The Good Forum #4 : Finance Durable
23 mai 2023
Keynote - Comment réussir à conjuguer rentabilité et responsabilité ? Comment la finance réinvente l’économie au service de l’intérêt général.
- Bertrand BADRÉ, Ex-directeur financier de la Banque mondiale, fondateur et président, Blue like an Orange
23 mai 2023
Keynote - Comment réussir à conjuguer rentabilité et responsabilité ? Comment la finance réinvente l’économie au service de l’intérêt général.
- Bertrand BADRÉ, Ex-directeur financier de la Banque mondiale, fondateur et président, Blue like an Orange
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00:00 Alors Bertrand, vous avez été un représentant pur jus de la finance d'avant, notamment
00:05 chez Lazare, au Crédit Récolle, Société Générale, et puis vous avez changé de monde
00:11 en passant en 2013 peut-être première étape à la Banque Mondiale, et en 2016 vous avez
00:16 lancé Blue, Light and Orange, un fonds d'investissement justement spécialisé dans les projets à
00:22 impact positif dans les pays émergents.
00:24 Alors ma question est très simple Bertrand, est-ce qu'on peut vraiment conjuguer rentabilité
00:30 et responsabilité ?
00:31 Non seulement on peut mais on doit, fin de l'intervention.
00:36 Non allez, vous avez un quart d'heure, je pense que c'est même court pour nous expliquer
00:43 les ressorts.
00:44 Non non mais je vais essayer d'être clair et ça fait écho à la table ronde précédente,
00:50 on est face à un défi dont on mesure en particulier dans cette salle combien il est
00:55 considérable.
00:56 Alors c'est intéressant d'avoir ce débat aujourd'hui, ce n'est pas un moment anodin
01:01 et les débatteurs et les orateurs que vous avez rassemblés sont aussi des gens qui sont
01:08 plutôt en première ligne sur ces sujets.
01:10 Donc c'est à la fois très stimulant et pas très simple d'être à la fois conclusif
01:16 et informé.
01:17 Je pense qu'il faut rester modeste.
01:19 Alors le moment n'est pas anodin parce qu'il suffit d'écouter tout ce qui se passe, on
01:24 est potentiellement à la veille d'une récession, on se pose la question tous les matins de
01:28 savoir si elle va venir ou pas, en tout cas l'économie n'est pas très flamboyante.
01:32 On voit bien qu'il y a une crise sociale, chez nous mais pas seulement chez nous, on
01:38 voit bien qu'il y a des tensions dans les modèles démocratiques, on voit bien la question
01:42 de la crise géopolitique qui a été particulièrement visible ce week-end avec la Chine rassemblant
01:47 un sommet Asie centrale d'un côté pendant que le G7 a essayé de mobiliser sur l'Ukraine
01:52 de l'autre.
01:53 On voit bien que la crise énergétique n'est pas résolue, on voit bien aussi que la crise
01:59 alimentaire, tous les six mois il faut passer par une discussion avec la Russie et l'Ukraine
02:03 pour savoir si les barges chargées de blé peuvent quitter la mer Noire.
02:06 Et tout ça sur fond de paradigmes financiers qui est là aussi quelque chose d'un peu déstabilisant
02:12 parce que ce paradigme financier, comme on était habitué depuis pas mal d'années,
02:17 au bas, inflation qui était plus un souvenir, banque centrale qui intervenait comme le 20ème
02:22 de cavalerie chaque fois qu'il y avait un problème, tout ça finalement c'est une équation
02:26 qui était assez plaisante sur le plan financier.
02:27 Aujourd'hui l'inflation est de retour et les débats sont ouverts pour savoir jusqu'à
02:32 où, pendant combien de temps et dans quelle proportion.
02:35 Les taux sont redevenus élevés, on peut regretter de ne pas avoir utilisé suffisamment
02:38 la période de taux faible pour faire un certain nombre d'investissements qui auraient été
02:41 moins coûteux il y a 4 ou 5 ans qu'ils le sont aujourd'hui.
02:44 On voit bien que l'inversion de la position des banques centrales après ce qu'on a appelé
02:49 le quantitative easing, donc la facilitation quantitative, donc l'achat par les banques
02:54 centrales d'obligation pour faire baisser les taux, maintenant on inverse le processus
02:58 et fermer le robinet c'est beaucoup plus douloureux et désagréable que d'ouvrir le robinet.
03:02 Et puis on voit bien que tout ça se passe dans un contexte de décoordination internationale
03:08 au lieu de coordination internationale.
03:09 Et donc tout ça fait un moment un peu particulier pour s'interroger sur est-ce qu'on est capable
03:14 de changer de modèle, un moment où je ne résiste pas à citer Warren Buffett qui,
03:20 il y a une trentaine d'années, expliquait que c'est quand la marée baisse qu'on voit
03:24 qu'il se baigne sans maillot.
03:25 Et c'est précisément ce qui se passe, le changement de paradigme financier c'est la
03:29 marée qui baisse et donc on voit brusquement qu'il faut de nouveau sauver des banques en
03:33 un week-end, on avait perdu cette idée, on en a fait 4 ou 5 le mois dernier.
03:37 On voit ce qui s'est passé sur les cryptos, on voit ce qui s'est passé sur les fonds
03:41 de pension britanniques.
03:42 Donc tout ça crée un climat un peu anxiogène par rapport à nos préoccupations qui a tendance
03:47 à nous ramener dans le court terme et dans une souci d'aversion au risque, de liquidité
03:52 etc.
03:53 Et nous empêche encore plus de projeter dans le moyen à long terme la transformation de
03:57 nos modèles.
03:58 Dans un contexte qui plus est aussi délicat, si je me permets de faire un détour par Voltaire
04:04 vous serez peut-être dans vos années lycées à la fin de Candide, tout le monde a cité
04:08 deux grandes citations de Candide, la première c'est "le travail est loin de nous", trois
04:12 grands mots "l'ennui, le vice et le besoin" et la deuxième c'est "il faut cultiver notre
04:15 jardin".
04:16 Aujourd'hui, je vais me focaler sur "il faut cultiver notre jardin", aujourd'hui on a une
04:20 lecture assez littérale de "il faut cultiver notre jardin".
04:23 Au fond, et posez vous la question vous-même, on se moque un peu du reste du monde, en gros
04:28 on se dit "écoutez, tout ça c'est compliqué, le climat, la biodiversité, les réfugiés,
04:33 le cyber, le nucléaire, les guerres, tout ça, oulala, moi j'y peux rien, donc chacun
04:37 s'occupe de son jardin et les vaux seront bien gardés".
04:40 En fait, la question c'est de savoir si on ne se trompe pas de jardin, c'est-à-dire
04:44 qu'il y a effectivement notre jardin au sens de notre village, notre entreprise, notre
04:48 famille, mais il y a aussi notre jardin planétaire.
04:50 De même qu'on a beaucoup ironisé sur les tensions entre la fin du mois et la fin du
04:54 monde, je pense qu'il y a une tension entre ces deux jardins et cette tension est au cœur
04:57 de la discussion qu'on doit avoir aujourd'hui.
04:59 Alors, où est-ce qu'on en est ?
05:01 Le modèle dans lequel on opère aujourd'hui, malgré ce qui a été dit précédemment,
05:05 il reste le modèle posé il y a 50 ans.
05:07 Je ne vais pas élaborer trop longuement, mais c'est au fond ce qui s'est passé entre
05:11 1970 et 1980, la fameuse position de Milton Friedman en 70, l'objet social de l'entreprise
05:18 est de maximiser le profit, donc le profit est la fin en soi de l'activité économique.
05:22 La décision de Richard Nixon en 1971 de suspendre la convertibilité en or du dollar, qui nous
05:28 fait basculer dans un monde où tout était organisé autour de l'or, dans un monde où
05:31 on bascule dans la fiat monnaie, où on est dans un monde de confiance, dans un monde
05:34 où on peut s'endetter.
05:35 Donc on a une financiarisation de l'économie qui vient et un primat donné au marché pour
05:39 attribuer la valeur.
05:40 Si je vous demande combien vaut un dollar aujourd'hui, il ne faut plus 35 dollars pour
05:44 avoir une once d'or, aujourd'hui un dollar vaut autant d'euros.
05:46 Alors je dis, un euro ça vaut combien ?
05:48 Ça vaut autant de dollars et ça change tous les jours.
05:50 Et on a complètement intégré ça dans nos raisonnements.
05:52 Donc tout ça structure notre pensée, primauté du marché, valeur déterminée par le marché,
05:58 et primauté du profit tel que défini à cette époque.
06:00 C'est ce qu'on a appelé le consensus de Washington, le modèle néolibéral, etc.
06:04 La crise financière de 2008 a un peu brouillé les messages, a montré les limites de ce
06:08 modèle.
06:09 On n'a pas fait grand chose après.
06:11 Si, on a durci les ratios des banques, etc.
06:14 Mais on n'a pas repensé le modèle.
06:16 On a eu un espèce de sursaut qui nous amène au sujet d'aujourd'hui en 2015, où en 2015
06:21 on s'est mis d'accord toute la planète, on a tous signé les accords de Paris évidemment
06:25 en décembre, ce qu'on connaît mieux en France, mais les objectifs de développement
06:28 durable à New York en septembre, et un peu moins connu en juillet de la même année,
06:33 de partenariat pour le développement à la 10.
06:35 Donc on s'est mis d'accord sur une feuille de route, mais avec quelques faiblesses.
06:37 La première c'est qu'on n'a pas beaucoup réfléchi à combien ça va nous coûter.
06:41 On est tous d'accord, en gros pour éviter que les températures augmentent, on est tous
06:47 d'accord pour que tout le monde ait accès à la santé, à l'eau, etc.
06:49 Il faut vraiment être un salopard pour dire "je suis contre ça".
06:52 Simplement quand on vous dit "ça coûte tant", alors là c'est plus compliqué.
06:55 Et on ne s'est pas posé la question de savoir si notre système allait naturellement dans
06:59 cette direction.
07:00 On a fait le pari que la main invisible allait fonctionner, et que finalement, c'était
07:04 le principe des accords de Paris, c'est qu'il y aurait une course vers le haut.
07:06 C'est que tous les 5 ans on a voulu faire mieux que le voisin, on n'a pas pensé qu'il
07:09 pouvait y avoir un autre scénario qui est celui qu'on voit aujourd'hui.
07:12 Et donc on s'est mis d'accord sur une magnifique feuille de route, mais on ne s'est pas vraiment
07:15 donné les moyens.
07:16 Et peut-être qu'on ne pouvait pas se donner les moyens à l'époque.
07:18 Donc résultat, où est-ce qu'on en est en 2023 aujourd'hui ? On en est à avoir une
07:22 discussion comme celle qu'on a ce matin, et comme il y a souvent un peu partout sur
07:25 la planète, on réalise bien que cette feuille de route, on n'y est pas.
07:29 On nous a vendu un système qui se passerait tranquillement en 30 ans, et on voit bien
07:33 que sur les 8 premières années, on a pris du retard par rapport à ces 30 ans.
07:37 Et on se rend compte que le système dans lequel on évolue, ce qu'on appelle le système
07:40 c'est encore une fois les normes comptables, les modes de rémunération, la gouvernance
07:44 des entreprises, etc.
07:45 Ce système il est finalement assez neutre par rapport à nos questions.
07:48 Il ne nous empêche pas de faire des bonnes choses, mais il ne récompense pas les bonnes
07:51 choses.
07:52 Il ne nous empêche pas de faire des mauvaises choses, mais il ne punit pas les mauvaises
07:55 choses.
07:56 Ce n'est pas une excuse pour ne rien faire, mais il n'y a pas d'encouragement.
07:58 Et donc aujourd'hui, le système n'amène pas dans la bonne direction.
08:03 Donc on espère soit un grand accord multilatéral, peu probable, soit une espèce de solution
08:08 technologique qui va tomber du ciel, peut-être mais pas tout de suite, soit une hypothétique
08:13 rupture avec le capitalisme.
08:14 Donc on est dans une espèce de pensée magique en disant qu'il va se passer quelque chose,
08:18 et en même temps, comme c'était rappelé précédemment, on se prépare à une France
08:21 à +4°C parce qu'on ne sait jamais si ces trucs-là n'arrivent pas, peut-être qu'il
08:24 faut s'y préparer.
08:25 Et on voit bien que tout ça est d'autant plus compliqué, que ce n'est plus un problème
08:29 de mondialisation, c'est un problème de planétarisation.
08:32 Le problème c'est la planète et c'est précisément un moment où la planète elle-même se fissure.
08:37 Là aussi j'étais, comme beaucoup d'entre vous, vous en souvenez peut-être, en 2015,
08:41 il y a eu une photo qui a fait le tour du monde qui était une poignée de main entre
08:44 Barack Obama et Xi Jinping, juste avant les accords de Paris.
08:47 Et là, on s'est dit, on s'est aimé, on s'engage.
08:48 On a tous cru, moi le premier, que c'était le début d'une nouvelle ère, que finalement
08:51 si les Américains et les Chinois sur ces sujets-là étaient capables de se mettre
08:54 d'accord, la planète allait repartir.
08:56 Et en fait c'est une erreur de perspective.
08:58 Ce n'était pas le début d'une nouvelle ère, c'était la fin de l'ère précédente,
09:02 c'était la fin de la fin de l'histoire, c'était la fin de la chute du mur de Berlin.
09:05 Six mois plus tard, Brexit, un an plus tard, Trump, et puis la suite, vous la connaissez.
09:10 Et jusqu'à Hiroshima cette semaine, où on expliquait à la Chine, on vous aime bien,
09:15 on ne veut pas vous contrecarrer, mais quand même, attention, etc.
09:17 C'est ça qui s'est passé en dix ans.
09:19 On a complètement décalé et finalement la transformation de nos modèles devient
09:23 un peu otage de cette situation géopolitique.
09:26 Les tensions ne sont pas traitées, on est dans un monde qui est plus égoïste qu'il
09:30 était il y a dix ans, alors que précisément on a besoin d'être moins égoïste.
09:33 On est dans un monde où il y a plus de colère qu'il y a dix ans, notamment, j'y reviendrai,
09:37 de la part des pays du sud qui ont le sentiment qu'on leur fait beaucoup la morale, qu'on
09:41 a quand même plutôt bien profité du système et que maintenant on leur dit, écoutez les
09:44 gars, la fête est terminée, débrouillez-vous et qu'on ne les aide pas.
09:47 On se retrouve dans un monde où il est difficile de faire sens.
09:53 J'en rajoute évidemment, on peut se faire peur, l'intelligence artificielle, la hausse
09:57 des inégalités, etc.
09:58 Et d'une certaine manière, on peut revenir à ce que disait Michel Houellebecq, vous
10:02 en souvenez peut-être au début du Covid, quand tout le monde réfléchissait au monde
10:06 d'après, il disait, vous ne précipitez pas, le monde d'après c'est le monde d'avant
10:09 en pire.
10:10 J'espère qu'on va faire démentir ça aujourd'hui.
10:12 Mais on voit bien, si vous voulez, un arrêt sur image, ce n'est pas gagné.
10:16 Alors cela dit, il se passe quand même un certain nombre de choses.
10:19 Le point important, c'est que finalement, on prend conscience, 7 ou 8 ans après 2015,
10:25 que ce qu'on nous a vendu en 2015, qui était une transition, d'une certaine manière,
10:29 il suffit de baisser vos émissions de CO2 de 2% par an, il suffit de réallouer l'épargne
10:36 mondiale à hauteur de 2% par an, et tout ça c'était incrémental.
10:40 Cela ne fait pas peur si on vous dit demain, réallouer 2%, c'est très bien.
10:44 2% tous les jours pendant 30 ans, c'est plus compliqué.
10:47 Mais on nous a vendu une transition et on prend conscience aujourd'hui qu'au fond,
10:51 ce dont on parle, si on est sérieux, ce n'est pas une transition.
10:53 On voit bien qu'on ne va pas réussir à marginalement modifier la manière dont on
10:58 fonctionne, que c'est bien une transformation.
10:59 Et que cette transformation, forcément, elle est plus coûteuse, elle est plus compliquée,
11:04 elle est douloureuse, il y a des gagnants, il y a des perdants.
11:06 Et c'est cela qui fait mal aujourd'hui.
11:08 On voit bien que cela se crispe.
11:09 D'un côté, les esprits les plus généreux, les plus éclairés disent que si c'est vraiment
11:15 une urgence, il faut faire tout, tout de suite.
11:17 Et vous voyez la pression que certaines associations mettent sur certaines entreprises qui n'en
11:20 font jamais assez.
11:21 Et à l'inverse, il y a des gens qui disent qu'on s'en fout, de toute façon c'est
11:25 fini, on va se mettre dans la France à 4°C, les Etats-Unis à 5°C, nous on pourra payer
11:29 l'air conditionné, etc.
11:30 Et donc on arrête ces imbécilités de ESG qui sont du woke capitalism.
11:33 Et donc on voit bien une crispation autour du fait qu'on rentre dans le dur.
11:37 Donc moi c'est plutôt une bonne nouvelle qu'on rentre dans le dur, mais en même temps,
11:40 ça laisse la majorité des gens un peu troublés.
11:43 Ils disent qu'au fond on a le sentiment qu'on a déjà fait des efforts, mais en fait ce
11:45 n'est pas suffisant, quel est l'objectif finalement ?
11:50 Et on voit bien, confusément, qu'il faut qu'on parle de notre operating system.
11:54 C'est-à-dire qu'on rentre vraiment dans le dur de ce qui fait fonctionner nos économies
11:59 et la mondialisation, le piloting system de notre planète, de la gouvernance mondiale,
12:02 et le piloting system de nos entreprises.
12:03 Et passer, comme je l'ai dit souvent, et pardon si certains de vous l'ont déjà entendu,
12:08 passer de Milton Friedman, l'objet social de l'entreprise est de maximiser le profit,
12:14 pour prendre une belle formule de Colin Meyer, l'ancien doyen de la business school d'Oxford,
12:18 l'objet social n'est pas de maximiser le profit, l'objet social est de trouver des
12:22 solutions profitables aux problèmes de la planète et de ses habitants.
12:25 Ce n'est évidemment pas de dire qu'il faut arrêter le capitalisme, le profit, etc.
12:27 Ça c'est une illusion que je laisse à ceux qui aiment les illusions.
12:31 Mais c'est de dire que le profit n'est pas une fin en soi, le profit est un moyen en vue
12:35 d'une fin, le profit est légitime parce qu'il nous permet de trouver des solutions
12:39 aux problèmes de la planète, pour l'instant il n'y en a pas d'autres, et de ses habitants,
12:41 c'est-à-dire de nous.
12:42 Ce n'est pas un problème de tableur Excel, c'est un problème de vraies personnes sur
12:45 une vraie planète.
12:46 Et c'est cette bascule qu'il faut faire, j'avais expliqué sur une formule un peu
12:52 rhétorique que j'aime bien, il faut passer du système "Mark to Market", qui est le système
12:57 dans lequel on est aujourd'hui, la comptabilité s'appelle bien "Mark to Market", quand vous
13:02 arrêtez votre bilan à la fin d'un exercice, vous l'évaluez à valeur de marché, c'est
13:06 la loi.
13:07 Un système "Mark to Planet" où finalement au lieu de se concentrer sur le facteur rare
13:11 qui était à 50 ans l'argent, aujourd'hui on s'aperçoit que le capital financier n'est
13:15 plus le facteur rare, la preuve c'est que chaque fois qu'on en a besoin on trouve des
13:17 milliers de milliards.
13:18 Le vrai sujet c'est le capital environnemental, le capital humain, le capital social qui pour
13:23 l'instant n'ont pas de prix.
13:24 Il y a quelques systèmes alternatifs, on en a parlé ce matin, mais pour l'instant,
13:28 comme me dit un de mes investisseurs, quand j'investis dans Blue Lycon Orange, ça revient
13:30 à la question que vous posiez, je prends la performance financière très bien et l'impact
13:36 c'est gratuit, c'est cadeau, c'est en plus, ça n'a pas de valeur, ça ne me paraît que
13:39 chez une case, c'est déjà bien, mais pour l'instant ça n'a pas de valeur, ça ne rentre
13:44 pas dans les cases.
13:45 C'est pour ça que ce débat est un peu biaisé, c'est pour ça que je fais très attention
13:47 à dire est-ce que c'est compatible, si c'est compatible ça dépend de la manière dont
13:50 on mesure.
13:51 Alors évidemment, on va dire, il se passe des choses et heureusement il se passe des
13:54 choses, on va dire à l'ESG, il y a 50 000 milliards d'actifs qui sont gérés en ESG
13:58 ou 60 000, ça change tous les jours, c'est à la fois très bien parce qu'on en parle,
14:03 on parle de l'environnement, du social et de la gouvernance, ça permet de socialiser
14:06 l'idée, mais il ne faut pas se raconter d'histoire, on connaît toutes les ambiguïtés,
14:09 il y a 200 schémas qui permettent d'évaluer l'ESG, chacun prend celui qui lui plaît,
14:14 donc c'est une bonne première étape, mais ça n'est qu'une première étape.
14:16 La question c'est comment est-ce qu'on poursuit, comment est-ce qu'on va au-delà de la simple
14:23 aspiration à ce qu'on appelle notamment l'impact, mais il y a d'autres modes de qualification,
14:29 quelque chose qui soit vraiment voilà ce que je veux faire, je me mets en risque, je
14:32 me mesure, je suis audité, je rencontre, enfin qu'on rentre dans un système qui n'est
14:36 plus de la bonne intention.
14:37 Et c'est là que ça devient compliqué parce qu'on est dans une économie qui reste mondiale
14:43 et aujourd'hui il n'y a pas de maître du monde.
14:45 En 1970 Friedman expliquait dans le New York Times que c'est comme ça, Reagan se faisait
14:48 y lire, Satcher se faisait y lire et on avait le consensus de Washington, il n'y avait pas
14:53 de marche arrière, même Mitterrand en 1983 disait qu'on allait vivre autrement et en
14:57 1983 disait qu'on allait faire comme tout le monde.
14:59 Donc aujourd'hui il n'y a pas de maître du monde, vous avez des modèles différents
15:03 qui sont en concurrence et qui montrent bien la complexité des choses.
15:09 On aimerait bien finalement que ce sujet on le traite en disant chacun une voiture électrique,
15:13 chacun une voiture, ça répond qu'à une partie de l'équation, c'est beaucoup plus
15:16 compliqué que ça.
15:17 Et donc on voit bien l'Europe avancer à l'européenne, c'est-à-dire comme l'avait
15:21 dit à l'époque la jugeante Christine Lagarde quand j'étais à Washington, l'Europe il
15:24 vous reste deux choses à faire, taxer ce que vous pouvez, réglementer ce que vous
15:27 pouvez, pour le reste on s'en charge.
15:29 Merci les amis.
15:30 Mais ce n'est pas complètement faux, j'espère qu'on va démontrer que c'est un peu faux
15:34 quand même, mais nous on fait des règles, on a parlé, c'est SDR, SFDR, etc.
15:39 On fait des règles, des normes, des taxes, etc.
15:41 Les américains eux font de l'Amérique, donc ils mettent de l'argent sur la table,
15:45 les chinois font de la Chine, ils font du capitalisme dirigé, tout ça ne converge
15:49 pas naturellement avec un certain nombre de risques.
15:52 Le premier c'est évidemment le brouillard bureaucratique, à la fin on remplit des papiers,
15:55 on ne sait plus pourquoi on les remplit, on est excédé par les papiers qu'on vous demande
15:59 et on perd le sens de ce qu'il faut faire.
16:00 Donc ça il ne faut jamais perdre de vue pourquoi on fait tout ça.
16:04 Le deuxième risque c'est la fragmentation, vous avez des pôles différents avec des
16:08 priorités différentes, des sens différents.
16:10 Le troisième risque c'est le repli, je reviens dans mon jardin, ça m'agace, j'arrête,
16:17 etc.
16:18 Et puis un autre risque est l'approche salamie, on va traiter les problèmes les uns derrière
16:22 les autres alors qu'au fond on fait face à une dimension systémique de réforme de
16:26 notre modèle.
16:27 Donc tous ces sujets là, on les voit, ils sont difficiles à traiter, d'autant plus
16:31 que les grands absences, j'y faisais allusion en introduction, il y a 80% de la planète
16:35 qui ne fait pas partie de cette conversation.
16:36 Je dis souvent la bataille du climat, la bataille de la biodiversité, la bataille
16:41 de l'égalité homme-femme, elles ne se gagneront pas uniquement à Bruxelles, à Paris ou à
16:45 Washington, elles se gagneront à Bogota, à Lagos et à Delhi.
16:49 C'est précisément là qu'on ne fait rien et c'est précisément là qu'on n'intègre
16:52 personne dans les conversations.
16:54 D'où les tensions qu'il y a aujourd'hui entre ce qu'on appelle le sud global et l'ouest,
16:59 je ne dis plus le nord parce que la Russie s'est un peu éloignée.
17:02 On voit bien le côté, vous nous imposez un cadre nouveau, regardez les tensions par
17:07 exemple avec un pays comme le Sénégal, le Sénégal a trouvé du gaz naturel et on dit
17:12 que le gaz naturel ce n'est pas possible parce que c'est fossile.
17:16 Le Sénégal nous dit, attendez, vous en Europe avec la Russie, regardez ce que vous faites
17:18 sur le gaz, on a une position qui est intenable.
17:20 C'est ça la perception que ces pays ont de notre morale, de notre belle vision du capitalisme.
17:29 Donc on voit bien qu'on a un sujet majeur qui est d'inclusion sur ces modèles et je
17:34 pense que je pousse l'Europe à tendre la main à ces pays et à trouver des solutions.
17:38 On a besoin d'alliés, on ne va pas être tout seul contre les Etats-Unis et la Chine.
17:42 Encore une fois c'est une première étape, on a un peu abordé ça dans la table ronde
17:45 précédente.
17:46 L'étape suivante sur laquelle il y a en plus un peu de concurrence c'est l'EFRAC d'un
17:51 côté et l'ISSB de l'autre, c'est de se mettre d'accord sur les normes extra financières.
17:56 Première étape, de quoi parle-t-on ?
17:57 On se met d'accord là-dessus, on n'y est pas encore complètement, on y travaille,
18:01 j'espère qu'on aura des bonnes nouvelles dans les semaines qui viennent sur l'interopérabilité
18:06 pour parler de nouveaux jargons.
18:07 Derrière cette étape, il y a une autre étape qui va être la monétisation, qui est un
18:12 sujet dont on parle encore assez peu en France.
18:14 Ce n'est pas seulement de se mettre d'accord sur les tonnes de CO2, la mesure de la biodiversité,
18:18 les indices de disparité salariale, etc.
18:20 C'est de se dire, est-ce que ça a ou non un prix ?
18:22 Ça revient à mon point, est-ce qu'on est capable de valoriser cette absence de capital
18:27 ou cette destruction de capital ?
18:28 Là aussi, il y a des choses qui se passent.
18:30 Je prendrai un exemple, Harvard a un projet qui s'appelle Impact Weighted Accounts, peut-être
18:35 certains d'entre vous le connaissent.
18:36 Je pense qu'il faut toujours faire attention à ce genre de choses.
18:40 Rappelez-vous le classement de Shanghai quand les Chinois ont commencé à classer les
18:43 universités et les écoles, et 20 ans plus tard, on fusionne toutes les écoles du plateau
18:48 de Saclay pour entrer dans les classements.
18:49 Quand Harvard commence à dire, on va regarder combien ça coûte sur le plan environnemental
18:55 et social, ce que font telle ou telle entreprise, Exxon vaut tant, 500 milliards, mais nous
19:00 avec notre calcul, on estime qu'Exxon détruit 40 milliards de valeur environnementale par
19:04 an et on va forcer Exxon à mettre ça dans son rapport annuel.
19:07 Mais en revanche, Exxon, parce qu'ils sont super bons sur la politique salariale, crée
19:10 10 milliards de valeur sociale, on va les forcer à mettre ça.
19:13 Ils font déjà ça pour plusieurs milliers d'entreprises.
19:16 Là, c'est la prochaine étape.
19:17 Ça pose plusieurs questions.
19:18 Pourquoi est-ce que c'est Harvard qui fait ça ? Quelle est leur boîte noire ? Comment
19:21 fonctionne leur algorithme ? Est-ce que c'est eux qui décident pour la planète ? Il vaut
19:24 mieux réagir trop tôt que trop tard.
19:26 Après, on va se prendre ça en disant que c'est les Américains qui nous disent.
19:29 Ils ont pensé plus tôt que nous à ce genre de choses.
19:31 Deuxième sujet, il y en a beaucoup d'autres.
19:34 Est-ce qu'on peut compenser l'environnemental et le social ? La finance va vouloir faire
19:37 ça.
19:38 On préfère avoir un chiffre que deux.
19:39 Le gars va dire que je suis très mauvais sur le plan environnemental, mais je suis
19:42 excellent sur le plan social, donc au total, je suis en net zéro, ne m'embêtez pas.
19:45 Vous avez adoré l'offset sur le carbone, vous allez adorer l'offset sur tout.
19:48 On voit bien que c'est l'étape suivante.
19:51 La dernière étape à laquelle on n'est pas, mais qui est probablement ce qu'il
19:54 faut avoir en ligne de mire, ce n'est pas seulement la valorisation, mais la comptabilisation.
19:58 On n'est pas un rapport financier, un rapport extra financier, mais qu'on n'est qu'un
20:02 seul rapport avec des conséquences fiscales, des conséquences sur votre capacité d'emprunt.
20:06 Votre bilan n'a plus la même allure si on vous met ces coûts ou se badouille dans
20:09 votre bilan que d'avoir votre banquier.
20:11 On voit bien que c'est un chemin.
20:13 On est au tout début.
20:14 C'est un moment qui est très frustrant parce qu'on a le sentiment que ça fait des années
20:17 qu'on en parle et qu'il ne se passe pas encore grand-chose.
20:19 En même temps, il y a quand même pas mal de graines qui ont été plantées.
20:22 Ne nous leurrons pas, on n'y est pas.
20:24 Mais en même temps, on a quand même un certain nombre d'outils sur la table, on a quand
20:29 même un certain nombre de choses qui se passent.
20:31 La vraie difficulté, c'est qu'on n'est pas encore dos au mur.
20:35 Ce qui m'a donné finalement de l'espoir par rapport à nos conversations, c'est le
20:40 vaccin et ce qui s'est passé sur le Covid.
20:42 J'habitais aux Etats-Unis à l'époque.
20:44 Rappelez-vous, il y a trois ans, on était quand même au fond du trou.
20:47 Printemps 2020 et le seul, il faut le faire crédit, je n'ai pas particulièrement de
20:52 sympathie pour Donald Trump, le seul qui a dit "non mais il n'y a pas de problème,
20:55 on va trouver un vaccin avant la fin de l'année", c'est Donald Trump.
20:58 Et effectivement, l'humanité dos au mur en 2020, elle a trouvé les milliards qu'il
21:01 fallait, elle a trouvé un vaccin en neuf mois et on est sorti d'affaire.
21:04 Donc j'espère qu'on va être capable, quand on va vraiment sentir le mur environnemental
21:10 et le mur social, de se dire "on est capable d'autant d'imagination".
21:13 Voilà un peu ce que je voulais partager avec vous.
21:15 Pour répondre à votre question, comme je l'avais dit de manière un peu laconique et
21:20 lapidaire au début, il n'y a pas de sujet entre rentabilité et impact.
21:26 Ça va évidemment de pair.
21:29 Aujourd'hui, on est encore une fois dans le brouillard.
21:33 Dans le brouillard, vous avez trois attitudes.
21:35 La première attitude c'est de dire "je suis dans le brouillard, je peux continuer à crapuler,
21:38 personne ne me voit".
21:39 Greenwashing délibéré.
21:40 Ça, ça existe, de moins en moins j'espère.
21:43 A l'autre extrémité du spec, il y a des gens qui disent "moi dans le brouillard, brouillard
21:47 ou pas brouillard, ça m'est égal, j'ai ma boussole".
21:49 Pour moi, c'est stratégique.
21:51 Je veux avancer, ce sont à la fois mes convictions, mon intérêt et puis je pense que si je ne
21:57 vais pas dans cette direction, je vais perdre petit à petit mes clients, je n'attirerai
22:00 plus de talent et je n'aurai plus d'investisseurs.
22:02 Peut-être pas aujourd'hui mais dans deux ans, dans cinq ans, etc.
22:04 Donc j'avance.
22:05 Et puis entre les deux, vous avez un certain nombre de gens qui sont un peu hésitants
22:10 et qui finalement se disent "je fais ce qu'on me demande, pas plus pas moins", avec la
22:13 frousse d'être pris dans les phares, "ah, t'as fait un truc horrible" et qui se disent
22:18 "si je me mets trop en avant, je vais me faire flinguer par les ONG qui disent que
22:22 je n'en fais pas assez, si je n'en fais pas assez, je vais avoir un problème avec mon
22:25 board".
22:26 Et donc une majorité qui essaie d'évoluer, plutôt de bonne foi, mais qui a besoin qu'on
22:30 les rassure.
22:31 Et donc je conclue là-dessus, la question de la rentabilité et de l'impact, de toute
22:35 manière, elle est secondaire.
22:36 La question qui est centrale, c'est qu'on transforme nos modèles financiers.
22:40 C'est-à-dire qu'on sort de cette idée qu'il y a une finance durable, ce qui veut dire
22:46 qu'il y a une finance non durable, qu'il y a une finance verte, c'est-à-dire qu'il
22:48 y a une finance non verte, qu'il y a une finance à impact, une finance à impact.
22:51 Il faut que toute la finance devienne durable, à impact, etc.
22:54 Et donc de même qu'on a passé des années à sophistiquer le modèle de l'industrie
22:59 financière née à Chicago dans les années 50, modèle risque-rendement, on peut le
23:03 compléter ce modèle.
23:04 C'est une discussion que j'avais avec René Cohen que certains connaissent sur l'impact.
23:08 Il faut compléter risque-rendement impact, risque-rendement durabilité.
23:11 Ce n'est pas quelque chose d'impossible, on sait faire tout ça et c'est bien dans
23:15 cette direction qu'il faut aller.
23:16 Si on se satisfait d'avoir une petite poche à côté où on se sent bien, on n'ira pas
23:21 très loin.
23:22 Merci beaucoup.
23:22 [Applaudissements]
23:27 [Silence]