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Art et designTranscription
00:00 *Générique*
00:16 C'est un article que j'ai trouvé dans le courrier international repris de Business Insider UK par Julia Black intitulé
00:23 "Rencontres avec ces hipsters de l'eugénisme qui veulent changer l'avenir de l'humanité".
00:28 Simone et Malcolm Collins ressemblent à des personnages de série.
00:32 Lunettes à monture apparente, rondes pour madame, rectangulaires pour monsieur.
00:36 La mèche est impeccablement plaquée, la tenue est monochrome et un fusil trône au-dessus de la cheminée.
00:42 Ils sont blancs, évidemment, nous sommes au cœur de la très wasp Pennsylvania.
00:47 Leur but affiché, faire le plus d'enfants possible afin, je cite, "de changer l'avenir de notre espèce".
00:53 Selon leur calcul, si chacun de leurs descendants s'engage à avoir au moins 8 enfants sur 11 générations,
00:59 la lignée des Collins sera à terme plus nombreuse que la totalité de la population actuelle de la Terre.
01:05 Car c'est bien là le projet, repeupler la planète mais pas avec n'importe quelle gêne.
01:10 Car pour éviter l'effondrement de notre civilisation, les Collins veulent offrir à notre humanité une élite génétiquement sélectionnée pour la guider.
01:18 Éduquées, riches, hygiéniquement irréprochables et blanches, évidemment,
01:23 nous sommes au cœur de ces fortunes très politiques, dont la figure de Proulx est Elon Musk,
01:28 qui a déjà eu 10 enfants de 3 femmes différentes.
01:31 Un peu plus d'un mois après le passage de la journaliste, Simone lui envoie un selfie d'elle alitée à la maternité,
01:36 son nouveau-né prénommé Titan Invictus dans les bras, lèvres impeccablement maquillées de son rouge préféré.
01:42 Après un accouchement par Césarienne le vendredi, elle avait repris le travail dès le lundi dans ses horaires habituels.
01:48 Et c'est là qu'intervient mon invité Douglas Kennedy.
01:52 Dans cette interstice minuscule entre l'avant-dernière et la dernière phrase de cet article,
01:56 pour raconter cette folie de l'intérieur, l'humanité ou l'inhumanité, pour imaginer un passé à ces personnages,
02:03 leur inventer une histoire, pour rendre sensibles des faits et ainsi nous les rendre accessibles,
02:09 car seul un auteur peut raconter ce qu'un journaliste ne peut pas dire.
02:17 - Bonjour Douglas Kennedy. - Bonjour Antoine.
02:20 - Merci infiniment d'avoir accepté notre invitation dans Bienvenue au club, vous êtes avec nous pour votre nouveau roman.
02:25 C'est ainsi que nous vivrons aux éditions Bellefonds et j'indique à nos auditeurs que vous serez présents
02:29 pour les trois jours du festival Étonnants Voyageurs tout ce week-end à Saint-Malo.
02:33 Alors il y avait une expression, j'allais dire de mon temps, qui disait "la réalité dépasse la fiction"
02:40 et j'ai l'impression qu'avec cette histoire trouvée dans le courrier international, on est même au-delà,
02:44 c'est-à-dire qu'on est dans des gens qui veulent faire de leur réalité une fiction, vivre dans une fiction.
02:51 Qu'est-ce que vous pensez de ce mouvement-là ?
02:54 - Je pense que c'est partout mais ça existe franchement depuis la Deuxième Guerre mondiale.
03:01 Si on regarde la science-fiction des années 50, de Bradbury, de Asimov,
03:07 mais aussi un secte comme les Scientologues qui était inventé par en fait un écrivain de la science-fiction de série B,
03:18 L. Ron Hubbard, avec des idées idiotes mais maintenant avec beaucoup de pouvoir.
03:24 Ça c'est toujours aussi aux États-Unis dans l'esprit américain en fait, regarder le ciel.
03:30 On a commencé aux États-Unis comme une expérience religieuse.
03:35 Les puritains qui ont fondé la colonie de Massachusetts, pour moi c'était le Taliban du 17ème siècle, franchement féroce.
03:44 C'est la raison pour laquelle des hommes de la lumière qui ont écrit notre constitution
03:50 ont insisté pour qu'il y ait la séparation entre l'Église et l'État.
03:55 Mais c'est toujours là-bas.
03:57 Et aussi un autre aspect en fait, franchement, de l'âme américaine, c'est en fait la théorque aussi, et aussi des réponses.
04:11 Ça c'est quelque chose en fait, dans la mentalité américaine, qui est extraordinaire, l'idée qu'il y a quelqu'un avec des réponses.
04:22 Donc ça c'était derrière de mes pensées quand je commence à réfléchir à ce roman qui a commencé à New York pendant la pandémie.
04:33 J'ai dîné avec un camarade de classe de l'université, un Golden Boy de Wall Street maintenant,
04:39 un ancien Golden Boy de Wall Street, mais hyper riche.
04:42 Mais pas mal pour un homme avec une valeur de 50 millions de dollars.
04:46 Mais il reste cool et socialement progressiste.
04:51 Et on a dîné, c'était à l'extérieur parce que c'était la pandémie.
04:57 Et c'était juste après la mort de Ruth Bader Ginsburg, la juge de la Cour suprême.
05:03 C'était clair que Trump va nommer Amy Coney Barrett, qui est un cadeau en fait.
05:08 Une juge conservatrice, très conservatrice.
05:10 Un cadeau fanatique, franchement.
05:12 Et oui, j'ai dit en fait, parce que j'ai juste terminé mon dernier roman en fait,
05:17 "Les hommes ont peur de la lumière" ou le sujet c'est l'avortement.
05:21 Et je lui ai dit, c'est la fin de Roe v. Wade.
05:24 Et il m'a dit, en fait, j'en ai marre de cette situation.
05:29 Qui contrôle l'économie américaine ? C'est les deux côtés.
05:33 La Californie a la quatrième économie la plus importante du monde.
05:37 Et l'autre centre de la finance c'est New York.
05:40 Et il y a Boston avec la biotechnologie, le médecin, en fait,
05:45 des chercheurs extraordinaires, il y a Chicago.
05:49 Dans le sud, il y a Dallas et Atlanta et Houston et le reste, bof.
05:54 Et en subvention, en fait, le reste du pays.
05:57 Mais à cause du système de gouvernement,
06:00 un sénateur de Wyoming avec un million en fait d'habitants
06:05 a du même pouvoir qu'un sénateur de New York avec 40 millions.
06:08 Et il dirige maintenant en fait le changement des États-Unis.
06:13 - Oui, c'est cette idée de sécession, c'est à ce moment-là que...
06:16 - Il m'a dit peut-être qu'on a besoin d'un divorce.
06:19 Et immédiatement, j'ai une idée. Et ça c'était le début de ce roman.
06:23 - Alors ma question justement, parce que là on écoutait quelques mots extraits d'un article.
06:30 Et vous en avez écrit des articles, vous avez écrit également des récits de voyage.
06:33 Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, vous choisissez une forme plutôt que l'autre ?
06:36 Vous choisissez le roman. Qu'est-ce que vous pouvez dire dans le roman
06:39 que vous ne pourriez pas dire dans un récit, dans un article ?
06:42 - Je peux tout inventer. Ça c'est le truc.
06:46 Et aussi ici, parce que l'action se trouve en 2045,
06:51 je peux inventer mon complément de défense, mais très proche d'aujourd'hui.
06:58 Ça c'était pour moi hyper important dans ce roman.
07:03 Créer un cauchemar à l'avenir qui est aussi très actuel.
07:08 Où il n'y a pas de vaisseaux spatiaux, il n'y a pas de zombies, de martiens.
07:14 Franchement, rester crédible, Kennedy, je me dis tout le temps.
07:19 Donc 2045, il n'y a pas un Etats-Unis. Il y avait un divorce.
07:24 Une guerre de sécession foide, assez violente mais pas trop.
07:29 Maintenant deux pays, la Nouvelle Confédération, le Sud et le Midwest,
07:35 complémentaire au crât, hyper chrétien, mais aussi d'un aspect libératairien.
07:41 Et en fait les deux côtes et certains Etats dans le centre de ce nouveau pays.
07:48 - Oui, il y a une carte d'ailleurs, juste après la couverture,
07:52 pour cette sécession qui a eu lieu aux Etats-Unis.
07:55 Les Etats-Unis n'existent plus en 2045.
07:58 Ils sont séparés en deux, entre la République unie et la Confédération unie.
08:04 Avec une zone neutre entre les deux.
08:06 Et ce sont effectivement, non pas une sécession entre le Nord et le Sud,
08:11 comme ça a pu avoir lieu, mais entre les côtes, intellectuels, progressistes,
08:16 et les Etats, vous dites "fly over".
08:20 - Fly over, oui, ça c'est l'expression.
08:22 - Les Etats qu'on survole mais dans lesquels on ne s'arrête pas.
08:25 Je voudrais justement, pour que nos auditeurs comprennent bien,
08:28 qu'on écoute quelques mots le tout début de votre roman.
08:31 (musique)
08:34 "Nous sommes le 6 août, dans le grand pays qui faisait autrefois partie du nôtre,
08:38 il s'apprête à brûler mon amie sur un bûcher.
08:42 Elle s'appelle Maxime, elle travaille pour moi en quelque sorte,
08:46 et nous nous sommes rapprochés au fil des années,
08:48 bien que dans mon secteur, une telle camaraderie soit considérée comme peu professionnelle.
08:53 La raison de son exécution, elle a osé plaisanter en public au sujet du Christ.
08:59 Telle est la faute de Maxime, un monologue comique où elle se demandait tout haut
09:03 si le fils de Dieu s'était chié dessus sur la croix.
09:07 Puis, toujours plus loin dans la surenchère surréaliste,
09:10 elle émettait l'hypothèse qu'après la crucifixion,
09:13 les centurions avaient ôté sa couche à Jésus
09:16 pour s'adonner à une bonne vieille orgie cropophile.
09:20 J'ai connu mieux comme humour.
09:22 Je dirais même que cela atteint des sommets de mauvais goût toutefois de notre côté de la frontière,
09:26 il est encore possible de faire ce genre de blague graveleuse sans le payer de sa vie.
09:32 Nos anciens compatriotes, en revanche, sont loin de prendre à la légère
09:36 tout ce qui touche de près ou de loin aux blasphèmes.
09:39 * Extrait de « La vie de Jésus » de Maxime Roussel *
09:46 Voilà comment débute votre roman.
09:49 On est tout de suite plongé dans cette situation que je vais essayer de résumer, mais vous allez m'aider.
09:54 Nous sommes en 2045, donc une Amérique coupée en deux,
09:57 administrativement coupée en deux,
09:59 une nouvelle sécession entre l'Amérique des côtes, riche et éduquée, plutôt démocrate,
10:04 la République Unie, et l'Amérique des États flyover, on le disait,
10:08 qui sont tous les États du centre, la Rust Belt, la Bible Belt également,
10:13 des États ultra religieux, ça c'est la Confédération Unie,
10:18 et au milieu, c'est le zone neutre dans laquelle va devoir se rendre une agente
10:22 d'une agence de la République Unie pour désamorcer quelqu'un qui lui est proche.
10:28 Cette scission que vous avez imaginée, votre personnage
10:32 l'a fait remonter, l'a fait débuter en tout cas,
10:36 à l'élection et la présidence de Donald Trump.
10:39 - Oui, oui, mais tout a commencé avec ça.
10:42 Pour moi c'est très intéressant, pendant la pandémie, tout le monde m'avait demandé
10:46 si j'avais une idée pour un roman, et j'ai répondu que c'était trop tôt.
10:52 La même chose après le 11 septembre, pour moi le résultat de l'11 septembre,
10:58 15 ans après, c'était Trump. Clairement.
11:01 Et aussi pour son art urbain, en fait, Boris Johnson, etc., etc.,
11:08 à l'extrême droite partout.
11:10 Et pour moi, Trump est la frontière,
11:14 et le moment quand, en fait, les institutions américaines
11:20 étaient vraiment menacées par un président,
11:23 et en fait se soutiennent, regardez les événements du 6 janvier,
11:29 21, extraordinaire, presque un coup d'État aux États-Unis.
11:35 Et ça c'était aussi un début pour moi.
11:38 Le truc dans le roman, maintenant il y a deux pays,
11:41 mais même si en fait la Nouvelle République est plus progressiste,
11:48 c'est un milliardaire du tech, Morgan Shadwick, très wasp,
11:54 qui est président depuis 12 ans, 12 ans, ça c'est un détail très important,
11:59 un mec qui a inventé une pousse que tout le monde est obligé
12:04 de porter dans la tête, et ça fonctionne comme un iPhone,
12:07 mais c'est la surveillance totale.
12:10 Il n'a pas une vie privée, il n'a pas une vie intime,
12:14 tout est enregistré.
12:18 Donc, en fait, ma narratrice, une femme qui s'appelle Stengel,
12:24 Samantha Stengel, c'est toujours pour moi Stengel,
12:27 c'est une femme, en fait, à la quarantaine, très éduquée, Harvard,
12:32 son père qui est récemment mort, un homme de mon âge,
12:36 et un romancier, - Qui vous ressemble.
12:38 - Oui, oui, tout à fait, avec lequel elle était très très proche.
12:43 Elle est une fille unique.
12:46 Elle découvre un secret de papa,
12:49 qui est aussi un secret de l'autre côté.
12:53 Je ne vais pas expliquer parce que je vais garder...
12:54 - Justement, je m'étais demandé si on avait le droit de dire ce secret,
12:57 et je crois que vous préférez qu'on le garde, et c'est très bien.
13:00 - Absolument pas, parce que c'est une grande surprise,
13:02 et puis il y a beaucoup de surprises.
13:04 Et elle est obligée d'aller dans un neutre,
13:09 dans en fait ces deux pays, il y a un Berlin,
13:13 qui est Lex Minneapolis, divisé en deux,
13:16 et contrôlé par les deux pays.
13:18 Et clairement, ça c'est une zone d'espionnage.
13:21 Et elle est là-bas. Et puis, il faut lire le livre.
13:25 Mais pour moi, la chose la plus importante,
13:27 c'était inventer un monde, en fait, à 22-23 ans plus tard.
13:34 - Mais qui raconte aujourd'hui, qui incarne aujourd'hui complètement,
13:38 c'est-à-dire justement cette scission,
13:40 et vous la racontez entre des ultra-religieux,
13:43 et quelque part des progressistes fascinés
13:47 par ce milliardaire de la tech.
13:48 Et c'est peut-être ce qui est encore le plus intéressant dans votre roman,
13:53 c'est-à-dire qu'on n'a pas des fanatiques religieux d'un côté,
13:55 et des gens rationnels de l'autre.
13:57 On a des fanatiques religieux qui prient un messie ancien,
14:00 celui de la Bible, et puis on a des fanatiques modernes
14:04 qui prient un messie milliardaire de la tech, ce fameux Chadwick.
14:07 - Exactement. Et l'idée que la Nouvelle République,
14:11 même si le vernis est progressiste,
14:14 l'éducation est subventionnée, la culture,
14:19 franchement, il n'y a pas de racisme, pas de homophobie.
14:24 Mais la vérité, il n'y a pas de liberté aussi.
14:27 C'est totalitaire light.
14:30 Et ça, c'était pour moi très intéressant.
14:33 Dans un monde... Et aussi, j'ai choisi 2045
14:37 parce que c'était 100 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
14:43 Donc 100 ans.
14:45 - À la date anniversaire du lancement de la bombe d'Hiroshima.
14:49 - Tout à fait. Exactement.
14:52 Et ça, c'était aussi très important pour moi
14:55 parce que ce monde a de ce beau.
14:59 Et pendant la Deuxième Guerre mondiale,
15:03 avec le fascisme partout,
15:06 mais il y avait en fait l'Europe unie,
15:09 il y avait aussi surtout les États-Unis.
15:13 Il y avait en fait des pays libres.
15:17 Mais en 2045, pas du tout.
15:20 Et l'ombre de la Chine est partout.
15:24 Pour moi, en fait, le siècle américain est fini.
15:28 On est foutu. On est bon.
15:31 C'est un peu comme le Royaume-Uni.
15:36 L'Empire a terminé en fait en 1918,
15:42 après la Première Guerre mondiale.
15:43 Ça, c'était la fin de ça.
15:45 Et pour nous, c'était Trump.
15:47 Clairement, donc presque.
15:48 - C'est la fin de l'histoire des États-Unis, Donald Trump.
15:51 - Oui.
15:53 Franchement, de rôle des États-Unis comme un grand symbole
15:58 de la liberté.
15:59 OK, clairement, on reste en fait le pays
16:02 avec le pouvoir le plus fort,
16:05 mais la Chine est juste à côté.
16:06 Et pour eux, c'est un jeu d'échecs.
16:09 Dans le roman, en fait,
16:11 après huit ans de président républicain,
16:16 après Biden,
16:18 et aussi où en fait les républicains
16:21 contrôlent le Congrès et le Sénat,
16:23 et tout est hyper, hyper, hyper conservateur.
16:27 Les Chinois testent en fait le gouvernement
16:30 avec une invasion de Taïwan qui va arriver.
16:33 Ça, c'est 100% sûr.
16:36 Ça, c'est à l'avenir.
16:38 Et aussi la violence.
16:40 Et ça, c'est le moment quand Morgan Shadwick
16:42 a eu l'opportunité de créer un divorce.
16:46 Donc, c'est un point de vue en fait un peu glauque
16:51 au sujet de l'avenir.
16:53 - Un peu effrayé en tout cas.
16:55 - Un peu effrayé, oui.
16:56 - On vous sent, j'allais dire,
17:01 blasé, déçu, presque sans espoir.
17:05 - Oui.
17:06 D'une certaine manière.
17:08 Mais en même temps intéressant.
17:09 Parce que la vie continue,
17:12 mais c'est une vie dans une forme différente.
17:14 Et ça, c'est aussi intéressant.
17:16 Comment on vit dans un monde où tout est enregistré.
17:21 Même si on fait la mort.
17:24 Ou en fait, on est dans des toilettes.
17:28 Tout est enregistré.
17:29 Ce n'est pas comme...
17:30 En fait, l'État va utiliser ça.
17:32 Mais c'est clair, c'est là-bas tout le temps.
17:35 Et où c'est impossible de voyager maintenant.
17:39 C'est très difficile.
17:40 Le monde a complètement changé.
17:42 Mais aussi le fait qu'on est proche de ça.
17:46 Pas complètement, mais la vérité, la surveillance.
17:50 J'ai parlé avec des flics élevés aux États-Unis
17:53 quand j'ai fait des recherches sur ça.
17:54 Si on a un portable, on est sous surveillance tout le temps.
18:00 Un flic m'a dit, si on a un portable,
18:03 on peut trouver votre position géographique dans 5 secondes.
18:07 Comme ça.
18:08 Même si on jette le portable,
18:10 ok, c'est là-bas, il est où.
18:13 Et aussi, on voit tout qu'en fait, on lit tout le temps.
18:19 - Est-ce que vous qui vivez très mal cette situation actuelle,
18:24 ou en tout cas c'est ce qu'on ressent en vous lisant,
18:27 on sent une forme de détachement,
18:30 est-ce que vous restez encore, est-ce que vous faites encore,
18:33 est-ce que vous voulez encore faire partie de cette société
18:36 ou est-ce que vous avez une volonté de vous en extraire
18:39 et de la regarder depuis l'extérieur ?
18:41 Je pense notamment à cette société américaine.
18:43 Est-ce que vous en faites encore partie ?
18:45 - J'ai un aspect schizophrène chez moi.
18:48 Je suis au milieu des choses et aussi en dehors des choses.
18:53 Je ne suis pas quelqu'un qui est mondain, par exemple.
18:56 Je suis très privé.
18:57 Je passe beaucoup de temps en salle, je suis célébritaire.
19:02 Et franchement, en fait, fréquemment je suis au cinéma,
19:06 ici à Paris, en salle ou au club de jazz, des choses comme ça.
19:10 Ça c'est moi, mais j'observe tout le temps.
19:12 Je lis 4 journaux par jour.
19:15 Je suis très impliqué en fait dans la société américaine,
19:19 mais avec un regard d'extérieur parce que, en fait,
19:22 je vis depuis 40 ans, une moitié de mon temps en Europe.
19:26 C'était 25 ans en Europe.
19:29 Et puis j'ai décidé de revenir parce que j'ai pensé
19:33 que c'est mon pays, c'est mon dispute
19:36 et c'est nécessaire d'être là-bas.
19:38 Mais j'ai une hypothèse au sujet de la vie.
19:41 Tout est supportable avec un billet à la retour.
19:46 Et donc, en fait, je vis aux États-Unis, le Maine, New York,
19:51 ici à Paris, j'ai un appart à Berlin,
19:54 je parle le deuil, et je voyage.
19:57 79 pays et maintenant, post-Covid,
20:02 je vais recommencer en février,
20:05 plus de deux mois en Asie, à voyager seul.
20:10 Pour moi, c'est très, très, très important,
20:13 j'ai dit ça à des jeunes écrivains,
20:16 d'avoir des pieds sur le trottoir.
20:19 Je prends le métro comme tout le monde,
20:21 je fais des courses, je vis des taxis,
20:25 parce que ça, c'est aussi ma racine de la classe moyenne.
20:29 Mais aussi, en fait, observer et prendre
20:35 la température d'une société.
20:37 Et maintenant, aux États-Unis,
20:41 on a deux Amériques, et on se déteste.
20:44 Ça c'est sûr, on se déteste.
20:47 Et de plus en plus, c'est extrême,
20:50 il n'y a pas de dialogue maintenant.
20:53 Et c'est extraordinaire,
20:56 Richard Nixon, historiquement,
20:59 a commencé une guerre culturelle aux États-Unis en 68.
21:04 - Entre la vraie Amérique ?
21:05 - Oui, la vraie Amérique. - L'Amérique des vrais Américains ?
21:08 - Oui, l'Amérique profonde. - Et l'autre Amérique ?
21:10 - Et l'autre Amérique, les deux côtes,
21:12 les intellectuels, les snobs.
21:14 - Des gens comme vous ? - Oui, exactement comme moi.
21:17 Et surtout le plus grand pêcheur immortel qui parle français.
21:20 Et voilà, ça c'est le plus grand pêcheur immortel.
21:23 Mais ça c'était le début de la guerre culturelle.
21:27 Reagan utilisait ça de manière...
21:30 Et Reagan aussi, c'était le moment
21:32 quand on commence à avoir une économie du 19e siècle.
21:36 Il a franchement déstabilisé tous les programmes sociaux
21:42 depuis Roosevelt,
21:44 qui était une expérience socialiste aux États-Unis
21:47 après la Grande Depression.
21:50 Et soudainement, en fait,
21:52 toutes les villes ont devenu hyper chères,
21:55 c'était le triomphe du capitalisme.
21:56 J'ai lu un article récemment
22:00 dans The Atlantic,
22:01 qui est un journal très intellectuel
22:04 de politique à la culture américaine.
22:06 Quand je suis né en 55,
22:09 la gouffre entre les riches et la classe professionnelle,
22:13 c'était 10 fois de la fortune.
22:16 Maintenant, c'est 1 000 fois.
22:19 Les plutocrates ont de l'argent hallucinant.
22:23 Et à cause de ça...
22:24 Et maintenant, regardez San Francisco, par exemple,
22:28 qui était pendant les années 60,
22:31 et avant ça, les années 50.
22:33 Les Beats étaient là-bas,
22:36 les années 60.
22:37 - Et aujourd'hui, les gens ne peuvent plus s'y loger.
22:39 - Exactement.
22:40 - Les gens sont effectivement dans la rue.
22:41 Ça fait d'ailleurs partie de votre roman,
22:44 puisque une bière, même dégueulasse,
22:47 comme le dit votre personnage,
22:48 coûte une fortune.
22:49 Et qu'en fait,
22:50 les gens de la classe moyenne, justement,
22:52 n'ont plus de quoi vivre.
22:53 Heureusement, il leur reste,
22:54 il reste en tout cas à Stengel,
22:56 la musique,
22:57 celle qu'elle se fait jouer,
22:58 notamment dans la tête,
22:59 et dont je voudrais qu'on écoute quelques notes.
23:01 * Extrait de « The Big Bill Evans » de Bill Evans *
23:20 Vous disiez « Le Grand Bill Evans ».
23:22 - Oui.
23:22 - Effectivement.
23:23 Enregistré au Village Vanguard,
23:25 votre club de jazz préféré du monde entier.
23:28 - Du monde entier.
23:29 - Quand vous allez à New York,
23:30 c'est là que vous allez,
23:31 parce que la musique fait partie intégrante
23:34 non seulement de vos romans,
23:35 mais de votre vie.
23:36 - Ma vie, en fait, c'est toujours avec la musique.
23:40 Je suis toujours au Duc Lombard,
23:44 et Sunset Sunside, ici à Paris,
23:47 et aussi la Philharmonie à Berlin.
23:49 J'ai cinq abos, en fait, de la Philharmonie de Berlin.
23:52 Et je crie avec la musique tout le temps.
23:55 Quand je crie avec la musique,
23:57 je ne suis pas seul.
23:58 Et j'aime ça, aussi.
24:01 Mais c'est mon église.
24:03 Je ne suis pas pratiquant, au contraire.
24:07 Mais c'est mon église, en fait.
24:09 Et aussi, on trouve, franchement,
24:14 beaucoup de questions de la condition humaine
24:18 dans la musique, en fait.
24:20 La Messe en similitude de Bach,
24:22 même si on n'est pas pratiquant,
24:25 c'est un moment très, très spirituel.
24:27 Et donc, dans ce roman, en fait,
24:30 le fait que Stengel a un attachement de la musique,
24:34 c'est aussi l'humanité.
24:37 Pendant un monde où, en fait,
24:39 c'est très difficile de trouver l'humanité.
24:43 En fait, la Nouvelle République reste, en fait,
24:46 culturelle aussi, en fait, de l'autre côté.
24:50 Mais, honnêtement, s'il n'y a pas de liberté,
24:54 ça, c'est compliqué, en fait.
24:56 Donc, la culture devient un refuge,
24:59 mais pas un endroit où on peut poser des questions.
25:03 Ça, c'est le roman.
25:05 On peut poser des questions.
25:06 Le théâtre, le cinéma, en fait, la musique,
25:09 on peut poser des questions.
25:11 Ça, c'est le rôle d'un artiste.
25:13 - Et justement, c'est ce que j'allais vous demander
25:16 sur la place de l'écrivain aujourd'hui.
25:19 Alors, en France, elle est assez claire.
25:21 Enfin, Michel Houellebecq peut écrire 100 pages
25:24 sur une polémique, et ça va être une actualité
25:26 importante pour tous.
25:28 Mais je voulais savoir, aux États-Unis,
25:29 quelle est la place aujourd'hui de l'écrivain,
25:32 et peut-être même, vous, quelle est votre place
25:34 dans votre pays ?
25:36 - Je ne suis pas si connu aux États-Unis comme ici.
25:40 La France reste un pays d'électeurs et électrices,
25:43 et c'est magnifique, en fait.
25:45 Aussi, une chose très importante en France,
25:49 c'est le prix unique.
25:51 - Du livre.
25:52 - Oui, du livre.
25:53 Et ça, c'est la clé.
25:55 Aux États-Unis, il y a des remises partout.
25:59 Amazon a détruit, en fait, beaucoup de choses.
26:03 Et aussi, en fait, la plupart des...
26:06 En fait, il y a maintenant peut-être
26:08 quatre maisons d'édition, des groupes
26:10 de maisons d'édition.
26:12 C'est tout.
26:13 Et c'est contrôlé par des plutocrates.
26:16 - Votre livre, d'ailleurs, sortira aux États-Unis ?
26:19 Les États-Unis sont prêts pour lire ce type d'histoire ?
26:22 - Inch'Allah.
26:24 Mon agent hollywoodien me dit, en fait,
26:27 c'est un livre hyper important.
26:29 Et on verra.
26:31 Le truc, en fait, si 15% des Américains
26:36 lisent des romans maintenant, ça, c'est un miracle.
26:39 Mais ça, c'est 40 millions.
26:41 Et...
26:43 Il reste aux États-Unis, en fait,
26:46 franchement, en fait, des journaux très importants,
26:48 des revues littéraires très importantes,
26:51 des écrivains importants.
26:53 Et un public, en fait, intéressé par ça.
26:56 Mais c'est une minorité.
26:58 Et ça, c'est tragique.
27:00 Pendant les années 50, mon grand-père
27:03 Martinel, qui est joaillier dans le quartier
27:05 de Diamant, un homme qui était ici en France
27:09 pendant la Première Guerre mondiale,
27:11 mais il n'a pas reçu son bac, mais
27:13 il a un abonnement d'un club, d'un livre tous les mois.
27:16 "Book of the month club".
27:18 Et c'est une sorte de fierté pour lui
27:20 qu'il ait lu un livre par mois.
27:22 Je connais beaucoup de gens maintenant
27:24 qui ne lisent pas.
27:26 Seulement...
27:28 les portables.
27:30 - Alors, si vous voulez justement sortir de votre portable
27:33 et lire un roman passionnant, "Douglas Kennedy",
27:35 et c'est ainsi que nous vivrons passionnant et effrayant.
27:38 Mais c'est aux éditions Bellefonds.
27:39 Merci infiniment, Douglas Kennedy, d'avoir été notre invité.
27:42 Et on se quitte sur quelques mots
27:44 de celui par qui tout est arrivé
27:47 et qui avait un tout petit peu du mal
27:49 à reconnaître sa défaite.
27:51 - Je voudrais commencer par réagir
27:53 à l'attaque de Haynes hier
27:55 et à ceux qui ont brisé la loi.
27:57 Vous allez payer.
27:59 Cette élection est maintenant terminée.
28:01 Le Congrès a certifié les résultats.
28:03 Je ne veux pas dire que l'élection est terminée,
28:05 je veux juste dire que
28:07 le Congrès a certifié les résultats
28:09 sans dire que l'élection est terminée.
28:11 OK?