L'ENQUÊTE - L'affaire Sharron Prior : 48 ans pour retrouver le meurtrier

  • l’année dernière
Plus de quarante-huit ans après le meurtre une adolescente canadienne de 16 ans, la police vient sans doute de résoudre le plus célèbre des cold cases du Québec. L'affaire Sharron Prior. Au fil des années, le visage blond et angélique de la lycéenne était devenu à lui tout seul le symbole d'une enquête sans issue. Mais pas question de refermer le dossier, ne serait-ce que par respect pour la famille de la victime. Un entêtement payant, aidé par les progrès de la science. Le nom et le visage du meurtrier présumé sont apparus.
Retrouvez tous les jours en podcast le décryptage d'un faits divers, d'un crime ou d'une énigme judiciaire par Jean-Alphonse Richard, entouré de spécialistes, et de témoins d'affaires criminelles.
Ecoutez L'heure du Crime du 23 mai 2023 avec Jean-Alphonse Richard.
Transcript
00:00 14h30, 15h30, l'heure du crime sur RTL.
00:04 Jean-Yvon Strichard.
00:06 C'est le plus célèbre des cold case du Québec.
00:10 Une adolescente de 16 ans violée, frappée à mort dans un champ recouvert de neige.
00:15 Elle s'appelait Sharon Pryor.
00:17 Bonjour, ne jamais baisser les bras.
00:23 Plus de 48 ans après le meurtre d'une adolescente canadienne de 16 ans,
00:27 la police vient sans doute de résoudre le plus célèbre des cold case du Québec.
00:32 L'affaire Sharon Pryor.
00:34 Au fil des années, le visage blond et angélique de la lycéenne était devenu à lui tout seul le symbole d'une enquête sans issue.
00:41 A l'époque du crime, milieu des années 70, les autorités ont couru sur les traces d'un suspect, un individu
00:48 décrit comme imposant et massif et portant une moustache.
00:51 Un homme impossible à identifier et à retrouver.
00:54 A l'époque, l'ADN n'existe pas et les quelques empreintes relevées se révèlent inexploitables.
00:59 La police et la justice auraient pu abandonner cette course poursuite qui semblait perdue, mais pas question de refermer le dossier.
01:06 Ne serait-ce que par respect pour la famille de la victime, un entêtement payant aidé par les progrès de la science.
01:13 Le nom et le visage du meurtrier présumé sont apparus.
01:17 Il habitait tout près de sa victime avec nos invités.
01:20 Je vais vous raconter comment s'est déroulée cette extraordinaire enquête qui touche enfin, peut-être, à son épilogue.
01:28 14h30, 15h30, l'heure du crime sur RTL.
01:33 Dans l'heure du crime, aujourd'hui, l'un des plus célèbres colt case en voie d'être résolu.
01:37 L'affaire Sharon Prior lors du week-end de Pâques 1975.
01:42 Cet adolescent disparaît dans une rue de Montréal.
01:45 Son corps ne va être découvert que quelques jours plus tard. Elle a été séquestrée, violée, puis tuée.
01:51 Samedi 29 mars 1975, 19h15, Sharon Prior, 16 ans, s'apprête à sortir de l'appartement familial aux 445 rues de la Congrégation à la pointe de Saint-Charles.
02:05 Un quartier tranquille à l'ouest de Montréal, en bordure du Saint-Laurent.
02:09 Sharon a passé une bonne partie de l'après-midi à peindre des œufs de Pâques avec son petit frère de 11 ans.
02:16 Ses petites sœurs, des jumelles de 14 ans, sont restées dans leur chambre.
02:20 Sharon, vêtue d'une veste en dain et d'un jean, dit au revoir à sa mère et claque la porte.
02:25 Elle part rejoindre des amis à quelques rues de là.
02:28 Elle va retrouver des copines, mais aussi son petit ami John, pour dîner à la Pizzeria Marina sur la rue Wellington.
02:35 600 mètres à parcourir à pied, Sharon a annoncé qu'elle rentrerait vers 23h.
02:41 Mais les heures s'écoulent sans qu'elle réapparaisse.
02:44 Les parents, George et Yvonne Prior, s'inquiètent.
02:48 Ils apprennent alors que leur fille aînée n'est jamais arrivée à la pizzeria.
02:53 La police de Montréal est alertée.
02:54 Elle fait du porte à porte dans le quartier, aux trottoirs encore recouverts de neige, en ce début de printemps.
03:00 Mais personne n'a vu l'adolescente blonde.
03:03 Mardi 1er avril au soir, trois jours après la disparition de Sharon Prior,
03:08 un corps sans vie est retrouvé de l'autre côté du Saint-Laurent,
03:12 chemin du lac, dans la commune voisine de Longueuil.
03:15 C'est un apiculteur qui a fait la découverte.
03:17 On venait de lui signaler que la porte qui donne accès au champ où il entrepose ses ruches était entreouverte.
03:24 Le cadenas n'était pas forcé, mais déverrouillé.
03:26 Dans le champ, l'apiculteur est tombé sur le corps, gisant sur le dos dans la neige.
03:31 Celui d'une adolescente, vêtue d'un manteau en deins, portant ses chaussures, ses sockets,
03:37 mais dont les jambes étaient dénudées.
03:39 Son jean était à plus d'un mètre du corps.
03:42 Sa culotte était restée suspendue à une branche, va raconter le témoin.
03:46 Il s'agit bien de Sharon.
03:48 L'autopsie indique que la victime a été violée, rouée de coups.
03:52 Elle a eu le nez cassé, a reçu des coups de poing au visage et au crâne.
03:56 L'agresseur portait une bague.
03:58 Elle montre des traces d'étranglement.
04:00 Le meurtrier lui a écrasé la poitrine avec son genou.
04:03 Le légiste indique que la mort remonte à une quinzaine ou à une vingtaine d'heures.
04:08 Sharon a peut-être été séquestrée, martyrisée à l'abri des regards.
04:12 Son meurtrier l'aurait déposée ici, encore vivante, et aurait dispersé les affaires.
04:16 Il l'a portée, puisque les chaussures de la lycéenne ne montrent aucune trace de bout.
04:21 Une chemise d'homme est retrouvée.
04:23 Elle a servi à attacher la malheureuse dans le dos.
04:25 Une empreinte de pas désigne un individu de forte corpulence, autour de 90 kilos.
04:31 Une trace de pneu à l'entrée du champ est également identifiée.
04:35 La police enregistre très vite un témoignage de première importance.
04:40 Cheryl Roy, 23 ans, mère d'une petite fille, raconte que le samedi 29 mars au soir, le
04:47 soir de l'enlèvement, elle marchait à 19h dans le quartier de la Pointe-Saint-Charles.
04:52 La rue était déserte.
04:53 Un homme est venu vers elle.
04:55 L'a empoignée et la plaqué contre un mur.
04:57 Il avait un couteau.
04:58 Elle lui a proposé de lui donner son argent.
05:01 L'individu lui a répondu qu'il s'en foutait et qu'il en voulait à son corps.
05:05 Elle s'est débattue.
05:06 Le couteau lui a échappé des mains.
05:08 Elle s'est échappée.
05:09 « Tu es morte, je vais te retrouver, je te découperai en morceaux », lui a lancé l'homme
05:14 qui a pris la fuite à l'arrivée d'un passant.
05:16 Cheryl Roy peut le décrire.
05:18 Un aurac bleu, jean, autour d'un mètre 80, costaud, grosse moustache, yeux bleus.
05:23 Il s'exprimait en anglais alors qu'on parle généralement en français dans le quartier.
05:29 Un quart d'heure plus tard, à seulement une rue plus loin, Sharon Prior disparaissait.
05:35 Des indices, un témoignage, mais impossible de retrouver le meurtrier.
05:40 Il semblait sûr de lui.
05:42 Aurait-il déjà tué ?
05:43 Juin, juillet 1975, trois mois après la mort de Sharon Prior, la police de Montréal examine
05:51 avec attention deux dossiers.
05:53 Le premier concerne un crime non élucidé, celui de Norma O'Brien, 12 ans.
05:58 Elle a été retrouvée morte huit mois auparavant, le 10 juillet 1974, à Château-Guey, une
06:04 localité sur la rive sud de Montréal.
06:07 Elle avait disparu la veille au soir, en rentrant de la piscine.
06:11 Elle reposait dans un champ, battue et violée, asphyxiée par sa brosse à cheveux, enfoncée
06:16 dans sa gorge.
06:17 Impossible de remonter jusqu'à son meurtrier.
06:19 Le deuxième dossier est tout récent, le 23 juin, une adolescente de 14 ans, Debbie
06:24 Fisher, a été découverte sans vie dans la même localité de Château-Guey.
06:28 Le corps était dans un bois, dissimulé dans une carcasse de voiture.
06:32 Debbie était entièrement nue, son crâne fracassé à coups de pierre, mais non violée.
06:37 Sa brosse à cheveux avait été jetée à côté d'elle.
06:40 Les enquêteurs se demandent si ces deux crimes présentent des points communs avec celui
06:44 de Sharon Prior.
06:45 Quelques semaines plus tard, grâce au témoignage d'un automobiliste, un jeune homme de 17
06:50 ans avoue les crimes de Norma et Debbie.
06:52 Il donne beaucoup de détails, raconte ses obsessions sexuelles, mais aucun lien est
06:57 habillé avec le meurtre de Sharon Prior.
06:59 C'était une fausse piste.
07:01 Le jeune homme sera condamné à une longue peine de prison pour les deux meurtres.
07:05 Alors que les mois et bientôt les années défilent, les enquêteurs se concentrent
07:11 sur deux possibles suspects.
07:12 Plus d'un an après la mort de Sharon, le détective-sergeant Jacques Dutrysac, en
07:17 charge des investigations, révèle que 38 personnes ont été interrogées.
07:21 Le petit ami de la victime, John McAleer, a été questionné, tout comme les garçons
07:27 qui tournaient autour de l'adolescente.
07:28 Six suspects de premier plan, dont le dénommé Frank Daly, connu de la justice, ont été
07:34 un temps incarcérés.
07:35 Les enquêteurs pensaient qu'ils étaient impliqués dans le crime, mais ils ont dû
07:38 déchanter.
07:39 Le détective-sergeant Dutrysac précise que des pistes ont été explorées loin de Montréal,
07:45 notamment à Ottawa et à Toronto, mais le meurtrier de la lycéenne reste introuvable.
07:51 Mercredi 28 juillet 2004, 29 ans après le meurtre, la police de Longueuil est à pied
07:57 d'œuvre dans la rue Favard.
07:59 Un témoin a assuré que Sharon Prior a été séquestrée ici, dans un garage, en 1975,
08:07 après son enlèvement.
08:09 Le lieu, qui est utilisé par les locataires comme entrepôt, est passé au peigne fin
08:13 par deux douzaines de policiers.
08:15 Pendant 15 heures, la brigade scientifique est à pied d'œuvre.
08:18 Il s'agit de détecter en priorité des traces de sang qui pourraient appartenir à la victime.
08:23 "Notre objectif premier est de trouver de l'ADN en inspectant les murs, le sol ou repérer
08:29 le moindre indice qui puisse mener au meurtrier de Sharon", confirme le commissaire Pierre
08:34 Quintal au journal The Gazette.
08:36 "C'est le jour que j'attendais depuis 29 ans", indique pour sa part Yvonne Prior.
08:41 "Ma fille avait un beau sourire et un grand cœur.
08:44 Je n'ai jamais perdu l'espoir qu'un jour ou l'autre, la police découvre le responsable
08:48 de cette tragédie."
08:49 L'espoir, qui ne va durer que quelques semaines, trois traces génétiques jugées intéressantes
08:54 ont été analysées.
08:55 Comparées avec l'ADN masculin retrouvé sur la scène de crime, sur la chemise qui
09:00 a servi à immobiliser la victime, ainsi que sur le jean et la culotte de Sharon.
09:04 Mais ces traces ne matchent pas.
09:07 La piste du garage s'effondre.
09:10 La mère de Sharon, Yvonne, veut que l'affaire ne soit pas oubliée.
09:14 Elle lance des appels à témoins.
09:17 Mais le temps va peu à peu se refermer sur le dossier.
09:20 "Beaucoup de personnes qui ont l'information, mais qui ont peur.
09:25 Mais s'il vous plaît, les gens, n'ayez pas peur.
09:29 C'est pour ma fille, Sharon."
09:31 "Beaucoup de personnes savent ce qui s'est passé, mais elles ont peur.
09:36 Je vous en prie, n'ayez pas peur.
09:38 Aidez-moi, c'est pour ma fille, Sharon."
09:41 L'ADN, après bien des recherches, va effectivement livrer un non.
09:46 "Nous, enquêteurs, sommes là pour apaiser la douleur de la famille de Sharon.
09:57 Pour cela, il faut absolument ouvrir le cercueil de Franklin Romine afin de prélever son ADN."
10:04 Retour aujourd'hui sur le plus célèbre des cold case du Canada, l'affaire Sharon Pryor,
10:10 une adolescente de 16 ans, violée et tuée à Montréal en 1975.
10:14 Un dossier insoluble, presque 50 ans après les faits, l'ADN va livrer un non.
10:19 Juin 2019, 44 ans après la mort de Sharon Pryor, le département des cold case de Montréal
10:26 confie discrètement à un laboratoire scientifique américain la mission d'affiner le profil
10:31 génétique du meurtrier.
10:33 Les experts indiquent qu'il s'agit d'un homme blanc, aux yeux verts et aux cheveux bruns.
10:37 Commence alors un long et fastidieux tri de sélection sur des résidents ou visiteurs
10:43 de Montréal.
10:44 Des banques de données généalogiques sont sollicitées, quelques 10 000 profils isolés.
10:49 Un an plus tard, le nom d'un homme, Franklin Maywood Romine, parfois orthographié Rumin,
10:56 surgit dans le fichier.
10:58 Les policiers ont le sentiment très net d'approcher de la vérité.
11:01 Romine est de nationalité américaine, il avait 28 ans au moment du crime.
11:06 Il habitait alors à Montréal, boulevard Descaries, à 10 km du lieu où Sharon a été
11:11 enlevée.
11:12 Il disposait également d'une adresse à longueuil, l'agglomération où le corps a été retrouvé.
11:17 A l'époque des fées, Franklin Romine était recherché par les Etats-Unis.
11:21 La Virginie occidentale voulait le juger pour des affaires de vol et d'agression sexuelle.
11:27 Le Canada l'avait extradé aux USA.
11:29 Sept mois après le meurtre, Romine n'avait jamais été entendu dans l'affaire.
11:35 Juin 2022, trois nouveaux laboratoires, Montréal, un autre au Texas, un dernier en Virginie,
11:42 travaillent sur la généalogie de la famille Romine.
11:45 Il apparaît que le suspect avait deux soeurs et deux frères.
11:49 Ces deux derniers, Noah et Michael, plus jeunes que lui, n'ont jamais séjourné ou résidé
11:54 au Canada.
11:55 Ils sont soumis à un test ADN.
11:56 Les résultats ont montré qu'il y a 140 millions de fois plus de chances que cet ADN provienne
12:03 de la famille Romine que de n'importe quelle autre personne, écrit alors le procureur
12:09 du comté de Putman, en Virginie occidentale, aux autorités canadiennes.
12:14 Personne alors n'est informé de cette enquête gardée secrète.
12:18 Histoire qui n'est donc pas terminée, il va falloir désormais retrouver le suspect
12:24 vivant ou plus sûrement mort.
12:27 8 mai 2023, le sergent Francis Charette de la police de Longueuil, agglomération du
12:32 Grand Montréal, là où le corps de Sharon Pryor a été retrouvé, rend public l'identification
12:39 d'un suspect.
12:40 Un Américain, Franklin Romine, connu pour des agressions sexuelles.
12:43 Il a été confondu par la génétique.
12:46 C'est bien son ADN qui figure à plusieurs endroits de la scène de crime.
12:49 Les enquêteurs n'ont pas de doute sur les expertises.
12:52 Le suspect est décédé à Montréal en 1982 à l'âge de 36 ans.
12:57 Il était revenu vivre au Canada après avoir été extradé aux Etats-Unis.
13:01 Son corps avait à l'époque été rapatrié par sa famille jusqu'à la ville de Putman
13:07 en Virginie occidentale.
13:09 Selon le détective sergent de l'unité des Cold Case de Montréal, Eric Racico, la description
13:14 de Romine correspond point par point à celle de l'homme qui avait mis un couteau sous
13:19 la gorge de la femme qui avait réussi à lui échapper.
13:22 Un homme qui, cinq minutes plus tard, avait bondi sur Sharon Pryor.
13:27 Les deux frères cadets de Franklin Romine avaient accepté sans rechigner les tests
13:32 ADN.
13:33 Mais ils se sont opposés, ainsi que leurs deux soeurs à une exhumation pour des motifs
13:37 religieux.
13:38 Une exhumation finalement autorisée par le procureur local.
13:41 La tombe a été ouverte, des extraits d'ossements prélevés par les experts, adressés à
13:46 deux laboratoires spécialisés dans la génétique.
13:49 L'avocat de la famille de la victime, Maître Marc Belmar, n'avait pas été tenu au courant
13:54 de ces expertises.
13:55 Mais il se réjouit de cette avancée.
13:57 Peut-être le point final de cette tragédie.
14:01 Une affaire bientôt résolue ? Presque 50 ans que la famille de la victime attendent
14:07 ce moment.
14:08 Après des décennies d'espoir déçu et de fausses bonnes nouvelles, Yvonne Pryor,
14:14 aujourd'hui âgée de 85 ans, a le sentiment de toucher au but.
14:18 C'est sans doute la meilleure journée qu'elle ait eue au cours de ce dernier demi-siècle,
14:23 affirme Marc Belmar, qui défend les intérêts de la famille Pryor.
14:27 Toutes ces années, la mère de Sharon, soutenue par ses filles Maureen et Doreen, ainsi que
14:32 par son fils Jojo, les soeurs et les frères de Sharon, tout le monde n'a cessé d'attendre
14:38 la vérité.
14:39 C'est peu dit.

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