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Art et designTranscription
00:00 * Extrait de « Le Book Club » de Nicolas Herbeau *
00:20 Mon premier est né à Prague en 1883.
00:22 Son œuvre sera pourtant écrite en langue allemande.
00:25 Décrit comme un écrivain prophétique, on aurait pu ne jamais rien lire de lui, ni
00:29 de ses pensées si son ami l'avait écouté après sa mort en 1924.
00:34 Max Braud ne brûle pas Kafka.
00:36 Franz Kafka ne veut pas mourir.
00:38 Titre du roman de Laurence Exig.
00:40 Mon second est né à Berlin en 1892.
00:43 Il est philosophe, critique littéraire, historien de l'art.
00:45 Walter Benjamin estime beaucoup mon premier, qu'il imagine comme le personnage d'une
00:50 légende.
00:51 Les deux sont en fait des légendes du XXe siècle.
00:53 Titre du roman d'Aurélien Bélanger.
00:56 « Mon Tout » est un book club avec ses deux monuments, deux romans et leurs deux
01:00 auteurs et nos lecteurs aussi.
01:02 « Kafkaien » est un mot magique.
01:04 Un labyrinthe et un emboîtement complexe.
01:06 Et pourtant, tout est limpide.
01:09 Quand ça n'a ni queue ni tête, que personne n'a la clé, mais qu'il faut traverser.
01:12 Synonyme l'embrouille.
01:14 #BookClubCulture
01:17 Lolita Grégoire Jean-Charles, nos lecteurs électrices du jour, toujours bien inspirés.
01:22 Bonjour Laurence Exig.
01:23 Bonjour.
01:24 Vous êtes écrivain dramaturge et médecin.
01:26 L'écrivain tchèque de langue allemande Franz Kafka vous a inspiré ce roman.
01:29 « Franz Kafka ne veut pas mourir » publié aux éditions Gallimard.
01:33 En 2010, vous écriviez « Dernier jour » de Stefan Zweig chez Flammarion.
01:37 Stefan Zweig, auteur autrichien.
01:39 Je ne sais pas si vous me suivez, mais expliquez-nous peut-être d'abord cette attirance pour
01:43 les pays d'Europe centrale, pour la langue germanique et pour la fin de vie des écrivains.
01:47 Alors la question est vaste.
01:51 Ce sont d'abord, comme j'imagine beaucoup de nos auditeurs et comme beaucoup de personnes
01:58 qui viennent autour de ce micro, des auteurs qui m'ont construit, qui ont fait de moi
02:07 un écrivain et peut-être qui m'ont construit en tant qu'homme.
02:12 Et que j'ai découvert extrêmement jeune, comme beaucoup, avec une forme de fidélité
02:17 à leur pensée qui fait qu'à l'âge de 18 ans, la lecture du monde d'hier a totalement
02:24 bouleversé ma façon de voir le monde.
02:27 Et moi qui me rêvais écrivain déjà, entamant des études de médecine, vous l'avez dit,
02:33 ma façon d'écrire.
02:34 Et il y a eu cette sorte de fidélité à ces chocs émotionnels, humains, ressentis
02:43 dans l'adolescence, qui fait que 30 ans plus tard, j'ai monté le monde d'hier,
02:49 fort de cette émotion portée à l'âge de 18 ans, fort de ce que ce livre m'avait
02:53 apporté au théâtre des Maturins, en en faisant une adaptation qui avait été jouée
02:58 par Jérôme Kircher et qui avait été représentée plus de 400 fois et tournée dans toute la
03:02 France.
03:03 De la même façon, Franz Kafka était un de mes écrivains phares, comme tous ceux
03:08 que vous recevez ici.
03:09 Depuis 15 ans, je me rêvais déjà écrivain.
03:11 Et son œuvre, sa vie, son journal, ses lettres, ses nouvelles, ses romans m'ont profondément
03:18 impressionné.
03:19 J'ai dédié ma thèse de médecin, quelques années plus tard, à Franz Kafka et en réalité
03:27 elle concernait et elle traitait de l'extension des cancers bronchiques en imagerie par résonance
03:32 magnétique.
03:33 Donc le pas était très lointain.
03:35 Et il y avait toujours quelque chose qui m'avait marqué chez Kafka, au-delà évidemment
03:40 de son œuvre, de ses textes, c'était ses dernières paroles qui étaient "Robert,
03:49 tuez-moi sinon vous êtes un assassin".
03:50 Et il y avait une sorte de… la vie de Kafka, l'œuvre de Kafka, le paradoxe de Kafka,
03:57 on a parlé, on écoutait tout à l'heure quelqu'un dire ce que représentait Kafkaïen,
04:00 était représenté dans ses phrases et dans cet énigme.
04:03 Et c'est cela qui est à l'origine de ce roman.
04:06 - On va évidemment parcourir les pages de votre roman, mais l'une des premières pages,
04:10 sur l'une des premières pages, il y a écrit une phrase de Walter Benjamin.
04:13 On pourrait faire de Kafka le personnage d'une légende, le philosophe allemand qui a inspiré
04:19 notre deuxième invité Aurélien Bélanger.
04:22 Bonjour.
04:23 - Bonjour.
04:24 - Sixième roman, nommé le XXème siècle, il paraît chez Gallimard également et il
04:27 raconte ce siècle passé à travers le prisme de la vie de Walter Benjamin, c'est ça ?
04:32 - Oui, c'est ça.
04:33 Walter Benjamin, il est né en 1892, il meurt en 1940.
04:37 Il ne représente évidemment que la première moitié du XXème siècle, donc le titre exagère
04:42 un petit peu.
04:43 C'est un intellectuel majeur de la première moitié du XXème siècle.
04:46 Et pour plusieurs raisons, il a aussi, comme Kafka, qui meurt avant les totalitarismes,
04:52 il est aussi prophétique.
04:53 Lui va plutôt prophétiser, enfin, sera utilisé dans la seconde moitié du XXème siècle
04:57 pour décrire notamment les industries de masse, pour parler aussi de la politique.
05:02 Et c'est un écrivain qui, aussi comme Kafka, a une œuvre qui aurait pu ne pas exister
05:07 s'il n'y avait eu le formidable travail de ses amis autour de lui qui l'avaient
05:10 assemblée.
05:11 Et ce qui en fait l'une des meilleures clés, me semble-t-il, pour rentrer dans le XXème
05:18 siècle et poser le XXème siècle surtout comme équation incroyablement difficile.
05:23 On n'en a pas fini, et ça a longtemps été moi mon premier réflexe d'enfant des années
05:27 80, c'est fini le XXème siècle, maintenant c'est le XXIème siècle, le XXème siècle
05:30 c'est jamais fini.
05:31 Hélas, on n'en a pas fini avec le XXème siècle et ce sera un sujet qu'on aura à
05:33 traiter longtemps et donc c'était intéressant d'y retourner comme ça.
05:36 - Les lecteurs et auditeurs du Book Club ont lu votre livre Aurélien Bélanger, voici
05:41 ce qu'ils ont retenu.
05:42 Patrick de la librairie La Droguerie de Saint-Malo et Jean-Charles de Paris.
05:46 - Ça tient parfois à peu de choses ce qui fait qu'on choisit un livre dans une librairie
05:49 plutôt qu'un autre.
05:50 Pour Aurélien Bélanger, ça a été le titre, le XXème siècle et le bandeau sur lequel
05:56 était écrite Une vie de Walter Benjamin.
05:58 Ce titre intriguant et la promesse d'entendre la voix singulière de Benjamin, dont j'admire
06:04 particulièrement le livre sur les passages parisiens, d'entendre cette voix résonner
06:09 à travers les mots d'un roman m'ont immédiatement attiré.
06:13 Si vous adorez Walter Benjamin, ce livre qui prend la forme d'un roman policier épistolaire,
06:17 trois personnages essayent de comprendre le suicide d'un conférencier qui leur a donné
06:21 un brillant exposé sur Walter Benjamin à la bibliothèque François Mitterrand.
06:25 Ce livre qui est aussi un collage inspirant de lettres, de mails, de témoignages autour
06:29 de la vie du philosophe.
06:30 - Pas épistolaire mais plutôt composé de portes le long de passages justement à travers
06:37 lesquels le lecteur déambule et hésite parfois à emprunter une sortie.
06:40 Ce livre donc va vous ravir.
06:42 - Un labyrinthe et un emboîtement complexe et pourtant tout est limpide.
06:47 Le jeu de mise en abyme absorbe le lecteur qui, comme un pion, se déplace sur l'échiquier
06:54 selon des règles qu'il ne comprend pas forcément mais qui le mène au bout de ce texte que
06:59 je tiens vraiment pour l'un des plus intéressants que j'ai lu ces derniers temps.
07:02 - C'est un exercice de style de haute volée, très agréable à lire, très prenant, très
07:06 surprenant, à bonheur de lecture.
07:08 Et si vous ne connaissez pas Walter Benjamin, attendez-vous à avoir une envie irrésistible
07:13 d'aller encore plus loin dans la découverte de sa vie, de son œuvre et de sa pensée.
07:16 Le XXe siècle est un brillant exercice du non moins brillant Aurélien Bélanger.
07:20 - Je ne sais pas si je vous laisse réagir à tous ces compliments.
07:24 Roman épistolaire, pas épistolaire, c'est amusant parce qu'il y a une forme particulière
07:28 dans votre roman et là, par exemple, les lecteurs ne sont pas d'accord.
07:30 - Je me suis interdit de dire que c'est un roman épistolaire parce qu'à moins d'être
07:34 les liaisons dangereuses, ça fait un peu peur.
07:37 C'est un roman dans la structure et en soi compliqué mais je n'en ai pas trouvé d'autre
07:41 parce que je ne me voyais pas traiter frontalement de la vie de Benjamin.
07:44 En même temps, j'avais envie de parler de rien d'autre que Benjamin.
07:47 Donc, j'ai trouvé une première mise à distance, c'était de parler de Benjamin,
07:49 j'imaginais que depuis que Benjamin s'était produit sur la scène de la pensée, depuis
07:54 les années 10, à chaque génération, il y avait des nouveaux benjaminiens qui retombaient
07:59 à leur tour fascinés par cette œuvre.
08:01 Ça a pu être Adorno autrefois, ça a pu être Scholem autrefois, ça a pu être le
08:07 philosophe révolutionnaire Ben Saïd dans les années 80.
08:10 C'est une sorte de transmission d'héritage qui se passe.
08:14 Et donc, évidemment, la forme de la lettre est toute trouvée parce que la lettre serait
08:19 la forme sublimée de la littérature.
08:21 Qu'est-ce que c'est qu'une œuvre littéraire ? C'est une lettre adressée à travers
08:24 le temps.
08:25 Donc, ça a été fait assez intuitivement, mais je me dis que finalement, ça ne tombe
08:27 pas trop mal que ça ait pris cette forme-là.
08:29 - Il y a deux pièces maîtresses dans votre roman et c'est par là qu'on commence.
08:32 Il y a évidemment la ville, la figure et les écrits de Benjamin.
08:34 Et puis, il y a cette Bibliothèque nationale de France, la BNF, dans les années 2010.
08:39 C'est là que se passe, si on peut dire, le début de ce roman policier.
08:43 Je crois qu'il y a un lecteur qui disait ça tout à l'heure.
08:46 La mort de ce poète qui tient une conférence sur Walter Benjamin et qui se suicide juste
08:51 après.
08:52 - Benjamin, à partir de 1933, quand il doit quitter l'Allemagne, en caricaturant à peine,
08:57 on peut dire qu'il va devenir le fantôme de la BNF.
08:59 Vieux site, le site riche lieu.
09:01 C'est-à-dire, il va s'enfermer à la BNF pour écrire le livre des passages.
09:03 Livre qu'il n'arrivera pas à finir.
09:05 Mais voilà, il y a des photos de Gisèle Freund qui le montrent au travail à la BNF.
09:08 Et donc, ce n'était pas un tout roman benjaminien.
09:11 Un moment est obligé de croiser la Bibliothèque nationale de France.
09:14 Moi, je me suis amusé à la transférer dans ce nouveau site, qui est ce bâtiment déjà
09:18 un peu ancien maintenant.
09:19 Donc, le bâtiment de Dominique Perrault, d'une modernité absolue, qui est très contestable
09:25 par tout le monde.
09:26 Il y a eu énormément de pamphlets pour dire que c'est un bâtiment qui est horrible pour
09:28 les lecteurs, qui est horrible pour les livres, qui est horrible pour tout le monde.
09:30 Sauf que c'est un bâtiment qui est arrivé comme ça, comme une sorte de rébut dans
09:33 les années 80.
09:34 On va fabriquer un bâtiment cybernétique.
09:36 La question, c'est de conserver les livres, peu importe qu'on les lise, peu importe qu'il
09:38 y ait des lecteurs, etc.
09:39 Le bâtiment, avant même qu'internet soit inventé, c'est une sorte d'allégorie
09:44 de la disparition du livre.
09:45 Et en soi, c'était intéressant.
09:47 Et puis, on ne la connaît évidemment pas, mais toute personne qui s'intéresse à
09:50 Benjamin connaît peut-être l'une de ses deux ou trois phrases les plus célèbres.
09:54 Il n'est pas de témoignage de culture qui ne soit pas aussi un témoignage de barbarie.
09:57 Et la BNF, c'est un peu ça.
09:59 C'est-à-dire qu'elle adore les livres, adore les bibliothèques.
10:03 Et dès qu'il est dans une bibliothèque, il succombe à une mélancolie atroce.
10:06 Il est au tort de douleur de voir tous ces livres qu'il n'a pas écrits, qu'il n'écrira
10:08 jamais.
10:09 Et on sent tellement peu de choses.
10:10 C'était intéressant de raconter ça.
10:11 - Ces quatre tours au bord de la scène, cette BNF qu'on appelle aussi François Mitterrand,
10:17 du nom du président de la République, évidemment.
10:19 Il y a aussi la mort présente dans ce roman, la mort de ce poète qui est en quelque sorte
10:25 en écho à la mort de Walter Benjamin.
10:28 Puisqu'il meurt, lui, en 1940, vous l'avez dit, en Espagne.
10:32 Il se suicide pour échapper aux nazis et il plane un mystère sur la présence, l'existence
10:39 d'une serviette noire.
10:40 Tout comme les personnages de votre roman s'interrogent sur est-ce que ce poète, François
10:45 Messigny, n'a pas laissé un énième roman derrière lui sur Walter Benjamin ?
10:50 - Tout benjaminien qui se suicide laisse derrière lui évidemment l'énigme d'un manuscrit
10:54 perdu.
10:55 On ne sait pas exactement s'il y a un manuscrit perdu de Benjamin.
10:57 Il y a eu des choses cachées, il y a eu des choses retrouvées.
10:59 Benjamin a fini assez peu de livres.
11:04 Le grand livre de sa vie, qu'il a passé plus de dix ans à écrire, il ne l'a pas fini.
11:07 Donc l'idée d'une oeuvre achevée, d'une oeuvre fantôme.
11:10 Et ce qui est très intéressant, c'est qu'alors que les philosophes du XXe siècle ont fait
11:13 des essais, que les romans du XXe siècle ont fait des romans, Benjamin, on ne sait
11:17 pas quelle eut été la forme de sa dernière oeuvre.
11:19 Ce qui en soi en fait quelque chose que je compare assez bêtement, mais c'est l'image
11:24 la meilleure, à la tour de Babel.
11:26 La tour de Babel dont on ne connaît que les reproductions par Bruegel alors qu'elle est
11:29 en chantier.
11:30 Eh bien, tout Benjaminien qui se respecte est fasciné par ça.
11:33 Trois personnages donc, c'est un peu votre club des trois.
11:36 Vous qui aviez confié en un entretien à la Nouvelle Revue Française que le club des
11:40 cinq reste la plus forte impression littéraire de votre vie.
11:44 Ça, hélas, c'est perpétué.
11:48 J'adore toujours les souterrains, les doubles fonds.
11:51 La BNF, il y a un plafond, et puis le plafond lui-même a un double fond.
11:56 La BNF, site historique, communique par des souterrains avec le passage Colbert juste
12:03 à côté.
12:04 Donc, en fait, tout ça permet, on fouille, etc.
12:06 Et c'est vrai que moi, j'ai une sorte d'obsession.
12:08 En ce moment, je suis sur une obsession de cataphile.
12:11 Je collectionne les cartes des catacombes et je fais des tracés de chemins possibles
12:14 dans les catacombes.
12:15 Donc voilà, tout ça infuse.
12:16 Et effectivement, ça m'a été transmis par le club des cinq.
12:20 Et puis, c'est quelque chose de feuilletonesque.
12:22 Et puis, ce n'est pas un hasard.
12:23 Le plafond naît au 19e siècle et puis c'est au même moment où naît les passages.
12:26 Donc, à la fois, il y a l'architecture évidente, l'architecture du visible et il y a l'architecture
12:30 secrète qui est celle des passages et qui est aussi, bizarrement, une architecture commerciale.
12:34 - Laurent Seixique, vous aussi, vous avez un club des trois.
12:36 Dora, Hotla et Clubstock, l'amoureuse, la sœur et le médecin, ceux qui entourent Kafka
12:43 alors que sa maladie le pousse vers la fin.
12:45 Et vous aviez parlé tout à l'heure, vous les avez prononcés, ces dernières paroles.
12:49 Robert, tuez-moi, sinon vous êtes un assassin.
12:51 Robert, c'est Robert Clubstock, ce docteur qui l'a veillé jusqu'à son dernier souffle.
12:57 Cette maladie, elle l'atteint très vite, Franz Kafka, mais elle va mettre du temps
13:02 à le tuer, si on peut dire.
13:05 - Oui, elle se déclenche en août 1917 par une hémoptysie, un crachat de sang.
13:14 Et il y a un avant et un après dans son œuvre, même si on voit un continuum.
13:19 Mais c'est vrai que pour moi, la plus belle des nouvelles de Kafka, "La construction
13:26 de la murale de Chine" est écrite juste avant que sa vie ne bascule dans la maladie,
13:30 lui qui souffrait d'hypochondrie.
13:31 Il y a ce drame de la tuberculose, la tuberculose à l'époque est évidemment une maladie
13:38 mortelle, une maladie dont on finit dans les plus atroces souffrances, étouffée lorsque
13:42 le larynx est atteint.
13:43 Et toutes ces dernières années, qui vont lui donner à écrire parmi ses plus grandes
13:52 œuvres, vont être marquées par des séjours en sanatorium et la progression de la maladie
13:58 jusqu'à l'étouffement final.
14:00 Et durant ces dernières années, il y a cet homme, ce jeune homme, étudiant en médecine,
14:05 Robert Klopstock, l'un des héros de ce roman, qui va rencontrer Kafka parce que lui-même
14:10 est atteint de la tuberculose dans un sanatorium et qu'il ne va plus vouloir le quitter.
14:14 Il va abandonner ses études de médecine pour l'accompagner dans l'idée un peu folle
14:21 de le guérir, lui qui rêve avant tout de devenir écrivain et qui va d'ailleurs passer
14:26 le reste de sa vie à tenter de traduire en hongrois le procès.
14:31 - Franz Kafka ne veut pas mourir, ça c'est votre titre, on connaît son rapport à la
14:35 mort dans son journal.
14:36 Vous avez écrit notamment que sur son lit de mort, il sera très satisfait.
14:40 C'est étonnant, en tout cas, il y a un vrai rapport entre la mort et son art.
14:44 - Il y a un vrai rapport entre la mort et l'écriture et en particulier dans la littérature
14:50 de Kafka, dans l'écriture de Kafka puisqu'il y a cette volonté de ne jamais achever ses
14:56 nouvelles, ses romans, comme si l'achèvement d'un roman, c'était la mort de soi.
15:02 Et c'est très aigu chez Kafka, il y avait cette peur de la mort sans doute liée à
15:10 cette forme de culpabilité extrême qui était liée également à la relation au père.
15:15 Ce père écrasant, ce père tyrannique, ce père aimant, ce père à qui il a écrit
15:20 la plus sublime des lettres, et j'en parle dans le roman sous la forme d'une scène puisque
15:23 c'est...
15:24 Cette lettre au père qui témoigne à la fois d'un amour infini et d'une haine absolue.
15:30 Et c'est la volonté quand on relit cette lettre au père, non pas de vouloir améliorer
15:36 les choses, mais il le dit très bien dans les dernières lignes qui sont bouleversantes,
15:41 pour que lui et son père aient une mort plus douce.
15:45 Donc même lorsqu'il écrit à son père, il est hanté par sa propre mort à l'âge
15:51 de 36 ans pour la lettre au père.
15:53 Et donc il y a ce rapport si particulier et puis cette force vitale absolument fabuleuse,
15:58 absolument incroyable, qui fait que ce personnage atteint par la maladie a maigri, il pesait
16:03 42 kilos sur sa fin, pour 1m82, qui est un fiancé impossible, qui aura vécu d'échecs
16:12 répétés, on connaît ses magnifiques lettres d'amour à Milana évidemment, mais surtout
16:16 à Felice, qui est un employé de bureau extrêmement sage, extrêmement soumis, qui est un fils
16:24 accablé lorsqu'il se met à écrire, devient un bâtisseur de monde, devient un homme qui
16:31 construit parmi les plus belles productions littéraires jamais écrites.
16:35 Donc c'est ce paradoxe entre cette apparence fragilité de l'homme et cette toute puissance
16:42 de l'écrivain.
16:43 - Il y a évidemment dans votre roman, et c'est la passerelle entre vos deux livres,
16:51 une phrase "On pourrait faire de Kafka le personnage d'une légende" de Walter Benjamin,
16:55 et à la fin de votre roman, dans les dernières pages, vous citez un texte de Benjamin qu'il
16:59 écrit pour les 10 ans de la mort de Franz Kafka, et il y a une phrase qui est étonnante
17:06 "Je renonce à interpréter Kafka" et on se dit de la part d'un critique, renoncer
17:10 à interpréter Kafka, c'est un peu surprenant, qu'est-ce que ça veut dire au final ?
17:14 - Ça veut dire qu'il avait compris Kafka, qu'il avait compris que toute exégèse de
17:20 la pensée de Kafka est impossible, parce qu'en réalité, les écrits de Kafka ne sont qu'une
17:26 quête de sens.
17:27 Mais c'est la quête qui est importante.
17:28 C'est non pas le sens, parce que lui-même était dans cette interrogation permanente
17:35 à la fois "Pourquoi j'écris ?" et "Qu'est-ce que j'écris finalement ?"
17:40 Donc c'est cette quête-là que Benjamin a complètement comprise, dans la mesure où
17:46 d'ailleurs chacun de ces deux écrivains écrivait par fragments et n'achevait pas
17:52 leurs œuvres.
17:53 - On va lire un petit bout Laurent Seixique, mais peut-être Aurélien Bélanger, vous
17:58 avez aussi vu ces points communs, cette façon d'écrire un peu similaire entre les deux ?
18:04 - C'est quelque chose, c'est Adorno, donc directement l'élève de Benjamin, qui l'a
18:09 découvert chez Benjamin, mais c'est très benjaminien, c'est que l'énigme est déjà
18:12 la question répondue en fait.
18:14 Il n'y a pas au-delà l'énigme, c'est la question telle qu'elle est le mieux formulée,
18:17 la réponse est déjà là.
18:18 Et Kafka est évidemment de cet ordre-là, je pense.
18:20 - Allez-y Laurent Seixique.
18:21 - Alors c'est une scène, puisque le roman en réalité met en scène la manière dont
18:26 Kafka a pu imprimer de sa seule présence et éclairer la vie des trois personnages.
18:32 On a parlé de Clubstock, il y a Doradiamant, la dernière femme avec qui il a vécu, et
18:36 puis Hotla, dont la fin est si tragique, on y reviendra peut-être.
18:40 La scène se passe en mai 1934 dans la salle de rédaction de la revue juive.
18:48 A cette époque-là, évidemment, les livres des auteurs juifs ont été brûlés.
18:52 À cette époque-là, les juifs sont en danger physiquement, mais il reste cette dernière
18:57 revue juive qui a décidé, dont le directeur Robert Welch, a décidé pour les dix ans
19:03 de l'anniversaire de la mort de Kafka, de publier un hommage à Kafka.
19:08 Et l'interrogation qui se porte dans cette scène-là, c'est de savoir pourquoi accorder
19:15 à un auteur juif dont les écrits sont interdits la place que Robert Welch veut lui accorder.
19:22 Et c'est Robert Welch, le directeur de la revue juive, qui a donné à Walter Benjamin
19:28 la possibilité de faire un essai hommage dans ces pages qui va répondre.
19:33 Benjamin est un héritier de la pensée de Kafka et de son œuvre.
19:38 Une œuvre qui vit sa propre existence poétique, s'avère inépuisable par toute interprétation.
19:44 « La vérité du château, dit-il, est qu'on ne peut approcher du château.
19:49 Kafka ne fait pas plus de métaphysique qu'il ne fait de littérature.
19:54 Kafka est un conteur, il montre les acteurs de ce théâtre d'ombre qui ressemble au
19:59 monde, un monde dont il est absent et qui nous donne à voir de la distance où il reste
20:03 posté.
20:04 Peut-être, tout exégète de l'œuvre de Kafka doit-il se considérer comme le cas
20:10 du château, lucide sur le fait qu'il n'atteindra probablement jamais son but, qu'aucune interprétation
20:15 ne sera validée, mais essayant sans cesse, cherchant la signification de l'œuvre et
20:20 pourquoi pas le salut entre les lignes, de la même manière que K essaye de trouver
20:25 le chemin qui mène au château, il est vain de chercher un sens caché à l'œuvre de
20:30 Kafka, parce que l'œuvre de Kafka est uniquement quête de sens, uniquement ascension vers
20:36 ses hauteurs qui semblent vides.
20:38 »
20:39 Le château, le procès, la métamorphose, on a demandé à nos lecteurs, auditeurs, électrices,
20:44 auditrices, par quel livre il faut commencer pour l'œuvre Kafka ? On va entendre tout
20:49 à l'heure quelques réponses, mais je me tourne vers Aurélien Bélanger et je vais
20:54 lire quelques lignes d'Aurélien Bélanger pour faire encore un lien entre vos deux romans.
20:59 « J'ai enfin pris la décision que je repoussais depuis des mois.
21:02 C'est Thibault qui écrit à ses deux autres spécialistes, Edith et Yvan.
21:07 Il est temps pour moi de quitter mon bureau de verre de la bibliothèque.
21:11 Finie bientôt cette vie kafkaïenne.
21:14 »
21:15 Kafkaïen est un mot magique.
21:16 « C'est un mélange d'absurdité, d'hostilité, d'angoisse et d'impuissance.
21:20 »
21:21 Il s'applique à toute situation ou toute mécanique sociale dont la logique échappe
21:24 au sens commun, mais qu'on est obligé d'affronter.
21:26 « Situation absurde, tellement absurde que l'on préfère en rire parce qu'on considère
21:31 que c'est irréel ce qui se passe.
21:33 »
21:34 Kafkaïen c'est quand ça n'a ni queue ni tête, que personne n'a la clé, mais
21:36 qu'il faut traverser.
21:37 « Synonyme ? L'embrouille.
21:39 Soudain, la clarté se brouille.
21:41 L'arbitraire nous accule et une pesanteur inquiétante nous étrangle.
21:44 L'embrouille, dans le sens de dispute, de lutte, dans le combat entre toi et le monde,
21:49 seconde le monde, aphorise Kafka.
21:50 L'issue est nécessairement un échec.
21:52 Démuni face à l'archarnement, tu perdras.
21:55 Pourquoi luttes-tu ? Abdique ? »
21:57 Et ainsi notre embrouille se termine sur l'effroi de l'absurde.
22:00 « L'absurde, voire le dévisoire, mais également il a une dimension pesante, oppressante.
22:07 Et c'est certainement l'alliance des deux, l'absurde et l'occrécent, qui pour moi
22:12 rend le mieux compte de la déitive kafkaïenne.
22:14 À l'image d'un nœud sur une corde.
22:16 On défait le nœud.
22:17 En défaisant le nœud, on en fait un autre.
22:19 C'est sans fin.
22:20 C'est implacable.
22:21 Il est magique parce qu'il suffit de le prononcer pour comprendre où l'on est. »
22:25 *Saskia de Ville*
22:26 Jeanne, Florian, Lolita, Christelle et Grégoire, les membres du book club de France Culture
22:30 et leur définition de kafkaïen, qu'est-ce qui vous parle le plus Aurélien Bélanger ?
22:35 L'absurde, le nœud qu'on défait et qui se refait de l'autre côté.
22:39 Comment vous voyez cet adjectif que tout le monde utilise aujourd'hui, comme s'il
22:43 avait une définition très précise ?
22:45 *Aurélien Bélanger*
22:46 Moi j'avais écrit sur mon mur quand j'étais encore adolescent une phrase de Kafka, c'était
22:48 « les choukas montent vers le ciel, mais ils ne savent pas que le ciel veut dire impossibilité
22:53 pour les choukas ».
22:54 C'est une phrase que je trouvais déjà géniale et je n'avais pas compris que « choukas »
22:56 se disait évidemment en hongrois Kafka.
22:58 Pas hongrois d'ailleurs, en tchèque.
22:59 *Saskia de Ville*
23:00 En tchèque, tout à fait.
23:01 Et vous Laurent Sextique, dans quelle situation vous utilisez Kafkaïa ?
23:05 *Laurent Sextique*
23:06 Pour rebondir sur ce qu'a dit une des intervenantes, je crois qu'au contraire, c'est la clarté.
23:13 C'est la clarté qui vous assaille lorsque vous ouvrez un livre de Kafka et lorsque vous
23:21 traversez le château ou le procès.
23:22 C'est cette clarté qui s'insinue et qui est projetée dans l'ombre du héros.
23:28 C'est cette clarté qui vous conduit à accompagner K tout au long de sa quête et qui, en ouvrant
23:37 ses portes chère Abba Yamine, peut vous permettre de voir le monde un peu différemment et curieusement,
23:43 à l'inverse des idées reçues, avec une forme de volonté de vivre et de comprendre
23:48 le monde.
23:49 *Saskia de Ville*
23:50 Mais alors qu'est-ce qui fait qu'on a l'impression que l'œuvre de Franz Kafka n'est pas atteignable
23:53 ou est difficilement atteignable en termes de lecture ?
23:56 *Laurent Sextique*
23:57 C'est une fausse idée parce qu'il n'y a pas d'écriture plus simple.
24:01 Il n'y a pas d'écriture plus dépouillée.
24:03 Parce que l'allemand de Kafka et ses traducteurs ont rendu parfaitement cette impression de
24:10 volonté d'épurer jusqu'à l'os son texte.
24:13 C'est assez drôle, c'est simple et c'est une lecture extrêmement facile.
24:17 On s'arrête à la métamorphose d'ailleurs mais la lecture de la métamorphose, évidemment,
24:22 est extrêmement facile.
24:24 Mais le château ne l'est pas moins.
24:26 Simplement, il faut s'y plonger et on a l'impression de s'immerger dans un monde sans fin.
24:29 *Saskia de Ville*
24:36 En direct sur France Culture à 13h15 avec nos deux invités Laurent Sextique pour Franz
24:40 Kafka ne veut pas mourir et Aurélien Bélanger le XXe siècle.
24:44 Tous les deux publiés chez Gallimard.
24:46 On parlait de Kafkaïens il y a un instant et vous avez prononcé un autre adjectif tout
24:50 à l'heure Aurélien Bélanger.
24:51 C'est Beniaminien.
24:52 Ce n'est pas facile à prononcer.
24:54 Comment est-ce qu'on devient Beniaminien ?
24:56 Ils deviennent vos trois spécialistes personnages de votre roman.
24:59 Beniaminien, qu'est-ce que ça veut dire et comment on le devient ?
25:02 *Laurent Sextique*
25:03 J'ai un peu diffracté ma propre expérience.
25:05 Je l'aurais attribué à chacun l'une des raisons pour lesquelles j'étais devenu Beniaminien
25:08 moi-même.
25:09 On devient Beniaminien quand on a des bouquins de Beniamin dans sa bibliothèque et puis
25:12 qu'on ne comprend pas ses concepts.
25:13 Je sais qu'il y a le concept d'aura etc.
25:14 Bizarrement, aujourd'hui, si on me demandait de résumer le concept d'aura chez Beniamin
25:18 alors que je viens de passer plusieurs années dessus, j'en serais incapable.
25:22 *Sky*
25:23 Je ne vais pas le faire.
25:24 *Laurent Sextique*
25:25 Non, il ne faut pas le faire.
25:26 Ce qui est intéressant chez Beniamin, c'est que c'est un philosophe qui défait les concepts,
25:29 qui fait de la philosophie autrement, qui renverse totalement les perspectives.
25:34 On peut dire qu'il est, pour ça, peut-être entre la philosophie et la littérature.
25:39 Et c'est une oeuvre qui a quelque chose d'infini et qui est vraiment une ressource.
25:42 C'est-à-dire que maintenant, j'ai lu presque tout Beniamin et je les ai tous dans ma bibliothèque.
25:46 Je les ouvre et c'est toujours un enchantement avec ce petit détail, mais qui change tout,
25:52 parce que la philosophie, c'est pénible, c'est des arguments.
25:54 On n'en lit pas beaucoup, en fait.
25:55 C'est rare, les gens qui lisent beaucoup de philosophie.
25:57 Mais Beniamin se lit.
25:59 C'est l'un des rares philosophes qui se lit vraiment, probablement parce que charme suprême.
26:04 Il n'y a jamais d'argument chez Beniamin, ce qui peut lui donner un caractère un peu
26:06 ésotérique.
26:07 Il dit les choses et on a l'impression, alors on ne comprend souvent pas grand-chose, mais
26:10 on a l'impression que c'est la bonne façon qu'il fallait dire ces choses.
26:13 *Sky*
26:14 Laurent Sextique, ça vous donne envie de lire Walter Beniamin ? Vous l'avez déjà lu ?
26:18 *Laurent Sextique*
26:19 C'est une lecture qui m'a toujours attiré.
26:21 C'est son éclectisme qui est intéressant.
26:26 C'est-à-dire que c'est un espèce de touche-à-tout et qui n'a pas un avis sur tout, mais qui
26:31 expose ce qu'il ressent.
26:33 C'est une sorte de poète-philosophe et qui va écrire sur son enfance berlinoise, un peu
26:39 comme un écrivain, qui va écrire sur les passages, qui va écrire sur les villes qu'il
26:45 va traverser sur Paris notamment, et qui va être un immense traducteur aussi et qui
26:50 va se nourrir de ses traductions pour écrire parmi les plus beaux essais sur Baudelaire
26:54 qui ont été écrits.
26:55 *Sky*
26:56 Le XXe siècle est donc au cœur de ce book club.
26:58 Dans votre roman, Aurélien Bélanger, vous nous donnez par exemple à lire une lettre
27:02 où on lit que le XXe siècle sera l'apothéo spirituel de l'histoire de l'humanité.
27:09 Au siècle d'avant, les défaites de l'histoire, au siècle d'après, les victoires de l'esprit.
27:14 Je ne sais pas d'ailleurs si c'est une lettre que vous avez inventée ou si c'est
27:17 une lettre qui existe dans les documents que vous avez publiés.
27:20 *Aurélien*
27:21 Non, les documents sont tous inventés.
27:22 *Sky*
27:23 Qu'est-ce que ça veut dire de ce début du XXe siècle que nous raconte Benjamin ?
27:26 *Aurélien*
27:27 Benjamin, il est le contemporain d'un moment où, comment le dire simplement, la modernité
27:35 se met à ressembler à une fantasmagorie.
27:37 L'une des expériences originaires qu'il raconte dans "Souvenirs de Berlin" autour
27:41 de 1900, c'est quand il rentre dans le panorama impérial et que ce monde figé dans la représentation
27:47 est figé, mais aussi par une sonnette, parce que la sonnette annonce que cette image va
27:50 disparaître pour une autre image du succès.
27:52 On ne peut pas lire ça sans penser au fait que Berlin va être détruit par des bombardements
27:56 40 années plus tard.
27:57 On ne peut pas penser qu'il y a quelque chose.
27:58 Et Benjamin, c'est en fait ce qu'il a écrit sur Baudelaire.
28:02 Il a écrit que Baudelaire est un poète à l'apogée du capitalisme.
28:04 En fait, Benjamin est un écrivain, un philosophe à l'apogée du capitalisme en tant que capitalisme.
28:09 C'est ça qui est l'une des ressources les plus intéressantes de Benjamin.
28:13 Il donne à voir les intuitions de Marx.
28:16 Il donne à voir ce qui fait qu'on continue à lire Marx, que Marx, en fait, a raconté.
28:21 Marx est le grand romancier du capitalisme.
28:24 Il faut lire, il faut comprendre Marx comme ça.
28:26 Et d'ailleurs, le capital, c'est souvent très beau.
28:28 Mais le problème, c'est que c'est aussi un peu technique.
28:30 Et Benjamin a porté cette intuition et a réussi à transformer le capitalisme en esthétique.
28:36 Et avant même de le condamner, il arrive à le décrire de l'intérieur.
28:39 Et on parlait de son éclectisme, il fait une sorte d'encyclopédie des objets, des artefacts.
28:43 Il est fasciné par les jouets.
28:45 Il est fasciné par les livres en tant qu'ils sont des fabrications des objets eux aussi.
28:49 Et il nous raconte de l'intérieur, spécialement parce qu'il est aux premières loges en tant qu'il a été un bourgeois de la belle époque.
28:55 En fait, un bourgeois d'avant-guerre.
28:56 Il sait ce que c'est qu'avoir grandi au milieu des choses, de s'être pris pour une chose soi-même, d'avoir été réifié par les choses.
29:01 Et tout ça, c'est du marxisme, mais tourné comme un grand poème épique.
29:06 Et c'est probablement là où Benjamin accomplit réellement un tour de force.
29:13 - Il avait compris, lui aussi, comme Franz Kafka, Laurent Sexty, ce qui allait se passer dans les années suivantes.
29:18 Franz Kafka meurt en 1924.
29:21 Mais il est un écrivain prophétique, comme vous l'écrivez, qui a décrit dans ses livres le monde atroce dans lequel nous vivons aujourd'hui.
29:29 C'est dans votre roman une discussion entre les médecins, notamment avec Klapp-Utok.
29:33 - Oui, il avait à la fois pressenti et annoncé le monde à venir, extrêmement marqué par les violences antisémites qui couraient à Prague au début du XXe siècle.
29:46 Et puis, son enfermement, à la fois dans sa propre famille, dans son propre judaïsme aussi, dans cette tour d'ivoire autour duquel gravitaient les agents de l'office d'assurance où il travaillait.
30:03 C'était un excellent employé des offices d'assurance de Prague.
30:07 Son enfermement avec les femmes a fait qu'il a écrit une oeuvre où il a annoncé la gigantesque prison qu'allait devenir le XXe siècle.
30:20 Une prison qui a anéanti son propre peuple, puisque tous les juifs de Prague, ou presque, ont été exterminés.
30:28 Et il y a dans le roman "L'histoire d'Hotel à Kafka", sa propre sœur, qui comme ses deux autres sœurs, ont été tuées à Auschwitz.
30:35 Et il y a cette destinée terrible de cette épopée d'Hotel à Kafka, la sœur chérie qui avait combattu avec lui la force du père,
30:45 et qui va, après avoir célébré le 10e anniversaire de la mort de Kafka dans le camp d'internement de Theresienstadt, être déportée.
30:55 Choisir d'aller avec un convoi des 1000 derniers enfants polonais voués à l'extermination, Hotel à Kafka va disparaître à Auschwitz en accompagnant ses enfants polonais.
31:06 Donc il y a cette triple destinée, on n'a pas parlé de Dora Diamant, qui va également porter la mémoire de Kafka en traversant le siècle,
31:16 en étant à la fois internée à Berlin, puis en étant internée et torturée à Moscou, toujours avec cette brosse avec laquelle elle avait coiffé sur son lit de mort, Franz Kafka,
31:29 qu'elle va continuer à porter comme elle sera l'héritière testamentaire de l'œuvre de Kafka.
31:34 Et cette brosse, qui l'a accompagnée toute son existence, elle va réussir comme la fin d'une épopée à la porter dans un kibbutz en Israël,
31:42 et à le déposer comme une sorte d'hommage final à Kafka.
31:45 Les membres du book club qui nous conseillent de lire la biographie de Kafka par Marx Broth, qui permet de mieux comprendre son auteur, c'est ce que nous dit Florian.
31:55 Marguerite L. nous dit qu'il faut commencer par la métamorphose, puis la lettre au père et le procès.
32:01 Et Karim Denantes qui nous dit "J'ai commencé comme tout le monde par les œuvres dites littéraires, la métamorphose, le château, le procès,
32:08 finalement c'est son journal qui m'a le plus enthousiasmé et que je considère comme un roman à part entière".
32:13 Aurélien Bélanger, on arrive à la fin, mais est-ce qu'on peut dire que et Kafka et Benjamin étaient en quelque sorte des témoins de ce début du XXe siècle, et presque des historiens ?
32:25 Benjamin meurt en 1940, pourchassé déjà par les nazis, mais il n'a encore rien vu de ce dont les nazis sont capables.
32:32 Kafka meurt en 1924, et pourtant on ne peut pas lire Kafka sans penser au cauchemar concentrationnaire à venir.
32:42 On ne va pas non plus en faire des prophètes, mais ce qui est intéressant c'est qu'ils ont poussé jusqu'à une utopie totalement déviante,
32:47 mais vraiment en poussant ce qu'ils avaient sous les yeux, cette espèce de fantasmagorie, ils l'ont poussé jusqu'au cauchemar.
32:53 C'était reproché à Benjamin, vous ne pouvez pas faire du XIXe siècle l'enfer sur terre quand même, c'est exagéré.
32:58 Et évidemment l'enfer était encore à venir, mais peu importe, quelque part on continue à être effrayé en lisant Kafka, on continue à être effrayé par le destin.
33:08 Moi j'ai lu le journal en sachant, parce que maintenant on connaît l'histoire, mais je savais quand il racontait des scènes de vie quotidienne avec sa sœur dans la cuisine,
33:16 je savais que sa sœur allait mourir, et dans quelles conditions. Donc ça a évidemment imprégné, mais il y a aussi autre chose, mais qui est là pour le coup totalement tragique,
33:27 c'est qu'il y a aussi un terrible constat d'échec et de défaite des intellectuels de ces années-là, et le mot d'Adorno est terrible,
33:36 ces gens-là n'avaient rien à faire avec l'intelligence, on a essayé de les convaincre, ces gens-là étaient réellement des barbares.
33:45 Et donc on ne peut pas relire cette littérature spécialement juive de la première moitié du XXe siècle sans être effrayé par son caractère prophétique raté.
33:55 - Le XXe siècle, c'est le titre de votre sixième roman Aurélien Bélanger, merci beaucoup d'être venu nous en parler.
34:00 Une vie de Walter Benjamin aux éditions Gallimard et aux éditions Gallimard également.
34:06 Laurence Texig, je cite votre roman Franz Kafka, ne veut pas mourir. Merci beaucoup à tous les deux d'être venus ce midi dans le book club de France Culture.
34:14 *Générique*
34:18 Et à 13h25 sur France Culture, l'heure d'accueillir Charles Danzig pour ses 4 items, Paul Nizan était un brillant critique.
34:24 Voici l'épisode 4.
34:25 Paul Nizan avait un sens littéraire très fin. Il a fait de la critique littéraire qui a été recueillie après sa mort sous le titre peu appétissant de « Pour une nouvelle culture »,
34:36 mais qui constitue un livre passionnant et, dirais-je, plein de préscience, si ce mot ne cachait pas que, précisément, il y a des écrivains qui savent tout tout de suite
34:46 et que la postérité n'est qu'une paresseuse.
34:49 Nizan a un présupposé partisan très simple. Il faut une littérature prolétarienne.
34:56 L'adjectif est ambigu. Pour Nizan, il signifie deux choses.
35:00 Qu'il fallait une littérature montrant le prolétariat et une littérature faite par les prolétaires.
35:07 Or, la littérature montrant le prolétariat existait depuis longtemps.
35:11 Quant à la littérature faite par les prolétaires, Nizan a raison, la plupart des écrivains, dont lui, dont moi, sont d'origine bourgeoise, ce qui ne veut pas dire, lui, moi, qu'ils ont l'esprit bourgeois.
35:23 Que devaient écrire les écrivains d'origine prolétarienne ?
35:27 Nizan ne le dit pas, mais aux recensions de livres qu'il fait, on a la réponse.
35:32 De la littérature montrant les prolétaires.
35:35 C'est les assigner, sinon au malheur, du moins au devoir.
35:39 Et c'est une conception aheuillère de la littérature que, dans ses propres romans, Nizan n'applique pas.
35:45 Voici un des rares moments où son communisme a rétréci son intelligence.
35:49 Si la fiction sur les prolétaires doit être produite par les prolétaires, la fiction sur les femmes doit être produite par des femmes, la fiction sur les gays par des gays, enfin la littérature s'élusine avec des ouvriers spécialisés qui pointent.
36:03 La voilà, la littérature prolétarienne.
36:05 Ce n'est pas ce que Nizan veut, ce n'est pas ce qu'il pratique.
36:09 Il parle d'ailleurs peu de littérature prolétarienne, ce qui ne l'empêche pas de parler de politique et aux meilleures occasions.
36:16 Quand il critique des écrivains eux-mêmes ouvertement politiques et dans ce cas fascistes ou qui se prétendent apolitiques, ce qui est peut être la plus hypocrite manière d'être de droite.
36:27 Nizan révèle très précisément la molle bassesse de Drieux-Larochelle, la vulgarité supposée brillante de Moran et le bluff de Céline.
36:37 Il est faux de prétendre que Céline a dérapé pendant la guerre.
36:40 Sa haine amère, en particulier des "petits" dont il fait semblant d'être, date de bien avant et un imparable article de Nizan sur mort à crédit le démontre.
36:51 De même, il ne fait pas de doute pour lui, en 1935, que Heidegger est fasciste.
36:56 Il emploie le mot sans même polémiquer comme une information.
37:00 Relativement à ce que je pense de la littérature, il emploie peut être trop les mots "style" et "vérité", mais quelle finesse dans des remarques comme celle sur Faulkner où il dit qu'il a moins un style parlé qu'un style pensé.
37:15 Pour moi, le très bon écrivain se remarque aux incidentes.
37:19 En voici une entre deux membres de phrase.
37:22 Cette vie bourgeoise qui n'est qu'une espèce de mort.
37:25 Certains écrivains sont tellement pleins de pensées qu'ils ne peuvent pas ne pas en glisser partout.
37:32 Les 4 items de Charles Denzig à retrouver sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
37:37 Le débat se poursuit dans le book club avec nos invités, bien sûr.
37:40 Et nous, on va vous remercier à tous de nous avoir suivi et à toute l'équipe du book club.
37:44 Zora Vignet, Auriane Delacroix, Didier Pinault et Alexandre Halay-Bégovitch.
37:48 Thomas Beaux était à la réalisation et à la prise de son ce midi.
37:51 Grégory Wallon, un grand merci évidemment à toutes celles et tous ceux qui ont participé
37:55 et ont contribué sur le compte book club culture et sur le compte book club culture sur Instagram.
38:02 Le book club revient demain.
38:03 *musique*
38:05 Vous avez pas lu Kafka ?