• l’année dernière
Michel Geoffroy est énarque et brillant essayiste. Son livre "La super classe mondiale contre les peuples" a rencontré un vif succès et plus d’un demi-million de téléspectateurs ont suivi l’entretien qu’il avait accordé à TVL. Michel Geoffroy intervient aussi régulièrement dans l’émission "Le Nouvel I-Media" animée par Jean-Yves Le Gallou et Floriane Jeannin.
Mais c’est un Michel Geoffroy bien différent qui se présente à nous avec son nouveau livre "Bienvenue dans le meilleur des mondes". Dans cet essai, l’auteur a pour ambition de montrer que notre réalité est en train de dépasser les sombres prévisions de la science-fiction. Et si d’ailleurs, ce genre littéraire et cinématographique souvent déconsidéré avait plus à nous apprendre sur notre monde contemporain que nous le croyions ? On oppose souvent fiction et réalité, utopie et réalisme. Pourtant, à la lecture de l’ouvrage, il apparaît important, à bien des égards, de revisiter ce dualisme. Quand la réalité dépasse la science-fiction...

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Transcription
00:00 [Générique]
00:05 On le sait, Hénard qui est brillant essayiste,
00:08 plusieurs de ses entretiens sur TVL ont dépassé le demi-million de téléspectateurs.
00:12 Il intervient régulièrement dans l'émission "Immedia" animée par Jean-Yves Le Gallou et Floriane Jeannin.
00:18 Michel Joffroy, bonjour.
00:20 Bonjour Mathieu.
00:21 Merci d'être dans ce studio que vous connaissez bien.
00:23 On va vous découvrir d'une manière bien différente finalement,
00:27 avec un essai qui tente de réfléchir et qui s'intitule "Bienvenue dans le meilleur des mondes".
00:33 Pourquoi un essai sur la science-fiction ?
00:36 D'autant plus que vous insistez d'entrée de jeu que si l'on oppose fiction et réalité,
00:42 en fait il est nécessaire de relativiser ce dualisme.
00:46 Pourquoi un essai sur la science-fiction ?
00:48 Parce que d'abord nous vivons dans un monde de fiction en Occident,
00:54 parce que nous sommes soumis à une idéologie particulière
00:58 que je considère comme une sorte de science-fiction qui s'appelle le progressisme,
01:01 une idéologie qui repose sur quelques éléments fondamentaux de la science-fiction,
01:06 à savoir la foi dans la science,
01:09 mais aussi une fiction absolue puisque c'est une fiction sur l'homme.
01:17 Le progressisme a une vision complètement folle de l'homme.
01:20 Donc nous vivons dans ce monde-là,
01:21 puis vous le savez aussi puisque vous avez écrit un livre sur le sujet,
01:24 nous sommes dans un monde formaté par le pouvoir médiatique
01:28 et donc un pouvoir d'illusion.
01:29 Nous vivons en Occident dans un monde d'illusion.
01:32 Et donc ce que j'ai voulu montrer c'est que cette illusion,
01:36 elle avait aussi été prévue par un certain nombre d'auteurs,
01:40 ces auteurs dits de science-fiction,
01:42 qui étaient toujours considérés comme un genre mineur,
01:45 même aujourd'hui d'une certaine façon,
01:47 et pourtant ces gens ont bien prévu quelque chose,
01:50 ils ont prévu un futur mais qui est devenu notre présent.
01:53 Donc je pense que c'est intéressant d'aborder la science-fiction rapidement,
01:57 c'est un tout petit essai de 70 pages, donc j'ai dû faire des choix,
02:03 mais d'une certaine façon présenter la science-fiction,
02:07 c'est d'une certaine façon présenter le sort de l'idéologie progressiste,
02:12 parce qu'il y a deux versants, il y a un versant positif,
02:17 le progressiste c'est les lendemains qui vont chanter,
02:19 grâce à la science on va faire plein de choses,
02:21 vous serez comme des dieux, comme dit le serpent à Ève,
02:26 et puis il y a l'autre versant qui est la réalité,
02:30 qui elle est très sinistre, la réalité du progressisme.
02:33 Donc je pense que ce n'est pas inintéressant,
02:35 aujourd'hui avec notre regard d'homme ou de femme du 21ème siècle,
02:40 nous comprenons des choses qui à l'époque nous ont paru peut-être très lointaines,
02:46 exemple l'œuvre d'Orwell, aujourd'hui prend une dimension nouvelle,
02:51 en 1948 ou en 1949 quand il écrit, ce qu'il prévoit bon,
02:56 oui ça peut nous paraître un peu lointain.
03:00 – Une utopie.
03:01 – C'est une utopie.
03:02 – C'est devenu une réalité.
03:03 – C'est devenu une réalité, une triste réalité.
03:06 – Mais c'est vrai que beaucoup de rêves finissent par devenir des réalités,
03:08 pour le meilleur, pour le pire.
03:09 – Oui, voilà, c'est pour ça que j'évoque rapidement le fait que
03:14 il ne faut pas opposer la réalité et l'utopie,
03:17 en fait malheureusement l'utopie triomphe plutôt plus que la réalité,
03:21 c'est ce qui s'est passé au 20ème siècle,
03:23 le 20ème siècle c'est le triomphe de l'utopie progressiste,
03:25 c'est le triomphe politique de la gauche, c'est le triomphe de l'américanisme,
03:29 bon donc du moins en Occident.
03:32 – Mais ça c'est un constat que vous faites dans l'ouvrage
03:35 et qui est quand même très amer, c'est de dire que l'utopie progressiste,
03:38 elle a, vous le dites, et c'est vrai, triomphée au 20ème siècle,
03:41 l'idéologie de la gauche a gagné et elle a balayé finalement
03:45 les tenants du conservatisme, de la tradition et de la loi naturelle,
03:50 c'est particulièrement angoissant, mais c'est vrai.
03:53 – Oui, ça montre que les gens sont mûs par des idées,
03:58 plus d'une certaine façon que la réalité,
04:00 ou du moins ils ne conçoivent la réalité qu'au travers du filtre de leurs idées,
04:05 donc les idées progressistes ont été séduisantes, on ne peut pas le nier,
04:10 et donc tout le monde s'est rentré dans cette vision d'un futur radieux,
04:16 pensons à ce que, dans ma génération, quand on parlait de l'an 2000,
04:21 c'était le Nirvana, je cite d'ailleurs dans le petit essai
04:26 une phrase malheureuse d'Arthur Clarke qui dit
04:29 "en l'an 2000, les gens vivront éternellement",
04:31 vous voyez donc on voyait les choses d'une façon complètement fausse,
04:36 avec le recul du temps, c'est l'intérêt de revisiter
04:40 certaines œuvres, on comprend un certain nombre de choses
04:45 qu'ils ont évoquées et qui à l'époque, encore une fois,
04:47 ne paraissaient pas évidentes et qui aujourd'hui
04:49 nous paraissent malheureusement très évidentes.
04:51 – La science-fiction, son triomphe est concomitant au triomphe de la gauche,
04:55 à la grande transformation capitaliste aussi,
04:57 vous dites à une conjonction qui finalement n'a rien d'anodin.
05:01 – Oui, oui, tout à fait, il n'est pas non plus anodin
05:03 que beaucoup d'auteurs de science-fiction,
05:05 et en particulier d'auteurs de dystopie,
05:08 qui m'intéressent plus particulièrement,
05:11 sont des auteurs anglo-saxons, ce n'est pas complètement neutre.
05:14 – Qu'est-ce qu'une dystopie ?
05:16 – C'est une fiction pessimiste en quelque sorte,
05:19 c'est le contraire, d'une certaine manière,
05:22 on pourrait dire que c'est le contraire de l'utopie,
05:23 en général l'utopie nous promet un avenir radieux,
05:28 la dystopie prévoit au contraire un avenir désastreux et terrible,
05:33 et c'est donc pour ça qu'il s'est passé,
05:36 alors effectivement, on peut toujours trouver au début du 19ème
05:39 des auteurs qui ont fait de la fiction,
05:41 Marie Shelley qui a écrit son ouvrage célèbre sur Frankenstein,
05:45 elle l'écrit en 1818, au coin de mémoire,
05:48 bon donc c'est au début du 19ème siècle,
05:51 mais le cœur vraiment nucléaire de la science-fiction,
05:56 c'est la fin du 19ème siècle, un homme comme Wells par exemple,
05:59 qui va jouer un grand rôle,
06:02 les Français, on peut penser à Jules Verne aussi,
06:04 et puis surtout au 20ème siècle,
06:06 que dans la première moitié du 20ème siècle,
06:09 que va s'imposer ce genre…
06:10 – Et à travers le cinéma aussi.
06:11 – Et à travers le cinéma, bien sûr.
06:13 – Alors vous dites, bon ben voilà,
06:15 la science-fiction c'est la fille du progressisme,
06:17 c'est la fille du positivisme,
06:20 et cette inspiration progressiste,
06:21 elle implique une forme de déterminisme,
06:23 et c'est d'ailleurs sur cette base que l'on va voir naître
06:26 une science-fiction soviétique,
06:28 on va s'intéresser à celle-ci pour commencer,
06:29 on verra les autres ensuite,
06:31 une science-fiction communiste.
06:33 – Oui, oui, tout à fait,
06:35 la science-fiction soviétique va avoir un sort malheureux
06:38 parce qu'elle se développe notamment dans les années 1920,
06:44 qui est quand même une période de bouillonnement intellectuel
06:48 avant le stalinisme,
06:49 donc il y a quand même des idées complètement folles
06:52 qui se développent,
06:53 et donc il y a une science-fiction soviétique,
06:55 alors c'est jamais que la destinée manifeste à l'américaine,
06:58 mais vu en soviétique,
07:00 c'est-à-dire, je cite notamment un roman qui s'appelle "Nous autres",
07:03 qui est écrit en 1920 et qui explique
07:05 qu'on crée un gigantesque vaisseau spatial
07:07 qui va parcourir l'univers pour apporter la bonne nouvelle,
07:11 on a découvert sur la Terre un gouvernement parfait,
07:14 évidemment, devinez, le gouvernement parfait,
07:15 c'est bien sûr le gouvernement communiste,
07:18 donc il y a cette vision-là,
07:20 mais progressivement,
07:22 il va y avoir une fiction un peu plus pessimiste,
07:27 qui va être prise aussi au cinéma,
07:31 je pense notamment au film de Tarkovsky
07:35 qui est fantastique à partir de la nouvelle de Stanislas Lemm,
07:40 "Solaris", qui décrit, il y a eu un remake américain après,
07:45 avec George Clooney, je ferme la parenthèse,
07:48 qui est médiocre, pas George Clooney mais le remake,
07:52 comme toujours, mais le thème,
07:53 c'est des gens qui vont sur une planète étrange,
07:56 qui a la capacité étrange de réaliser les souvenirs,
08:00 donc les gens deviennent fous,
08:02 alors c'est devenu une science-fiction
08:03 qui est déjà un peu pessimiste,
08:05 et qui va progressivement être diabolisée,
08:08 puisqu'à l'époque on dit "Sol Staline prévoit l'avenir",
08:11 donc ça devient une sorte de réflexion un peu bourgeoise,
08:16 d'esprit petit bourgeois qu'il faut éliminer,
08:19 comme on dit à l'époque,
08:20 il n'y a pas de Colcos sur la Lune,
08:22 donc ce qui compte c'est le matérialisme dialectique
08:24 et vos histoires de fusées et d'espace
08:30 ne nous intéressent pas vraiment,
08:31 donc c'est une science-fiction qui va un peu décliner,
08:34 mais elle reflète, à la sauce soviétique,
08:38 la même chose que la science-fiction américaine,
08:40 on a une destinée manifeste,
08:41 on va apporter au monde les bonnes recettes du communisme.
08:44 – Parce que vous le dites quand même dans l'ouvrage,
08:46 ça c'est bien clair que la vraie rencontre,
08:48 c'est la rencontre de la science-fiction progressiste
08:51 avec l'américanisme,
08:52 la science-fiction de la deuxième moitié du XXe siècle,
08:55 c'est l'expression de la toute-puissance des États-Unis,
08:58 puis ça sera l'expression de l'idéologie mondialiste,
09:00 c'est aujourd'hui l'expression de l'idéologie mondialiste
09:03 et wokiste.
09:03 – Oui tout à fait,
09:04 alors c'est une science-fiction,
09:07 d'une certaine façon qui reprend, notamment au cinéma,
09:10 les codes du western,
09:12 notamment le thème qui apparaît en permanence,
09:14 du redresseur de tort,
09:16 l'homme qui va, qui est évidemment en général un anglo-saxon,
09:19 un américain, qui va apporter la liberté à des peuples
09:23 qui vivent dans l'oppression,
09:27 et ça c'est le thème américain par définition,
09:30 on apporte la démocratie à l'occidentale
09:32 et pour ça on casse tout, on détruit tout,
09:34 dans tous ces films il y a toujours la grande catastrophe
09:37 qui fait qu'on va apporter,
09:42 qui permet d'éliminer les opposants au mode de vie américain,
09:46 si je puis dire.
09:47 – Ça c'est pas l'utopie, c'est la réalité.
09:48 – Oui, c'est les deux, c'est-à-dire que le roman ou le film
09:53 sert de justification intellectuelle à ce qui se passe concrètement,
09:56 alors à l'époque, en plus à l'époque de la guerre froide,
09:59 il y a un phénomène qui va apparaître,
10:01 c'est l'extraterrestre qui est en fait l'incarnation du rouge, du méchant,
10:07 il y a notamment un roman fantastique
10:10 qui est "L'invasion des profanateurs"
10:11 qui a servi de film qui est remarquable,
10:14 lui aussi il a eu beaucoup de remake,
10:16 l'idée que l'extraterrestre est comme vous et moi,
10:19 mais c'est pas vous et moi, c'est quelqu'un d'autre qui veut nous pervertir,
10:24 ça c'est vraiment typique de la vision de la guerre froide,
10:28 qui va réapparaître dans une série très connue télévisuelle
10:32 qui s'appelle "Les envahisseurs"
10:34 où les extraterrestres sont comme vous et moi
10:36 mais ce sont quand même des envahisseurs.
10:38 Donc ce thème-là va être une des constantes de cette fiction,
10:43 de même que la catastrophe, à l'époque de la guerre froide,
10:46 c'est la peur de la guerre nucléaire,
10:48 et donc il y a toute une série de romans ou de films
10:51 qui traitent de la catastrophe nucléaire
10:55 comme un élément constitutif de notre avenir.
11:01 Vision qui est à la fois pessimiste,
11:03 évidemment parce que c'est pas très drôle la guerre nucléaire,
11:05 mais en même temps qui donne une vision de la supériorité technologique etc.
11:11 Parce que parfois la guerre nucléaire,
11:12 c'est quand même la guerre que les États-Unis ont gagnée.
11:15 Donc c'est des éléments très précis.
11:17 Alors on évoquait la propagande,
11:19 oui il y a l'idée qui est sous-jacente à tous ces essais,
11:25 l'unification du monde, le monde est uni, les planètes sont unies,
11:29 pensez à la série "Star Trek" par exemple,
11:31 il y a un commandement spatial unitaire,
11:35 tout le monde est uni mais il y a quand même une direction américaine,
11:37 le vaisseau "Star Trek" il est quand même commandé par un Américain,
11:40 du moins au début dans les premières séries,
11:41 après ils ont un peu évolué mais bon.
11:43 Donc ça c'est un élément très important de la fiction,
11:47 on projette l'idée, c'est un peu l'idée des Nations Unies
11:50 sous direction américaine, mais étendue à l'espace tout entier.
11:56 Donc ça c'est une composante de cette vision des choses.
12:00 – Mais sur l'impulsion américaine,
12:01 c'est véritablement l'intrusion du politiquement correct,
12:04 si vous me permettez l'expression, à tous les étages.
12:07 – Oui.
12:07 – On va commencer par le thème des migrations, l'écologisme,
12:11 aujourd'hui je parlais du wokisme mais on voit les films de science-fiction
12:16 faits par exemple de manière très commerciale par Netflix,
12:21 le politiquement correct est consubstantiel à la science-fiction aujourd'hui ?
12:25 – Oui, Basse-Litiguil est surtout consubstantiel aux productions hollywoodiennes,
12:31 parce que des films qui seraient totalement politiquement incorrects
12:34 sont assez peu probables aujourd'hui, mais il y a eu des vecteurs,
12:39 donc je dirais, dans le temps de la guerre froide,
12:43 c'est le vecteur de l'avenir radieux du monde occidental,
12:46 opposé à l'avenir effrayant du monde soviétique,
12:51 après cette idée est devenue mondialiste,
12:55 on pourrait citer les films de Roland Emmerich,
12:58 tous les films de Roland Emmerich se terminent par le fait
13:00 que c'est l'Amérique qui sauve la Terre de l'invasion extraterrestre,
13:05 qui sauve la Terre de la catastrophe écologique,
13:10 c'est tous ces films comme Armageddon, où ce sont des fusées américaines
13:14 qui vont détruire le méchant astéroïde qui va s'écraser sur la Terre,
13:18 c'est le sacrifice des astronautes américains qui permet de protéger,
13:21 donc ça on voit bien, il y a eu aussi bien sûr une tendance aujourd'hui
13:27 à faire du catastrophisme écologique, aussi Roland Emmerich,
13:32 2012 c'est un film de catastrophisme écologique,
13:37 d'une certaine façon je pourrais dire le film d'Al Gore,
13:40 "Une vérité qui dérange" est d'une certaine façon une sorte de fiction
13:43 de mise au service d'une propagande particulière,
13:47 et puis il y a aujourd'hui une certaine tendance qui se développe
13:51 de voir des films je dirais racialistes afro-américains,
13:55 aujourd'hui on voit Wakanda,
14:00 certains afro-américains ou afro-européens sont en train d'expliquer
14:06 que la civilisation africaine a été très forte et très brillante dans le passé,
14:09 ce thème a été repris par la fiction hollywoodienne,
14:15 donc la fiction peut être un instrument, support d'idéologie et de propagande,
14:23 c'est clair.
14:24 – Difficile dans ce monde commercial de se démarquer du progressisme,
14:27 et pourtant il y a une vision alternative,
14:29 vous le développez de votre point de vue,
14:31 – Oui, tout à fait.
14:32 – vision alternative, j'aime bien le terme,
14:34 et incarnée, vous dites principalement par trois grands noms de l'anticipation,
14:38 Herbert George Wells et Aldous Huxley,
14:42 tous trois dénoncent finalement l'homme déshumanisé,
14:45 puis vous y avez ajouté tout à l'heure Jules Verne,
14:46 et vous y ajoutez aussi René Barjavel pour "Les Français du Pas-de-Mars".
14:50 – Oui, oui, tout à fait.
14:51 – Voilà, alors ça c'est quoi ?
14:54 Chacun à leur manière, finalement ces auteurs,
14:56 ils mettent en garde contre quoi ?
14:58 Contre l'arraisonnement du monde par la technoscience ?
15:01 – Alors, il y a plusieurs choses je crois,
15:05 d'abord fondamentalement il y a au cœur de l'œuvre de Wells,
15:10 qui était, vous le savez, c'était un homme qui avait une certaine formation politique,
15:14 il était un socialiste, il était pacifiste,
15:17 il avait une vision particulière des choses,
15:20 il était déiste aussi puisqu'il a écrit un livre sur "Dieu, l'invisible roi",
15:23 ce qui est quand même remarquable,
15:26 et lui, le thème qui est sous-jacent à son œuvre,
15:31 c'est l'inquiétude devant le monde des titans
15:36 que nous ouvre la maîtrise technologique et scientifique,
15:39 et d'autre part un avenir extrêmement sombre de l'humanité
15:42 qui est placé sous le signe de la guerre permanente ou de la révolution.
15:46 Donc, par exemple, son œuvre célèbre "La guerre des mondes",
15:50 qu'est-ce qu'elle met en scène ?
15:51 Elle met en scène le caractère effrayant de la supériorité technologique dans la guerre,
15:57 en l'occurrence c'est les martiens qui ont la supériorité technologique,
15:59 qui d'ailleurs coulent la Royal Navy,
16:03 pour un anglais c'est quand même la catastrophe de la catastrophe,
16:06 bon mais c'est typique,
16:08 et d'ailleurs ceux qui relisent ce livre après la guerre de 14
16:12 et puis la seconde guerre mondiale
16:14 découvrent des anticipations de ce qu'était une guerre moderne,
16:17 qui à l'époque où il écrit, à la fin du 19ème siècle, n'existait pas encore.
16:22 De même son livre "L'île du docteur Moreau" par exemple,
16:25 c'est une dénonciation du génie génétique,
16:29 de la prétention de l'homme à modifier les espèces,
16:32 puisque le docteur Moreau c'est quelqu'un qui veut changer les animaux en hommes,
16:35 évidemment ça se termine mal, toujours ses romans se terminent mal,
16:40 et puis son autre roman célèbre "La machine a remonté le temps",
16:45 le temps qu'il remonte c'est toujours un temps catastrophique,
16:49 il y a toujours des guerres, des révolutions,
16:52 il arrive même dans le futur du dernier homme,
16:55 Nietzschéen d'une certaine façon,
16:57 qui est un des "éloïs" qu'il appelle,
16:59 qui sont des gens qui vivent, qui sont des individus comme aujourd'hui,
17:02 qui sont complètement indifférents aux autres
17:04 et qui ont abandonné toute culture,
17:06 et qui vivent dans un monde idyllique
17:09 pendant que le reste de l'humanité vit sous terre,
17:12 donc voilà un peu son thème, alors ça c'est Wells,
17:16 après il y a George Orwell bien sûr que tout le monde connaît,
17:19 on va me dire George Orwell n'est pas au sens propre un auteur de science-fiction,
17:24 c'est plutôt un auteur du chrony pourrait-on dire,
17:28 ou c'est un essayiste,
17:30 alors il a écrit avant tout deux grandes œuvres,
17:34 "La ferme des animaux" qui est clairement un conte politique anticommuniste,
17:40 Orwell lui aussi n'est pas quelqu'un de neutre politiquement,
17:44 il est un socialiste anarchisant,
17:47 et puis il y a son œuvre "Maîtresse" 1984,
17:51 qui paraît en 1949 ou 1948 selon l'édition,
17:56 alors c'est pareil, George Orwell à l'époque,
18:00 ce qu'il décrit, quand on lit en 1948 Orwell,
18:09 on pense fondamentalement bien sûr à l'Union soviétique,
18:11 c'est avant tout ça,
18:13 mais fait avec le recul du temps,
18:15 on découvre qu'une partie de ce qu'il a prévu dans son Uchronie,
18:20 c'est en fait une partie de notre monde,
18:23 et d'ailleurs on sait bien que le langage courant a repris certains thèmes orwelliens,
18:27 le concept de novlangue aujourd'hui est largement repris, etc.
18:32 Donc lui, il décrit, je dirais, une évolution pessimiste du monde,
18:38 d'ailleurs il avait une phrase terrible en disant
18:40 "si vous voulez avoir une image du futur,
18:42 c'est l'image d'une botte qui écrase un visage éternellement",
18:46 donc on voit bien sa vision très pessimiste,
18:49 et donc il voit un monde soviétoïde,
18:52 mais qui a des caractères particuliers,
18:54 en particulier notamment la télévision qui est allumée tout le temps,
18:58 c'est bien ce qui se passe aujourd'hui,
19:00 la télévision qui nous regarde,
19:01 le fameux télécran de George Orwell,
19:03 c'est jamais qu'internet,
19:05 c'est une machine qui regarde ce que vous faites en permanence,
19:08 donc ces gens ont prévu, il a prévu effectivement une partie de notre futur.
19:13 Et puis il y a un troisième nom que moi je trouve tout à fait intéressant,
19:16 c'est Aldous Huxley,
19:19 qui écrit un ouvrage, d'où le titre que j'ai repris un peu,
19:23 "Le meilleur des mondes" en 1932.
19:25 Alors ce livre est très intéressant parce que 1932,
19:29 ce n'est pas une date au hasard,
19:31 c'est l'époque où les fascismes se développent,
19:33 c'est l'époque où le stalinisme va commencer à s'imposer,
19:37 et lui il explique que non, non,
19:39 on n'a pas besoin de la violence et de la terreur pour dominer les gens,
19:44 on peut très bien les dominer par la gentillesse,
19:48 on peut très bien les dominer par des procédés médicaux,
19:52 pharmaceutiques, etc.
19:54 On n'a pas besoin d'avoir des policiers partout et des barbelés
19:58 pour créer une société totalitaire, c'est ça qu'il dit.
20:01 – D'ingénierie sociale.
20:02 – Voilà, on fait de l'ingénierie sociale.
20:04 Et dans son roman, effectivement, il y a de l'ingénierie très tôt,
20:07 puisque la famille a été détruite, les enfants sont élevés en laboratoire,
20:11 et puis les enfants des classes populaires,
20:13 on leur apprend la haine des livres, n'est-ce pas ?
20:15 Donc on voit bien, tout ça c'est…
20:17 Donc c'est une autre vision de notre avenir,
20:20 et qui est à mon avis très intéressante,
20:22 parce que, encore une fois, Orwell, certes a prévu beaucoup de choses,
20:26 mais il est resté quand même prisonnier d'un modèle soviétoïde,
20:32 la caméra rouge, etc.
20:34 Alors que Aldous Huxley voit beaucoup plus intelligemment que…
20:39 voilà, de toute façon, l'évolution des sociétés occidentales.
20:42 – Il y a des auteurs qui ont prévu la fin de l'homme,
20:45 la fin de la civilisation occidentale.
20:47 Vous dites qu'Orwell c'est peut-être moins un auteur,
20:49 c'est peut-être pas un auteur de science-fiction,
20:51 et dans ce cas-là, je citerais des gens comme Jean Raspail,
20:53 bien évidemment, Guillaume Fay aussi.
20:55 – Oui, oui, tout à fait.
20:56 – Est-ce qu'on peut dire qu'ils sont des auteurs de science-fiction ?
20:59 – Non, on pourrait dire qu'ils sont écrits des uchronies,
21:02 d'une certaine façon, mais c'est quand même en même temps des gens
21:06 qui ont réfléchi à l'avenir de notre civilisation.
21:10 Moi je dirais, Guillaume Fay, c'est pas un auteur de science-fiction,
21:14 c'est quand même un esprit qui a découvert beaucoup de choses,
21:18 enfin qui est bien avant les autres.
21:19 Quand il a écrit "Le système a tué les peuples",
21:24 il a quand même bien vu ce qui allait se passer aujourd'hui.
21:27 Bon, quand il a écrit "L'invasion de l'Europe",
21:30 c'était aussi une certaine préfiguration de notre avenir,
21:33 comme Jean Raspail.
21:35 Donc, mais ils sont pas les seuls, en fait, d'autres ont prévu des choses.
21:40 Après tout, Jean Dutour, quand il prévoit en 2014
21:44 une France vieillie et raccordnie, il a prévu beaucoup de choses
21:48 dans son roman.
21:50 Donc Robert Merle, dans son roman sur les hommes protégés,
21:54 il a bien prévu, d'une façon, la marginalisation de l'homme
21:58 et au contraire un féminisme agressif, etc.
22:01 Bon, donc il y a ces gens, et ce sont des romanciers,
22:05 ce ne sont pas des auteurs de science-fiction en tant que tels.
22:08 Donc, il me semble qu'un certain nombre de gens
22:10 qui ont réfléchi à l'évolution de notre société
22:15 ont compris certaines choses et donc ont été capables
22:18 de la mettre sous forme de roman.
22:20 - Toutes ces dystopies, toutes ces science-fiction
22:22 ont dressé le portrait robot de nos sociétés, finalement.
22:26 Et c'est ma dernière question, alors elle se veut bien évidemment
22:30 un petit peu narquoise, un complotiste.
22:34 On pourrait même se demander,
22:36 tant notre réalité correspond à cette fiction,
22:38 si ces anticipations n'ont pas aussi constitué
22:41 des programmes d'endoctrinement, au moins pour certains.
22:45 - Oui, si l'on veut.
22:47 Non, effectivement, c'est ce que j'ai écrit
22:52 d'une manière un peu ironique.
22:54 Mais d'abord, il n'y a aucun auteur de science-fiction,
22:58 à mon sens, qui a prévu l'intégralité de notre réalité.
23:02 Notre réalité actuelle, elle est, je dirais,
23:05 un peu le mélange du meilleur des mondes d'Oxley
23:08 et de 1984 d'Orwell, si l'on veut.
23:11 C'est-à-dire qu'il y a à la fois des tendances tyranniques
23:14 et puis des tendances doucereuses, etc.
23:17 La propagande, bon.
23:19 Donc ces gens-là n'ont pas tout prévu.
23:22 En particulier, par exemple, il y a assez peu d'auteurs
23:25 qui ont prévu le chaos migratoire en Europe.
23:29 Assez peu d'auteurs ont prévu la problématique des migrations.
23:33 Beaucoup d'auteurs ont prévu l'évolution de la population mondiale.
23:37 John Bruner, dans son livre "Tous à 100 zibars",
23:40 prévoit effectivement les conséquences d'une surpopulation.
23:44 Explique d'ailleurs que la surpopulation risque de détruire les libertés
23:46 parce que ça détruit l'espace personnel.
23:49 Bon, donc ces gens ont prévu un certain nombre de choses.
23:54 Certains ont d'ailleurs ce fond écho de réflexions sociologiques
24:01 qui se développent à la même époque.
24:04 Les réflexions sur la foule solitaire de Riesman,
24:07 l'idée que l'individualisme c'est bien mais il y a quand même des limites, etc.
24:14 Donc ces gens se sont aussi fait écho du mouvement des idées à l'époque.
24:20 Enfin, il y a un dernier point qu'il ne faut pas oublier,
24:22 c'est le témoignage des dissidents soviétiques.
24:25 Les dissidents soviétiques qui arrivent en Occident dans les années 70
24:29 sont accueillis à bras ouverts parce qu'ils permettent de critiquer
24:32 et de mettre en accusation l'Union soviétique.
24:34 Et puis en plus ils servent à planter les jalons de l'idéologie des droits de l'homme.
24:39 Donc ils sont accueillis.
24:40 Et puis un jour les dissidents disent "mais attendez, c'est effrayant,
24:44 vous êtes sur la même pente que l'Union soviétique et c'est même pire
24:47 parce que vous, vous aimez votre soumission
24:50 alors qu'en Union soviétique on n'aime pas notre soumission".
24:54 À partir de là, les dissidents sont mis sous le boisseau,
24:57 dont notamment Solzhenitsyn évidemment.
25:01 Donc c'est révélateur, c'est-à-dire qu'un regard extérieur sur une réalité
25:05 permet de la décrypter.
25:07 Et je pense que certains de ces auteurs de science-fiction
25:11 ont eu un regard un peu extérieur sur notre société
25:13 et ça leur a permis de découvrir des choses
25:17 mais qui n'ont pas été formalisées bien sûr en projet politique.
25:19 Pour répondre à votre question, ce n'est pas un programme.
25:22 On pouvait toujours lire Orwell en disant "c'est un programme"
25:25 mais c'est pas tout à fait ça.
25:29 D'autant que si je prends le cas d'Orwell,
25:31 d'ailleurs son roman est fondamentalement très pessimiste,
25:35 il montre bien que le pire des systèmes,
25:38 il repose quand même sur la soumission des gens.
25:41 Les gens se soumettent volontairement quand même à un système dictatorial.
25:44 C'est la différence avec Oxley.
25:46 Oxley, les gens ne se soumettent pas parce qu'ils ne connaissent pas
25:51 d'autres alternatives au système.
25:52 Donc ils sont éduqués dans ce système.
25:54 Mais Orwell montre bien que tous les pires des dictatures
25:58 reposent toujours quand même sur un minimum d'acceptation de la part de la population.
26:02 – On lira la suite malheureusement, 25 minutes c'est des fois bien court.
26:06 J'aurais voulu poursuivre avec vous cette discussion
26:09 qui fait découvrir la science-fiction
26:10 mais qui nous ramène bien évidemment à des réalités
26:13 et à ce soft totalitarisme qui s'abat sur nous.
26:16 Michel Jofroy, bienvenue dans "Le meilleur des mondes"
26:18 et bienvenue dans votre bibliothèque.
26:20 Cet ouvrage est en vente sur le site de TVL, à la boutique TVL
26:24 ou directement sur boutiqueTVL, en un seul mot, .fr.
26:28 Merci et à très bientôt sur TVL.
26:30 – Merci, merci à vous.
26:31 [Générique]

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