Avec l'augmentation du budget dédié à la la nouvelle Loi de programmation militaire, l'objectif affiché est de rénover les équipements, moderniser la dissuasion nucléaire, d'améliorer le traitement des troupes, de renouveler du matériel mais aussi d'investir dans le cyber.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 Et un grand entretien en forme de table ronde ce matin sur l'armée alors que le projet
00:09 de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030 est examiné à l'Assemblée
00:15 Nationale.
00:16 Léa, trois invités pour en parler ce matin.
00:18 Le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense Nationale, bonjour
00:23 à vous, merci d'être là.
00:24 Jean-Dominique Merchet, journaliste quotidien, l'opinion spécialiste des questions militaires,
00:29 bonjour à vous, et Thomas Gomart, directeur de l'IFRI, l'Institut Français des Relations
00:34 Internationales, auteur des « Ambitions inavouées, ce que préparent les grandes puissances aux
00:38 éditions talentieres », bonjour à vous.
00:40 Et on vous reçoit ce matin pour essayer de comprendre quelle est la situation de notre
00:45 armée en plein contexte de guerre en Europe et de tensions internationales.
00:49 Pendant deux semaines les députés examinent cette loi de programmation militaire qui fixe
00:56 le budget de la défense et de nos armées pour la période 2024-2030.
01:00 C'est un budget en forte hausse, 413 milliards d'euros, 40% de plus que pour la précédente
01:08 loi de programmation militaire.
01:10 Comment qualifiez-vous cette loi de programmation militaire, Jérôme Pellistrandi ? L'effort
01:17 budgétaire vous semble-t-il significatif ?
01:19 Il est significatif, il va être utile et il s'inscrit dans un double contexte.
01:25 Bien sûr, une situation géopolitique mondiale extrêmement fragile, donc le besoin pour
01:30 la France de poursuivre, de reprendre un effort de défense.
01:32 Mais aussi, il ne faut pas l'oublier, dans un contexte de politique intérieure où on
01:36 demande un effort conséquent aux Français pour financer leur défense.
01:41 Donc une véritable exigence que ces 413 milliards d'euros soient très bien dépensés.
01:45 Jean-Domique Merchet, de l'argent pas d'ODA, ça avait vous titré dans l'opinion hier
01:51 avant-hier à propos de cette loi de programmation militaire.
01:53 Emmanuel Macron avait promis en janvier une transformation des armées, mais vous estimez
01:57 qu'elle n'est pas vraiment au rendez-vous.
01:58 Vous écrivez « le Président a préféré conserver l'armée de nos habitudes, comme
02:02 le regrettait déjà le futur général de Gaulle en 1932 ». C'est-à-dire, c'est
02:06 quoi cette armée de nos habitudes et pourquoi, à vos yeux, n'y a-t-il pas eu assez de
02:11 transformations ?
02:12 Alors, il n'y a pas beaucoup de transformations.
02:14 En fait, cette loi de programmation militaire, elle va permettre de conserver l'armée
02:19 qu'on a et pour conserver l'armée qu'on a, ça coûte de plus en plus cher.
02:24 L'armée qu'on a, c'est une armée, les militaires parlent, ils disent, c'est un
02:30 modèle d'armée complet.
02:31 C'est-à-dire, on est un peu comme l'armée des États-Unis, mais sans les moyens des
02:37 États-Unis.
02:38 Et donc, l'armée française, c'est un peu une armée américaine qui sait tout faire
02:43 dans tous les domaines, mais comme un bonsaï.
02:48 C'est ça, vous avez cette expression qui nous a...
02:50 C'est l'armée américaine en version bonsaï.
02:53 C'est un peu méchant.
02:55 Alors, c'est pas forcément un choix totalement idiot, dans la mesure où ça permet de faire
03:01 plein de choses, mais ça permet d'avoir des satellites, ça permet d'avoir des sous-marins,
03:05 ça permet d'avoir une arme nucléaire, ça permet d'avoir des forces spéciales, ça
03:08 permet d'avoir des chars, ça permet plein de choses, mais ça ne permet pas de le faire
03:12 beaucoup et ça ne permet pas de le faire longtemps.
03:14 Et donc, on garde ce modèle, on aurait pu décider de changer de modèle avec ce qui
03:19 se passe en Ukraine, mais on a décidé, le président de la République, et en gros il
03:23 y a quand même un consensus politique en France autour de ça, de garder ce modèle
03:27 d'armée complet, mais en version petite.
03:30 NICOLAS : Budget, pas de transformation et un bonsaï.
03:34 Thomas Gomart, comment réagissez-vous ?
03:36 THOMAS GOMART.
03:37 Je réagis bien.
03:38 NICOLAS.
03:39 Mais ça vous semble fidèle à la réalité de ce que sont nos armées aujourd'hui ?
03:42 THOMAS GOMART.
03:43 Les deux choses importantes, c'est de souligner l'effort considérable qui est produit,
03:46 100 milliards en plus, c'est tout à fait considérable compte tenu de la situation
03:50 macroéconomique qui est la nôtre, puisque je rappelle qu'on a quand même 3000 milliards
03:54 de dettes, ce qui pourrait faire croire que nous sommes en guerre, mais ce qui n'est
03:57 pas le cas.
03:58 NICOLAS.
03:59 Et ce qui fait dire à l'opposition, pourquoi on met autant d'argent alors qu'on est
04:04 autant endetté, alors que les Français font tellement d'efforts, sur nos armées ? Expliquez-leur
04:08 ceux qui se demandent pourquoi est-ce qu'on augmente de manière aussi drastique notre
04:11 budget de la défense, à quoi ça sert ?
04:13 THOMAS GOMART.
04:14 Alors, il y a effectivement une question très politique.
04:15 Moi je considère que dans ce qu'il restera du double mandat du président Macron, on
04:20 verra la suite, mais c'est précisément sa décision de relancer la dépense militaire
04:24 de manière très significative qu'il a prise déjà en 2017.
04:27 Et en ce sens, il est en avance par rapport à tous les autres dirigeants européens et
04:32 d'une certaine manière, il envoie un message politique aux autres forces politiques qui
04:36 ont dilapidé les dividendes de la paix depuis plusieurs générations.
04:39 En fait, en tendance, ce qui se passe c'est que les Européens désarment depuis le début
04:43 des années 70.
04:44 On était à peu près à 3,5% de dépenses militaires au début des années 70.
04:50 On est aujourd'hui en dessous de 2% à 1,5% pour un pays comme l'Allemagne.
04:54 Donc ce sont des ordres de grandeur à avoir en tête.
04:56 Et tous les autres compétiteurs stratégiques ont réarmé depuis le 11 septembre 2001,
05:01 depuis une génération.
05:02 Et en fait, on est en train de se rendre compte d'une chose qui explique le caractère
05:05 peut-être bonsaï décrit par Jean-Dominique Merchet, c'est qu'on ne rattrape jamais,
05:10 dans un laps de temps très resserré, des décennies de désarmement.
05:13 Et on est obligé de le faire, on est obligé de produire un effort parce que, et ça c'est
05:16 l'argument central par rapport à la discussion qu'il doit y avoir au Parlement, parce qu'effectivement,
05:22 comme l'a rappelé le Général, on est dans une accélération de la dégradation stratégique
05:27 et de l'environnement géopolitique, à mon avis, qui est constatée, qui devrait être
05:30 constatée par l'ensemble des forces politiques.
05:32 Mais je pense que c'est là-dessus que le débat devrait porter.
05:34 - Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, parle d'un outil de défense abîmé dans
05:39 le passé par des politiques court-termistes.
05:42 On va donner quelques chiffres.
05:43 Rappelons que la France disposait de 1349 chars de bataille en 1991, 222 en 2021.
05:53 Avions de combat, 686 en 1991, 254 en 2021.
06:02 Pour les soldats, 453 000 soldats professionnels à la chute de l'URSS, 203 000 en 2021.
06:13 On paye aujourd'hui, Général Jérôme Pellistrandi, 30 ans d'abandon de notre armée ?
06:19 - Comme le disait très bien Thomas Gomart, on a payé très cher les dividendes de la
06:24 paix.
06:25 Et le problème, il est là.
06:26 Alors plus que la quantité, parce qu'aujourd'hui, aurait-on besoin de 1200 chars ? Non.
06:31 Ce n'est pas 2200 chars dont on a besoin.
06:34 Mais il est vrai par exemple qu'il est anormal que l'on trouve encore, par exemple, on a
06:38 des bâtiments de la Marine Nationale et les patrouilleurs d'haute mer qui ont une quarantaine
06:43 d'années.
06:44 La problématique, elle est là.
06:45 - C'est l'obsolescence de l'équipement.
06:48 - Voilà.
06:49 L'obsolescence des équipements fait d'ailleurs qu'ils coûtent beaucoup plus cher à l'entretien.
06:52 Donc c'est un peu paradoxal.
06:53 Mais il est vrai qu'il y a eu en quelque sorte le fait qu'on a eu les dividendes de la paix.
07:00 Il y avait aussi le fait, le géopolitologue américain Francis Fukuyama qui parlait de
07:06 la fin de l'histoire.
07:07 Sauf qu'aujourd'hui, on constate que l'histoire, elle est dramatique, elle est tragique et
07:12 que si on ne se prépare pas à affronter cette histoire, on risque de la perdre.
07:16 - La fin de l'histoire, c'est ça qui a fait beaucoup de mal aux armées occidentales.
07:20 C'est qu'on a pensé que la guerre, c'était un souvenir lointain, qu'on n'aurait plus
07:23 besoin d'armée.
07:24 Et on a désarmé ou c'est un mouvement qui vient d'avant, comme expliquait le journal
07:28 Ark.
07:29 - En fait, ça fait une génération que nos armées font la guerre partout dans le monde.
07:34 En Afghanistan, en Irak, au Mali, dans les Balkans avant.
07:39 Non, ce qui s'est passé, c'est qu'en France notamment, et c'est pour ça que je ne suis
07:44 pas d'accord avec l'idée qu'on a abandonné l'armée.
07:47 On a privilégié la qualité sur la quantité.
07:50 On a plutôt une bonne armée en France.
07:53 Quand elle est envoyée dans une opération, ça marche.
07:56 Quand on compare l'armée française par exemple avec l'armée allemande, l'armée allemande
08:01 est dans un état déplorable.
08:03 Ce qui n'est pas du tout le cas de l'armée française.
08:05 Mais on a privilégié, encore une fois, la qualité sur la quantité.
08:09 Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'on voit avec la guerre d'Ukraine ? C'est que ce que les
08:12 militaires appellent la masse, c'est-à-dire le nombre, la quantité, c'est quelque chose
08:16 qui compte dans la guerre.
08:18 On voit bien les débats sur combien de munitions, combien de canons, combien de chars, quels
08:23 effectifs.
08:24 - Et surtout le débat sur le fait qu'on n'a pas les moyens de leur envoyer.
08:26 - Effectivement, on a abandonné d'une certaine manière cette idée d'avoir de la masse.
08:33 Et on aurait pu, à l'occasion de cette loi de programmation militaire, se reposer la
08:38 question est-ce qu'on va acquérir de la masse supplémentaire ? Est-ce qu'on va faire du
08:42 muscle en quelque sorte ?
08:43 - Est-ce qu'il aurait fallu à vos yeux ?
08:44 - C'est un débat à voir.
08:47 Moi je pense qu'effectivement notre modèle d'armée bonsaï, comme j'a qualifié, est
08:51 un peu au bout de son histoire.
08:53 C'est ma conviction personnelle.
08:54 Mais c'est un vrai sujet de débat entre les spécialistes.
08:59 - Sur la quantité, sur la masse, comme le dit Jean-Dominique Merchet, votre position
09:03 Thomas Gomahor ?
09:04 - Il y a deux choses.
09:05 Je pense qu'on parle de deux choses différentes.
09:06 En fait moi quand je parlais de désarmement, c'était l'effort consenti par rapport aux
09:11 pipes si vous voulez.
09:12 Et cette érosion continue par les gouvernements successifs, encore une fois, avec une inversion
09:17 qui se fait en 2017.
09:19 Ensuite il y a eu effectivement une armée très employée avec le cycle d'intervention
09:25 extérieure que Jean-Dominique Merchet évoquait.
09:27 Donc une armée d'emploi.
09:29 Mais ce n'est pas contradictoire avec mon idée d'un désarmement.
09:32 On peut utiliser l'outil beaucoup et peu investir sur cet outil.
09:36 Et c'est au fond ce qui s'est passé pendant plusieurs générations.
09:39 Moi je crois que le deuxième point, le plus important, c'est au fond, est-ce qu'on se
09:43 place dans la possibilité de ce qu'on appelle un engagement majeur ?
09:46 Ou est-ce qu'on considère que le cycle des interventions extérieures fini, on fait un
09:51 pari sur un état de paix qui va durer ?
09:53 Moi ce que je reprocherais peut-être à cette loi de programmation militaire en termes géopolitiques,
09:57 c'est un pari très optimiste sur notre environnement.
10:01 C'est-à-dire c'est un pari qui se dit en 2030, les choses seront plus ou moins stabilisées.
10:06 C'est un modèle qui peut tenir en temps de paix, comme on l'a connu jadis.
10:09 Ce n'est pas un modèle qui se dit, la guerre d'Ukraine peut être amplifiée, peut continuer,
10:15 peut se dégrader encore plus d'ici 2030, qui se dit en Méditerranée orientale il peut
10:19 se passer des choses beaucoup plus sérieuses d'ici 2030.
10:22 Au fond c'est un pari sur le maintien de l'état de paix qu'on souhaite tous, mais c'est un pari audacieux.
10:26 Vous êtes d'accord Général ?
10:27 Oui parce qu'on voit bien qu'il y a une accélération de la décomposition du monde.
10:32 On le voit et donc avec la difficulté pour la France, c'est qu'elle ne doit pas uniquement
10:36 raisonner sur son environnement immédiat qui est l'environnement européen.
10:40 Et ça c'est l'une des difficultés, il faut raisonner global et notamment avec toutes
10:45 les nouvelles menaces qui sont difficiles à percevoir.
10:48 C'est-à-dire que par exemple autour du cyber, les câbles sous-marins.
10:51 Or la problématique c'est que, alors il faut des programmes d'armement qui ne sont pas forcément
10:57 très visibles, très explicables, mais qui sont nécessaires.
11:01 Mais il est vrai qu'on rentre à mon avis dans un cycle depuis le 24 février 2022 qui
11:07 est beaucoup plus grave que celui par exemple du 11 septembre 2001.
11:10 Et donc il faut s'y préparer.
11:12 C'est-à-dire que ça a été un vrai réveil en fait cette guerre d'Ukraine pour les dirigeants.
11:16 On le voit, tous les pays européens se réarment.
11:19 Tous augmentent leur budget de défense et notamment l'Allemagne qui longtemps, vous
11:23 en parliez, qui longtemps était réfractaire à augmenter son budget de défense, estimant
11:26 que ce n'était pas le sujet, que le sujet c'était le business.
11:28 Et bien là ils ont mis un effort colossal dans leur défense.
11:33 Oui, on attend sa traduction.
11:35 C'est-à-dire qu'il y a aussi la difficulté pour l'Allemagne de dire on met 100 milliards
11:39 sur la table et de traduire ensuite ça en termes militaires.
11:41 Ça ne se fait pas sur un claquement de doigts.
11:43 Les Allemands sont en train de s'en rendre compte.
11:44 Il y a à la fois une prise de conscience et encore une fois je pense que cette loi de
11:47 programmation militaire ne va pas au bout de la logique.
11:50 C'est-à-dire que c'est une loi de programmation militaire qui réinvestit et c'est bienvenu.
11:54 Mais c'est une loi de programmation militaire qui a une perspective relativement optimiste
12:00 par rapport au contexte stratégique.
12:02 Il y a eu un défaut de réflexion à priori Jean-Dominique Merchet ?
12:05 Non, il y a eu une absence de volonté de se remettre en cause.
12:09 Parce que l'armée elle n'existe pas pour elle-même.
12:14 L'armée elle est au service de l'idée que les dirigeants français et les français
12:18 se font du rôle de la France dans le monde.
12:20 Est-ce que nous sommes encore une puissance globale ?
12:22 Est-ce qu'on doit intervenir dans le Pacifique, dans l'océan Indien, dans l'Arctique, partout ?
12:27 Ou est-ce qu'on doit se limiter à intervenir dans notre périphérie, l'Europe, l'Ukraine, la Méditerranée ?
12:34 C'est ça la question.
12:36 Et donc, remettre en cause le modèle qu'on avait, c'est remettre en cause l'idée qu'on se fait du rôle de la France dans le monde.
12:43 Membre permanent du conseil de sécurité, toutes ces affaires.
12:46 Donc évidemment ça pose des vrais problèmes politiques qui ne peuvent se résoudre que par une alternance politique.
12:53 Un président qui arriverait en disant "écoutez les gars, on n'a plus les moyens d'être cette puissance globale,
12:58 il faut qu'on accepte d'être autre chose".
13:01 C'est un renoncement quand même.
13:03 Quel président dira ça ?
13:05 Pour l'instant aucun.
13:07 Mais peut-être qu'un jour la réalité nous rattrapera parce que notre économie est ce qu'elle est,
13:13 notre démographie est ce qu'elle est, notre place dans le monde est ce qu'elle est.
13:17 Et on risque d'avoir effectivement des changements d'étage assez brutaux.
13:24 La parole à un citoyen, auditeur d'Inter. Jean-Claude, bonjour.
13:29 Oui bonjour, moi j'avais une question à poser dont le contenu devrait peut-être évoluer maintenant.
13:34 Mais enfin, c'était globalement, est-ce qu'on a toujours les moyens d'une armée de projection ?
13:39 Portes-avions, etc.
13:40 Est-ce qu'on a fait le bilan des projections plus ou moins hasardeuses, Libye, Irak, Mali plus récemment ?
13:48 Les gens qui sont morts là-bas sont morts pourquoi ?
13:51 Et puis est-ce que l'exemple ukrainien ne devrait pas nous inciter à peut-être recommencer à faire ce qu'on savait faire ?
13:57 Par exemple une armée de conscription avec une formation des citoyens à défendre leur territoire,
14:02 ça a été très utile pour l'Ukraine, les trois échelons ou quatre échelons de défense nationale,
14:07 en n'oubliant pas ce qui est local, voilà, etc. Donc ces questions-là,
14:11 en sachant qu'on n'a plus forcément les moyens de tout développer.
14:16 Alors dernière chose aussi, quand on doit consacrer des milliards,
14:19 il y a l'exemple de Mayotte actuellement,
14:22 est-ce qu'il ne s'agissait pas, si on veut garder les poussières d'empire, d'éviter de laisser pourrir en maltraitant ces gens,
14:28 et puis en les faisant la proie d'autres puissances qui profiteront des troubles qui seront présents socialement ?
14:35 Merci Jean-Claude pour cet ensemble de questions.
14:38 Est-ce qu'on a toujours les moyens d'une armée de projection ?
14:41 Est-ce qu'on a fait le bilan d'un certain nombre d'opérations ?
14:45 C'est ce que nous disait aussi, pardon de le rajouter,
14:47 je ne sais pas si vous avez écouté Fabien Roussel il y a deux jours sur la matinale d'Inter,
14:50 qui est membre de la commission de la défense, qui disait "c'est fini,
14:53 on n'a plus les moyens d'aller faire des opérations extérieures,
14:56 on n'a pas les moyens de se payer 10 milliards pour un deuxième porte-avions".
15:00 Qu'est-ce que vous répondez quand vous entendez cela ?
15:02 Là, je ne suis pas d'accord effectivement avec Fabien Roussel, même s'il pose de bonnes questions.
15:09 Il faut bien voir aussi que si on dit "effectivement on se replie sur notre précaré",
15:15 il faudra en accepter les conséquences, et en particulier le fait,
15:20 et moi c'est une inquiétude majeure, c'est qu'il y a d'autres compétiteurs internationaux
15:25 qui sont là et qui sont prêts à prendre notre place avec toutes les conséquences.
15:31 La Russie, c'est la Chine, l'Afrique par exemple, qui sont partout, c'est ça.
15:35 Voir la Turquie, l'une des problématiques auxquelles nous sommes confrontés,
15:39 et là la question de l'Europe se pose, c'est qu'effectivement la Pologne par exemple,
15:43 ou l'Allemagne, c'est simple, leur menace est essentiellement terrestre,
15:47 c'est la problématique de la Russie depuis l'invasion de l'Ukraine.
15:51 Nous, effectivement, notre problématique c'est que doit-on avoir cette vision large
15:54 et y consacrer les moyens, ou considérer qu'après tout,
15:57 bon, il faut passer une autre étape, c'est ce que disait Jean-Dominique Merchet.
16:01 - Et votre avis général ?
16:02 - Moi je pense que dans la loi de programmation militaire,
16:06 il y a justement un certain nombre d'aspects qui confortent la projection.
16:10 Par exemple le fait que le nombre d'avions de transport stratégique A400M,
16:15 qui devait être de 30, va être porté à 35,
16:18 mais par exemple on va construire des installations permettant d'accueillir l'A400M
16:22 en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie.
16:25 Ça peut paraître pas spectaculaire, mais c'est essentiel pour cette capacité de projection.
16:29 Maintenant, la vraie question, comme l'a dit Jean-Dominique Merchet,
16:32 c'est quel rôle veut-on jouer dans le monde ?
16:35 Et c'est bien une question qui est d'ordre politique.
16:37 - À quoi sert un porte-avions ?
16:40 Excusez-moi pour la simplicité de cette question, un nouveau porte-avions, Thomas Gomart ?
16:44 - Ça sert à plusieurs choses.
16:45 Ça sert, quand la France est intervenue en Afghanistan par exemple,
16:48 il y a eu des frappes qui ont été faites depuis le porte-avions.
16:50 Ensuite, c'est aussi un outil de diplomatie extrêmement fort
16:54 parce que ça renvoie à une problématique assez fondamentale qui est celle des clubs.
16:59 C'est-à-dire que le choix qui est fait par les armées françaises,
17:01 c'est d'appartenir à des clubs très sélectifs.
17:03 Et donc, ce faisant, il faut avoir du nucléaire, il faut avoir un porte-avions,
17:07 il faut avoir des sous-marins nucléaires d'attaque.
17:10 Au fond, c'est un choix de dire, on prend de l'hyper qualité
17:13 pour être dans un petit groupe de pays.
17:16 Et c'est par cette appartenance à un petit groupe de pays
17:18 qu'on a un effet démultiplié en termes diplomatiques.
17:22 Et c'est aussi comme ça qu'il faut concevoir le porte-avions.
17:24 - C'est une bonne stratégie ça ?
17:26 - C'est celle effectivement qui est celle de la France depuis 1962 dirais-je.
17:31 C'est-à-dire à la fois le choix du nucléaire
17:33 pour rester maître de son destin en dernier recours
17:38 et en même temps de choisir des capacités très sélectives
17:43 pour pouvoir être dans un dialogue avec principalement les Américains, les Britanniques.
17:47 En fait, c'est ça qui est en jeu.
17:50 Alors ensuite sur la question liée à l'intervention de Fabien Roussel,
17:54 moi je pense qu'il y a un exemple assez récent à avoir en tête,
17:56 c'est celui de l'intervention au Soudan.
17:58 C'est-à-dire qu'on se dit, oui c'est la fin d'un cycle d'intervention,
18:00 mais c'est très difficile pour le politique ultérieurement
18:03 de justifier une non-intervention de sortie de ressortissant
18:06 dans un théâtre de crise par exemple.
18:08 Et ça, ce sont évidemment des cas de figure qui vont se reproduire
18:10 à l'évidence dans les années qui viennent.
18:13 Donc je pense qu'il faut là aussi prendre garde
18:15 à considérer que tout se focaliserait sur le théâtre européen,
18:20 même si j'appartiens à ceux qui considèrent
18:22 que ce qui se passe en Ukraine est gravissime et reste sous-estimé.
18:26 - Sous-estimé ?
18:26 - Oui, dans sa portée et dans ses conséquences sur l'outil militaire.
18:30 - Jean-Dominique Merchel.
18:31 - Votre auditeur avait raison.
18:33 Est-ce qu'on a tiré les leçons de nos échecs
18:37 des interventions extérieures ?
18:39 A l'évidence, non.
18:42 Le Mali est un échec.
18:44 À la place de l'armée française, maintenant, il y a Wagner.
18:47 Et puis, voilà, on n'a pas réussi.
18:50 En Afghanistan, les talibans sont revenus au pouvoir.
18:53 L'Irak est toujours en situation de chaos.
18:56 Bachar el-Assad est de nouveau confirmé au pouvoir.
19:00 La Libye, c'est l'anarchie.
19:02 Donc ça n'a pas marché, cette grande période d'histoire
19:06 dont on sort, dont on pense sortir.
19:09 Et effectivement, le Soudan est un soubresaut de ça.
19:13 On voit que ça n'a pas marché.
19:15 Et donc, quel bilan on a tiré ?
19:17 On a tourné la page sans regarder, en se disant
19:20 "Bon, ben on va passer à autre chose".
19:21 Non, je pense qu'il est du devoir...
19:23 - Mais qu'est-ce qu'il aurait fallu dire ?
19:25 On n'est pas capable, donc on ne fait pas ?
19:27 C'est ça que vous dites ?
19:28 - Quand on est capable de faire des choses, il faut les faire.
19:30 Mais je pense qu'on a été victime d'un sentiment d'hubris,
19:34 c'est-à-dire de toute puissance, qu'on était capable
19:36 de ramener la paix en Afghanistan, en Irak, au Mali, en Libye.
19:42 Et ce n'est pas vrai.
19:43 Et donc, on a échoué.
19:44 Et cet échec...
19:46 - Et donc, on ne fait pas ?
19:47 - On fait quand on peut faire utilement.
19:49 - Mais les Américains pensaient pouvoir faire.
19:51 - Eh bien, ils se sont trompés, et nous aussi.
19:53 Voilà.
19:54 Alors, aujourd'hui, qu'est-ce qu'on peut faire ?
19:56 On peut aider les Ukrainiens.
19:57 Et on le fait.
19:58 Et c'est bien de le faire.
20:00 Mais croire qu'on va pouvoir régler les problèmes mondiaux,
20:04 c'est fini.
20:05 Et ça, je crois que, d'une certaine manière,
20:07 il faut l'accepter.
20:08 On peut intervenir, on peut faire des petites choses.
20:10 Mais penser qu'on pourra apporter avec notre outil militaire
20:13 des solutions politiques sur des théâtres africains,
20:19 asiatiques, d'Amérique latine, du Moyen-Orient,
20:23 ça, je crois que c'est derrière nous.
20:24 - Un mot, Thomas Gomart, et on repart au standard.
20:26 - Oui, le mot, je pense que c'est cette idée, en fait,
20:28 effectivement, de la fin du cycle des instants de l'avancée extérieure,
20:31 parce qu'elles n'ont pas produit des effets stratégiques,
20:32 elles ont été plus déstabilisantes que stabilisantes.
20:35 Mais la phase qui s'ouvre, à mon avis,
20:37 c'est aussi des puissances occidentales,
20:39 et en particulier européennes,
20:40 qui vont être de plus en plus mises sur une position défensive.
20:44 Et donc, c'est ce passage d'une projection de force vers l'extérieur
20:48 à, au fond, une logique de force qui va nous toucher directement,
20:50 ou sur notre territoire national, ou sur nos abords,
20:53 qu'à mon avis, il faut intégrer,
20:54 qui n'est pas suffisamment intégré par cela de notre programmation militaire.
20:56 - Allez, on y va. Alexis, bonjour, bienvenue sur Inter.
21:00 - Bonjour, merci.
21:02 J'ai une question vis-à-vis de la défense européenne, précisément,
21:06 et du projet d'une armée européenne,
21:07 dont il a été question ces dernières années.
21:09 Comment est-ce que la loi de programmation militaire
21:11 vient s'insérer dans le cadre de ce projet,
21:14 et au regard des considérations sur le rôle de la France dans le monde,
21:18 et la capacité de projection de la France ?
21:19 - Merci Alexis, merci à vous pour cette question.
21:24 Jean-Dominique Merchet, Jérôme Pellistrandi.
21:26 - Alors, concernant l'Europe, bon, c'est un vieux débat,
21:29 mais c'est vrai que si vous allez en Pologne,
21:31 en République tchèque ou en Allemagne,
21:33 la défense de l'Europe, c'est l'OTAN.
21:34 Bon, donc nous, il faut qu'on trouve quelque chose.
21:38 On a réintégré la structure militaire de l'OTAN.
21:42 Ce que l'on constate, c'est peut-être que l'on ne pèse pas assez.
21:44 C'est-à-dire que penser qu'on pourrait transférer, en fait,
21:46 la sécurité de l'Europe de l'OTAN à l'Union européenne, c'est une chimère.
21:49 Bon, il faut trouver... - Pourquoi ?
21:51 - Parce que pour nos partenaires européens,
21:53 qu'ils soient membres, qu'ils sont à la fois membres de l'Union européenne et de l'OTAN,
21:56 de toute façon, pour eux, c'est très clair.
21:58 La sécurité et la défense, c'est l'affaire de l'OTAN.
22:01 Donc, penser que l'on peut inverser et, au regard de la menace russe,
22:07 c'est totalement illutoire.
22:08 Maintenant, ce qu'il faut, c'est, d'une part,
22:11 mieux peser dans les instances de commandement de l'OTAN.
22:14 Là, il y a une marge de progression.
22:18 Mais c'est la même chose, d'ailleurs, je le souligne,
22:19 avec la Commission européenne à Bruxelles.
22:21 Nous nous sommes désinvestis et donc il faut réinvestir...
22:24 - Ça veut dire quoi, ça ?
22:25 - Bah, être plus présents...
22:27 - La France est désinvestie de la Commission européenne ?
22:29 - Bien entendu.
22:30 Bien entendu.
22:32 Jusqu'à la Commission de l'or,
22:33 quelle était la langue de travail à Bruxelles ?
22:35 C'était le français.
22:36 Aujourd'hui, le français est devenu marginal à Bruxelles.
22:39 Donc, concernant l'OTAN, on doit être plus présents pour pouvoir peser,
22:43 c'est-à-dire, en quelque sorte, être acteurs,
22:48 d'autant plus que notre contribution militaire est extrêmement importante.
22:51 Bon, maintenant, l'autre volet, c'est aussi la coopération,
22:56 par exemple sur les programmes d'armement.
22:57 C'est pas simple.
22:59 Jusqu'où veut-on aller avec la coopération industrielle avec l'Allemagne ?
23:03 Donc, beaucoup de sujets sur la table et des réponses qui sont complexes.
23:06 - Ma dernière question, très rapide, puisqu'on a déjà dépassé le temps,
23:09 c'est juste parce que vous dites de plus en plus
23:11 qu'on va être moins allés vers l'extérieur et plus se défendre nous-mêmes.
23:15 Si demain, en 2030, il y a une attaque de haute intensité sur la France,
23:20 on est capable de se protéger ?
23:21 - Oui, moi, je pense que oui, pour une raison,
23:23 parce que d'abord, nous sommes une puissance nucléaire,
23:25 et deux, on l'a dit, dès lors qu'on a affaire à des affaires sérieuses,
23:30 la défense, ça passe par l'Alliance Atlantique, l'OTAN
23:33 et l'alliance avec les États-Unis.
23:35 Et ça, on peut rêver d'autres choses, mais ce n'est pas réaliste.
23:39 - Thomas Gomart ?
23:39 - Je serais peut-être un peu moins catégorique.
23:41 Et puis, je pense qu'il y a un sujet sur nos DROM-COM.
23:43 C'est-à-dire qu'il y a les départements et les territoires d'outre-mer
23:49 qui sont peut-être moins protégés que la métropole.
23:52 - Jérôme Pellistrandi, le mot de la fin.
23:54 - Une exigence majeure et on a déjà un premier challenge en termes de défense
23:57 qui va être la question de la sécurité des Jeux Olympiques l'année prochaine.
24:01 - Absolument, et on en reparlera.
24:03 - Merci en tout cas à tous les trois.
24:05 Jérôme Pellistrandi, Jean-Dominique Mecher, Thomas Gomart.
24:08 Merci d'avoir été à notre micro ce matin.