ÉDITO - Emmanuel Macron "tente de reprendre la main" sur la montée des violences qu'il qualifie de "décivilisation", un terme polémique

  • l’année dernière
À quelques heures du Conseil des ministres, le président de la République a qualifié la montée des violences en France de "décivilisation". Ce terme est souvent utilisé par la droite ou même l'extrême droite. Les explications de l'éditorialiste politique, Matthieu Croissandeau. 
Transcript
00:00 Mathieu Croissant, vous vouliez revenir ce matin sur un mot prononcé hier par le président de la République en Conseil des ministres, tout ça à quelques heures de la Manche Nationale,
00:07 évidemment qui sera rendu aux trois policiers de Roubaix, ce sera à la mi-journée.
00:11 "Il faut être intraitable sur le fond. Aucune violence n'est légitime, qu'elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation."
00:23 C'est un mot qu'on n'emploie pas souvent. Qu'est-ce que ça veut dire d'ailleurs ?
00:26 Alors historiquement, c'est un concept forgé par le sociologue allemand Norbert Elias qui a fui l'Allemagne nazie dans les années 30 et qui a publié juste avant la Seconde Guerre mondiale
00:35 un ouvrage sur le processus de civilisation. Alors son idée, c'est que la civilisation est un long processus qui s'est imposé dans la société, notamment grâce aux codes en vigueur dans les courroyales
00:46 et qui ont fait que petit à petit, les individus ont été amenés à contrôler leurs instincts, à domestiquer leurs pulsions et à refouler toute forme de violence, une forme d'autocontrôle en fait.
00:56 À l'inverse, la décivilisation, c'est le retour aux instincts primaires et donc aux pulsions, à la violence. Alors ça, c'est historiquement.
01:03 Politiquement ensuite, c'est un terme qui est connoté à droite, voire à l'extrême droite. C'est un terme qui est régulièrement employé par exemple par le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau,
01:11 par le maire de Cannes David Lysnard, on peut le voir sur ses tweets. C'est enfin décivilisation, le titre d'un livre publié en 2011 par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus,
01:20 vous savez, le théoricien de ce qu'on appelait le grand remplacement, la chère Éric Zemmour. C'est vous dire si ce mot est chargé. Ça fait un peu penser, vous savez, aussi à l'ensauvagement,
01:27 un autre mot qui avait été, lui, repris par l'extrême droite et par Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur.
01:31 Mais du coup, ça en fait pas un mot un peu interdit aujourd'hui ?
01:34 Si le président l'emploie, c'est à dessein. Il faut savoir que quand un propos du président de la République, d'abord, filtre du conseil des ministres, c'est un choix,
01:40 ça veut dire que c'est pensé, que c'est voulu. Ensuite, il y a une vraie inquiétude dans l'exécutif de voir la montée des violences dans la société.
01:47 Donc c'est une façon pour Emmanuel Macron de tenter de reprendre la main dans ce contexte. Il n'y a pas de violence qui soit justifiable jamais dans une société,
01:54 quelle que soit la cause, a dit hier le président. C'est aussi, et il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, une façon de faire tourner le débat autour de lui,
02:01 de lâcher un petit mot qui poussera ses adversaires politiques à réagir, à se déterminer par rapport à son propos.
02:07 Et on le voit, depuis un mois, Emmanuel Macron a entamé un tour de France qui ressemble beaucoup à une campagne électorale.
02:11 Il se déplace beaucoup. Il sera ce matin à Roubaix. Il s'exprime beaucoup. Et donc, on en parle beaucoup.
02:17 Est-ce que ça fonctionne ?
02:18 C'est à double tranchant. Parce que ça pose deux questions. D'abord, ça interroge sur le sens de la mesure.
02:23 Parce que ces propos, ils sont prononcés dans un contexte qui a été marqué par des faits d'actualité tragiques, mais qui, pour ainsi dire, n'ont rien à voir.
02:31 Le décès des trois policiers à Roubaix provoqués par un chauffard alcoolisé et drogué, l'assassinat d'une infirmière par un malade psychiatrique qualifié de paranoïaque et schizophrène par le procureur à Reims,
02:42 et puis les agressions d'élus, et notamment celles du maire de Saint-Brévent. Les deux premiers, on voit bien, ça relève du fait divers tragique.
02:48 Le second, c'est quand même une offensive politique de l'extrême droite. Donc, mettre ça sous ce terme de décidivisation, c'est peut-être faire un paquet global un peu trop large.
02:57 Ensuite, la seconde question, c'est que ça interroge sur sa propre responsabilité. Parce que dire tout fou le camp aux Français quand on préside le pays depuis six ans, d'une certaine façon, c'est risqué.
03:08 -Merci.

Recommandée