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Vendredi 26 mai 2023, BE SMART reçoit Alexis Karklins-Marchay (Directeur général délégué, Eight advisory)

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Transcription
00:00 *Générique*
00:04 Et pour commencer cette émission, on va faire un truc qu'on ne fait pas souvent.
00:09 On va s'intéresser à des courants économiques, à des courants de pensée, en compagnie d'Alexis Karklins-Marchais.
00:16 Bonjour. - Bonjour.
00:17 - Vous êtes directeur général délégué Data Advisory et vous publiez ceci pour un libéralisme humaniste,
00:24 "La Voix Ordo-Libérale". C'est aux presses de la Cité.
00:27 Alors avant qu'on détaille tout, ce que c'est que l'ordo-libéralisme que j'ai découvert en lisant votre livre,
00:34 vous commencez le bouquin en disant voilà le libéralisme aujourd'hui est en accusation.
00:39 Moi je me suis dit oui et en même temps ne l'a-t-il pas toujours été, notamment en France ?
00:44 - La France a ce paradoxe d'être le pays ou un des deux grands pays qui a vu naître le libéralisme avec le Royaume-Uni
00:51 à la fin du XVIIe siècle, les premiers textes qui critiquent l'absolutisme, l'étatisme, la planification, le colbertisme.
00:58 Tout le long du XVIIIe siècle, beaucoup d'écrivains français sont influencés par cette pensée d'obédience libérale
01:05 et même le libéralisme économique se développe en France jusqu'à des grands auteurs comme Jean-Baptiste Cé
01:10 et puis au XIXe siècle on aura ensuite Frédéric Bastiat et quelques autres, en parallèle de ce qui se passe en Écosse et en Angleterre bien sûr.
01:16 C'est vrai que la France a toujours eu un rapport complexe avec le libéralisme mais il y a une réalité,
01:21 c'est que ce libéralisme est devenu depuis les années 1970, le corpus idéologique principal de la gestion économique mondiale.
01:32 Ça va au-delà de la France. La France est probablement le pays le moins libéral ou un des moins libéraux du monde occidental.
01:38 Mais le libéralisme c'est, d'une certaine façon, en tout cas tel qu'on le conçoit, celui qui est revenu dans les années 1970 très fortement
01:45 au moment de l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher puis de Ronald Reagan.
01:49 Un peu le corpus idéologique principal. On le voit dans le consensus de Washington, il est mis en accusation.
01:55 Il est mis en accusation en France et il est mis en accusation dans le monde entier.
01:58 Et pourtant il a obtenu des résultats.
02:00 Oui, c'est ce que j'allais vous dire, c'est un modèle qui fait ses preuves quand même.
02:02 Il a fait ses preuves. Les 50 dernières années ont vu des pays sortir de crises profondes, ce fut le cas du Royaume-Uni.
02:09 Pas parfait mais le Royaume-Uni avec Margaret Thatcher qu'on peut critiquer sur bien les aspects
02:13 mais a retrouvé une dynamique économique alors que le pays est au bord de la faillite.
02:17 Et puis si on se place au niveau mondial, la libéralisation des échanges et la dérégulation,
02:22 eh bien cela a conduit à un enrichissement sans précédent de la planète.
02:26 Et je ne parle pas que du PIB mondial, je parle même du revenu par habitant.
02:30 On sait que, y compris dans les pays qu'on appelait autrefois du tiers-monde, on parle maintenant plutôt des pays émergents,
02:36 quand on regarde le niveau de population sortie de la misère, on a atteint objectivement presque le plus grand enrichissement du monde.
02:44 Alors il y a bien sûr la Chine, l'Asie en général, sur quelques autres pays sur différents continents,
02:49 il y a un enrichissement général de la population donc on pourrait dire que ça marche.
02:53 Sauf que dans les faits, le libéralisme il est critiqué.
02:56 Il est critiqué par les intellectuels mais aussi par des acteurs politiques et économiques qui considèrent qu'il a certaines dérives
03:04 et c'est ce que j'ai appelé le libéralisme du laisser-faire.
03:07 Alors en clivant volontairement pour bien l'opposer, l'ordre du libéralisme est le libéralisme du laisser-faire.
03:13 Mais très concrètement, le libéralisme de la déréglementation, de la dérégulation, il est aujourd'hui critiqué.
03:19 Il est critiqué parce qu'on dit que ça favorise l'individualisme, parce qu'on dit qu'il a une logique très financière,
03:24 que seuls les critères de performance financière comptent.
03:27 Vous voyez une corrélation avec la montée des inquiétudes sur le plan climatique et les transitions ?
03:31 Eh bien justement, ça fait partie effectivement, et vous avez raison, ça fait partie de ces critiques
03:34 parce qu'on met en accusation le libéralisme sur les inégalités et je crois qu'on a plus ou moins raison sur ça,
03:40 dans certains pays en tout cas, où des inégalités... Nous sommes nous en France dans un pays très redistributif
03:45 mais dans certains pays, notamment aux Etats-Unis, il y a eu un pléthore d'études, y compris par des économistes
03:50 qui sont plutôt d'obédience libérale, constatant qu'il y a bien des inégalités de patrimoine
03:54 et puis il y a l'accusation sur le climat et le libéralisme serait antinomique de la protection de l'environnement
04:02 et quelque part presque le responsable du réchauffement climatique et des problèmes environnementaux
04:07 que nous connaissons et qui sont bien réels. Donc c'est une réalité et j'ai voulu partir de cette forme de lucidité
04:13 plutôt que de dire "mais non, c'est absolument pas vrai, la mise en accusation n'est pas justifiée".
04:17 Je crois qu'elle est très exagérée, je crois qu'on a trop tendance à critiquer le libéralisme pour beaucoup de choses
04:22 mais il y a une réalité, c'est qu'aujourd'hui, dans beaucoup de pays, pas seulement en France,
04:26 il y a une forme de critique de ce libéralisme-là et la réponse à ça, on les voit, on les connaît toujours,
04:33 c'est soit il faut sortir du capitalisme, donc ça va être la décroissance...
04:38 - Oui, c'est pas trop ma crèmerie personnellement !
04:41 - Mais on le voit, c'est minoritaire, mais c'est dans les médias, c'est assez présent, la théorie de la décroissance,
04:46 il y a beaucoup de gens qui parlent de la décroissance, il faut sortir du capitalisme,
04:49 après toutes les semaines, vous avez des nouveaux "intellectuels" qui viennent expliquer que le capitalisme, c'est le mal absolu, il faut en sortir,
04:56 quand vous dites, ce qui a toujours été ma thèse, qu'il est critiquable, il faut le critiquer,
05:01 mais de là à en sortir, on a vu ce que ça pouvait donner dans l'histoire.
05:04 Donc cette forme de réponse-là, elle est évidemment pas appropriée, il y a une réponse qui est encore plus d'État,
05:09 alors oui, on veut bien garder les communes de marché, mais il faudrait encore plus d'interventionnisme.
05:13 J'ai envie de dire, quand on est en France, comment on peut faire pour aller encore plus loin quand on voit le niveau...
05:18 Oui, c'est ce que j'allais vous dire.
05:19 Donc c'est pour ça que cette thèse-là, elle est quand même un peu baroque,
05:22 et puis il y a une thèse opposée qui est le retour du souverainisme,
05:26 en disant, le libéralisme, c'est le libre-échange, c'est le mondialisme et c'est Bruxelles,
05:30 il faut sortir de cela, il faut remettre les frontières, il faut remettre la nation au cœur.
05:35 Alors, encore une fois, on est à chaque fois sur des positions assez dures, assez tranchées, sans nuance.
05:44 J'ai préféré m'intéresser à, plutôt que de sortir du libéralisme, comment on peut le faire évoluer.
05:50 Et c'est là que j'ai rencontré l'ordolibéralisme, je l'avais déjà étudié dans des précédents ouvrages,
05:55 là, ça a été vraiment une étude en profondeur, les grands textes de l'ordolibéralisme,
06:00 et voilà, est-ce que ça peut être une référence, un socle, pour réfléchir à comment faire évoluer ce libéralisme
06:08 avec ce qu'il a de bien, mais aussi d'en corriger les dérives.
06:11 Et c'est là où ça m'a beaucoup étonnée, parce que je me suis dit, voilà, pour un libéralisme humaniste,
06:16 ok, il va me parler de raison d'être, d'entrepreneuriat, d'impact, de partage de valeurs,
06:22 et en fait, vous n'êtes pas allé chercher des nouvelles recettes ou des choses qui ont émergé récemment,
06:27 vous êtes allé chercher un courant qui existe déjà depuis les années 30, quelque chose comme ça.
06:32 C'est ça, l'ordolibéralisme est né au début des années 30 en Allemagne, comme une réponse,
06:38 après la terrible crise de 1929 et les conséquences économiques qu'elle a eues dans beaucoup de pays,
06:44 notamment en Allemagne, qui a été très profondément frappée par le chômage après la crise de 1929,
06:49 notamment au début des années 30, comme une réponse à ceux qui prétendaient que le libéralisme
06:54 était la principale cause, la principale raison de cet effondrement,
06:59 mais en voulant garder une certaine forme de libéralisme, en protégeant, en défendant l'idée d'un certain libéralisme,
07:07 en acceptant aussi les limites de ce libéralisme du laissé-faire qui a été rendu responsable,
07:13 mais en excluant la montée de l'interventionnisme avec un risque totalitaire.
07:19 Et les ordolibéraux, certains ordolibéraux, ont été très tôt, dès les années 30,
07:23 avant même l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, ont presque une vision prémonitoire,
07:28 parce que Robke, qui est peut-être le penseur ordolibéral le plus connu,
07:33 écrit dans un texte très fort, lors d'une conférence,
07:37 "Ceux qui vont voter pour les nationaux socialistes pensent qu'ils vont avoir l'ordre,
07:42 ils auront le désordre, le chaos, la guerre à l'intérieur et la guerre à l'extérieur."
07:47 Donc il naît à ce moment-là comme une forme de réponse, comme une recherche de troisième voie
07:51 entre un libéralisme du laissé-faire et un interventionnisme massif.
07:56 - Quand on analyse le mot "ordolibéralisme", c'est un libéralisme ordonné ?
08:03 - Alors, le mot "ordo" fait référence à une conception chez Saint-Augustin
08:08 de la société, effectivement, ordonnée, comme un ordre,
08:11 qui n'est pas que spontané, qu'il faut organiser.
08:14 La grande différence entre le libéralisme, on va dire, de Hayek et l'ordolibéralisme,
08:19 chez Hayek, on a la conviction qu'une société spontanément,
08:26 qui s'organise de façon spontanée, est la meilleure.
08:29 Chez les ordolibéraux, on a la conviction que la liberté pour s'exprimer
08:33 doit être encadrée, et elle doit être encadrée au sens légal du terme,
08:38 c'est-à-dire qu'il faut une organisation, ça se décide,
08:40 parce que si vous laissez la liberté faire toute seule, il y aurait des risques de dérive.
08:44 Je vais prendre un exemple très concret.
08:46 Lorsque vous êtes sur un secteur particulier, vous avez une entreprise très puissante.
08:50 Si vous n'encadrez pas l'économie, vous avez un risque que cette entreprise très puissante
08:54 devienne un jour un monopole, et un monopole, ça veut dire des rentes de situation,
08:58 ça veut dire des situations défavorables pour le consommateur,
09:01 potentiellement des entreprises si importantes qu'elles peuvent même faire pression sur le politique.
09:06 Et donc la crainte de ces dérives vers des situations monopolistiques
09:11 est un enjeu majeur pour les ordos libéraux qui vont justement combattre cette idée
09:17 qu'il faut laisser faire dans toutes les situations, au contraire, il faut que l'État soit présent.
09:21 Et donc il y a toute une pensée chez les ordos libéraux, contrairement aux libéraux classiques,
09:25 qui cherchait à réhabiliter l'État dans certaines fonctions et sous certaines conditions,
09:32 et lui retrouver un rôle dans l'économie qui aille au-delà du régalien, justice, police armée.
09:36 Donc c'est vraiment ça le cœur de la pensée ordolibérale.
09:39 Je le résume souvent en une phrase, qui est une phrase de Robke,
09:42 l'ordre libéralisme, au fond, c'est l'économie de marché est nécessaire, mais non suffisante,
09:48 pour établir une société juste, libre et ordonnée.
09:52 Et bien c'est cette idée que l'économie de marché, il n'y a pas mieux.
09:55 Et donc c'est bien un libéralisme, la propriété privée, la liberté des prix,
09:59 la défense de l'entrepreneuriat, la méfiance à l'égard de l'État-providence,
10:03 la méfiance à l'égard du keynésianisme, donc tout le corpus classique de libéralisme,
10:07 mais remettre l'État avec un certain rôle pour accompagner les transformations de la société.
10:12 Donc c'est un État interventionniste, raisonnable et raisonné.
10:15 Exactement.
10:16 Mais est-ce que ce n'est pas un peu utopique ?
10:18 Bien, d'abord ça a été mis en œuvre.
10:20 Où ça par exemple ? En Allemagne ?
10:22 En Allemagne, en 1948, en Italie, dans la reconstruction de l'après-guerre.
10:26 1958 en France, le général de Gaulle revient au pouvoir.
10:29 Il nomme une commission, la commission Piner-Rueff, Jacques Rueff,
10:33 grand économiste libéral français de la deuxième partie du XXe siècle,
10:36 très ami des ordo-libéraux, met en place, conçoit un plan économique
10:40 qui est vraiment d'obédience ordo-libérale,
10:43 même si lui-même n'était pas au sens strict du terme ordo-libéral,
10:46 il était très proche des ordo-libéraux, très proche notamment de Ludwig Erhard,
10:49 le grand ministre de l'économie qui a participé à la reconstruction de l'Allemagne
10:52 dans l'après-guerre et qui ensuite a été chancelier après Conrada de Neuer.
10:56 Eh bien, la France a connu des années qui ressemblent à des années ordo-libérales
11:01 de 1958 jusqu'à la fin des années 60, donc ça a été mis en œuvre.
11:05 Et ce n'est pas pour dire que l'économie a beaucoup changé depuis,
11:07 il ne faut pas refaire, il ne faut pas apprendre.
11:09 Je n'ai pas fait ce livre pour dire que toutes les solutions sont dans l'ordo-libéralisme.
11:13 C'est plutôt de repenser dans le monde d'aujourd'hui
11:17 à ce qu'on peut conserver du libéralisme, comment on peut le réinventer,
11:20 comment on peut aussi le diffuser dans la société.
11:24 Parce que comme je le disais, il y a une telle critique à l'égard du libéralisme,
11:27 il ne faudrait pas qu'on se prive d'une philosophie qui, dans l'application économique,
11:31 a montré ses atouts et qui a su participer à la reconstruction d'un certain nombre de pays.
11:38 Donc voilà, c'est plutôt une source de stimulation.
11:41 Et je ne suis pas le seul, Patrick Artus, économiste que vous connaissez bien,
11:45 a écrit dans "La dernière chance du capitalisme" qu'il a écrit avec Madame Virard,
11:49 il parle à la fin du livre de l'ordo-libéralisme comme d'une philosophie féconde
11:54 et stimulante pour penser le monde d'aujourd'hui.
11:56 Et je m'inscris complètement dans cette logique-là.
11:59 Alex, on a parlé de la place de l'État, mais quelle serait la place de l'entreprise dans un système comme celui-ci ?
12:04 Elle est essentielle, puisqu'il y a une défense dans l'ordo-libéralisme de l'économie de marché.
12:10 Et évidemment, l'entreprise est le principal acteur, la principale actrice de l'économie de marché.
12:16 Robke, là encore, a des mots très forts sur l'entreprise et notamment sur la figure de l'entrepreneur.
12:20 Il dit que l'entrepreneur, c'est le capitaine du navire dans la tempête
12:24 parce que l'économie est en permanente transformation
12:27 et donc, elle doit s'adapter avec son bateau à conduire à travers les tempêtes.
12:33 Et donc, il faut justement créer un cadre qui soit favorable à l'entreprise.
12:38 Il y a une telle conviction que l'entreprise est la réponse essentielle à la stabilité et au développement de l'économie
12:44 qu'il y a justement la volonté d'avoir une concurrence en permanence protégée
12:49 parce qu'il y a toujours cette crainte que sans concurrence, il y ait des rentes de situation
12:53 et que sans concurrence, l'économie perde sa stimulation.
12:56 En fait, la concurrence, vision des ordos libéraux, est tellement importante,
13:00 elle remplit deux rôles. Elle a un rôle de ressort de l'économie
13:03 parce qu'elle favorise la stimulation, l'innovation et l'encouragement au développement.
13:08 Et en même temps, elle a aussi un rôle de régulation
13:11 parce que si vous n'avez pas de concurrence, vous risquez d'avoir des rentes de situation, des monopoles
13:15 et ça veut dire baisse de qualité des services, baisse des prestations, baisse de qualité des produits
13:19 et un risque, en plus comme je le disais, de lobbying et de puissance tellement acquise
13:24 que vous devenez incontournable.
13:26 Donc cette obsession de la concurrence, elle n'est pas purement théorique,
13:30 elle est au service d'une économie qui tourne et qui fonctionne.
13:33 Vous avez commencé tout à l'heure en me parlant de décroissance et que ce n'était surtout pas ça.
13:37 Quel impact ça aurait sur notre croissance d'adopter cette philosophie-là ?
13:43 C'est toujours cet exercice bien sûr théorique
13:46 mais je crois que si on essaye de se projeter sur un modèle ordo-libéral,
13:51 d'abord, il existe aujourd'hui, la Suisse, même d'aujourd'hui, ressemble à une forme d'ordo-libéralisme.
13:56 C'était d'ailleurs un modèle pour les ordo-libéraux dans les années 50 et 60.
14:00 J'ai envie de vous dire, quand je regarde les Pays-Bas et peut-être plus encore les Pays-Nordiques,
14:04 même si l'État providentiel est passé par là,
14:06 ce sont des pays où l'État est probablement beaucoup plus développé
14:10 que ce que l'ont aurait pu imaginer les ordo-libéraux,
14:12 mais ça tourne et ça fonctionne avec à la fois un État qui est présent et qui est capable d'évoluer,
14:17 qui est capable de se transformer dans un consensus et dans une vision très décentralisée,
14:22 qui est là encore un principe ordo-libéral,
14:24 et en même temps d'avoir des économies compétitives au service d'entreprises
14:28 qui fonctionnent bien et qui participent au développement de la société.
14:31 Donc on a des exemples concrets de nations, de sociétés,
14:34 qui sont d'inspiration ordo-libérale,
14:37 ou en tout cas dont les modèles économiques et sociétaux sont assez proches de l'ordo-libéralisme.
14:41 On n'est pas dans l'utopie encore une fois.
14:43 Je crois que pour la France le grand défi c'est d'arriver à accepter les communes de marché vraiment dans les mots,
14:48 accepter d'arrêter de croire à des utopies dévastatrices,
14:53 ou des idéologies qui seraient de nature à qui font croire que l'avenir sera à Dieu,
14:58 qu'il y a une forme d'humilité, une forme de raison, vous l'avez dit très justement,
15:01 un libéralisme bien tempéré, un libéralisme assez européen finalement.
15:05 Oui, c'était ma question suivante, c'est-à-dire est-ce que ça doit se décider au niveau d'un État,
15:10 est-ce qu'il faut avoir une vision européenne aujourd'hui ?
15:12 La vision ordo-libérale est une vision très décentralisée,
15:16 et presque une vision inversée, tout part au niveau de vous et de moi, au niveau du citoyen.
15:21 Il y a d'abord une éthique personnelle, et une éthique c'est très fort,
15:24 il y a toute une réflexion, ça va bien au-delà de l'économie.
15:26 L'ordo-libéralisme a pour finalité la dignité et l'émancipation de chaque être humain.
15:29 Je vais dire comme le libéralisme en général, mais c'est bien un élément important dans l'ordo-libéralisme.
15:34 Ça passe par la culture, ça passe par le spirituel,
15:37 il y a d'abord un travail sur soi-même, une économie de marché ne peut pas fonctionner
15:40 si vous n'avez pas des citoyens qui ont des comportements éthiques.
15:43 Alors évidemment, on va être dupe, on ne va pas transformer tout le monde en gens éthiques,
15:47 il y aura toujours des excès, des dérives, il y a les lois pour ça.
15:50 Il y a un encadrement justement pour corriger cela.
15:54 Mais ça commence à ce niveau-là, et puis ça remonte.
15:56 Très grand attachement à la famille, très grand attachement à l'implication dans la vie de la cité.
16:01 Nous sommes aujourd'hui trop souvent déconnectés de la vie politique au premier niveau.
16:06 On va voter pour les grandes élections, encore, on vote de moins en moins,
16:09 parce qu'on a l'impression que le politique ne change plus vraiment la réalité,
16:13 sauf que la proximité est un élément important.
16:15 Donc la politique, une politique économique, elle doit commencer presque au niveau de la proximité,
16:20 de la commune, du canton, de la région, et puis ensuite au niveau de l'État, des nations,
16:25 et puis potentiellement au niveau européen.
16:27 Mais vous voyez, on est bien dans une logique de "on part du bas et on remonte vers le haut".
16:31 C'est un peu ce qui se passe dans les entreprises aujourd'hui,
16:33 où de plus en plus on parle de co-construction, d'inverser la pyramide des relations.
16:38 Absolument, alors je m'en fiche des concepts un peu nouveaux, qui en réalité ne le sont pas.
16:43 Oui, il y a cette idée de toute façon, dans une société aussi complexe que la nôtre,
16:47 où l'individualisme, avec ses côtés positifs et ses côtés négatifs, est devenu une valeur centrale,
16:52 compte tenu de la complexité, encore une fois j'insiste sur ce terme, de la situation de nos sociétés,
16:57 vouloir faire des constructions qui partent de tout en haut, imaginer que ça puisse fonctionner partout,
17:01 c'est complètement dérisoire.
17:03 Donc il y a une réalité, cette réalité, il faut partir de, alors, une expression encore, partir du terrain,
17:07 mais c'est bien là.
17:09 Pourquoi les Français notamment, pour le politique, restent encore attachés à leur maire ?
17:13 Voilà, c'est le post-politique qu'ils préfèrent.
17:15 C'est parce qu'il y a la proximité, parce qu'ils voient l'action.
17:18 Oui, c'est concret.
17:19 C'est concret.
17:20 Donc tout ce qui peut être décentralisé et ramené à des niveaux de proximité
17:23 est susceptible de plutôt bien fonctionner et de réimpliquer les citoyens dans la société.
17:27 Vous voyez, on va assez loin, on dépasse complètement le contexte économique,
17:30 mais je crois que cette réflexion-là, c'est une réflexion qui est profonde, qui est philosophique,
17:34 qui est quel type de société nous voulons.
17:36 Nous sommes dans un état très centralisateur, nous le savons, tout passe par Paris, en France.
17:40 Il y a des choses qui sont parfois positives, mais il y a aussi beaucoup de dérives et beaucoup de défauts.
17:45 Revenir à des choses simples, encore une fois, il y a des démocraties qui sont vivantes autour de nous,
17:50 qui sont souvent des plus petits États.
17:52 Oui, c'est ce que je veux dire.
17:53 Et il y a une croyance qui, pour moi, est presque trop systématique chez les ordos libéraux,
17:58 c'est un peu le "small is beautiful", ce qui est petit marche mieux.
18:01 Alors c'est vrai, quand vous regardez les pays qui sont aujourd'hui les plus équilibrés
18:04 d'un point de vue démocratique, économique, on va retrouver effectivement la Suisse, le Danemark,
18:08 la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, l'Irlande, l'Islande, plutôt des petits pays,
18:12 quand je dis petits en termes de population, par rapport au Royaume-Uni, l'Espagne, la France,
18:17 ou l'Italie ou l'Allemagne, bien sûr, sans parler des États-Unis.
18:20 Il faut penser la démocratie dans ces grands pays, comme le nôtre, avec nos 67 millions d'habitants,
18:25 justement, dans une logique de décentralisation.
18:28 Mais attention, si la décentralisation, ça consiste à rajouter des couches intermédiaires,
18:32 vous perdez le bénéfice, vous complexifiez l'organisation de la société,
18:37 et en plus, il y a un coût de fonctionnement qui vient peser sur la santé de l'économie.
18:41 Est-ce que vous voyez quand même des limites à cette doctrine de l'ordre du libéralisme ?
18:45 Oui, il y en a quelques-unes.
18:46 D'abord, ce que j'évoquais il y a quelques instants, cette obsession du "smallest beautiful",
18:52 la crainte que quand ça devient trop grand, trop gros, ça ne puisse pas fonctionner.
18:55 Très bien, mais dans la réalité, il y a aujourd'hui des nations qui sont très peuplées.
18:59 Il va falloir faire avec.
19:00 Il va falloir faire avec et repenser la politique de façon plus décentralisée, c'est certain.
19:04 On peut critiquer aussi cette logique de la concurrence à tout prix.
19:08 On peut, par exemple, s'interroger au nom de cette idéologie de la concurrence,
19:15 est-ce que nous nous sommes privés en Europe de construire des géants dans certains secteurs
19:21 qui puissent rivaliser avec des géants chinois ou des géants américains ?
19:25 Je crois que c'est une question légitime.
19:26 Il y a aussi, sur la fin de l'ordre du libéralisme, parce qu'il a été marginalisé à partir des années 1960,
19:31 au moment où vraiment le courant haïen et fridmannien reprennent le dessus,
19:37 il a été marginalisé, mais il y avait une forme de conservatisme assez fort
19:41 qu'on voit à la fin de ce mouvement dans les années 1960.
19:44 Et ce conservatisme, il a certains bienfaits, mais il est parfois un peu trop critique des évolutions de la société.
19:50 Il y a presque un refus du progrès.
19:52 On a pu presque voir dans l'ordre du libéralisme une espèce de rétro-utopie,
19:56 comme si avant c'était mieux.
19:57 C'est vrai que chez certains auteurs, il y a une valorisation permanente de la nature, de la vie à la campagne.
20:03 C'est intéressant d'ailleurs dans notre réflexion actuelle.
20:06 Oui, ça fait écho à beaucoup de choses.
20:08 J'ai trouvé ça intéressant qu'il y ait une pensée libérale qui dise que nous détruisons la nature
20:12 et que nous devons en prendre soin et que nous devons reconnecter avec la vie à la campagne.
20:17 Mais parfois, ça tourne un peu à l'idéalisme et à l'idéalisation.
20:21 C'est pour ça qu'il faut le corriger.
20:23 Il y a sans doute des choses à apprendre, c'est ce que je crois.
20:26 Il y a aussi des choses à réinventer.
20:28 Tout n'a pas été écrit, mais le fait de penser un libéralisme tempéré,
20:33 raisonné, décentralisé, avec la culture au cœur d'un projet et la liberté au cœur d'un projet,
20:40 ça me paraît être une voie intéressante qu'on entend finalement assez peu dans le débat public
20:44 et qui, je crois, est susceptible de fédérer beaucoup d'énergie dans une nation comme la nôtre.
20:49 Merci beaucoup Alexis Karklin.
20:51 Smartchage rappelle votre livre "Pour un libéralisme humaniste".
20:54 C'est aux éditions des presses de la Cité.
20:56 Merci.

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