est un gars super.
03:52 Et c'est vrai que lui, c'est marrant que tu dises ça parce que lui,
03:55 il est très technique aussi dans son approche musicale.
03:59 Et puis, il aime beaucoup travailler avec des petits ensembles, cordes, etc.
04:02 Et c'est vraiment un truc, enfin moi, dans lequel je me retrouve à 100%.
04:07 Ton actualité, pourquoi es-tu à Cannes cette année ?
04:10 Eh bien, pour te voir !
04:12 C'est ce qui me fait le plus plaisir !
04:14 Non, alors, je ne suis pas là que pour vous.
04:16 Attention, j'adore !
04:18 Non, je suis là parce que j'ai un film, donc un long métrage qui s'appelle "M".
04:21 C'est un film de Vardan Tosija qui est macédonien.
04:24 Donc, c'est une coprod' Pologne, Macédoine, France.
04:28 Je dois en oublier un ou deux autres pays de l'Est, ils me pardonneront, j'espère.
04:31 Donc, ce film "M", il a été fini il y a quelques mois maintenant.
04:36 Là, il est en projection, donc, au marché du film uniquement.
04:39 Il a été en projection pareil au marché à Berlin, il y a quelques mois en arrière.
04:43 Voilà, l'idée, c'est qu'il y a eu un acquéreur international au niveau des droits du film.
04:48 Je pense qu'il cherche d'autres partenaires avant de programmer les sorties et puis les envois en festival.
04:54 On parlait de l'avenir du cinéma.
04:59 L'avenir de la musique de film, parce que c'est le débat de l'année.
05:02 Est-ce que tu as peur d'être remplacé par un robot ?
05:06 Personnellement, je dirais non. Je pense que j'aurais pris ma retraite au moment où les robots se trompent à cyber-troulements.
05:12 Ça peut aller très vite.
05:13 Oui, c'est vrai, il paraît.
05:14 Non, alors, honnêtement, je n'ai pas du tout peur de ça.
05:19 Je me dis qu'il y a sans doute une mutation à venir, un changement, mais il y a déjà eu tellement de changements.
05:24 Je veux dire, si... Alors, je vais faire un discours qui est complètement éculé, mais si on revient en arrière,
05:28 quand la télé est arrivée, on a dit que le cinéma allait disparaître.
05:31 Quand les DVD sont arrivés, on a dit la même chose.
05:34 Quand le CD est arrivé, enfin, voilà, donc, des avancées technologiques, je pense qu'il y en aura toujours.
05:39 Sans doute, des choses vont muter, c'est-à-dire qu'il y a peut-être des musiques, je vais dire,
05:44 un film institutionnel de trois minutes, dans un format très cadré, avec...
05:49 Finalement, on se rend compte qu'on fait quasiment tout le temps les mêmes musiques là-dessus.
05:52 Bon, ben, peut-être qu'on ne les fera plus, effectivement, parce qu'il n'y aura plus d'intérêt économique à le faire pour personne.
05:56 Mais je ne crois pas que sur une oeuvre de fiction, il y aura sans doute des expérimentations.
06:02 Il y a des gens qui en feront.
06:04 Ils vont faire un allié, alors, à ce moment-là.
06:05 Oui, sans doute. Enfin, je suis très... Voilà, ça va se faire. Bon, je n'ai pas très envie de travailler avec.
06:11 Parce que les scénaristes sont terrorisés, par exemple.
06:13 Ah oui ?
06:14 Oui, oui, donc...
06:15 Ils ont peu de foi en leurs moyens. Moi, j'ai assez confiance dans le travail qu'on fait.
06:22 Si on regarde en arrière et qu'on réfléchit, par exemple, à l'arrivée de tous les sons virtuels,
06:26 des instruments virtuels qu'on peut utiliser pour remplacer les vrais instrumentistes,
06:30 au final, on voit bien qu'aujourd'hui, dès qu'il y a un peu de moyens, tout le monde va enregistrer en studio sa musique.
06:35 Donc, je reste quand même assez mesuré, on va dire.
06:39 Parmi les sujets d'actualité, il y a tout simplement l'avenir du cinéma aussi.
06:42 Le cinéma en salle, j'entends.
06:44 Évidemment, on parle beaucoup de l'image, l'action, le fait d'aller au cinéma, d'en prendre plein la vue.
06:49 C'est valable pour la musique aussi.
06:51 Par exemple, tu as vu pour la première fois le film dont tu as composé la musique en salle.
06:55 Tu as vu la dimension que ça prenait ailleurs sur un petit écran.
06:59 Ça, c'est évident, mais que ce soit pour l'image, le son, la musique,
07:03 c'est évident que la sensation n'est pas la même en salle que chez soi.
07:08 On a beau avoir un super système son à la maison, ce n'est pas pareil.
07:11 Et puis, il y a aussi la dimension évidente qui est la dimension collective.
07:16 On partage le même moment, on réagit en groupe, il se passe quelque chose.
07:20 Et on voit bien, sur d'autres films dont j'ai pu faire de la musique
07:24 et j'ai pu assister à plusieurs séances dans des salles différentes,
07:27 on voit bien que des fois les réactions ne sont pas les mêmes,
07:30 que la salle a sa vie propre par rapport à l'image.
07:33 Et ça, c'est quelque chose d'irremplaçable.
07:35 Et je pense que c'est aussi irremplaçable pour les gens, finalement,
07:37 pour ceux qui en font l'expérience.
07:39 Après, tout dépend de ce qu'on va voir et de ce qu'on attend aussi de l'image.
07:43 Dernière question, c'est la radio du cinéma.
07:46 Imagine, tu as les réalisateurs qui te regardent, qui t'écoutent.
07:50 Avec qui aimerais-tu travailler ?
07:52 Il n'y a pas de limite.
07:54 Il n'y a pas de limite.
07:56 C'est moche ce que je vais dire, mais j'adorerais prendre la place d'Alexandre Desplat
07:59 pour travailler avec Del Toro.
08:03 Je pense que ça doit être un kiff monstrueux.
08:06 Il va t'appeler.
08:07 Super.
08:09 Merci beaucoup.
08:10 [Musique]